Le Sommet de la route et l'ombre de la croix : six poètes chrétiens du XXe siècle : Charles Péguy, Paul Claudel, Francis Jammes, Marie Noël, Patrice de la Tour du Pin, Jean Grosjean
Jean-Pierre Lemaire
Éditions Gallimard
Collection Poésie
Une anthologie rassemblant des poèmes de Charles Peguy, de Paul Claudel, de Francis Jammes, de Marie Noël, de Patrice de la Tour du Pin et de Jean Grosjean, qui évoquent la foi chrétienne. ©Electre 2021
https://www.laprocure.com/ommet-route-ombre-croix-six-poetes-chretiens-xxe-siecle-charles-peguy-paul-claudel-francis-jammes/9782072854323.html
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" Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens
de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses
au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce?
J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien."
Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? c’est drôle ;
nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas,
et cependant nous les comprenons, et les pas
d’un ami sont plus doux que de douces paroles.
Extrait du poème IL VA NEIGER
Une goutte de pluie frappe une feuille sèche,
lentement, longuement, et c’est toujours la même
goutte, et au même endroit, qui frappe et s’y entête…
Une larme de toi frappe mon pauvre cœur,
lentement, longuement, et la même douleur
résonne, au même endroit, obstinée comme l’heure.
La feuille aura raison de la goutte de pluie.
Le cœur aura raison de ta larme qui vrille :
car sous la feuille et sous le cœur, il y a le vide.
Ne me console pas. Cela est inutile.
Si mes rêves qui étaient ma seule fortune
quittent mon seuil obscur où s’accroupit la brume
je saurai me résoudre et saurai ne rien dire.
Un jour, tout simplement (ne me console pas !)
devant ma porte ensoleillée je m’étendrai.
On dira aux enfants qu’il faut parler plus bas.
Et, délaissé de ma tristesse, je mourrai.
TU T'ENNUIES ?
Tu t’ennuies ? —
— Elle dure
cette pluie
qui est dure.
Je prends ma
pipe en glaise
que j’allume à
une braise.
Tu es loin
et tu penses
dans un coin
aux vacances.
Les pavés
par la pluie
sont lavés.
Je m’ennuie.
Aux carreaux
blancs, j’écoute
tomber l’eau
froide en gouttes.
Tu ne vien-
dras pas, puisque
tu es loin :
pas de risque.
Tu es loin :
je m’ennuie :
je n’entends rien
dans la pluie :
C’est de l’eau
fine ou dure,
passant tôt
ou qui dure.
Je n’y vois
rien. — Entendre
là des voix
en deuil, tendres ?...
Je ne puis :
c’est la pluie
d’un jour gris
qui essuie.

Il va neiger dans quelques jours...
Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens
de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses
au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce?
J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien.
J’ai bien réfléchi, l’année avant, dans ma chambre,
pendant que la neige lourde tombait dehors.
J’ai réfléchi pour rien. À présent comme alors
je fume une pipe en bois avec un bout d’ambre.
Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.
Mais moi j’étais bête parce que ces choses
ne pouvaient pas changer et que c’est une pose
de vouloir chasser les choses que nous savons.
Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous? C’est drôle;
nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas
et cependant nous les comprenons, et les pas
d’un ami sont plus doux que de douces paroles.
On a baptisé les étoiles sans penser
qu’elles n’avaient pas besoin de nom, et les nombres
qui prouvent que les belles comètes dans l’ombre
passeront, ne les forceront pas à passer.
Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses
de l’an dernier? À peine si je m’en souviens.
Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n’est rien,
si dans ma chambre on venait me demander : qu’est-ce?
Vous m’avez regardé avec toute votre âme.
Vous m’avez regardé longtemps comme un ciel bleu.
J’ai mis votre regard à l’ombre de mes yeux…
Que ce regard était passionné et calme…
Les dimanches, les bois sont aux vêpres.
Dansera-t-on sous les hêtres ?
Je ne sais… Qu’est-ce que je sais ?
Une feuille tombe de la croisée…
C’est tout ce que je sais ..
L’église. On chante. Une poule.
La paysanne a chanté, c’est la fête.
Le vent dans l’azur se roule.
Dansera-t-on sous les hêtres ?
Je ne sais pas. Je ne sais.
Mon cœur est triste et doux
Dansera-t-on sous les hêtres ?
Mais tu sais bien que, les dimanches, les bois sont aux vêpres.
Penser cela, est-ce être poète ?
Je ne sais pas. Qu’est-ce que je sais ?
Est-ce que je vis ? Est-ce que je rêve ?
Oh ! ce soleil et ce bon, doux, triste chien…
Et la petite paysanne
à qui j’ai dit : vous chantez bien…
Dansera-t-elle sous les hêtres ?
Je voudrais être, voudrais être
celui qui lentement laisse tomber,
comme un arbre ses baies,
ca tristesse pareille, sa tristesse
pareille aux bois qui sont aux vêpres.
C'est un repas frugal que l'on mange à l'abri,
c'est un pain virginal divinement amer,
C'est le Pain qui est Dieu, par l'Esprit et la Chair,
qui nourrit, et guérit du mal de cette vie.
Ne crois pas, ô toi qui t'assieds à cet abri,
près de ces travailleurs et de ces travailleuses
dont la face est noircie par l'ombre besogneuse,
ne crois pas que ton Dieu en toi pousse un grand cri.
Car, assis au milieu des siens, à cette Cène,
le Christ parle si bas qu'à peine on peut l'entendre.
Mais bientôt je ne sais quoi d'indicible et tendre
nourrit d'encens divin l'âme et la rassérène.
Mon frère, va donc voir, toujours renouvelée,
s'arrêter un moment l'Humanité en marche,
manger le Pain de Vie multiplié dans l'Arche,
et repartir vers les Terres d'Eternité.
(1905)
Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle.
Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste
de ce que je ne sais pas combien elle m’aime.
Elle est la jeune fille à l’âme toute claire,
et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie
l’unique passion que l’on donne à un seul.
Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls,
et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie,
je me suis étonné de voir, ô mes amis,
des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs.