Bienvenue au-delà du cercle polaire arctique, à cheval sur la Norvège, la Suède et la Finlande. La Russie n'est pas très loin non plus.
Bienvenue dans un dépaysement total, tant géographique que culturel.
Mais même ici, parmi les Sami, les autochtones pur jus historiquement chasseurs, cueilleurs et pêcheurs, la christianisation forcée a laissé de terribles traces dans sa volonté d'éradiquer une identité ethnique.
Là aussi, la politique et le racisme se sont installés.
Ici même, le froid n'est pas assez intense pour annihiler les ambitions, la soif de pouvoir et les perversions humaines.
Nous ne sommes pas au pays du Père Noël, mais au pays des rennes, assurément.
Quand un éleveur de rennes est assassiné, marqué comme un animal, quand un tambour chamanique est volé et qu'une sombre malédiction autour d'une mystérieuse mine d'or agitent les esprits et toutes les polices, nous voici plongés dans un polar atypique et envoûtant.
Sous un climat rude, les hommes le sont tout autant.
Le poids du passé ne demande qu'à percer la couche de neige glacée pour bousculer la vie de ces nordiques silencieux.
Ce roman est un dépaysement et, sans mauvais jeu de mots, très rafraîchissant!
Olivier Truc sait de quoi il parle, clairement. Il nous tisse avec exactitude un milieu très peu connu, en distillant au fil de l'intrigue les détails historiques sur cette région froide, en dressant un portrait sociologique de cette population malmenée, en nous entraînant dans les descriptions savoureuses de cette nature sauvage.
Un régal que cette découverte! Je parle de la Laponie… et du talent de l'auteur bien entendu!
Les personnages viennent de tous horizons pour offrir une vision complète de la cohabitation entre norvégiens, suédois et Sami.
Le lecteur est loin d'un simple folklore touristique superficiel, il investit les lieux, la communauté, est pétrifié de froid, cherche désespérément quelques minutes de soleil, se découvre brusquement défenseur d'une minorité opprimée et voit d'un mauvais oeil l'appétit des sociétés internationales pour les ressources naturelles d'un territoire encore préservé.
Au travers de cette enquête, aux côtés de la police des rennes, peut-être l'ultime rempart dans la préservation des coutumes locales contre le grignotage du Monde Moderne, le lecteur se prend d'affection pour Klemet, policier sami qui n'a plus vraiment sa place parmi les siens, et ne l'a pas encore vraiment parmi les autres. Un homme tatillon, attaché aux preuves, qui ne s'emballe pas pour des théories rapides et expéditives, au contraire de son « confrère » norvégien, Brattsen, ouvertement raciste et prompt à condamné les sami et leurs querelles d'éleveurs.
Dans ce monde dur et abrupt, le lecteur ne peut qu'aimer Nina, jeune policière nouvellement débarquée de Norvège, et sa soif de photos. C'est par son regard qu'on saisit les nuances de ces lieux et de ses habitants, par sa jeunesse et son enthousiasme qu'on suivra l'intrigue, entre religion, tensions raciales et prospection minière.
Et que dire du personnage d'Aslak, bourru, inquiétant, silencieux, homme de terre, ancré dans ses traditions, sa civilisation, refusant l'invasion des colonisateurs d'hier, que l'on érige bien volontiers en coupable? J'ai énormément apprécié Aslak, pour ce côté « brut de décoffrage », même si j'ai douté par moment de son intégrité dans cette histoire. Il est beau, cet homme, qui disparaît dans la nuit polaire…
L'auteur nous balade bien finement sur les fausses pistes: le meurtre de Mattis est-il l'enjeu de querelles et de rancunes d'éleveurs de rennes dont le travail est compliqué depuis le tracé des frontières? le vol d'un tambour sami, dont il reste si peu d'exemplaires, est-il lié à l'assassinat de Mattis, fils et petit-fils de chaman? Est-ce un enjeu ethnique pour raviver les tensions entre les communautés? Ou ce tambour raconte-t-il une histoire bien plus complexe que l'évangélisation des sami? Et cette expédition de 1939 dont on découvre l'existence n'est-elle pas le noeud libérateur de cette histoire?
J'ai adoré ce roman et la plume de l'auteur, parce qu'il est divertissant, certes, mais instructif également sans être pontifiant. Et même si je suis totalement sous le charme de cette nature quasi déserte, puissante, froide, magnifique sous les aurores boréales ou cruelle dans ses conditions de vie dans la nuit polaire, je suis également tombée sous le charme de ses habitants tiraillés entre leur héritage sain et simple, leur volonté de le défendre et de le préserver et la grosse machine écrasante de notre monde occidental corrompu et âpre aux gains.
Le dernier lapon est le premier roman d'
Olivier Truc. Il dormait dans ma PAL depuis longtemps mais, tête de mule que je suis, j'attendais que l'engouement retombe pour, à mon tour, l'appréhender sans être polluer par les chroniques dithyrambiques des uns et des autres. Et je ne regrette pas d'avoir attendu car pour un premier roman, je trouve que c'est franchement une réussite et, cerise sur le gâteau, je vais pouvoir enchaîner avec la suite des aventures de Klemet et Nina, dans
le détroit du loup, gagné à la masse critique de Babelio.
Je garde ma chapka sur le crâne, même au chaud dans un gumpi à la déco spartiate, et au son des chants traditionnels sami, les joïks, je vous dis: A tout vite donc!
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