Aquaman : The Waterbearer

Ce tome est le premier d'une série consacrée au personnage Aquaman au début des années 2003. Il comprend les épisodes 1 à 6, ainsi que Aquaman Secret Files 1 et une histoire courte parue dans JLA/JSA Secret Files & Origins 1, initialement parus en 2003, écrits par Rick Veitch, dessinés par Yvel Guichet avec un encrage de Mark Propst, à l'exception de l'épisode 6 dessiné par Sal velluto et encré par Bob Almond. Les événements de ces épisodes se déroulent après l'histoire appelée Obsidian Age, contenue dans JLA Vol. 6 écrite par Joe Kelly.

Aquaman (Orin / Arthur Curry) a été destitué par son peuple, les atlantes. Il est condamné à être exposé et entravé sur un rocher sur la côte Ouest de l'Irlande, jusqu'à ce que mort s'en suive. La sentence est exécutée par un détachement d'une demi-douzaine de soldats mené par le commandant Roddun, précédemment capitaine de la garde personnelle d'Aquaman. Ce dernier est enchaîné à des rochers sur la terre ferme, pendant que Nuidis Vulko lit la sentence validée par Mera, reine en exercice sur le trône d'Atlantis, rédigée par Hagen, conseiller régnant réellement. Après avoir été entravé, Orin se rend compte qu'il est incapable de commander aux créatures de la mer qui sont maintenant aux ordres des atlantes. Il essaye d'utiliser son télécommunicateur contenu dans sa ceinture et se rend compte que ses gardes l'ont cassé avant de l'attacher. Il est pris d'une fureur à l'idée de mourir ainsi, et réussit à briser ses entraves par la force. Mais à peine se dirige-t-il vers l'océan qu'il est attaqué par les soldats et par la faune marine. Il doit se réfugier dans l'intérieur des terres, après avoir été blessé par le tir d'un des soldats.

Blessé à l'épaule, Orin fuit droit devant lui et se retrouve dans une clairière abritant un petit lac d'eau claire. Il s'écroule à quelques dizaines de centimètres de l'eau revigorante. Il y jette son harpon pour s'en débarrasser. Alors que le harpon s'enfonce dans l'eau, une main en jaillit, s'en empare et le tient droit au-dessus de la surface. Médusé, Orin voit apparaître une demi-douzaine de naïades, suivies par une femme semblant avoir un corps d'eau claire. Cette dernière lui explique qu'il est dans un endroit très particulier et que le destin l'a choisi pour porter son message dans le monde des hommes, comme un autre des décennies avant lui. Il sera le Porteur d'eau de la Dame du Lac. Il finit par se retrouver sur un rivage de l'Atlantique Nord en Irlande, non loin d'un phare. Il y est retrouvé par Martian Manhunter (J'onn J'onzz), et par MacCaffrey, un vieil homme irascible.

Pour pouvoir apprécier cette histoire, il vaut mieux disposer d'une idée superficielle de l'histoire personnelle d'Aquaman, un atlante abandonné par ses parents du fait de sa chevelure blonde (signe de mauvais augure chez les atlantes), élevé par un dauphin femelle, puis par Arthur Curry, un gardien de phare solitaire. Alors que l'histoire commence, il a été destitué par son peuple pour avoir provoqué une nouvelle submersion d'Atlantis. Pour s'y repérer, il faut prendre en compte que le récit se déroule après Crisis on infinite Earths (1985) de Marv Wolfman & George Perez, dans la continuité afférente. Pour les plus curieux, il est possible de lire Aquaman: The Atlantis Chronicles Deluxe Edition (1990) par Peter David & Esteban Maroto, qui explique l'histoire des atlantes et d'Atlantis. Au début du récit, Aquaman a un harpon métallique en lieu et place de sa main gauche qui a été dévorée par des piranhas dans une série précédente, voir Aquaman by Peter David Book One (1994). Ainsi préparé le lecteur peut comprendre le contexte du récit. Pour cette série de 2003, les responsables éditoriaux ont décidé de la confier à un scénariste assez indépendant : Rick Veitch, auteur très décapant en particulier dans ses séries sur les superhéros The One (1985/1986), Bratpack (1990/1991) et The Maximortal (1992/1993). Celui-ci décide donc d'établir un nouveau contexte pour les aventures d'Aquaman, sans rien renier de ses séries précédentes.

Le lecteur est donc aux premières loges pour assister à cette évolution dans le statut d'Arthur Curry. Pour commencer, Rick Veitch reprend son nom atlante (Orin), évoquant ainsi son héritage, en particulier ses parents la reine Atlanna et le sorcier Atlan. Ensuite, il développe les conséquences des choix d'Aquaman dans l'histoire Obsidian Age de la JLA. Si pour un lecteur novice, il peut paraitre surprenant qu'Aquaman soit associé à la magie, c'est en fait un développement logique car la magie fait partie de l'histoire d'Atlantis. Ensuite Rick Veitch ne cache pas sa source d'inspiration : l e cycle arthurien, et plus particulièrement la Dame du Lac. Cette dernière fait explicitement référence à un autre Arthur à qui elle a apporté son aide par le passé, et la créature surnaturelle des 2 derniers épisodes a autrefois été emprisonnée par Merlin. le scénariste apporte un minimum d'originalité à cette Dame du Lac, en en faisant la gardienne d'un domaine mystique, de nature plus spirituelle que physique. Pour les lecteurs qui ont suivi le personnage dans les années 1990, une main faite d'eau magique n'est pas plus ridicule qu'un harpon avec propulseur et câble à la place de la main gauche. Enfin, il apprécie de voir le personnage évoluer dans une autre direction qui semble l'éloigner des sempiternelles querelles de palais stériles et pas forcément très inspirées.

Au cours de ces 6 épisodes, Orin se lie d'amitié avec MacCaffrey, un gardien de phare âgé, essentiellement bon à ronchonner et à se montrer coriace en prenant la mer régulièrement, de préférence en se mettant en danger, ainsi qu'avec Sweeney une fonctionnaire de la commission maritime, légèrement sarcastique vis-à-vis du mystérieux (trop) beau blond. Veitch ne s'attache pas à développer ses personnages, et s'en sert juste comme répondant vis-à-vis d'Orin. Il montre comment s'opère progressivement la transition d'Orin, de chef d'état déchu à envoyé d'une entité mystique. le lecteur le voit se mesurer à l'impossibilité de retourner dans l'océan, à Rodunn, l'ancien capitaine des gardes. À nouveau, Veitch en profite pour jouer sur la dimension mystique de la main enchantée d'Orin, Rodunn finissant par reconnaître en lui un messie d'une puissance supérieure, et à se faire le porte-parole de son ancien ennemi. Par la suite, Garth (Tempest, précédemment Aqualad) arrive comme un cheveu sur la soupe et confronte Orin pour l'inciter à reprendre ses responsabilités de monarque au vu de la situation de son peuple. La transition entre les épisodes 3 et le 4 se fait par le numéro Aquaman Secret Files 2003, de manière très abrupte, avec cet épisode consacré à Nuidis Vulko, l'ancien conseiller personnel d'Aquaman au royaume d'Atlantis et l'épisode 4 poursuit dans cette veine avec le voyage clandestin d'Aquaman et de Tempest en Atantis dans le corps de poissons. le lecteur se laisse embarquer dans ce tour d'horizon de l'état du royaume et de la dictature installée, avant de repartir pour une nouvelle direction dans les 2 derniers épisodes, avec l'apparition d'une créature appelée la Soif qui semble incarner le côté obscur du Porteur d'Eau. À ce compte-là, le lecteur se demande pourquoi l'éditeur DC n'a pas été au bout de la logique de réédition en incluant dans un seul recueil tous les épisodes écrits par Rick Veitch, c'est-à-dire 1 à 12, pour que le lecteur dispose d'une tranche de récit plus cohérente.

L'essentiel de ce recueil est dont dessiné par Yve Guichet, artiste qui avait déjà travaillé pour l'éditeur Valiant au début des années 1990. Cet artiste utilise les conventions habituelles des comics de superhéros, à commencer par le physique avantageux de tous les superhéros en termes de musculature. Il leur donne des postures un peu arquées pour mieux mettre en valeur leur tension et leur énergie. Il a une propension marquée à ajouter des petits traits d'encrage dans chaque forme pour leur donner plus de relief et plus de texture, donnant une impression de dessins souvent chargés. Il représente les décors avec un degré de simplification sans aller jusqu'à une apparence enfantine, avec une régularité supérieure à la moyenne des comics de superhéros, et un degré de détails satisfaisant, en particulier en ce qui concerne le vieux phare en pierre Mizen Head, et les contreforts de la ville de Prague. Les rares personnages civils sont représentés de manière plus raisonnable en termes de morphologie, que les superhéros. La mise en scène est assez vivante, même si parfois un peu trop torturée avec des rémanences des années 1990. Nathan Eyring réalise un bon travail de mise en couleurs, en particulier très complémentaire des dessins lorsqu'il s'agit de s'immerger dans les eaux magiques de la Dame du Lac, avec une belle utilisation des effets spéciaux infographiques.

Le lecteur ressort un peu décontenancé de ce premier tome. Il a bien constaté que Rick Veitch avait de bonnes idées pour développer le personnage dans une direction originale, sans renier pour autant son passé. Toutefois l'intrigue progresse de manière un peu heurtée et pas tout à fait assez vite pour que 6 épisodes suffisent ; il aurait fallu que l'éditeur réalise un recueil plus conséquent avec les 12 premiers épisodes, ceux écrits par Veitch. Les dessins portent la marque des conventions visuelles des comics de superhéros, avec une réelle vitalité, et quelques tics hérités des années 1990. 3 étoiles pour un récit qui sort des sentiers battus, mais insuffisant en l'état. À ce jour, DC a également réédité d'autres épisodes de cette série, en particulier ceux écrits par John Arcudi et dessinés par Patrick Gleason, dans Aquaman: To Serve and Protect et le tome suivant.