Lorsque la seule tête d'un Européen est découverte non loin de la frontière gréco-turque, à la limite de l'espace Schengen, Agent Evangelos, flic des renseignements proche de la retraite est dépêché sur place pour éclaircir le mystère.
Nous sommes à la fin de la première décennie des années 2000 et la Grèce est en pleine crise économique, subissant de plein fouet la rigueur imposée par la Banque Mondiale et les partenaires européens.
Dans le nord du pays, du côté de cette dizaine de kilomètres de frontière terrestre avec la Turquie qui constitue une des portes d'entrée vers l'Europe pour les flux de réfugiés, on est plutôt habitué à découvrir des cadavres de migrants, fréquents, à l'issue leurs tentatives pour rejoindre l'Europe, et Evangelos est sommé par sa hiérarchie d'étouffer l'affaire avant qu'elle ne s'ébruite. Rien ne doit perturber l'édification du mur de barbelés qui doit être érigé à la frontière turque pour calmer les ardeurs de la « commission » et des fonctionnaires de Frontex qui considèrent l'endroit comme une véritable passoire.
" Cherchons la vérité, à défaut de faire régner la moindre justice. "
La vérité est sordide : quelques officiers de la Frontex, en accord avec les tenanciers du bordel local, organisaient des parties fines dont l'une aurait mal tourné. Une aubaine pour les politiciens grecs face à Bruxelles, en quête de budget, mais pas pour Evangelos. Si leurs pratiques sont coupables, elles n'expliquent pas la tête coupée. C'est une des prostituées, bientôt retrouvée terrorisée et hagarde, qui fournira un semblant d'explication…
Il faut un certain temps et quelques dizaines de pages pour se glisser dans le récit de
Nicolas Verdan en compagnie de son personnage énigmatique, Agent Evangelos. L'écriture est originale, le découpage sophistiqué déconcertant, mais dès lors qu'on s'adapte à cette exigence, la magie opère.
Le roman est court (un peu plus de deux cents pages) mais d'une foisonnante densité.
" À l'instant, son histoire rejoint celle du migrant, non pas qu'elle ne fasse que la croiser, alors qu'elle en vient à se confondre avec la sienne, son histoire, la leur, la nôtre, poussés que nous sommes d'aller chercher ce point d'horizon où nous pouvons conserver la confiance en nos rêves égarés. "
Nicolas Verdan connaît bien la Grèce, pays d'origine de sa mère, et y séjourne régulièrement, aussi n'est-il pas étonnant qu'il en dresse un portrait saisissant. Evangelos fait le lien entre aujourd'hui et l'époque de la dictature militaire, les mauvais penchants qui perdurent, mais aussi la corruption qui gangrène le pouvoir quand les Grecs eux-mêmes n'aspirent, impuissants devant les conséquences de la crise économique, qu'à vivre tranquilles. Il en va d'ailleurs de même avec les personnages de la prostituée russe et de l'entrepreneur allemand liés à la présence de cette tête coupée, pris au piège d'un système totalement dérégulé.
Et bien évidemment, il y a pourtant plus malheureux qu'eux aux frontières d'une Europe encore riche, recroquevillée derrière ses portes d'entrée situées étrangement chez ses membres les plus démunis et sur qui la « commission » rejette la responsabilité d'endiguer les flux de réfugiés.
Paru une première fois en 2015 avant d'être réédité dans la collection Fusion,
le Mur Grec est néanmoins malheureusement toujours d'actualité.
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