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Critique de egare


Hiver du début
chapitre 1, entrée tonitruante : J'entre ici en perdante.
suivi au chapitre 2 de l'évocation approfondie et stimulante (comme si elle en avait été, ce qui n'est pas le cas, elle n'était pas née) du "concert" improvisé de Keith Jarrett à Cologne le 24 janvier 1975
et hop, je passe à la dernière page, à la dernière phrase
Hiver de la fin :
"peut-être que tout au bout de l'infiniment petit, un jour, je te retrouverai"

(phrase dont je pense qu'elle ne mesure pas la portée car au bout inatteignable de l'infiniment petit, il y a dissolution de toute identité, celle du père, la sienne, et participation infinie et infime à la VIE (vibration, Information, Énergie)

Je cherche alors Adèle van Reeth dont je n'ai jamais entendu parler
je découvre son animation de l'émission les chemins de la philosophie sur France-Culture, sa nomination à la tête de France-Inter, le remplacement qu'elle provoque pour 2024 de Laure Adler, Jérôme Garcin, bref une femme de pouvoir et de savoir
Le premier hiver en 21 chapitres, lu samedi 6 janvier, est chahutant pour le lecteur parce que chahuté pour l'auteur, en tant que fille traversant la France en train pour rendre visite à son père, mourant d'une tumeur au cerveau, en tant que femme de réflexion passant du je au nous ou on, tentant d'universaliser ce qu'elle vit au plus intime, sans être sûre des mots à employer ou de leur définition, en tant qu'épouse et mère à laquelle est fait cadeau d'un chat non-désiré.
Le mot inconsolable est à la fois traité
- comme nom, l'inconsolable, c'est l'expérience fondatrice de l'être humain, il existe une tristesse sans consolation, un chagrin sans nom et sans visage, sans cause, une incomplétude, un manque innommable
- comme adjectif, une mère inconsolable à la perte d'un enfant, une fille inconsolable à la perte de son père, un fils inconsolable à la perte de sa mère (comme Garcin)
Le concerto de Keith Jarrett est l'occasion d'un 2° chapitre. Dans les deux chapitres le concernant, ce qu'elle met en valeur, en relief, c'est le pouvoir de l'artiste créant une mélodie du flux temporel s'écoulant seconde après seconde, chaotique et devenant harmonie, à partir des 4 notes annonçant le début du concert sol ré do la.
Quand elle tente de comprendre l'universalité de ce qu'elle vit, elle est femme de connaissances en philosophie mais pas philosophe. Épicure peut servir pour l'acceptation de la mort mais il s'agit ici du mourir, des deux ans et demi en milieu hospitalier d'un père gravement diminué et en fin de vie.
Pour les moments de présence dans la chambre du père, la philosophie ne lui sert à rien. Les conseils du médecin, de l'infirmière sont plus accompagnants. Caresses, mots d'amour, regards, propos caractéristiques en ce genre de circonstance, propos de déni, de pudeur, de retenue "tout ira bien", "tout va bien", je vais très bien", 'tu es en de bonnes mains", "laissez-le partir", autorisez-le à partir", 'dites-le lui, il vous entend", "qu'il meure en paix !".
Viennent sous sa plume, Perec, Flaubert, Ionesco, Derrida. Comme si elle se confrontait à la liste des 50 choses à faire avant de mourir, au projet de Flaubert de se dissoudre comme auteur, comme multiples "je" dans l'absolu de la littérature, dans le Soi de l'universel, à la révélation de Ionesco, l'absurdité du monde impitoyable, digne pourtant d'amour et de beauté, au rôle du regard animal quand Derrida porte un regard sur lui et se sent vu à poil par le regard de sa chatte, "le point de vue de l'autre absolu".
De retour à Paris, se font sentir des besoins addictifs, une dope de tristesse sans fond, un abus de cigarettes dont elle sait que ça raccourcit la vie. Et là, s'exprime la brillante : il y a une érotique de la cigarette, une métaphysique du filtre, une éthique du fumeur, une esthétique de la bouffée. Démerdez-vous pour dérouler le tapis des déclinaisons.
Elle tente de trouver la paix. Les 4 pages du chapitre 16 sont remplies du mot "paix".

Personnellement, de là où j'en suis (le double de son âge), c'est le mot "apaisement" qui m'est un repère. Processus lent, permanent d'apaisement par une mise entre parenthèses difficile des pourquoi, des comment, de la pensée réflexive, du tourniquet mental qui me fait tourner en bourrique, mise entre parenthèses difficile du savoir, tentatives essoufflées d'être à l'écoute du corps souffrant et mourant, des réactions du mien, (de ses soupirs venus du profond), tentatives d'être dans l'acceptation de ce qui se passe comme ça se passe, sans mots convenus, rassurants, avec davantage de gestes d'amour que de mots d'amour.
Et si possible, échapper au dualisme vie-mort (on ne sait rien de ce que j'appelle le miracle-mystère de la naissance, le mystère-miracle de la mort), échapper à la séparation corps-âme-esprit, à la distinction temps-éternité, être le plus possible dans le présent, dans le temps de l'inspir et de l'expir.
Je me souviens du bouche à bouche avec l'épousée dans le coma et en apnée.
Tristesse sans fond mais sans regret, sans nostalgie, le temps de ces mots sur FB.

