1991

La peur. L'un des plus vieux instincts communs à toutes les espèces animales. La peur pouvait pétrifier, décupler les forces, sauver une vie, rendre fou...

Il fallait fouiller ce chaos, explorer, s’attendre à voir apparaître la mort entre les débris.

A ce moment-là, il se dit qu'être flic, c'était surtout être seul.

Ils remontèrent des rues aux façades lépreuses, certaines éventrées à coup de tractopelle. Depuis des années, on évacuait les immeubles en péril, on expropriait des milliers d’habitants des hôtels meublés bon marché, devenus insalubres. L'office des HLM les déplaçait vers des logements sociaux ou des foyers. Le maire de Paris, Jacques Chirac, voulait améliorer l'image de cette zone de Paris pour lutter contre les extrémismes, lui qui avait choqué l'opinion, l'été précédent, en assimilant la Goutte-d'Or à des termes nauséabonds.
Enfin, ils atteignirent la rue des Islettes. Florence désigna le numéro 12.
- Dans ton Nord, t'as "Germinal". Ici, on a "L’Assommoir". C'est là que vit Gervaise dans le roman de Zola. Et le 9, juste là, c'est le fameux lavoir du bouquin. La misère à l'état pur existe, mon gars. Elle est plus que jamais présente, derrière ces murs, même un siècle après Zola...

- Tu sais qu'ils m'appellent tous Shark, maintenant au boulot ? fit-il pour combler le silence, seulement rompu par le bruit de leurs pas. On a tous un surnom. Titi, Pitbull... Shark, ce sera le mien. Qu'est-ce que t'en penses ?
- Tout ça m'a l'air très animalier...
Sharko lui sourit, ils s'embrassèrent avec passion. Son cœur de requin tendre se serra quand le train s'éloigna, et que les beaux yeux bleus de celle qu'il aimait finirent par disparaître derrière la vitre.
A ce moment là, il se dit qu'être flic, c'était surtout être seul.

Une fois dehors, il se tourna vers le bâtiment et eut un pincement au coeur. Il comprit que cet endroit où il avait fourré les pieds,le36, quai des Orfèvres, n'était pas qu'un lieu de prestige.
C'était une arène sanglante
La fosse aux lions.

Un enfant n'oublie pas. Jamais...

.....son coéquipier savoura ensuite une bouffée les yeux mi-clos.
- Elle est morte de ses hémorragies, dit-il. Pas de strangulation, de fracture au crâne, rien. Ce salopard l'a sans doute droguée, il l'a cramée aux endroits les plus sensibles et l'a laissée se vider de son sang.
Il souffla de la fumée sur son costume pour atténuer les odeurs de mort, et marcha jusqu'au parking.
- Ce que t'as vu là-dedans ce soir, c'est la vérité crue, Sharko. Pas de fard, pas de maquillage. C'est la mise à nu du monde dans lequel on vit. Tout cela existe bel et bien, et nous, on est en première ligne.

La peur. L’un des plus vieux instincts communs a toutes espèces animales.
La peur pouvait pétrifier, décupler les forces, sauver une vie, rendre fou….

Serge se fit une place pour lire lui-même par-dessus l'épaule de son collègue.
- Il est vraiment dingue..., souffla-t-il. Et il y a des dizaines et des dizaines de lignes de ce style... "Nous sommes tous pareils à des cafards entassés dans des boîtes à chaussures. La plus grande difficulté est d'éliminer les mauvais cafards et de garder les bons. Mais comment distinguer la bonne merde de la mauvaise merde ?" Putain. J'ai vraiment hâte qu'on le chope. Je veux voir sa tête et comprendre comment on peut être barge à ce point-là.