C'était un choix de poésies de Victor Hugo qu'il avait emprunté à la bibliothèque de la classe. Il l'ouvrit au hasard et tomba sur Les Djinns. Dès les premiers vers il fut bouleversé.
- Toi, le bolchevik, tu vas fermer ta gueule si tu ne veux pas que je t'écrase comme une punaise !
- Je ne suis pas un bolchevik ! hurla Alexis, indigné. Je suis un Russe blanc !
- Tous les Russes sont des traîtres ! rétorqua Neyrat. Ils nous ont bien laissés choir en 17 !
- Les Rouges vous ont laissés choir, pas les Blancs ! Les Blancs, au contraire, voulaient continuer la guerre avec vous !
- Rouges, Blancs, je les mets dans le même sac, moi ! Vous êtes de sales étrangers, voilà tout ! Allez, fous-moi le camp, morveux ! Retourne dans tes steppes !
As-tu déjà été amoureux, Krapivine?
Moi, je regarde les filles et je me dis qu’aucune, jamais, ne voudra de moi.
Je suis comme Baudelaire, comme Maupassant : je ne vois dans les femmes qu’un instrument de plaisir.
Toi, en revanche, tu es beau gosse, alors tu connaîtras tout: les fausses passions, les espoirs fous, les illusions, les déconvenues…
Je te plains mon vieux!
-Je trouve tes parents formidables!
-Ah oui?souffla Alexis.
Et il se demanda pourquoi les yeux lui piquaient, pourquoi sa vue se brouillait soudain.
Aux murs, des gravures représentant des paysages de Russie, des photographies anciennes, une lithographie en couleurs de Nicolas II, le tsar martyr, toute la panoplie de l'émigration. Dans un angle, une icône avec sa veilleuse en verre rouge suspendue par des chaînettes d'argent. Les parents avaient leur chambre à côté. Ils recevaient peu de monde. Rien que des Russes qui parlaient du passé en buvant de la vodka.
Imperturbable, l'homme au gilet rayé l'introduisit dans un vestibule décoré de grands tableaux sombres et le précéda dans un large escalier, dont une tapisserie fanée recouvrait les murs. En gravissant les marches, Alexis avait l'impression de pénétrer dans un musée où la richesse et la beauté avaient tué la vie.
- Elle danse bien, ta cousine !
- Elle fait tout bien ! rétorqua Thierry en riant. «La danse, pour les jeunes filles, c'est un apprentissage de l'amour physique », comme le remarquait Stendhal. Elles ont l'illusion de se livrer sans danger à un homme de leur choix. Tu devrais apprendre à danser, si tu veux plaire !
- Je ne tiens pas à plaire de cette façon-là!
- Tu as tort. Tout est bon pour lever le gibier !
"Toute singularité mérite d'être cultivée à la façon d'une plante rare", comme le disait ce vieux renard de Voltaire.
Pour la première fois de sa vie, il se dit que le bonheur de ses parents ne coïncidait pas nécessairement avec le sien.
-Non,laisse, Aliocha!J'aime cette bouffée d'orage!
C'était la première fois que Thierry l'appelait Aliocha.
Il en fut ému comme par une chaude et rude poignée de main et se rassit sans mot dire.