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Critique de Indosand


Pour une réflexion sur le style autant qu'un regard porté sur la mutation culturelle de la littérature contemporaine…
Cet essai permet de faire le point sur la vision que nous nous faisons aujourd'hui de la littérature. Va-t-elle bien ? S'interroger sur un principe fondateur, celui de "l'idéal" de la littérature, apparait comme une quête ambitieuse mais non dénuée de sens pour qui veut être confronté à ce que l'on pourrait appeler, la refonte d'un nouveau "moment" littéraire. Qu'est-ce-que la littérature nous offre à vivre ? L'auteur, Philippe Vilain tente de répondre à cette question en s'interrogeant sur le nouveau rôle de la littérature ainsi que des limites qu'elle se donne.
Pour cette critique j'ai décidé de privilégier seulement quelques thèmes parmi tous ceux qui sont abordés dans le livre.
Ma prière au style
Je suis obsédée par le style. Celui-ci nous échappe, nous file droit devant alors que nous en avons tellement besoin dans notre vie de tous les jours ! J'en demande sa réintroduction pour ma thérapie. Je veux entendre une écriture qui me transcende et me bouleverse, autant qu'un pianiste qui joue sa composition et choisit avec amour et délicatesse ses notes les plus sensibles et fragiles, prêtes à faire frémir un coeur et faire couler des larmes d'apaisements sinon de joie… le style sera un refuge sinon une chance ; ma chance de m'inventer un bonheur que je ne peux construire et prolonger que par les images et les mots que j'ai élus et que j'espère pouvoir retrouver sous la plume de… le style, la beauté transparente du langage, laissez-moi cela s'il vous plait !
Que penser aujourd'hui derrière le terme du « littéraire » et de la « littérature » ?
Constat d'une autorité symbolique disparue ou en déperdition.
Dans ce magnifique plaidoyer, Philippe Vilain traite du cas en voie de désaffection de la littérature. Une discipline en cours de redéfinition aujourd'hui avec toutes les mutations qu'a engendré la société. Plus précisément, il s'agit de faire le point sur la question en examinant ce qu'est réellement la littérature pour nous aujourd'hui, ce qu'elle a perdu et le paradigme vers lequel elle pourrait évoluer et éventuellement se tourner si elle se donnait les moyens d'y parvenir.
Dans un contexte de mondialisation et de dématérialisation des pratiques culturelles, on note pour la littérature dans son contexte actuel de création, une « peopolisation des esprits » accompagnée d'une « désaffection du style » dans la production d'écrits. Face à ce triste constat, l'auteur décide d'énoncer un certain nombre d'arguments pertinents afin de hisser un plaidoyer magistral pour le style. Un livre qui fait du bien car très peu de travaux se sont attachés à parler de ce désamour plutôt attristant du littéraire. Non pas décadent car nous sommes dans une autre « phase » elle aussi intéressante dans l'histoire évolutive de cette discipline des sciences humaines ; néanmoins il paraissait plus que nécessaire de témoigner de cette désaffection croissante pour un écrit emplit d'esthétique et de poétique. Un néologisme évocateur apparait « le désécrire »…car c'est bien de cela qu'il s'agit ! Il y a comme un accord tacite qui semblerait faire blocus de ne plus vouloir faire de « style ». Chez P.Vilain, le style est synonyme de poétique, de manière, de « pate »… comme on pourrait dire. le constat est dressé, la réalité implacable : les critères de littéralités ne sont plus les mêmes aujourd'hui.
Pour étaler sa plaidoirie, l'auteur revient sur plusieurs points notamment du pourquoi on a déclaré une guerre contre Proust ? du pourquoi Céline est un faux styliste ? du pourquoi les formes dominantes du littéraire sont aujourd'hui la biofiction ou l'autofiction rassemblées dans un courant que l'on pourrait appeler le post-réalisme ? Ou encore du pourquoi la littérature est en réalité en manque cruel d'inspiration et de souffle novateur. Tout cela, le long du feuilletage des pages, nous conduit pour notre plus grand plaisir, à avoir une lecture émancipée et décomplexée. Cette lecture nous permet de prendre conscience plus efficacement de la métamorphose socio-culturelle qui est à l'oeuvre.
Les derniers chapitres sont consacrés sur le devenir de la littérature. Une prise de position intéressante puisque c'est une large question auquelle j'aspire à avoir des réponses ou du moins une proposition de démonstration cohérente et plausible. Ses réflexions rejoignent les miennes quand il dit « Depuis une trentaine d'années, ainsi, la démocratisation, plus exactement, la multiplication des écrivains, a dissous le modèle antérieur de l'écrivain et a rendu problématique l'émergence de grandes figures de la littérature ». Cette quantification s'est faite au détriment d'une certaine exigence de qualité puisqu'on a vu arriver la disparition peu à peu du style… « le grand ingrédient distinctif » à mes yeux qui permet de nous élever l'esprit. D'ailleurs le chapitre « du grand écrivain à l'écrivain pour tous » rend bien compte de cette critique fondée, qui permettra presque bientôt de voir diffusé partout (si ce n'est déjà fait) un « écrivain mode d'emploi ».
L'auteur souligne comme autres constats dans son essai, le profil peut-être trop narcissique du lectorat d'aujourd'hui dans son pouvoir quasi incontrôlé de pouvoir influer directement et très facilement sur l'oeuvre d'un auteur. Ce point souligne le risque de dérives dans les critiques d'ouvrages sur les blogs ou réseaux sociaux. Cette question me parait très intéressante car elle est symptomatique de nos pratiques et de nos modes de consommation culturels aujourd'hui. Aussi j'écris cette note de lecture (non pas sans risques !) sûrement à l'encontre de ce que pense justement l'auteur : quelle légitimité peut avoir le lecteur lambda dans la rédaction de discours critiques sur un ouvrage qu'il a lu ? Moi-même je n'ai pas la réponse, mais cet espace de liberté me semble intéressant. Si on continue dans ce raisonnement, doit-on en conclure que Philippe Vilain ne cautionne pas le principe du site de Babelio ? Face à cette position de l'essayiste, je me risque quand même à publier mon avis. Aussi désintéressé qu'il puisse être, il a le mérite d'exister et de pouvoir être critiqué en retour… car rien ne me parait aussi important et fondamental que l'échange et de juxtaposer des points de vues aussi différents et controversés soient-ils.
le match Proust/Céline:
En parcourant le livre, je me suis rendue compte que l'auteur revenait souvent sur ces deux grandes figures littéraires : Proust et Céline. Deux géants…en tout cas un seul pour l'auteur. Or je me suis demandée pourquoi provoquer un « match » entre eux deux principalement ? Car pour moi il s'agit de deux littératures finalement différentes. Ce débat à première vue me semblait trop subjectif pour en retirer une analyse globale objective qui puisse faire sens pour tout le monde.
En effet dès la page 21, l'essayiste revient sur l'épineux « cas Céline » en affirmant que ça été une sorte de "bluff" littéraire. Une analyse très discutable mais sommes toute intelligible et intéressante… Aussi ma curiosité m'a poussée paradoxalement à aller voir plus loin l'argumentaire de l'auteur. Effectivement beaucoup de personnes en lisant Céline on fait la part des choses en disant précautionnement à son propos : « Attention, moi j'aime l'écrivain, mais je déteste l'homme et ses idées". Ainsi il poursuit « Aimer Céline (…) serait prendre le parti du poétique, avec les occultations qu'un tel parti présuppose, et donc prendre le risque, sinon d'une grave contradiction, d'un certain absurde".
D'un point de vue théorique, je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette affirmation de l'auteur du fait qu'"hyperboliser l'inventivité poétique" a permis "d'édulcorer la monstruosité des thèses racistes soutenues par Céline ». Sans être une célinienne, je pose un avis tout nuancé (excepté bien sûr pour le pamphlet « Bagatelles pour un massacre » qui dérive vers l'insoutenable) : il est possible selon moi de faire la part des choses entre l'homme, ses convictions et l'oeuvre aussi contradictoire que cela puisse paraître. L'oeuvre n'est pas la vie si on n'y déverse pas totalement son « moi ». Une part de la fiction et de l'imaginaire a souvent le dessus dans la création d'histoire et elle a le pouvoir de déformer la réalité intrinsèque à sa guise. Peut-être la lecture des essais d'Henri Godard m'a influencé malencontreusement et qu'il existe bel et bien malgré tout, un style chez Céline et que celui-ci appartient bien à la littérature. En cela les ouvrages de cet autre essayiste : « La poétique de Céline » - « Céline scandale » - « À travers la littérature Céline » permettent de se forger son propre avis sur la question.
Mais pour poursuivre la réflexion, continuons. Page 93, l'auteur revient dans son argumentation sur Céline : « Même s'il aboutit à un résultat linguistique similaire, le désécrire se distingue bien, dans son esprit, d'une poétique du désécrire dont la déconstruction est, précisément, l'ambition, qui est de « ruiner l'idée de la littérature ».
Plus loin, à la page 106 on note encore : « de la grande musique proustienne à la petite musique célinienne : du style à l'expression ». Autre point où j'émets là aussi une réserve et un jugement de valeur plus restreint. À lire cette phrase on comprendrait que pour lui l'esthétique du "parlé" ne peut pas faire l'objet d'une littérature. Comme il le reformule à sa façon : « C‘est tenté de faire de la littérature à moindres frais ». Plus loin il parle même « de discount littéraire ».
