Le poids du monde est amour

La plupart des gens attendent de l’amour quelque chose de doux et harmonieux. Moi, je ne sais pas ce que c’est, la douceur et l’harmonie. Pour moi, depuis toujours, aimer est une douleur.

. Je suis jalouse, maladivement. Je l’aime contre moi. Si une mouche vole autour d’elle, j’ai envie de l’attraper et de l’écraser entre mes doigts. J’ai besoin de l’avoir toujours à mes côtés. Nous avons envisagé de prendre un atelier et de travailler ensemble mais au dernier moment elle a prétexté que cela lui compliquerait trop la vie. Je suis certaine que c’est pour ne pas m’avoir constamment sur le dos. Plus je l’aime, plus je lui demande de me prouver son amour. Ce n’est jamais assez, elle ne peut pas combler le manque que j’éprouve, il est trop profond, je suis condamnée à accepter mon angoisse de l’abandon.

Je suis celui qui écoute les gens pleurer sur leur sort, se séparer dans le sang et les larmes, divorcer à coups de juge et d’avocat, devenir des vipères envers ceux qu’ils vénéraient six mois plus tôt. Mais moi, je suis le gars qui écoute. J’ai une vie amoureuse aussi lisse et légère qu’un drap de soie porté par un doux vent d’été. Dix ans que c’est comme ça. Le pire, c’est que je suis heureux avec elle, je l’aime comme j’ai jamais aimé personne. Et en plus tout le monde m’envie, c’est à désespérer.

Un bon affrontement une fois de temps en temps est indispensable à l’équilibre d’un couple, ça désherbe, ça dépoussière. Mais, malgré toute ma bonne volonté, on n’arrive pas à se disputer. Je m’efforce d’être odieux, de laisser traîner mes slips, de renverser des verres en faisant exprès pas exprès, je fais semblant d’oublier ce qu’elle me dit, enfin, je mets le paquet mais elle reste toujours aussi zen qu’un psy, sans jamais hausser le ton, comme si les petits accrocs de la vie lui glissaient dessus.

Je ne serai jamais un écrivain mais je suis un type qui tient sa maison en main. Ce matin je me suis aperçu que je n’avais pas eu le temps d’aller chez le coiffeur depuis des mois. Mes cheveux sont devenus longs et filasse comme ceux de Philippe Katerine. Ça m’allait pas mal, cette nouvelle coupe, mais ça manquait de volume. Alors j’ai décidé de m’occuper un peu de moi. J’ai passé toute la matinée avec des bigoudis et un fichu sur la tête et je suis descendu ranger la cave. Ensuite, je suis remonté et je me suis fait deux masques, un exfoliant et un effet tenseur. J’ai perdu dix ans.

De ces composants, l’amour est de toute évidence celui qui génère le plus d’illusions. S’il n’est pas précédé et soutenu par un épanouissement professionnel, une quiétude relationnelle avec sa famille et ceux que l’on aime, un désir d’avenir et l’intuition d’être à sa place, il n’est qu’une vaine simagrée, il ne tient pas, l’amour ne se suffit pas.

Bientôt, nous allons nous déshabiller de nos pudeurs, nos humeurs auront le dessus sur nos désirs, nous allons taire des choses pour nous autoriser d’en dire d’autres, nous négocierons avec nos tolérances, la beauté va se déplacer, bientôt, le sédiment de notre joie ne troublera plus la qualité de notre amour, il finira par se poser et révélera alors la clarté de nos sentiments. Le réel va nous infliger son poids, à nous de l’ignorer. Nous allons pouvoir nous aimer pour ce que nous serons et non pour ce que nous espérons.

Les hommes sont ainsi faits qu’ils ne peuvent dévier leurs regards ni de l’horreur ni de la beauté. J’ai donc vu, dans le reflet d’une paire de lunettes de sage-femme, notre bébé sortir du ventre de sa mère. Et j’ai suffoqué avant lui.

Je l’aime. Je l’aime mais je ne veux pas me marier avec lui, ni que l’on achète ensemble une maison et que l’on s’endette pour vingt ans. On vivra chez lui, ou chez moi, ou on louera ensemble. Je ne veux rien posséder avec lui et ne souhaite pas envisager l’avenir, je ne veux rien qui puisse alourdir, ralentir, une éventuelle séparation. Si un jour notre histoire doit s’achever, je veux que cela se fasse aussi rapidement que cela a débuté. Je veux l’aimer au jour le jour. Je n’ai jamais eu conscience de construire ma vie, et ce n’est pas avec un homme que cela va commencer. Je veux rester libre et en profiter au maximum, comme si le bonheur était une erreur et que, tôt ou tard, cela allait se savoir. Libre. Même en amour. Surtout en amour.

Je l’ai fait attendre, souvent, longtemps, pour chaque rendez-vous, une vingtaine voire une trentaine de minutes de retard, avec les textos d’excuse parfois et d’autres fois en arrivant comme si de rien n’était. J’ai été capricieuse, de mauvaise foi, lointaine, insensible, menteuse, j’ai feint de m’endormir alors que je le savais plein de désir, j’ai parlé de mes ex et m’en suis inventé, j’ai médit sur ses amis et prétexté qu’il était trop tôt pour rencontrer sa famille, j’ai fait la gueule pour des raisons insignifiantes, j’ai été polaire après avoir été torride, j’ai demandé pardon en minaudant après avoir été odieuse.