LE TRIBUN
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Et tel que ces arbres cernés de rude écorce,
Qu’on maintenait, jadis, au cœur des vieux quartiers,
Debout — il apparaît têtu, puissant, altier,
Serrant en lui, dites, quels nœuds de force ?
Enfant, il a grandi sur le trottoir des villes
En un faubourg lépreux, livide et convulsé,
Où des hommes rageaient de se sentir serviles
Toujours et prisonniers des vieux passés.
Torses vaincus, fronts écrasés et lamentables,
Sourdes fureurs, gains minimes, travail tuant ;
Et la misère avide et creuse, au coin des tables,
Et ça, depuis toujours jusques à quand ?
Ô son bondissement, soudain, dans les mêlées,
Quand le peuple marchait vers les façades d’or,
Avec ses poings, enfin dressés, contre le sort,
Et que les coups pleuvaient et que les pierres
Aux colères mêlées,
Cassant les hauts carreaux pleins de lumières
Semblaient broyer et disperser, sur le pavé,
De l’or !
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN