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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ceci est une pépite. Superbe Premier roman, écrit avec virtuose et poésie. Ce livre raconte la joie qu'Isadora Aberfletch, ressent dès sa plus tendre enfance, à vivre dans la maison familiale, de ne jamais avoir à la quitter. C'est son voeu le plus cher, qu'elle réalisera.

Elle raconte toute son enfance à jouer avec ses frères et soeurs et cousins et cousines dans cette maison familiale où régnait le bonheur. Les étés fabuleux à jouer, à construire des maisons dans la forêt, à faire toutes sortes d'espiègleries dont sont capables les enfants. Cet état de plénitude va durer jusqu'à l'adolescence, où au grand désespoir d'Isadora, les enfants grandissent et ont d'autres aspirations. Les grands quittent le foyer pour aller à l'internat, suivre leurs études et vivre une autre vie loin de la maison.
Isadora aussi connaîtra également un très grand amour. Mais, sans regret, elle lui tournera le dos afin de ne pas avoir à quitter sa chère maison. La Maison sera plus forte que tout.

Quelques temps, les uns et les autres reviendront pour les vacances à la maison sur qui veille Isadora. Puis, petit à petit, plus.

La vie d'Isadora est ponctuée par les saisons. Elles les apprécient toutes sauf l'automne, où elle se recroqueville sur elle-même, et elle ne reprend vie qu'avec l'arrivée de l'hiver. Puis, sa grande soeur la rejoindra un temps, après son divorce. Les deux soeurs vont enfin s'expliquer. Chacune à une vision de l'enfance différente, bien qu'ayant été élevées sous le même toit, et reçu la même éducation.

Et c'est aussi de cela que parle ce livre. de la perception que chacun peut avoir de son enfance.

Au-delà de l'histoire, ce livre est majestueux de par l'écriture, la poésie qui s'en dégage, les descriptions de l'enfance, des vicissitudes de la vie, de la solitude, de l'amitié, de la vieillesse, qui peu à peu, imprègne tout, aussi bien les gens que la maison. Maison qu'au grand désespoir il va bien falloir abandonner au bout du compte.

Chapeau Madame ! pour cette belle oeuvre. Pour un premier roman, c'est très réussi. Vous m'avez subjuguée et emportée avec vous. Et dire que vous n'aviez que 24 ans lorsque vous avez écrit ce livre ! D'où vous vient cette maturité ?

Une très belle lecture que je recommande chaudement.
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Un grand coup de coeur d'abord pour l'écriture qui m'a séduite dès les premières pages puis pour le récit lui-même.
Un tel premier roman à 24 ans, cela promet ( j'espère).
Une vieille dame, tout juste entrée dans un "hospice" revoit la Maison où elle a passé toute sa vie; une vie très riche en aventures enfantines, en famille élargie, en joie et en deuils.
Elle a choisi la solitude qui s'est installée peu à peu: les autres sont morts ou ont choisi la Ville.
On sent que la perte de sa "petite soeur" la laisse inconsolable: Harriett est morte dans un accident de voiture à près de trente ans mais c'est la petite fille qui reste dans les souvenirs d'Isadora, la narratrice.
La construction se fait au fil des saisons; l'été étant le grand moment de la famille élargie. "Le deuil d'un monde à chaque premier septembre".
Cette maison, il me semble la voir ainsi que la nature tout autour. Je me souviens de ces moments heureux où nous nous retrouvions très nombreux et la déprime qui surgissait après les départs. Cette maison ne nous appartenait pas; elle a été vendue et un grand vide s'est abattu; aussi ce livre me touche-t-il particulièrement mais c'est si beau que même moins concerné, cette lecture est un moment d'émotion .
Les noms propres et prénoms sont peu communs: Klaus, Isadora, Oktav etc. La famille Aberfletch
L'expression "guerres précieuses" n'apparait qu'à la toute fin.
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Il y a des livres qui vous happent dès le début, qui vous prennent au coeur, qui font résonner leurs phrases avec l'écho de vos propres souvenirs, qui vous font frémir d'impatience quand le moment de les lire arrive. Il y a des livres qui vous touchent simplement : « Les guerres précieuses » est sans le moindre doute de ceux-là.

L'histoire tient en deux lignes sur le papier. Une vieille dame raconte ses souvenirs au sein d'une Maison, sa Maison d'enfance, dans laquelle elle est née, a grandi, a choisi de rester année après année. Elle y décrit sa vie, la vie, d'une saison à l'autre au gré des visites familiales, des disputes et des drames. Quand cette femme parle, c'est simple et pourtant d'une poésie folle !

