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sur 926 notes
C'est une histoire qui commence par vous attraper par les pieds, que tout un chacun se doit de garder propres en cas d'hospitalisation nocturne mais aussi pour entendre finement l'herbe pousser au printemps sous les sabots des biches, ou botter les fesses des malotrus.

On reconnait bien là ce pas de côté pour aborder le monde qui caractérise le regard d'Olga Tokarczuk, et pourtant l'univers de ce roman m'a légèrement moins emportée que les autres oeuvres que j'ai lues d'elle, malgré la convocation dans le récit de l'ouvre de William Blake, absolument fascinante.

Elle est attachante pourtant cette jeune vieille hippie misanthrope et cosmophile, parfaitement à l'aise dans son interprétation décalée du monde, et radicale dans ses moyens mis en oeuvre pour faire adhérer à ses vues ses concitoyens réticents.

Dans ce coin de Pologne épuisé par la rigueur de l'hiver et promis à la disparition, le sang de cette fine foldingue n'en finit pas de bouillonner face à la bêtise et la brutalité des hommes, et la vengeance est un plat qui se mange chaud.

Ce non-polar bourré d'intelligence et de maximes à déguster est une bonne porte d'entrée dans le monde ré-enchanté de cette auteure fort justement nobellisée.
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En pleine nuit, Janina Doucheyko est réveillé par son voisin, Matoga, car un autre voisin est décédé. En maugréant, elle le suit et, effectivement, Grand-Pied est dans sa cuisine, mort étouffé par un os. Ils décident de procéder à sa toilette pour qu'il soit plus présentable, avant de prévenir la police… a priori il s'agit d'une mort naturelle mais il va s'ensuivre un effet domino…

D'autres personnes vont être retrouvées mortes : le chef de la police, un chasseur richissime en lien avec la mafia, et chaque fois, il y a des mystérieuses traces d'animaux, des biches en particulier.

Le narrateur est Janina en personne, ingénieure à la retraite, qui déteste son prénom, se passionne pour l'astrologie, pour la Nature et la cause animale. Végétarienne par conviction, défendant bec et ongles le bien-être animal, intolérante à la chasse et aux chasseurs, passionnée également par William Blake dont elle traduit les poèmes en compagnie d'un jeune voisin, Dysio, elle ne s'attire pas la sympathie des habitants de ce hameau, qui ne s'anime qu'en été quand les vacanciers débarquent.

Elle prend un malin plaisir à écrire des lettres où elle dénonce les exactions des chasseurs, qui s'en sont même pris à ses chiens, émettant des hypothèses farfelues donc elle passe pour la folle du hameau.

Janina m'a conquise, je suis sensible à ses combats même lorsqu'ils sont poussés à l'extrême, à ses théories drôles à propos de la santé, ses démonstrations permettant d'expliquer les différentes morts via le thème astral des personnes concernées, et sa théorie sur la vengeance des animaux est assez géniale… l'air de rien, elle nous livre une réflexion philosophique intéressante sur la vie, la souffrance de « son vieux corps malade » comme elle dit, la vieillesse et la mort. Elle est sans pitié et sans illusion sur les hommes, sur la religion et se sent bien dans sa maison, seule, retirée du monde telle un ermite.

Elle est attachante par la manière dont elle déteste appeler les gens par leur nom ou prénom les affublant de surnoms plus adaptés selon elle : Grand-pieds, Manteau Noir Frou-frou ainsi que par sa fascination pour la Tchéquie, tellement plus accueillante dont elle joue à traverser la frontière plusieurs fois, pour le plaisir quand elle est en promenade, en souvenir du temps, pas si lointain, où les frontières étaient complètement fermées. C'est une femme libre, dans ses choix de vie, ses convictions, son comportement.

Le dénouement est génial, et j'ai eu un mal fou à refermer ce roman, tant je me sentais complice, en osmose avec Janina ! ce roman est souvent présenté comme un polar, mais les morts ne sont que des prétextes à une réflexion bien plus large.

Le roman démarre en fanfare avec cet incipit qui nous met l'eau à la bouche

" Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit"

Le titre est inspiré d'un vers de William Blake et en tête de chaque chapitre, Olga Tokarczuk nous propose un vers de l'auteur pour illustrer son propos :

« Conduis ta charrue par-dessus les ossements des morts »

J'ai retrouvé avec un immense plaisir la plume d'Olga Tokarczuk dont j'avais découvert la truculence avec « Dieu, le temps, les hommes et les anges » et la magie a fonctionné de nouveau.
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Il est des endroits où l'on a du mal à se projeter. Un hameau perdu entre Pologne et Tchéquie en plein hiver en fait partie.
C'est dans ce cadre que Grand Pied est retrouvé mort chez lui, un os dans la bouche . Ses deux seuls voisins , Matoga et Janina se rendent sur place. Ce n'est que le début d'une série de meurtres pour lesquels Janina a une explication irrationnelle : Les animaux se vengent.

On a affaire à un policier tout à fait singulier, bercé par le récit de Janina , adepte d'astrologie et fervente défenseure des animaux et de leur cause.
L'énigme policière n'est pas le fil conducteur de ce beau roman , très bien écrit, rendant si bien hommage à la virginité d'une nature où l'homme n'a que peu posé son empreinte. On s'en moque presque du ou des meurtriers. On se demande jusqu'où va aller l'auteur et surtout où elle va nous amener.
Le personnage de Janina est bien sur central et son apparente "folie douce" la rend encore plus attachante. Il n'empêche que ceux qui gravitent autour d'elles sont aussi dignes d'intérêts et dressent un portrait d'une Pologne rurale , adepte des traditions.
Il y a donc une trame policière, avec un véritable suspens, mais la qualité du récit, son hommage vibrant à la nature , ses personnages secondaires attachants, le réquisitoire constant pour les animaux nous en détournent presque .
A titre personnel, peu sensible à l'astrologie, je n'ai pas vraiment apprécié les passages inhérents à ce sujet. mais cela reste personnel et n'enlève rien à la qualité de l’œuvre.
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Quel personnage atypique et original que cette Janina Doucheyko, protagoniste de ce beau roman d'Olga Tokarczuk !
Célibataire, ingénieur civil à la retraite, adepte passionnée d'astrologie, de santé fragile, elle vit isolée dans un hameau des Sudètes polonais, à quelques kilomètres de la Tchéquie.
Elle déteste son nom et renomme systématiquement tous ceux qu'elle côtoie (son voisin - de plusieurs centaines de mètres - est appelé Grand Pied, Świerszczyński devient Matoga, la propriétaire d'une boutique de vêtements est Bonne Nouvelle, le curé est le Père Froufrou...).
Elle est proche de la nature, déteste la chasse et les chasseurs, aime les animaux et regrette ses deux chiennes (« mes Petites Filles »).
Elle donne quelques cours d'anglais et durant l'hiver, où tous les résidents retournent en ville, surveille leur habitation.
Elle est passionnée par l'oeuvre du poète William Blake qu'elle traduit. le titre du roman est tiré d'un vers de Blake : « Conduis ta charrue par-dessus les ossements des morts ».
Tous les chapitres sont d'autre part introduits par un vers de William Blake.

