1990. Un enfant a été soustrait à sa mère, sans doute enlevé par une paire de branquignols pas très tendres avec lui et qui espèrent récupérer une rançon en échange.
1991. le scénario se répète.
Aujourd'hui. Un homme sort de prison après onze années passées en cellule, peut-être un des premiers ravisseurs, on ne sait pas trop. Puis une femme meurt sous les coups
cruels de son visiteur. Peut-être s'agit-il de l'un de ses fils ? Peut-être est-ce l'homme récemment libéré ? Rien n'est moins sûr…
Pham Thi Yên est journaliste, mère célibataire. Pour l'heure, elle peaufine son interview de Vesna Meyer, directrice d'un complexe hospitalier flambant neuf qui s'avère être un gouffre financier qui n'a pas fini de se creuser. Elle est par ailleurs candidate des verts-libéraux au conseil fédéral…
Nicolas Verdan entretient la confusion dans sa mise en place. On sait qu'on est en Suisse, autour du lac Léman, mais mise à part cette localisation géographique, il nous laisse dans un flou mystérieux pour recoller les morceaux esquissés dans les premiers chapitres. On suppute, on imagine des liens qui, peut-être, n'existent pas.
C'est le style de l'auteur qui fait qu'on s'accroche, la fluidité de sa plume, qui croque en quelques phrases des portraits et des situations qui sonnent juste.
Le brouillard se lève peu à peu au fil des pages, les liens se tissent, discrètement. Apparaît un contexte politique avec Vesna Meyer et sa concurrente de la droite populiste au conseil fédéral, Regula Wyss. Il est aussi question des réponses données à l'urgence climatique avec Heidi, la monitrice d'équitation qui vient de vivre l'enlèvement du fils de Vesna, ou du mari volage de celle-ci qui pratique le lobbying dans le domaine éolien et trompe sa femme avec sa rivale après avoir participé activement à creuser le gouffre financier dont son épouse n'arrive pas à se dépêtrer.
Pendant ce temps, l'inspecteur Flynn Gardiol, au bord du brun out (il est pris de fou rire sans raison, souvent au plus mauvais moment), mène l'enquête policière sur le massacre de la vieille dame solitaire ; la journaliste Pham Thi Yên se retrouvant à la jointure des différentes affaires.
C'est encore et toujours un peu flou… Heureusement, les phrases sont courtes, incisives, sèches, précises. Quelque chose se cache, ou quelqu'un, qui n'a pas encore montré son vrai visage.
Dans les romans qui prennent la forme d'une enquête policière, certains auteurs exposent tout, tout de suite. On connaît le crime, son auteur, son mobile et on suit l'enquêteur dans ses découvertes, quitte parfois à brouiller les pistes, à mettre des bâtons dans les roues. D'autres visent à plus de réalisme et immergent le lecteur dans la procédure pour faire émerger, petit à petit les tenants et aboutissants. C'est à cette seconde catégorie qu'appartient assurément
Nicolas Verdan avec
Cruel. Durant une bonne moitié du récit, on se perd en conjectures, cherchant des liens, des mobiles, des rapprochements. Les intervenants sont nombreux, chacun avec leur histoire à raconter, leur touche personnelle à apporter. L'auteur entretient le flou en s'attachant à ses personnages. Là un inspecteur frisant le surmenage à grands coups de fous rires inopinés, ici une journaliste ayant vécu la fuite des boat people. Quelques pastilles historiques dont l'auteur a le secret viennent ainsi enrichir le récit.
Il faut accepter de se perdre, et se laisser porter par la plume de
Nicolas Verdan. Comme une lecture à l'aveugle où la lumière apparaît lentement, par petites touches sensibles, progressivement, pour finir par se faire aveuglante. Car après avoir suivi les sinuosités des petites routes de la campagne suisse, c'est sur ses autoroutes que se termine le récit, lancé à pleine vitesse dans un long final haletant. Lenteur et densité… puis fulgurance.
Et au milieu, la cruauté. Les cruautés même. Chaque personnage du roman en aura sa dose, d'une manière ou d'une autre. Non pas la cruauté qu'on donne, mais celle qu'on subit. le monde est
cruel. La vie est
cruelle. Pas seulement les criminels. Avec toute l'intelligence qu'on lui connaît,
Nicolas Verdan explore, expose, dans une construction savante et parfaitement maîtrisée, les conséquences de cette propension à faire souffrir.
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