De ce premier roman, j'ai tout adoré. J'ai été extrêmement touchée par le sujet ou plutôt par les sujets-mêmes, de cette plongée dans les souvenirs, dans le choix de ce qu'on laisse derrière soi, des enfances qui s'enfuient, de la perte tout simplement. Perrine Tripier offre un livre au style à part, au charme délicat et à la poésie totale. Elle nous propose un voyage dans un territoire que l'on connaît tous et pourtant dans un lieu et des époques qui resteront mystérieux tout le long.

Si vous cherchez un coup de coeur pour ce début d'année, lisez « Les guerres précieuses » de Perrine Tripier ! Tenté.e.s ?
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Une recommandation bienvenue d'une amie. Et dès les premières pages, une certitude : Tout simplement de la grande littérature. Ça fait plaisir de lire un ton neuf, indépendant de l'actualité des quotidiens obligés. Une plume magnifique, des descriptions justes et poétiques. Bravo!
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❝Nous sommes les lieux où nous avons été. Ils font partie de nous.❞
Jim Harrison, Seule la terre est éternelle, film documentaire de François Busnel et Adrien Soland, 2019

❝Pluie fraîche sur pelouse bleue. Herbe d'été humide, relents de terre noire. Toujours ces averses d'août sur les tiges rases, brûlées d'or. Les lourdes gouttes ruissellent sur la vitre, sinuent, serpentent et s'entrelacent en longs rubans de lumière liquide. Combien d'après-midi passées derrière le voile vaporeux du rideau, à suivre du doigt leur tracé nerveux et languide à la fois. […] Et soudain le regard tombe de la fenêtre à la main qui écarte le rideau, et la main est vieille, si vieille.
Il est des lieux qui vous harponnent. Qui enroulent leurs mailles autour de vos songes, qui ajustent leurs griffes, juste assez pour vous laisser grandir, mais avec dans votre chair la meurtrissure de leur emprise.
[...]
Ça, c'est la Maison.❞

À ceux qui me demandent pourquoi je lis, je pourrais donner une ribambelle de raisons, cependant je ne trouverai rien de plus judicieux que de leur conseiller la lecture du premier roman de Perrine Tripier. Les Guerres précieuses est un texte contemplatif où tout est affaire d'atmosphère, de souvenirs qui refluent épousant les quatre saisons, brossant à chacune d'elles un tableau sensible — peut-être fantasmé ? peut-être magnifié ? — de la Maison qu'Isadora Aberfletch, trop âgée pour continuer à y vivre seule, a dû quitter à contre coeur pour entrer en maison de retraite.

Il est vain de chercher une intrigue alambiquée, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne se passe rien. Ce roman est une expérience intérieure, une évocation d'une Maison majuscule, personnage à part entière de ce récit doux-amer à l'ambiance proustienne, ambiance que l'on retrouve pareillement chez Colette :

❝Ma maison reste pour moi ce qu'elle fut toujours : une relique, un terrier, une citadelle, le musée de ma jeunesse.❞
Colette, La Retraite sentimentale, 1907

Construite du temps de l'arrière-arrière-grand-père, la Maison est le lieu où plongent et s'enroulent les racines de l'enfance.

❝[...] les colonnes de bois sculpté encadrant la porte d'entrée, glacée d'un vernis chaud de caramel solide, et le vitrail de fleurs entrelacées qui laissait filtrer, quand le soleil brillait au travers, des éclats de couleur dans le hall. Peint d'immenses treillis de feuillage tropical, le hall luisait d'un doux bleu. Là s'élançait l'escalier en colimaçon, dans un tourbillon de bois cuivré.❞

Pour Isadora, c'est le temps retrouvé des vacances et des grandes tablées autour de Petit Père et Petite Mère, de sa soeur aînée Louisa — une beauté, de Harriett la benjamine adorée, et de Klaus le frère musicien terré en son grenier. Sans oublier le ballet des oncles, tantes, cousines et cousins, à la belle saison comme aux fêtes de fin d'année.