Réveillée une nuit par Matoga qui lui annonce que son voisin Grand Pied est mort, elle part avec lui dans la maison de ce dernier. C'est le début d'une série de morts troublantes.
Elle attribue ces morts à une vengeance des animaux, toutes les personnes décédées étant soit cruelles avec eux ou chasseurs, elle en fait part à de nombreuses reprises à la police qui ne la prend pas au sérieux et la considère comme un peu folle. Elle base ses conclusions sur ses observations d'empreintes à proximité des corps et bien entendu sur l'astrologie.
Cette astrologie prend une place importante dans sa vie - et dans le roman - plusieurs pages sont consacrées au mouvement des planètes et à leur influence, pages parfois un peu trop nombreuses et nébuleuses à mon avis, cartésien que je suis... (Mais ce reproche n'a pas entamé mon plaisir de lecture ! )

Ce roman a l'apparence d'un thriller vu les morts à répétition, la recherche de leur explication mais il est bien plus que cela. Il contient de belles descriptions poétiques de la nature et des animaux. La mort est omniprésente.
Janina est agnostique et ne se prive pas de critiquer la religion catholique polonaise qui place le genre humain au-dessus du genre animal, de critiquer la chasse évidemment et les arguments fallacieux des chasseurs pour justifier leur passion.
Ses lettres à la police sont très divertissantes à lire, les diverses tentatives de traduction d'un poème de Blake également.
Beau moment de lecture, je le relirai très certainement !











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Un conte à la beauté slave, c'est à dire un peu mystérieux et intimidant.
Janina Doucheyko est une vieille illuminée qui vit dans un hameau perdu au fin fond de la Pologne. Ancienne ingénieure, elle enseigne désormais l'Anglais aux écoliers, traduit William Blake, et établit des horoscopes. Mais surtout, elle est une défenseure ardente de la Nature. Aussi, lorsque des braconniers et chasseurs locaux sont retrouvés morts, est-elle persuadée que ce sont les animaux eux-mêmes qui se vengent...

Une telle idée de départ ne pouvait que me séduire, et je n'ai pas été déçue. Tout au long du roman, Janina, qui en est la narratrice, oscille entre raisonnement et excentricité, ce qui la rend à la fois attachante et délirante. Si j'ai parfois regretté que son ésotérisme insensé desserve son propos, j'ai quand même admiré son donquichottisme. Et puis, j'ai craqué sur les autres personnages décalés et touchants qui l'entourent.
J'ai beaucoup aimé aussi la douceur avec laquelle elle parle des animaux et des végétaux, sa façon de renommer les choses et les êtres, de décrire les différentes tonalités du ciel et de la neige. C'est un roman d'une grande poésie, et qui mélange hardiment les genres : philosophique, policier, fantastique -et il y a même de l'humour !
Certes, l'écriture est dense et la lecture exigeante, mais l'ensemble dégage un tel charme, entre délicatesse, colère et grain de folie, qu'on se laisse envoûter en dépit de l'effort requis. Et puis, il serait dommage de s'abaisser au niveau du Ministre de la Culture polonais qui avait admis, narquois, il y a quelques années, n'avoir jamais pu terminer un seul des romans d'Olga Tokarczuk.

