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La Lumière des justes » est une saga littéraire en cinq tomes, qui se joue sur une cinquantaine d'années entre la Russie et la France au XIXème siècle. Histoire d'amour fortement marquée par les soubresauts politiques qui jalonnent l'époque, elle nous propose une comparaison du point de vue alternatif des deux héros entre les deux sociétés dont ils sont issus, dont chacune possède ses larges avantages et ses lourds inconvénients par rapport à l'autre.
Le premier volet est le plus largement focalisé sur la France. Nicolas Ozareff est un jeune et enthousiaste officier russe qui fait partie des troupes qui entrent à Paris lors de la première chute de Napoléon. Il découvre dans la capitale un art de vivre séduisant, une modernité insoupçonnée et, surtout, une jeune aristocrate française aux idées libérales violemment hostile à l'occupation des forces coalisées. On a donc initialement un schéma un peu attendu d'une inimitié initiale qui va se transformer progressivement en estime, puis en amour, au fur et à mesure que ces deux êtres apprennent à comprendre les motivations du camp de l'autre. Avec la perspective du retour des Russes au pays après la victoire, s'impose un choix décisif à Nicolas et Sophie. A côté de cette partie sentimentale, on nous donne à assister au quotidien des Parisiens du point de vue russe, ou aux traditions russes du point de vue français, ainsi qu'à quelques événements historiques, surtout la période des Cent-Jours, ce qui a pour effet, souvent assez drôle, de regarder certains usages ou traits de caractère encore vivaces en France et en Russie avec un recul plaisant. On mesure le pouvoir d'influence, l'aura de la France à l'époque en dépit de son statut de puissance renversée, celle d'un incubateur des futures formes de gouvernement ; c'est elle qui instille en premier lieu dans le coeur des Russes, notamment chez les officiers plus éduqués, une aspiration à la liberté qui prendra racine dans les cercles intellectuels de Saint-Pétersbourg au retour des armées du tsar, et aboutira à plusieurs soulèvements internes jusqu'à la révolution bolchévique.
L'écriture est vraiment très agréable à lire, il n'y a vraiment rien de compliqué, et c'est à la portée de tout le monde. L'histoire avance vite, brossant rapidement des périodes longues sans pour autant les bâcler, pour développer des événements et des dialogues particulièrement centraux. Rien qu'au récit introductif des troupes russes dans Paris, fortement empreint dans la forme du souffle épique des oeuvres du XIXème siècle, on comprend que l'on va passer un bon moment face à un texte de qualité pas du tout inaccessible. Les événements historiques sont narrés non pas avec une objectivité un peu froide, mais d'un point de vue informé de l'avenir où perce un peu de nostalgie et d'ironie. L'histoire sentimentale, de son côté, ne se perd pas en atermoiements interminables, mais élabore le rapprochement progressif des opposés de façon efficace, sans pour autant omettre les quelques élans passionnés sans lesquels on aurait du mal à reconnaître l'âme russe. La façon dont se solde cet amour et ses retentissements sur le plan familial peuvent sembler légèrement invraisemblables ou insaisissables du point de vue du lecteur moderne, mais c'est une chose que l'on est prêt à admettre pour la suite.
Une plongée dans le Paris de la fin du Ier Empire, où la guerre reste toutefois en seule toile de fond pour laisser au premier plan une histoire d'amour qui cherche à exister en dépit d'événements historiques contraires, et qui amène le lecteur jusque dans les forêts de Russie.