❝Nous laissions les journées s'écouler comme un filet de lumière liquide. C'était le temps précieux des heures élastiques, des matinées évanescentes, des après-midi infinies.❞

La mémoire affective involontaire reconstitue le passé ; l'imperfection des souvenirs ressuscite les sensations d'alors. Les trouvailles d'écriture de Perrine Tripier, les phrases comme retenues au bord de la mélancolie, font merveille pour rendre sensible le monde :

✧ les bruits (craquement de l'escalier, bourdonnement affairé des abeilles, chant des oiseaux, silence feutré de la neige, conversations qui s'éternisent les soirs d'été, rires des enfants qui s'égaillent dans le jardin, murmures complices et secrets échangés au creux de la nuit...) ;

✧ les odeurs (linge frais mis à sécher au soleil, herbe mouillée, fleurs en bouquet, plats qui mijotent en cuisine, chocolat chaud de Petit Père, premier feu dans l'âtre...) ;

✧ les couleurs (lumière d'été, grisaille d'automne, noir de la terre, vert de l'étang sous la rondeur des nénuphars, immensité d'un ciel bleu jouant à cache-cache dans les branchages...) :

✧ le toucher rêche d'une étoffe, la douceur du bois cuivré de la rampe de l'escalier en colimaçon, lustré par le passage de mains innombrables…

❝Je me souviens d'avoir désiré que le bleu du ciel imprègne tant mes iris qu'ils en deviendraient tout azurés, tout lumineux de soleil, et je m'aveuglais en vain, noyant désespérément mes pupilles d'éther incandescent.❞

Depuis la chambre aux murs jaunes de la maison de retraite, Isadora tire le fil de souvenir, recompose, tant par la mémoire que l'imagination, le lieu de toute une vie, un monde des cinq sens, vibrant de moments heureux — l'éblouissement de l'enfance, la plénitude de l'adolescence —, mais aussi douloureux de pertes inconsolables et d'amours éconduites que l'on regrette peut-être une fois venue la saison où la vie jette ses derniers feux.

❝Je n'ai jamais pardonné à l'automne les deuils.❞

Une maison comme un paysage traversé dans la lumière des saisons (je vole son titre à Charles Juliet !) ; une maison fantasmée, magique, pas tout à fait réelle ; une maison dont je ne sais dire si elle a été un espace de folle liberté ou une prison contrainte dictant de renoncer à l'amour quand il se présentait ? un autel sacrificiel ? Une maison avec laquelle Isadora, ❝vestale qui entretient le foyer❞, a de tout temps eu une relation jalouse et ambivalente, qui l'a condamnée à la solitude.

❝J'ai assez aimé la Maison pour ne rien souhaiter d'autre, dans toute mon existence, que d'y demeurer, blottie, au creux des choses familières.❞

mais aussi

❝Je désirais laisser pourrir la Maison. La laisser se démantibuler, s'effondrer sur elle-même, comme un cheval éreinté qui plie sur ses jambes, l'écume aux flancs. Je voulais qu'elle meure de mon départ, et qu'elle m'attende pour que je vienne la hanter, avec tous les autres fantômes de ma famille, quand je serais morte.❞

Les ans ont passé, les saisons se sont succédé, le temps a fait son oeuvre. La famille s'est clairsemée, certains se sont éloignés, d'autres ont disparu, les amants n'ont été que de passage, Isadora est restée, seule, jusqu'à ce que cela aussi ne soit plus soutenable.

❝Je veux évider l'espace du présent et faire resurgir, à coups de souvenirs forcenés, les lieux que j'aimais tant, que je connaissais par coeur, que j'ai arpentés toute ma vie, et qui, maintenant que je n'y suis plus, s'effacent, se désagrègent.❞

La vestale partie, la Maison se désagrège. Ainsi en va-t-il d'Isadora, qui ressent plus qu'elle ne comprend le lien l'unissant à ce lieu de toujours.

J'ai été intensément touchée par ce « Je » qui, bien qu'en son hiver, ne se résigne pas à oublier ce qui fut, ceux qui furent. J'ai été intimement émue par ces guerres précieuses que chacun de nous mène à sa façon ; par l'évocation d'une maison de famille, lieu magique auquel on se résout la mort dans l'âme à dire adieu. La Maison m'a rappelé celle de mes grands-parents paternels, ouverte sur des champs infinis et à tous. Les jours d'été y languissaient dans une joie béate et un ennui tranquille que mes cousins et moi ne savions pas encore éphémères, mais dont le souvenir nous aiguillonne encore aujourd'hui.

Les Guerres précieuses est un roman en état de grâce. Enveloppé d'un voile de mélancolie et d'une poésie diffuse, il est le premier d'une toute jeune autrice dont j'admire l'acuité du propos et la puissance évocatrice de l'écriture pour nous transporter, en 190 pages seulement, des possibles de l'enfance aux renoncements de la vieillesse, de la douce fraîcheur d'une pluie d'été à la froideur d'une grande Maison recroquevillée sur un temps perdu.

Sélection 2024 des #68premieresfois
Lien : https://www.calliope-petrich..
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Ce n'est pas exagérer de dire que je suis restée coite en refermant « les guerres précieuses », premier roman de la jeune autrice Perrine Tripier ! Avant de dire quelques humbles mots sur l'histoire, je veux parler de l'écriture, du style, de la prose poétique, de la beauté, de la sensibilité, des émotions qu'offre cet objet littéraire. Je ne lisais pas, je partageais les souvenirs de Isadora depuis sa chambre d'EHPAD, les joies et les peines, auxquels se mêlent regrets, remords surgissant des plus belles années vécues dans la Maison.
La Maison, celle de l'enfance de Isadora, avec ses parents, ses frère et soeurs, le point de réunion familial des oncles, tantes, cousins, semble à mille lieux de la ville et de ses tracas, dans un cadre verdoyant à l'orée de la forêt.

Ressasser le passé, raconter l'isolement, vivre aux côtés du fantôme d'une petite soeur trop tôt décédée... certes la nostalgie est immense, mais n'éclaire-t-elle pas les plus beaux moments de notre vie lorsqu'elle est exprimée à la façon d'un peintre, jouant sur les couleurs selon les saisons. C'est ainsi, sur ces fronts là et tout en poésie que se livrent les guerres précieuses de la narratrice. Magnifique oeuvre littéraire !
Ce roman figure dans la sélection pour le Prix Orange du Livre 2023 !




Lien : https://mireille.brochotnean..
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Énorme coup de coeur pour la plume de l'auteure que j'ai trouvé tellement poétique, j'ai été impressionnée par sa façon si précise de détailler et j'aimerais avoir cette facilité de mettre des mots sur ce qui m'entoure. J'ai ressenti une sensibilité, à la fois une sorte d'intimité et de familiarité, ce texte m'a beaucoup parlée et je me suis retrouvée en elle à plusieurs reprises. J'ai aimé apprendre à connaître les membres de sa famille à travers ses yeux, notamment sa mère, sa fragilité et sa passion pour la peinture. Il y a également la notion d'amour qui m'a plu, l'amour du vécu, de ce qui lui appartient, du passé… la peur de l'oubli et le deuil de l'enfance.

C'est un magnifique livre touchant et inspirant, faible en actions, on est plus sur de jolies descriptions, des phrases bien tournées, c'est un nid à citations, j'ai tellement surligné ! L'histoire est en réalité simple, on contemple cet attachement et cette grande affection pour la Maison mais racontée d'une manière élégante et saisissante.

UNE BEAUTÉ !
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Qu'il est difficile de quitter la maison de son enfance, si pleine de souvenirs de jeux et de joies.
C'est pour cette raison que la narratrice décide de rester toute sa vie dans ce lieu quitte à sacrifier sa vie personnelle. Mais les souvenirs suffisent-ils? Et qu'il est difficile de le partager.
Magnifique premier roman, servi par une écriture magistrale, qui nous entraine chacun de nous dans nos propres souvenirs de lieux aimés et dans une douce nostalgie.
..." Rester c'était une façon de résister à l'effacement , à l'oubli " ...
#les68premieresfois#selection2024#


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Plus qu'un roman, ce livre est un refuge. Devenu convives, et non plus lecteurs, on se glisse entre ses pages comme dans les draps frais et rugueux d'une maison de campagne.

À mesure qu'on tourne les pages, on entend tout. le babillage distrait d'une petite soeur, le rire gras d'un grand frère, les chuchotements énervés des parents.

On entend surtout les craquements du parquet, les tintements de la vaisselle, la pluie sur les carreaux, les portes qui claquent, les siestes, les disputes, les silences, les drames. Les bruits familiers et précieux d'un lieu habité, animé.

“Toute la Maison s'agitait, s'étirait, bâillait un grand coup de toutes ses fenêtres ouvertes sur le jardin.” La Maison avec un M majuscule, fier comme un empire. En comparaison, l'hospice et son minuscule h font bien pâle figure. Depuis cette dernière demeure imposée, Isadora, accrochée, cramponnée de toutes ses vieilles forces au passé, nous accueille chez elle, dans sa Maison, sa mémoire, son histoire. “Quand le présent est douloureux et le futur macabre, il est évident que l'on cherche en nous le chemin du passé. Ne demandez pas aux vieillards de se réjouir de la nuit qui tombe.”

Guidés par cette vieille âme, on se promène entre passé et présent, dans des chapitres où les petites aventures de l'enfance se mêlent à l'immobilité grinçante de la vieillesse. C'est toute une vie qui nous est racontée au rythme des saisons, comme une ritournelle. D'abord les étés et leurs sourires, puis les automnes plein de sanglots, puis les hivers et les printemps.

Ce n'est peut-être rien d'autre qu'un livre, rien d'autre qu'une maison, mais on peut presque sentir à la lecture les grains de groseilles coincés entre nos dents l'été et le feu dans l'âtre qui rougit nos joues l'hiver.
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Exister et mourir dans la Maison
Isadora Alberfletch a été la fille de Petit Père et Petite Mère, elle a fait partie de la fratrie avec Klaus, Louisa et Harriett.
Ce petit monde a vécu dans la Maison, avec la majuscule comme Majestueuse, Magique, Magnifique, Melliflue, Millésimée, Multiple…
Dans cette Maison la vie respire, il y a les occupants naturels et ceux qui passent, tantes, oncles et cousins. La Maison s'adapte, se dilate, respire, bruit des siestes des adultes qui croulent sous la chaleur d'août et des jeux des enfants jamais à court d'idées. Car dans la Maison l'ennui n'est jamais le vide.
« Et puis, petit à petit, toute la Maison s'agitait, s'étirait, bâillait un grand coup de toutes ses fenêtres ouvertes sur le jardin. le vent gonflait les draps blancs et semait du pollen sur l'oreiller. »
Isadora se souvient, dans son fauteuil sans âge, qui a vu passer les augustes postérieurs de ses ancêtres, seul meuble qu'elle a réussi à sauver du naufrage qu'est l'EHPAD .
Bien sûr, il y avait les corvées comme repeindre façade et murs intérieurs, les repas à préparer et le linge à étendre, mais cela se faisait naturellement et dans la bonne humeur de ce qui est fait collectivement.
La tradition c'est le linceul de la mémoire.
Pour Isadora le temps s'est arrêté à l'année de ses huit ans. Âge qu'elle a décidé d'adopter à l'âge adulte celui où chacun prend son envol.
« À une époque, cette pensée me faisait enrager, et, à présent que je suis vieille et plutôt laide, je me dis que je me serais lassée de lui, un jour ou l'autre. Il se serait empâté, il serait devenu bougon. Il aurait voulu des enfants, sans doute, et moi je ne me suis jamais sentie mère, uniquement fille et soeur. Je fus une fille passable, peu tendre, mais une soeur exceptionnelle, je le crois. J'aimerais bien être encore soeur. »
Mais elle, elle sait au plus profond de son âme que quitter la Maison est un chagrin immodéré, irraisonné, un déchirement que rien ne peut endiguer. Alors, elle a attendu l'ultime moment pour que le cocon ne devienne pas une machine de mort.
La construction est parfaite, elle épouse les saisons qui bercent l'année et les années qui forment une vie.
Isadora est devenue une vieille femme et la Maison s'est délabrée comme le corps humain se défait par petites touches puis par de plus gros dégâts. Les pages 172 et 173 sont sublimes de justesse sur ce sujet.
Comme les plus grands écrivains, Proust, Virginia Woolf, elle sait explorer les détails et faire surgir aux yeux des lecteurs un monde, celui qu'elle décrit mais aussi celui que les lecteurs projettent comme le leur.
La sensualité y est prégnante , c'est un florilège de parfums, de couleurs, de sensations qui vous saisissent pour ne plus vous quitter.
Elle sait croquer les portraits celui de la tante est savoureux.
Chaque membre de la famille se dessine sous nous yeux, ils nous deviennent vite familiers, par un tour de passe-passe l'auteur vous intronise dans cette famille.
Vous êtes là au creux de cette maison qui vibre, dont les murs vous restituent les sons, les parfums de ce monde disparu.
L'évocation des saisons nous les rendent palpable, c'est un tour de force de construire un livre sur les quatre saisons et de réussir à y faire entrer toute une vie.
Son écriture est soyeuse et rayonne, les mots se lisent comme pris dans ce rayon de soleil qui éclaire le coin d'une pièce qui nous est familière et lui donne un nouvel éclairage.
Perrine Tripier n'a que 24 ans mais elle a une âme millénaire, qui recèle le meilleur de Proust, Woolf, Gary et Colette.
C'est un livre qui va rejoindre mon Panthéon des rares ouvrages que je lis et relis avec cette sensation de familiarité et de découverte renouvelée. C'est rare et précieux.
La lectrice que je suis a été Isadora sans jamais me départir de qui je suis.
Charmée, comblée, ébahie, déstabilisée et envoûtée par cette écriture qui semble respirer par elle-même.
Vous l'aurez compris j'attends avec impatience le prochain.
Fermez les yeux :
On a tous quelque chose en nous d'Isadora, ce désir fou de retenir la vie au coeur de nos derniers jours.
Merci à Lecteurs.com et la Fondation Orange pour ce privilège de lecture.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2023/04/26/les-guerres-precieuses/

Lien : https://jai2motsavousdire.wo..
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