C'est donc un roman qui interpelle, bouscule, enjôle, qui fait rêver, réfléchir, et voyager dans la tête à son petit rythme. Et c'est plutôt pas mal.
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Merveilleuse Olga Tokarczuk, merveilleuse histoire... Mes étoiles se sont encore allumées à la lecture de ce roman à la lisière du conte moderne, où finesse et intelligence se marient à une douce ironie dans des lignes addictives, sans jamais user de ficelles grossières. Ce roman pourrait être rangé dans la catégorie polar, même s'il ressemble plus au livre d'une grande qui s'est immiscée dans le genre. Comme si les codes s'étaient pliés, comme s'ils s'étaient inclinés devant la force naturelle de son univers bercé de fantastique. Il y aura bien quelques évènements sordides sous formes de crimes pour tenir le lecteur, mais il y a surtout une narratrice fabuleuse et son ton envoutant. Perchée dans l'astrologie, la poésie de Blake et les exégèses naturalistes, Janina Doucheyko nous enfermera en douceur dans une ambiance singulière sans être complètement déjantée. On fait sa connaissance depuis sa retraite dans un hameau perdu des Sudètes, en pleine réflexion sur la vieillesse de ses pieds, comme pour mieux nous annoncer dans la foulée le cadavre de Grand Pied le braconnier. Il ne lui restera plus guère de voisin dans ce hameau, déserté d'humains l'hiver mais encerclé de biches, de renards ou de scarabées. C'est son désormais unique voisin, Matoga, qui vient l'alerter de sa découverte macabre. Ils suspecteront un étouffement de Grand Pied par injection ratée d'os de biche, avant la venue au ralenti d'une police endormie, avant la survenue d'autres cadavres eux aussi entourés de suspicion animalière. Pour Janina il n'y a guère de doute désormais, les animaux sont entrés en représailles.
Voilà une histoire à la tendance antispéciste infiltrée, pour un roman fabuleux encore une fois. Après « Dieu, le temps, les hommes et les anges », j'ai retrouvé malgré un genre à l'apparence différente le ton et le style fascinant d'Olga Tokarczuk, comme si c'était finalement depuis le coeur de son âme bienveillante et rieuse qu'elle prenait soin de nous écrire.
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Tôt ce matin, ou était-ce très tard dans la nuit hier soir, lorsque j'ai lu le chiffre 298 sur la page de gauche que je finissais de lire, et que d'un coup d'oeil acéré, j'ai vu seulement une dizaine de lignes sur la page de droite, j'ai compris qu'il me fallait devoir abandonner Janina Doucheyko à son triste sort dans la forêt primaire de Byałowieża, en compagnie des bisons, des chênes séculaires, et des tourbières.
Une grande tristesse m'a alors envahi, chassant définitivement le sommeil, je ne voulais qu'une seule chose : continuer à déambuler entre les maisons de Luftzug en compagnie de Madame Janina, de ses Petites Filles, des fantômes de sa mère et de sa grand-mère, de Matoga, de Dyzio, de Bonne Nouvelle, de l'écrivaine, mais cette chose était désormais impossible, et je n'aime pas rebrousser chemin. J'étais arrivé au mot FIN.
Vous l'aurez compris, je me suis carrément vautré dans ce roman.
Thriller, élucidations de meurtres, humour polonais, suspens, poésie de Blake, hiver glacial, été continental, nature et découverte, chasse et meurtres, oui certes, il y a tout cela dans l'histoire, mais tellement plus.
Madame Janina, comme elle déteste qu'on l'appelle, est un personnage plus qu'attachant, elle vous colle à la peau. Cette ancienne ingénieur a construit des ponts en Syrie puis, s'est retirée dans cette région de Kłodzko en basse Silésie, près de la frontière tchèque, où elle a acheté une maison.
Luftzug compte seulement trois habitants en hiver : Janina, Grand-Pied et Matoga. Les autres rejoignent la ville pendant la saison froide.
Janina recherche la solitude, ou plutôt non, elle a horreur de cette solitude de la société contemporaine, celle où l'on se retrouve seul parmi la multitude, parce qu'on ne peut pas réellement échanger avec les autres. Et solitude pour solitude, elle préfère la vraie solitude. Sa seule compagne est alors la nature et ses compagnons les animaux. Pas d'orgueil chez elle, ou de certitudes qui rendent les êtres invivables, encore moins de mépris pour ses contemporains.
Elle les observe, les comprend et, c'est vrai, les classifie en leur donnant des surnoms affectueux, Grand-Pied par exemple, ou Bonne Nouvelle pour la gérante du magasin de fripes qu'elle fréquente.
Seuls deux habitants échappent à ses patronymes chaleureux :
« Ils s'appellent Dupuits. Je me suis longtemps demandé s'il fallait leur inventer un surnom, mais finalement j'ai renoncé, car c'était l'un des deux cas que je connaissais où le nom de famille collait parfaitement à la personne qui le portait. (...) Il s'appelle Glaviot - et c'est précisément le deuxième cas où le nom convient parfaitement à celui qui le porte.»

