Ce tome fait suite à le scoop (épisodes 37 à 42). Il comprend les épisodes 43 à 48, initialement parus en 2006, écrits par
Brian K. Vaughan, dessinés par Pia Guerra (épisodes 43 à 46) et
Goran Sudzuka (épisodes 47 & 48), encrés par
José Marzan junior, mis en couleurs par Zylonol, avec des couvertures de
Massimo Carnevale.
Épisodes 43 à 46 - L'agent 355, Allison Mann, Rose Copen, Yorick Brown et Bonny sont à Yokogata, au Japon. L'histoire commence avec une représentation théâtrale (Nô) mettant en scène la mort des hommes de façon métaphorique. Yorick s'est trouvé un nouveau déguisement irrésistible pour passer inaperçu (un peu gothique). 355 et lui décident de prendre le train pour Tokyo, l'émetteur implanté dans Esperluette désignant cette ville comme l'endroit où il se trouve. Mann et Copen ont décidé de rester à Yokogata pour se rendre au laboratoire de la mère de Mann. La ninja Toyota es toujours à la recherche d'Esperluette, n'hésitant pas à tuer pour obtenir des renseignements. Beth, Hero Brown et leur protégée arrivent à destination à Oldenbrook dans le Kansas.
C'est toujours un plaisir de découvrir un nouveau chapitre dans la vie de Yorick Brown. le lecteur sait que
Brian K. Vaughan nourrira son récit d'éléments inattendus en relation directe avec l'intrigue principale : pièce de Nô, déguisement, love hôtel, starlette ayant pris la grosse tête, nouveau type de substitut d'amour physique pour ces dames. Pia Guerra dessine tout clairement comme à son habitude, avec des dessins oscillant entre l'insipide (les costumes de Nô d'un rare manque d'intérêt malgré leur caractère exotique, difficile de faire moins attractif) et le plausible malgré l'improbable (le déguisement très réussi de Yorick ou l'avancée des chars dans le champ de maïs, la petite tenue rose d'Epiphany dans sa chambre d'hôtel). le lecteur suit gentiment les aventures de ces personnages devenus familiers, leurs enquêtes pour obtenir plus d'information ou progresser vers leurs objectifs, leurs conversations reflétant leurs émotions complexes, l'évolution de leur rapport.
Malgré cette narration intelligente et ces dessins tout au service de la narration, les tomes se suivent et laissent un goût de trop peu, une petite sensation de manque. Pour commencer, Vaughan semble avoir abandonné toute velléité d'anticipation. Les 2 premiers tomes insistaient sur l'ampleur de la catastrophe pour la civilisation humaine, que représente la disparition de la moitié de sa population. Il allait jusqu'à citer les métiers où les hommes prédominent à plus de 90% pour faire toucher du doigt au lecteur, tout ce qui avait été irrémédiablement perdu, à commencer par les avions, en passant par les métiers ouvriers. Yorick et 355 se déplaçaient dans un monde plongé dans le chaos du fait de l'absence de gouvernement, de la rupture de la distribution d'énergie, de la régression technologique. Ici Yorick dit de manière explicite qu'il s'est écoulé 4 ans depuis la disparition des mâles. Or à la lecture, au vu des images, le lecteur constate que les trains circulent au Japon (peut-être pas le Shinkansen, mais des trains mus à l'électricité sur un réseau ferroviaire exploitable). Une visite par une animalerie montre qu'il n'y a plus de problème d'approvisionnement en nourriture. Enfin les ascenseurs fonctionnent dans l'hôtel où Epiphany s'est installée avec ses troupes. Il est possible d'admettre que Vaughan ne souhaitait pas écrire un récit survivaliste et que les femmes ont su reconstruire et rétablir les outils de production pour rattraper un niveau technologique proche de celui avant le grand désastre. Mais le début de la série laissait supposer que le défi serait difficilement surmontable, et Vaughan a totalement abandonné cet aspect du récit. Il va même jusqu'à glisser subrepticement et de manière désinvolte que finalement les plantes mâles ont été épargnées, sans raison apparente (si ce n'est bien sûr d'assurer un minimum de végétation, et donc de renouvellement d'oxygène, mais aussi de légumes et fruits).
Dans le même ordre de manque, les réflexions sur les rapports sociaux homme / femme brillent par leur absence dans ces épisodes. le personnage de la starlette désoeuvrée apparaît comme gratuit, juste mise sur le chemin de Yorick et 355 pour engendrer le quota d'action, toujours un peu fade du fait des dessins trop descriptifs, pas assez énergiques. Côté Mann et Rosen, l'action est plus brutale et plus sanglante, aboutissant au résultat inverse : celui d'une violence gratuite et racoleuse. Il y a pour commencer Toyota qui décapite une brave dame juste pour évacuer sa frustration, sans raison valable (il lui aurait suffit de jeter un coup d'oeil ou de poser la question pour avoir l'information recherchée relative au sexe du singe capucin). Il y a ensuite le docteur Matusmori qui passe Rosen au fil du katana, dans un accès de crainte des plus artificiels. Elle aurait attendu 2 minutes et la conversation entre Rosen et Mann lui aurait apporté l'information recherchée. Pour le coup, Guerra insiste beaucoup plus sur le sang, de manière tout aussi peu convaincante.
S'agit-il d'épisodes totalement ratés et inutiles ? Non, le lecteur retrouve avec plaisir ces personnages sympathiques et complexes. Il découvre avec curiosité les nouvelles avanies survenant aux héros, il partage leurs sentiments et leurs sensations. Il se promène dans des lieux exotiques, rendus avec un bon niveau de détails par Guerra. Mais le rythme de l'histoire est un peu trop posé, et une partie des thèmes des 2 premiers tomes s'en sont allés, sans avoir été remplacés par d'autres, diminuant la densité du récit d'autant.
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Épisode 47 - le lecteur découvre la jeunesse et les moments clefs du développement du docteur Allison Mann. Épisode 48 - C'est le tour d'Alter Tse'elon de bénéficier d'un épisode relatant son parcours qui l'a menée à sa position actuelle.
Le moment est venu de découvrir les moments formateurs de 2 autres personnages principaux de la série. En recentrant chaque épisode sur 1 personnage, et en s'attachant à la construction de cet individu, Vaughan retrouve toutes les nuances qui faisaient défaut dans les 4 épisodes précédents. Allison Mann et Alter Tse'elon s'incarnent sous les yeux du lecteur comme des individus complexes, avec des rapports particuliers vis-à-vis de leur environnement et vis-à-vis de la gente masculine. Si les portraits sont brossés avec délicatesse, il n'y a pas de sensation de fadeur, ou à l'inverse de manichéisme. Vaughan dresse le portrait de 2 femmes, produits de leur environnement, de leur éducation, du contexte dans lequel elles ont grandi, sans angélisme ni diabolisation. le soin appliqué de
Goran Sudzuka est ici tout à fait approprié pour décrire chaque lieu et chaque époque, pour faire évoluer des êtres humains normaux et crédibles.
Avec ces 6 épisodes,
Massimo Carnevale réalise de magnifiques couvertures dramatisant avec justesse le thème de chaque numéro, un régal qui vaut le temps passer à les admirer.
Yorick et consort arrivent bientôt au terme de leur périple dans le neuvième et avant dernier tome : Terre mère (épisodes 49 à 54).