Enfin…de conclure pour l'auteur sur une critique virulente d'après son expérience personnelle de la lecture de Céline:
« A l'inverse de Proust, Céline n'écrit pas, il déparle ; de temps à autre, il poétise, trouve dans l'argot des images et des échappatoires poétiques, il illustre, il hystérise, il hurle, rote et onomatopète par la langue, il vomit et syncrétise la syntaxe, provoque pour faire criser la littérature (…) Assurément, la technique célinienne est ingénieuse sans être géniale, elle repose sur une certaine richesse de trouvailles poétique (…) S'il y a de l'humilité à reconnaitre le travail de son oeuvre, à reconnaitre que sa poétique réclame un incommensurable travail sur la langue (…) cet effort n'a de méritoire qu'au regard d'un plumitif candide, ignorant que les efforts demandés par l'écriture oralisée sont aussi les plus aisés à fournir". Ici on peut, peut-être y voir un jugement de valeur un peu facile de la part de l'auteur. Car le plus simple exercice grammatical d'apparence peut parfois s'avérer aussi être le plus compliqué à réaliser. Aussi selon l'auteur qui continue toujours son observation : « Céline ne peut se vanter d'un labeur aussi spectaculaire, vraisemblablement très exagéré, que par le procédé peu contraignant qu'il a choisi (…) la poétique du parlé requiert d'une exigence inférieure ». Ce point-là me semble là aussi un peu trop brute de décoffrage et un peu réducteur car pour moi la littérature c'est avant tout de l'oral et cela depuis l'origine de l'humanité. Avant d'être écrite sur papier, la littérature s'est construite oralement par des procédés de transmission. Car poursuit l'auteur « si toute pratique possède son excellence, il est cependant, des pratiques plus simples à s'approprier ». Or que faire de Platon, Homère, des Troubadours et j'en passe encore… leur parole n'en est pas moins de qualité ! Pensons au ton employé, à l'émotion qui s'en est dégagée et surtout de l'héritage qui en a découlé. Si oeuvres transmises et diffusées auprès du public il y a eu alors il doit y avoir une raison. L'oralité est fondamentale, encore plus l'évolution linguistique de la langue. Renier Céline, c'est renier d'une certaine façon Rabelais.
Enfin dernière remarque intéressante à débattre à la page 109 : « Sans doute Céline aura-t-il fait beaucoup de mal à la littérature contemporaine (…) en donnant à ses épigones l'illusion que la littérature était une tâche aisée, qu'il suffisait de savoir s'exprimer pour savoir écrire ».
Aussi à nous de conclure que, selon l'auteur, Céline serait un malin génie qui nous aurait dupé sur le terrain de l'excellence, celui de la littérature ? Son travestissement aurait conduit au déclin que l'on connait aujourd'hui ?
Même si je ne partage pas l'avis de Philippe Vilain sur ce point de l'histoire littéraire à travers cet écrivain, il en demeure que j'ai particulièrement apprécié de lire cet ouvrage qui m'a permis de réfléchir et de me bousculer dans mes interrogations. Aussi j'en remercie son essayiste. Même si la poétique de Céline n'est pas "performative" comme il le dit, elle reste pour moi une expérience poétique originale qui ne m'a pas laissée indemne car elle m'a montré finalement autre chose dans l'expérimentation possible du langage. Travailler sur les discours et les interprétations est quelque chose de passionnant et il y a du bon à prendre malgré tout dans chaque expérimentation linguistique…et même, encore une fois quand on a affaire à un écrivain aussi controversé et polémique que Céline. Une expérimentation Célinienne donc, que je reconnais par un "style" et non pas par un "non-style". Condamner Céline a de la non-littérature me parait pousser un peu fort. Pensons, par ailleurs, que ce serait omettre la prouesse stylistique du comédien qu'est Fabrice Lucchini qui a consacré plusieurs lectures des oeuvres de Céline au théâtre et qui s'est adonné avec passion et justesse dans ce récital !
Tout de même, je dois noter chez l'auteur, son avis partagé sur un point : paradoxalement il a démasqué la prose célinienne en y reconnaissant malgré tout son génie poétique dans « le fait seul d'avoir pu « dépuceler le roman » ». Alors seule reconnaissance ?...
Il y a eu des stylistes de la langue qui m'ont bouleversé : James Joyce, Samuel Beckett, Colette, Marguerite Duras et surement d'autres que je ne connais pas encore mais que j'aimerais découvrir en attendant d'en trouver un du 3ème millénaire…



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