En dehors de ces travers, Janina est un personnage reconnu de la communauté :

Elle assure la surveillance des maisons des habitants partis à la ville pendant l'hiver :
« J'essaye de faire le tour des propriétés deux fois par jour. Il faut bien que je surveille Luftzug, puisque je m'y suis engagée. J'inspecte une à une chaque maison qui m'a été confiée, et pour finir je grimpe sur la colline embrasser d'un seul regard l'ensemble du plateau.»

Donne des cours d'anglais aux élèves de l'école du village :
« A peine m'étais-je garée devant l'école que déjà mes élèves accouraient vers ma voiture - tous étaient en admiration devant la tête de loup collée sur la portière avant du Samouraï. ils m'emmenaient ensuite dans la classe en babillant gaiement, en parlant tous en même temps, en me tirant par les manches de mon pull. »

S'adonne à l'astrologie, observe Vénus :
«Le soir, je regarde Venus en observant avec attention les métamorphoses de cette belle Demoiselle. Je la préfère en astre vespéral, quand elle semble surgir de nulle part, comme par magie, avant de suivre le soleil dans trajectoire déclinante. L'étincelle de la lumière éternelle. C'est à la tombée du jour que se produisent les choses les plus intéressantes, car alors les différences s'estompent. Je pourrais très bien vivre dans un crépuscule sans fin. »

Dresse des cartes du ciel si vous lui donnez votre date, votre lieu et votre heure de naissance :
«Durant toutes ces années, j'ai récolté mille quarante-deux dates de naissance et neuf cent quatre-vingt-dix-neuf dates de décès, et je continue à mener mes petites investigations. C'est un projet qui ne bénéficie d'aucune subvention de l'union européenne. Conçu dans ma cuisine.»
«Maintenant, je peux le dire ; je ne suis pas une bonne astrologue, hélas ! Mon caractère possède une particularité qui brouille l'image de la répartition des planètes. Je les observe à travers mon angoisse et malgré une apparente sérénité d'esprit, que les gens m'attribuent dans leur grande naïveté, je vois tout en noir, comme à travers une vitre fumée.»

Chaque week-end, elle reçoit chez elle Dyzio, un de ses anciens élèves qui s'est pris de passion pour le poète William Blake et s'est mis en tête d'en faire la traduction en Polonais.
«C'est le plus célèbre poème de Blake. Impossible de le traduire sans en perdre la rime, la mélodie, le laconisme enfantin. Dyzio avait plusieurs fois essayé, et c'était comme résoudre une charade. »

Et par-dessus tout, elle adore la Tchéquie :
«Dans mon demi-sommeil, je repensais aussi à la Tchéquie, je revoyais la frontière et, derrière elle, ce beau et doux pays. Là-bas, tout était baigné de soleil, doré de lumière. Les champs respiraient paisiblement au pied des montagnes de la Table, qui n'avaient sans doute été créées que pour embellir le paysage.»
Mais si Janina est un personnage reconnu dans la communauté, on lui demande surtout de rester à sa place, de se cantonner au rôle d'originale un peu dérangée qu'on lui accorde, non sans générosité.

Lorsqu'elle se met en tête de vouloir régler certains problèmes de voisinage, dont la disparition de ses chiennes, en s'adressant à la police, elle ne reçoit en échange qu'un silence irrévérencieux et gêné, ou alors quelques sarcasmes dissimulés sous l'habit d'une politesse excessive.
«De nouveau, ils ont échangé des regards entendus, puis l'homme a pris lentement un formulaire.»
Mais Janina reste fidèle à sa ligne de conduite dans la vie :
«D'un autre côté celui qui ressent de la colère, mais qui n'agit pas, engendre la pestilence. C'est ce que dit notre Blake.»

Malgré les conseils de son ami Dyzio :
Pourquoi tu parles à tout le monde de ces animaux ? Personne ne te croit de toute façon, les gens te prennent pour...pour...a-t-il bégayé.
Pour une toquée, c'est ça ?
Oui, exactement. Qu'est-ce qui te prend de raconter ça ?

