Avec "
D'or et d'Oreillers", je me suis régalée, je l'ai savouré alors que j'aurai voulu le dévorer parce que je crois que c'est un roman aussi précieux que délicieux qui mérite qu'on prenne son temps et qu'on en déguste chaque page, petit à petit. Exquise lenteur pour cent saveurs.
J'ai gardé de mon enfance le goût des
contes et de l'écoute acharnée des 33 tours de Malicorne, celui des histoires anciennes un peu cruelles et ambiguës, qui ne se révèlent jamais complètement. Un peu comme les
contes finalement.
Tous, on les connaît tant ces
contes de fées, on les a si souvent entendu et répété qu'on en oublie souvent qu'ils sont souvent franchement étranges, alambiqués, tordus, voire inquiétants. Des années de recueils abrégés et illustrés et de dessins animés (et pourtant, j'aime Disney à la folie, je suis une enfant des 1990's moi!) les ont affadis, en ont lissé les aspérités quand elles ne les ont pas ignoré. Mais quand même... Dans "Peau d'âne", on parle tout de même d'un père qui veut contraindre sa propre fille à l'épouser; "Blanche-Neige" manque de périr cruellement par trois fois et sa marâtre doit en guise de châtiment chausser des souliers chauffés au fer blanc et danser jusqu'à ce que mort s'ensuive... Que dire encore de "La Belle au Bois Dormant" qui s'éveille non pas grâce au baiser tendre et énamouré du prince mais parce qu'elle accouche? Prince romantique qui n'a pas trouvé plus chevaleresque que de de violer sa dulcinée dans son sommeil. Des mutilations dans "
Cendrillon", de la propension de Barbe-Bleue à égorger ses épouses, du martyr du cheval Falada et du tonneau hérissé de pointes de "La Petite gardeuse d'oies"?
Les
contes sont peut-être féériques mais ils sont tout aussi sombres et terrifiants.
Je crois que c'est un peu pour ça que je les aime autant, pour ça et pour tout le mystère qui les nimbe, cette impression qu'ils veulent toujours nous en dire plus que ce qu'on croit. J'aime aussi leur cadre flou, leur matière scintillante, mouvante avec laquelle on peut tout faire, tout inventer, combler les blancs et donner des réponses...
Réécrire, réinterpréter.
Alors forcément, quand j'ai lu le résumé "
D'Or et d'Oreillers", j'ai été tentée. Et puis cette couverture d'or et d'émeraude et son petit je-ne-sais-quoi d'art nouveau...
"
D'Or et d'Oreillers", c'est une réécriture de "La Princesse au petit pois" et de "
Cendrillon" et de "La Belle et la Bête" aussi. C'est le fruit de
contes d'autrefois mélangés, détournés, réinterprétés dans lequel une héroïne qui n'a rien de la princesse se languissant de son prince en sa tour enfermée envoie valser tous les codes, tous les clichés.
C'est un récit trépidant et onirique dans lequel le prince a tout du héros romantique et ténébreux... Un pincée de Dracula et une autre de Rochester.
Une histoire qui rappelle un peu "Orgueil et Préjugés" avec sa Mrs Watkins aussi pressée de marier ses filles au plus offrant, comme Mrs Benett en son temps.
Un conte gothique qui a quelque chose aussi du "Château Ambulant" et de l'univers foisonnant et complexe de Maître Miyazaki.
Une histoire aussi belle que moderne qui n'hésite pas à pourfendre l'absurdité des
contes en même temps que l'hypocrisie d'une société corsetée dans laquelle les jeunes filles ne sont rien que des blanches brebis qu'on livre au loup affamé, sans explication, à condition que le fauve possède de l'or en suffisance, de la vaisselle de vermeil et d'argent, des draps de soie et des vêtements de brocard.
Un roman sensuel aussi qui, à travers une plume évocatrice et poétique, compose une ode au corps, au plaisir et à la jouissance. C'est audacieux, c'est savoureux et c'est même féministe.
Cette lecture envoûtante et engagée, magique et sensuelle, palpitante et presque gothique est - ô joie- servie -enfin!- par une plume exigeante et raffinée, qui sait jouer avec les mots, rares et précieux, comme autant de joyeux. de ces mots dont on se délecte et qu'on aime à gouter, à faire rouler sous la langue pour en extraire toute la magie...
Ainsi, il ne faut pas hésiter à se jeter sur "
D'Or et d'Oreillers", sur l'aventure de Sadima à Blenkinsop Castle, cet inquiétant château où un lord mystérieux entend lui faire passer les épreuves qui détermineront s'il pourra décemment lui passer la bague au doigt, à commencer par une nuit dans une somptueuse chambre, au sommer d'un lit bien garni de plusieurs matelas et d'autant d'édredons. Mais qui sait à quoi rêvent les jeunes filles entre des draps de soie?
Un délice vous dis-je! Seul petit regret: une fin trop rondement menée et un petit gout de trop peu. J'en aurais voulu davantage je crois, mais heureusement les
Frères Grimm ne sont pas loin, en attendant de recevoir "
De Cape et de mots"!