Après les feuilles rouges, la neige : tel était l'ordre de la Nature.
Depuis longtemps je ne veille plus à maintenir dans une séparation absolue le temps immobile et dévorateur du deuil et le temps productif et mobile de l'envie de vivre. Les deux s'interpénètrent.
J'aime ce mélange de superstition et de détachement, un rapport à la fois léger et profond par rapport au sacré.
Désormais je vivrai sur deux temps : le temps figé du deuil impossible, le temps mobile et miroitant de l'événement. La mort de mon père : une partie de moi, cachée, est devenue pierre, l'autre a fait de justesse un saut de côté et a rejoint le courant de la vie, sa merveilleuse fluidité. Les deux parties étant également vraies.
Mon père me demande de vérifier dans la boîte à gants qu'il y a bien les cartes Michelin, elles y sont, ainsi qu'une paire de lunettes de soleil et son livre de chevet : Premier de cordée.
Nous dégustons nos huîtres et buvons un Château Graville-Lacoste.
Je m'interroge : le peintre gobe-t-il les huîtres après les avoir fait poser, comme il a coutume de le faire avec les jeunes filles?
Dès l’instant où s’est créé un lien d’amour, existe-t-il une préparation à accepter qu’il se brise ?
Que tout demeure dans ce temps suspendu, dans la simple magie d'un flocon de neige.
C'est peut-être cette double vue de la voyageuse qui semble incompréhensible - qu'elle chérisse les émotions du commencement, qu'elle les éprouve à chaque fois tel un absolu dans la conviction d'un ancrage fixe, tout en se réservant en quelque zone flottante d'elle-même le projet de repartir.