Janina persiste....

C'est dans ce contexte que des morts à répétitions surviennent : Grand-Pied disparait suite à un banal accident, mais il y a suspicion de meurtre pour le Commandant - chef de la police, et le Président - un ancien député, «habitué à diriger», et d'autres...

L'enquête piétine et Janina persiste à harceler la police pour proposer sa théorie à base d'astrologie et de vengeance des animaux, s'appuyant sur des exemples de procès d'animaux en France au Moyen-Age...

Elle est entendue par la police :
- C'est qui, le Samouraï ? me demanda le policier.
- Un ami, répondis-je, conformément à la vérité.
- Son nom, s'il vous plait.
- Samouraï Suzuki.
Il sembla décontenancé, alors que son collègue esquissa un sourire en coin.

Au fond, «Sur les ossements des morts», n'est pas un roman policier, il raconte l'incertitude de la relation sociale, la loterie du voisinage, la difficulté à communiquer avec l'autre, les risques contenus dans l'affirmation de sa vérité ou de la vérité, l'impossible remise en cause de la bien-pensance, le poids de la religion, la glorification de la chasse, les argumentations jésuitiques, la recherche du compromis, l'indifférence, le manque d'empathie des êtres vivants entre eux, la fuite devant la compassion.
En écrivant cela, il me vient cette idée : Janina évoque, en creux, l'héroïne de J.M Coetzee, Elizabeth Costello.
Dans sa conférence sur la vie des animaux, elle exprime ses doutes sur une civilisation qui, dans le même temps qu'elle proclame haut et fort les valeurs universelles de son humanisme et de ses « lumières », fait souffrir les animaux, pratique sur eux des expérimentations médicales, les élève à seule fin de s'en nourrir.

Mais Janina Doucheyko n'est pas Elizabeth Costello. le discours de la romancière reconnue et bardée de prix prestigieux est accepté, reçoit même des louanges ; on sait qu'il ne sortira pas des salons éclairés, des amphithéâtres des universités et des studios de télévision.
Janina elle, est dans l'action au quotidien, elle veut que ce discours devienne réalité, et c'est là que les ennuis commencent.

«En contemplant le paysage noir et blanc du plateau, j'ai réalisé combien la tristesse était un mot important dans la définition du monde. Elle se trouve à la base de tout, elle est le cinquième élément, la quintessence.»

«Pourquoi certaines personnes sont-elles mauvaises et viles ?» lance son ami Boros alors qu'en compagnie de Dyzio, ils écoutent Riders on the storm des Doors...
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Olga Tokarczuk nous amène dans les Sudètes polonaises, à deux pas de la frontière tchèque, auprès de Janina Doucheyko, une ancienne ingénieure, vivant seule, retirée dans cette région forestière. Elle se passionne désormais pour l'astrologie et le poète anglais William Blake et déteste la chasse, malheureusement très pratiquée dans ce secteur.

Il y a d'abord un braconnier qui meurt, étouffé par un petit os de son gibier, puis c'est au tour du Commandant de Police de mourir de façon bizarre. Janina extrapole l'idée d'une vengeance des animaux.

L'atmosphère d'étrangeté, presque de fantastique qui émane de ce démarrage m'a accroché tout de suite, la passion de Janina pour l'astrologie renforce le mystère, et en même temps, l'autrice décrit sa Pologne profonde avec beaucoup de sensibilité, on sent la neige, le froid, la cuisine locale, les sous-bois, la faune sauvage, les saisons, le temps qui passe. L'humour est en plus bien présent dans ce roman. le personnage de Janina est vraiment très attachant, on l'imagine parfaitement, décalée, un peu bourrue et pourtant généreuse et sensible. Olga Tokarczuk décrit justement cette sensibilité troublante, à fleur de peau, avec beaucoup de finesse, l'équilibre entre son esprit pratique et ses croyances dans l'univers fantastique restent toujours crédibles, ses contradictions font partie du personnage, et c'est ce qui fait la force de ce roman.

L'intrigue policière ne reste qu'un prétexte, c'est ce qui nous amène vers une fin logique, que cependant j'aurais presque préféré plus ouverte, mais ça, c'est une question de goût. Pour moi, l'intérêt se situe surtout dans l'invention du personnage, dans la description de l'atmosphère de cette région, et dans ce qui émane des réflexions parallèles : c'est en réalité un roman sur la vie, la mort, le rapport à la nature, et bien d'autres choses encore…

Bise affectueuse à celle qui m'a suggéré cette lecture qui a dû, j'imagine, beaucoup s'enthousiasmer pour Janina.
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Je n'ai lu d'Olga Tokarczuk , prix Nobel de littérature, que " Les enfants verts", déjà très atypique. Une amie m'a offert celui-ci, que j'ai beaucoup aimé.

On retrouve le goût de l'auteure pour l'étrange, le fantastique. Cette histoire peut être vue, entre autres, comme une fable écologique prenant l'aspect par moments d'un roman policier.

En effet, la narratrice, ingénieure à la retraite pour le moins farfelue, originale ( j'ai adoré ce personnage!), découvre mort un voisin qu'elle n'aimait pas car il tuait brutalement les animaux de la forêt des Sudètes, région où elle réside, dans un hameau isolé.Il a avalé de travers un os de biche...

D'autres chasseurs meurent ensuite de façon suspecte. La narratrice a son avis sur les auteurs des crimes...Un avis très troublant. Mais chut! Je n'en dirai pas plus!

le lecteur est intrigué à la fois par le déroulement des événements, les questionnements sociétaux que cette histoire suscite, l'attitude déroutante, excentrique de Janina, et charmé aussi par la poésie particulière qui se dégage de ce livre fort prenant. A lire!
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Janina Doucheyko, et pas Douchenko hein, est une sorte de gardienne d'un hameau au fin fond des Sudètes, à la frontière tchèque. Sur 9 maisons, seuls trois sont occupées toute l'année. Elle surveille donc, celles désertées durant l'hiver. C'est son domaine.
Quand au milieu de la nuit Matoga vient lui annoncer la mort de leur voisin, Grand Pied, étouffé par un os de biche, suivie bientôt par d'autres morts violentes, la douce folle, élabore une énième théorie pour expliquer ces crimes : les victimes étaient toutes chasseurs, braconniers. Les animaux se vengent.
Le lecteur suit pendant des mois non seulement les élucubrations de Janina, ses enquêtes, lit les lettres qu'elle envoie aux autorités pour les aider et les aiguiller dans leurs recherches, le tout appuyé et confirmé par les astres qui guident toute sa vie jusqu'à la révélation finale.
J'ai beaucoup aimé cette histoire et surtout le personnage de Janina, certes un peu cinglée mais pas tant que ça tout de même. Elle était ingénieure autrefois et si elle a cessé son activité c'est que « ses maux » ne lui permettaient plus d'exercer correctement. J'ai aimé sa générosité à accueillir et à aller vers les autres, sauf ceux qui maltraitent les animaux. J'ai aimé ses délires qui sont ses pensées, les pensées d'une femme intelligente, imaginative et surtout très seule, qui passe de longs mois dans une maison isolée, sans contact avec ses voisins. Il faudra la mort de Grand Pied pour qu'elle se rapproche de Matoga. Elle théorise tout, le temps, les gens, les bêtes, la politique polonaise, la politique polonaise dans l'UE, les Polonais vs les Tchèques. Elle se méfie de la religion. Son regard est aiguisé et lucide et comme elle a du caractère, elle n'y va pas de main morte quand elle doit donner son avis.
C'est, sous couvert d'un roman « policier » une critique sévère de la Pologne d'aujourd'hui. Et c'est très souvent réjouissant.
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