Dans ce roman foutraque mais brillant, Lavie Thidar joue avec les différents registres de la SF pour nous proposer un livre percutant et déstabilisant.
Au début, ça commence comme une uchronie assez classique. Nous sommes en pleine Palestina, mais pas celle du moyen-Orient : celle entre Kenya et Ouganda. « Hein ? », me direz-vous. Heureusement, l'auteur a brossé une rapide intro pour expliquer son uchronie.
Début 20e siècle, le Congrès sioniste était partagé entre deux courants : l'un voulait créer un pays juif autour de Jérusalem, l'autre voulait un pays pour les juifs mais qu'importe l'endroit. Un « projet Ouganda » fut lancé, avec l'exploration d'une terre peu peuplée (il y avait des Massaïs cependant) à l'Ouest du Kenya. Dans le roman, l'auteur imagine donc que ce projet a abouti. La plupart des Juifs ont quitté l'Europe bien avant l'accession de Hitler au pouvoir, il n'y a jamais eu d'Holocauste.
On suit alors le héros qui retourne dans cette Palestina africaine après des années d'absence (il vit à Berlin). Mais petit à petit, on sent que quelque chose cloche. le héros a des souvenirs étranges, les autres personnages nous font vivre des passages incompréhensibles. Puis tout s'éclaire. Pas à la façon d'une grosse révélation facile, non, mais par petites touches. C'est bien mené.
Le roman bascule dans une autre dimension. À vrai dire, ça part clairement dans tous les sens. Je ne peux pas en dire plus sans tout spoiler. Je précise juste que le récit devient inclassable, à la fois SF et policier, politique aussi puisque Thidar nous dépeint un pays juif qui pratique une forme d'apartheid envers les locaux africains, similaire à celui vécu par les « vrais » palestiniens (ceux de la vraie vie, pas ceux du roman).
Le texte est parfois dur à suivre car 3 personnages alternent la narration, toujours en utilisant un « je », sans que l'auteur ne s'embarrasse de marquer clairement le passage de l'un à l'autre. Mais c'est aussi ça qui fait le charme de
Aucune terre n'est promise. C'est un roman déstabilisant, dans cette forme d'écriture, dans ce scénario fait de boucles emmêlés, dans cette uchronie politique et percutante. Un livre court que j'ai adoré.