Citations sur Aliocha (33)
Quant à Alexis, il osa demander avec un espoir fou :
- Dans ce nouvel appartement, papa, est-ce que j'aurai ma chambre ?
- Bien sûr ! Une grande chambre, avec des rayonnages aux murs pour les livres et un bureau avec beaucoup de tiroirs.
La tête d'Alexis partit à la dérive. Gagné par la contagion de l'allégresse, il se voyait déjà au milieu d'une bibliothèque garnie d'autant de volumes que celle de Thierry.
Bien que peu pratiquants, les Krapivine se rendaient souvent, le dimanche, à l'église orthodoxe de la rue Daru, et ils exigeaient que leur fils les accompagnât. Alexis les soupçonnait d'assister à la messe moins pour remplir leurs devoirs religieux que pour se replonger dans la foule de leurs compatriotes. On était entre exilés, on se serrait les coudes, on communiait dans la même foi, dans la même misère, dans le même espoir.
Il lui semblait qu'en contestant ses souvenirs on lui volait un bien précieux, un trésor de famille, le meilleur de lui-même. Et pourtant, il s'agissait d'un passé qu'il récusait et qu'il regrettait presque 'avoir raconté dans le "cahier-journal". Allez donc y comprendre quelque chose !
Pour lui, les filles appartenaient un univers inaccessible de chuchotements, de roueries, de faiblesse, de secrets et de grâce.
On eût dit que, sur terre, il y avait les Blancs, les Noirs, les Jaunes, et enfin une race à part : les émigrés. Et nul ne pouvait s'évader de cette condition d'émigré comme nul ne pouvait changer la couleur de sa peau.
Ils s'assirent autour de la table de la salle à manger, sous la suspension de cuivre. Hélène Fedorovna avait retiré son tablier. Elle prit son ouvrage de tapisserie. L'oiseau de feu était presque terminé. Seules restaient à l'état de projet les serres du volatile magique. L'aiguille allait et venait au travers du canevas avec une obsédante régularité. Georges Pavlovitch, qui fumait rarement, avait allumé une cigarette. Les yeux mi-clos, il était déjà en Russie. Alexis ouvrit le livre, et soudain le souvenir de ses conversations avec Thierry lui planta un couteau dans le cœur. La Guerre et la Paix, c'était encore Thierry, c'était avant tout Thierry ! Ravalant ses larmes, il se lança dans la lecture.
p.191
Qu'avait-il à faire d'un Pouchkine, d'un Lermontov, d'un Tolstoï, quand il avait à sa disposition toute la littérature de France? Il n'allait pas lâcher la proie française pour l'ombre russe!
On eût dit que, sur terre, il y avait les Blancs, les Noirs, les Jaunes, et enfin une race à part : les émigrés. Et nul ne pouvait s'évader de cette condition d'émigré comme nul ne pouvait changer la couleur de sa peau.
- Que voulez-vous, ma chère, soupira Mr Gozelin, ce sont des parvenus ! Cette appréciation sévère inquiéta Alexis. Comment les Gozelin, si férus d'honorabilité, jugeaient-ils ses parents à lui ? Certes, seules les deux mères s'étaient rencontrées, à Neuilly. Mais cela avait dû suffire aux Gozelin pour se forger une opinion sur la famille. En quels termes parlaient-ils de ces Krapivine aux origines incontrôlables ? Ne se moquaient-ils pas d'eux, avec une pointe de commisération ? De nouveau, Alexis se découvrait en porte à faux dans un monde construit par les autres et pour les autres. Puisqu'il n'avait pas d'ancêtres en France, il n'avait rien à y faire !
J'ai trouvé ce livre très enrichissant, je dois dire que j'en ai appris beaucoup sur le monde après la Première Guerre mondiale et des jugements des Français sur les Russes. Cette histoire est excellamment bien écrite, on ressent ce que ressent Alexis, on éprouve de la compassion pour lui. La fin m'a profondément touché. Je vous conseille fortement de lire ce livre, car même si vous ne lisait pas beaucoup, vous serez plongé dans l'histoire (j'ai dévoré le livre en un soir !).
Sacha Vaudoyer