Les 13 chapitres non numérotés écrits pendant le printemps suivant la mort du père sont consacrés à l'absence, qui paradoxalement a une présence écrasante, lui faisant prendre conscience de façon chaotique mais qu'elle retranscrit de façon logique de ce qui est perdu.
Ce qui se perd avec le père mort, c'est essentiellement la perte définitive de l'amour du père, cet amour qui a construit la fifille, l'adolescente, l'étudiante,
ce sont les accès de tristesse qui s'en suivent, de façon imprévisible, difficile à gérer, pas du genre je suis triste => je pleure d'où l'usage de la pensée magique dont Joan Didion (l'année de la pensée magique) et Joyce Carol Oates (j'ai réussi à rester en vie) se sont servies
cela lui permet de faire un beau portrait du métier de son père, Benoît van Reeth (1956-2021), archiviste paléographe, conservateur général du patrimoine et ancien directeur des Archives nationales d'outre-mer ; c'est le début d'un futur travail d'épitaphière, l'écriture de la légende de Benoît.
Mais pour le moment, elle n'est pas en état, c'est trop proche d'autant qu'en ce printemps, une vie nouvelle est en train de croître dans son ventre; à gauche du temps, la mort du père, à droite du temps, la naissance de son futur enfant
elle en profite pour régler son sort au "réjouissons-nous" du rituel catholique lors des enterrements et au propos idiot selon elle de d'Ormesson : "il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants"
son argumentaire est celui des matérialistes, des athées; c'est un discours qui aujourd'hui me paraît étriqué et dépassé mais très répandu encore et induisant de façon massive les comportements des gens en deuil

ma petite note personnelle : détestant le "réjouissons-nous"du rituel catholique, j'ai opté pour une cérémonie républicaine après la disparition de l'épousée

quant à la mémoire des vivants, apparemment, la riche en connaissances philosophiques, la douée pour les questions relevant de la métaphysique, n'a pas encore pris conscience
que tout est mémoire, information,
que nous sommes l'expression, l'incarnation d'une mémoire vieille de l'histoire de cet univers et de son évolution (impossible d'en faire d'ailleurs un récit logique et convaincant), qu'elle est poussière d'étoiles, que le rouge de son sang, l'hémoglobine, vient de loin dans le temps et l'espace, que son microbiote est constitué de bactéries colonisatrices vieilles de 3,5 milliards d'années, que son ADN lui survivra 1 million d'années après sa mort
que tout ce qu'elle vit, éprouve, pense, que tout ce bazar immatériel est mémorisé au moment même où elle le vit, en partie dans ses différentes mémoires, pouvant se détériorer mais sans falsification dans la mémoire éternelle et infinie de l'univers.

Je vais poursuivre ma lecture mais peut-être arrêter ma note car j'en arrive à comparer mes comportements avec les siens. or, chaque personne en deuil avance ou recule, s'effondre ou se redresse selon ce qu'elle est et selon ce qu'elle accepte de la gestion de la mort par la société à laquelle elle appartient.

Merci mère Noëlle d'avoir glissé sous le sapin, ce livre après celui de Jérôme Garcin. C'est un livre poil-à-gratter, qui fait réagir et ça me convient. La mort et le mourir, c'est deux temps différents. le mourir de l'autre est une chose, le sien, une autre.

Fin de lecture, mardi 9 janvier.
L'été ou la lucidité, les réflexions sur c'est quoi écrire, pourquoi on écrit ? Ce sont les pages 140-141 qui servent de 4° de couverture. La découverte que l'écriture pour consoler est une arnaque, qu'écrire est une trahison. le voile se déchire. Un autre usage de l'écriture lui est nécessaire, plus concret, plus immédiat, plus ordinaire. Et c'est la dispersion des cendres en famille, près d'une chapelle abandonnée, au pied d'un cyprès, tout neuf planté

L'automne, c'est la saison de l'alourdissement car bébé s'agite, pèse, naît enfin. Une vie nouvelle suit une mort. La fille est devenue mère. Les odeurs montent, enveloppent, deviennent prégnantes. Elle pense moins au père, plus au bébé. La tristesse est là en fond, parfois se manifeste mais moins. le goût de la vie revient. Avec lui, l'attention aux saveurs, aux instants. Des possibles s'ouvrent. Ce n'est pas sur le sens à donner à la vie ou sur l'absurde de la vie qu'il faut s'escrimer. C'est avec courage, faire ce qu'on a à faire, apprécier ce qu'on fait, être dans le détail. L'automne est la saison de la récolte, elle vit plus pleinement ce qu'elle vit, avec davantage de conscience.
J'ai trouvé l'expression poil à gratter au cours de l'été. J'ai vainement attendu, l'automne venu, le mot gratitude. Merci la vie.Vive la vie.

Dernière remarque : parlant de sa grossesse, puis de l'allaitement, je me suis étonné qu'elle ne soit pas assommée par cette évidence : donner la vie, c'est aussi donner la mort. La mort subite des nourrissons comme les fausses couches sont des expériences fréquentes sur lesquelles on fait silence.

Note personnelle :
l'épousée lors de ce que j'ai reçu comme son testament oral, le 29 octobre 2010 m'a dit deux choses
- je sais que je vais passer, où vais-je passer ? 4 livres sont nés de ce défi
- un morceau de Sylvain se balade quelque part / un garçon, Sylvain, attendu et prénommé par elle et ayant pris la forme d'une fille, Katia. C'est sur ça que je travaille, ayant découvert ce qu'on appelle le micro-chimérisme foetal-maternel et le rôle des cellules buissonnières.

Lien : https://les4saisons.over-blo..
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