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Critique de Lamifranz


En ces temps de marasme et de morosité, où les mots les plus réjouissants sont ceux de guerre, pénurie, maladie, où des auteurs de chansons salaces sont promus Chevalier des Arts et Lettres, où des gens qui tapent dans un ballon sont mieux considérés que des chercheurs scientifiques, où la démocratie est bafouée sur tous les coins de la planète, que diriez-vous d'un changement d'air ? d'une virée à la campagne au bord de ruisseaux bavards et attrayants, dans des salles d'auberge pleines de vie et de joie saine, d'assiettes pleines de bonnes choses à manger, de verres pleins de bonnes choses à boire, de compagnons et de compagnes fort agréables, hein, qu'est-ce que vous en diriez ? Moi je vous propose de partir à Clamecy, dans la Nièvre, vers la fin du règne de Louis XV et le début de celui de Louis XVI, en compagnie de « Mon oncle Benjamin ». Je vous garantis que le voyage vaut le coup.
Claude Tillier (1801-1844) est essentiellement un pamphlétaire, et l'auteur d'une poignée de romans dont le plus connu est « Mon oncle Benjamin ». Je dis le plus connu, mais pas forcément le plus lu, pourtant il est à présent accessible dans toutes les bonnes librairies.
Peut-être avez-vous vu le film d'Edouard Molinaro (1969) avec Jacques Brel dans le rôle-titre et la délicieuse Claude Jade. le film est une belle réussite qui rend un bel hommage au roman.
Car au départ c'est un roman. Un roman champêtre dirons-nous, tel que pouvait en écrire à la même époque George SandJeanne » - 1844, « le meunier d'Angibault » - 1845, « La Mare au diable » - 1846), et tels qu'en écriront plus tard Erckmann-ChatrianL'Ami Fritz » - 1864), Eugène le RoyJacquou le croquant » - 1899) et bien d'autres, jusqu'à nos « écrivains de terroir » contemporains.
Benjamin Rathery, 28 ans est médecin, ce qui lui donne le droit de porter une épée. « Je ne sais si les malades avaient grande confiance en lui ; mais lui, Benjamin, avait fort peu de confiance dans la médecine : il disait souvent qu'un médecin avait assez fait quand il n'avait pas tué son malade… Mon oncle Benjamin, au dire de tous ceux qui l'ont connu, était l'homme le plus gai, le plus drôle, le plus spirituel du pays, et il en eût été le plus… comment dirai-je pour ne pas manquer de respect à la mémoire de mon grand-oncle ?… il en eût été le moins sobre, si le tambour de la ville, le nommé Cicéron, n'eût partagé sa gloire… . Toutefois, mon oncle Benjamin n'était pas ce que vous appelez trivialement un ivrogne, gardez-vous de le croire. C'était un épicurien qui poussait la philosophie jusqu'à l'ivresse, et voilà tout ». Voilà dessiné le portrait de mon oncle Benjamin : un épicurien, bon vivant, gai, drôle, spirituel, au besoin insolent, aimant toutes les bonnes choses de la vie, aimant la vie tout court, bonne ou mauvaise.
« Mon oncle Benjamin », avec un tel héros, ne peut qu'être qu'un roman picaresque, truffé d'aventures de toutes sortes qui le mettent en opposition avec l'autorité, avec ses ennemis, avec les femmes (qui comptent beaucoup dans sa vie), mais qui n'entament ni sa joie de vivre, ni ses valeurs qui sont réelles et qu'il porte haut. Mais c'est également un roman éminemment sensuel, plein d'images et de sons, plein d'odeurs tellement bien décrites qu'elle en rend le roman gourmand : « Partout une joie profonde, jusque dans le bruit de la poêle » (Francis Lacassin, dans sa très belle préface).
Et n'oublions pas le côté social et politique (après tout, Claude Tillier est un pamphlétaire) : Benjamin est le symbole d'un peuple français, certes bon vivant, mais épris de valeurs profondes, face à une noblesse décadente accrochée à ses privilèges, à des institutions sociales et religieuses basées sur l'hypocrisie et la puissance des richesses.
Un très beau roman que vous recommande Georges Brassens : « Quiconque n'a pas lu « Mon oncle Benjamin » ne peut se dire de mes amis »
Claude Tillier a eu des successeurs : en plus des auteurs déjà cités : le « Gaspard des montagnes » (1922) d'Henri Pourrat est son descendant direct, et on peut retrouver chez René Fallet bien des points communs avec l'auteur de Benjamin.
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