Quel plaisir de retrouver cette autrice, dont je n'ai lu que peu de livres (seulement «
La vie rêvée des chaussettes orphelines » et «
Ainsi gèlent les bulles de savon ») malgré son succès constant et ses sorties régulières, mais ce sont des livres que j'ai chaque fois beaucoup aimés : j'ai mis à tous deux une note de 18/20, ce qui est quand même « rare » selon mes propres critères. Avec elle, je rejoins la foule des notes dithyrambiques que ramasse chaque nouvelle parution sans fausse honte, moi qui suis en général plutôt réticente à ces livres à succès (ces fameux best-sellers), mais ici elle a su me convaincre deux fois déjà !
Peut-être parce que, à travers ces romans contemporains teintés quelque peu de ce label feel-good (même si ce n'est pas évident, du tout, dans cet opus-ci) qui d'habitude m'irrite d'avance,
Marie Vareille aborde des sujets graves, sans oublier de raconter une vraie histoire, avec des ressorts romanesques parfaitement maîtrisés et une langue enchanteresse.
Je pourrais arrêter là mon commentaire, pourrait-on penser… Mais je dois bien avouer que, pour au moins une raison (j'y viens), ce roman-ci m'a un tout petit peu moins convaincue que les deux précédents que j'ai lus, mais rassurez-vous : je l'ai quand même énormément apprécié ! Et j'en profite pour remercier une fois encore Lirtuel, cette bibliothèque belge francophone en ligne, que j'ai déjà plusieurs fois mentionnée, qui propose des nouveautés de façon très régulière – et, pour le coup, j'ai eu la « chance » de tomber dessus avant que le livre ne soit emprunté et préréservé par 1.000 autres lecteurs avant moi !
Ainsi donc, l'autrice reprend ici le schéma d'un roman choral, en jouant sur les formes (même s'il y a peu de changements typographiques, l'éditeur a fait un effort minimal à ce sujet) et sur les temporalités. À travers tout cela, elle aborde le sujet grave des violences conjugales au sein d'une famille, avec la particularité (si l'on peut dire) que, au lieu de se centrer sur la femme battue (même si elle n'est pas oubliée), « sujet » qui ne devrait -hélas !- pas être d'actualité mais déjà traité dans plusieurs livres et autres films ou séries télévisées, elle développe bien davantage le biais des enfants, et insiste sur cette statistique terrible : 3 enfants sur 4 issu d'un tel ménage reproduiront à leur tour le même modèle, que ce soit en victime ou en bourreau.
C'est ainsi qu'on découvre les carnets d'Abigaëlle, alors âgée de 7 ans, protégée de son père violent (envers la mère seulement, mais c'est déjà trop évidemment) par son grand frère Gabriel. Abigaëlle a été diagnostiquée enfant surdouée ; elle raconte son quotidien à travers sa propre vision des choses, extrêmement lucide et pourtant tronquée, ce qui n'en est que plus glaçant.
On a les entretiens d'un psy vieillissant, qui accepte une dernière patiente alors qu'il s'était promis de mettre peu à peu fin à sa carrière, mais la détresse de cette dernière l'a touché.
On a Abigaëlle « maintenant » : recluse dans un couvent en Bourgogne, et vouée au silence. C'est là que Gabriel va la voir une fois toutes les deux semaines, et lui raconte sa vie d'adulte : sa vie d'artiste, lui qui écrit et illustre des histoires pour les enfants avec une petite héroïne nommée Abi, le dessin étant la seule façon qu'il ait jamais trouvé d'exprimer sa propre détresse ; c'est aussi sa rencontre avec Zoé notamment – bref, toute une vie qu'Abigaëlle raconte à son tour au lecteur, à nouveau de façon quelque peu tronquée par la force des choses, et entrecoupée de sa passion pour les allumettes et ses troubles de mémoire.
C'est là ce qui m'a le plus gênée dans l'histoire : on ne sait pas pourquoi Abigaëlle est enfermée dans ce couvent, comment elle s'y est retrouvée, ce qu'elle y fait exactement, etc. Or, si une partie de ces questions vont trouver leur réponse dans un coup de théâtre vers la fin du livre, certaines demeurent (à mon sens) en suspens. Ce n'est pas bien grave en soi, sauf que, par-dessus tout, je n'ai pas compris l'histoire de cette passion pour les allumettes… Oh ! certes, je connais la symbolique de la (petite) lumière qui luit dans les ténèbres malgré tout, et que
Marie Vareille développe dans un chapitre un peu « à part », où elle sort carrément de son histoire pour célébrer toutes ces mains tendues (souvent anonymes et/ou discrètes) envers les victimes de violences conjugales, mais justement : c'est un peu trop « bateau », avec une petite connotation un peu trop religieuse peut-être aussi, que l'autrice s'emploie pourtant elle-même à dénoncer, notamment quand il s'agit du pardon… un pardon qui ne peut être accordé aux hommes violents ! Je suis passée à côté de cette symbolique un peu trop facile pour le coup, et c'est bien dommage car c'est quand même ça qui fait le titre du livre.
Pour le reste, comme je disais plus haut, j'ai été conquise par l'écriture de l'autrice. Pour les parties du carnet d'Abigaëlle petite, par exemple, le langage d'une petite fille surdouée est particulièrement bien rendu. Je dis ça sans rien y connaître, certes, mais en tout cas ça sonne « juste » et vrai, et c'est tout ce qu'on demande. Chapeau bas pour les torgnoles, aussi ! (smiley)
On a compris que Abigaëlle « maintenant » m'a plus intriguée que réellement touchée, mais on peut reconnaître que cette façon qu'elle a de raconter les événements à la façon d'un narrateur omniscient, alors qu'elle est consciente qu'elle n'a qu'une vision partielle de l'histoire, celle que lui livre Gabriel au fil de ses visites, c'est particulièrement réussi là aussi, malgré un côté que j'ai parfois trouvé un peu brouillon – mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est délibéré, justement !
Par ailleurs, j'ai été sonnée par le twist (presque) final : je suis tombée dans le panneau, comme tant d'autres lecteurs j'imagine, pourtant tous les éléments étaient là dès le début pour amener cette révélation, mais l'autrice joue tellement bien sur les mots et sur les situations, avec une grande subtilité, que je n'avais rien vu venir !
Ce n'est donc pas le meilleur des (rares) livres qui j'aie lus de cette autrice, ce qui ne l'empêche pas d'être une nouvelle valeur sûre! J'en retiens surtout la grande maîtrise de la langue et des ressorts narratifs, qui mènent le lecteur là où l'autrice veut avec brio, à travers les diverses voix et temporalités de ce roman choral, qui aborde de façon délicate et juste le sujet terrible des violences conjugales et ses répercussions sur les enfants.