LA KERMESSE
Avec colère, avec détresse,
Avec ses refrains de quadrilles,
Qui sautèlent sur leurs béquilles,
L’orgue canaille et lourd,
Au fond du bourg,
Moud la kermesse.
Quelques étals, au coin des bornes,
Et quelques vieilles gens,
Au seuil d’un portail morne.
Et quelques couples seuls qui se hasardent,
Les gars braillards et les filles hagardes,
Alors qu’au cimetière deux corbeaux,
Sur les tombeaux,
Regardent.
Avec colère, avec détresse, avec blasphème,
Mais, vers la fête
Quand même,
L’orgue s’entête.
Sa musique de tintamarres
Se casse, en des bagarres
De cuivre vert et de fer blanc,
Et crie et grince dans le vide,
Obstinément,
Sa note acide.
Sur la place, l’église,
Sous le cercueil de ses grands toits
Et les linceuls de ses murs droits,
Tait les reproches
Solennels de ses cloches ;
Un charlatan, sur un tréteau,
Pantalon rouge et vert manteau,
Vend à grands cris la vie ;
Puis échange, contre des sous,
Son remède pour loups garous
Et l’histoire de point en point suivie,
Sur sa pancarte,
D’un bossu noir qu’il délivra de fièvre quarte.
Et l’orgue rage
Son quadrille sauvage.
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN