Salto Mortale

+++++++ LE SAUT DE LA MORT +++++++

Surtout en tant que gosses, nous avons probablement tous été impressionné au cirque ou devant la télé par des artistes faisant le "saut de la mort" ou un "salto mortale". Celles et ceux désireux de revivre cette émotion, je suggère de regarder le film émouvant et récent avec ce titre de Guillaume Kozakiewiez de 2014 avec Antoine Rigot et Agathe Ollivier. C'est l'histoire d'un funambule qui un jour est victime d'un grave accident et paralysé, ce qui ne l'empêche nullement à... essayer de recommencer.

Dans l'ouvrage de Hans Voelkner ce saut devient le symbole de sa vie. Une vie tout sauf simple, plein de rebondissements dramatiques. le sous-titre de sa biographie de 1989 donne en Français : du feu de la rampe au front invisible ("Vom Rampenlicht zur unsichtbaren Front") et se réfère à son existence et activités clandestines.
Comme cet ouvrage n'existe pas en Français, je serai un peu plus explicite.

Hans Voelkner a aussi publié un recueil de lettres entre lui et son épouse Rosemarie lorsqu'il était incarcéré à la prison de Bautzen, à l'est de la ville de Dresde, la capitale de la Saxe, de 1949 à 1955. Cet ouvrage porte comme titre révélateur "Unschuldig in Stalins Hand" ou innocent dans les mains de Staline. Il y a été en compagnie du romancier Walter Kempowski (1929-2007), auteur du best-seller "Avez-vous vu Hitler ?"

L'auteur est né à Dantzig (l'actuel Gdańsk en Pologne) en 1928 et décédé à Berlin en 2002, à l'âge de 74 ans.
Ses parents, Käte Voelkner (1906-1943) et Johann Podsiadlo (1894-1943), vivant en couple, étaient des artistes de cirque, qui vadrouillaient de ville en ville. En 1936, ils furent arrêtés et brièvement emprisonnés en Russie par le KGB. Pour Käte le signal du départ définitif du couple, avec leurs 2 garnement Hans et Henry, vers la douce France. Lorsque les chemises brunes envahissent Paris, les Voelkner rejoignent sans hésiter aussitôt la Résistance. Käte est même allée aussi loin que de travailler comme secrétaire pour l'affreux Fritz Sauckel, surnommé "le négrier de l'Europe" parce qu'il était le chef organisateur des déportations des travailleurs des pays occupés en Allemagne. Ce triste sire fut jugé et pendu à Nuremberg en 1946.

L'auteur se souvient avec nostalgie de l'époque d'avant-guerre, où il fut un véritable petit "Titi de Paris" (page 35), qui adorait se retirer avec ses bouquins préférés "Sans famille" d'Hector Malot et "Les Misérables" de Victor Hugo.
En mars 1941, la Auslandsorganisation (AO - organisation extérieure) nazi, qui regroupait les enfants d'origine allemande, expédia les petits Hans et Henry de Paris dans un camp infecte près de Rheinsberg en Brandebourg. C'est le début d'une période de douleur et de chagrin ("Schmerz und Leid") comme il l'a résumé.

Le courageux couple fut arrêté par la Gestapo et envoyé à la prison Plötzensee de Berlin, où ils furent exécutés en juillet 1943. Après sa condamnation, Käte aurait déclaré à ses juges tortionnaires : "Je suis heureuse d'avoir pu arranger 2 ou 3 bagatelles pour le communisme". Les Voelkner avaient fait partie du réseau de Résistance communiste l'Orchestre rouge ("die rote Kapelle"). Sur ce réseau à vastes ramifications j'ai déjà fait 2 critiques de livres : de Guillaume Bourgeois : "La véritable histoire de l'Orchestre rouge", le 2 décembre 2017 et de Gilles Perrault : "Checkpoint Charlie", le 27 mai dernier. Je me permets de vous renvoyer à ces 2 billets.

Après la disparition de ses parents, le jeune Hans, 15 ans, fut casé dans un orphelinat nazi, et, en janvier 1945, transféré au Service du travail du Reich (RAD). Un mois plus tard, après une tentative d'évasion, il fut emprisonné à Dantzig et a dû participer à la marche de la mort vers le camp de Dreibergen en Basse-Saxe à quelques 850 kilomètres.

À la Libération, le 3 mai 1945, il se trouvait à Paris, où il fut arrêté et incarcéré à la Citadelle de Clermont/Oise jusqu'en mai 1946. le traitement fut correct, mais il regretta amèrement que son cas prît tant de temps de vérification (11mois) et d'avoir ainsi "loupé" le passage à une vie normale à l'âge crucial de 17/18 ans.
Grâce à l'aide du Comité Inter-Mouvements Auprès des Évacués (CIMADE), Hans Voelkner pouvait s'installer rue Blanche, Paris IX, et suivre une formation professionnelle des métaux à Ivry-sur-Seine. Il adhéra au Parti communiste français, tomba amoureux de la belle Marie-Geneviève avec qui il eut la plus mémorable soirée de sa vie en admirant Édith Piaf et les Compagnons de la chanson à l'Olympia.

En novembre 1947, à la suite d'une contre-manif qui a abouti à une confrontation violente, Voelkner est expulsé vers l'Allemagne. Il vit en zone française d'occupation, à Mayence, où il devient interprète pour la compagnie des chemins de fer et il traduit le petit essai d'Henri Guillemin "Reste avec nous" en Allemand. En 1948, il adhère au Parti communiste allemand. C'est une période de psychose de guerre entre l'Europe occidentale et l'URSS. Ses bons rapports avec les autorités françaises le rendent suspect aux yeux des communistes.

En juin 1949, il passa en zone d'occupation soviétique et à Leipzig, il fut arrêté et accusé par un tribunal militaire soviétique d'espionnage au profit de la Sûreté nationale française et sera incarcéré 6 ans dans la prison de Bautzen. En 1962, il travaillait pour le service d'espionnage de la RDA (République Démocratique Allemande) et, en 1969 fût arrêté à Paris par la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) et condamné par la Cour de la Sécurité de l'État à 12 ans de prison à Melun. En 1974, il fut gracié par le Président Valéry Giscard d'Estaing et échangé contre des espions en taule à l'Est. le passé héroïque de ses parents a sûrement joué en sa faveur, ainsi que la sympathie de quelques célébrités françaises, telles Delphine Seyrig, Michael Lonsdale et la grande Jeanne Moreau. le 6 septembre 1974 Hans a franchi la frontière à Berlin où l'attendaient son épouse Rosemarie et ses 2 filles avec un bouquet de fleurs.

La conclusion d'Hans Voelkner est que le chemin qu'il a parcouru a été dur et "on ne m'a pas fait de cadeaux ".
Cet ouvrage couvre une longue page d'histoire, axée sur les relations franco-allemandes, d'un témoin qui y a occupé un rôle bien à lui et qu'il nous relate avec une dose d'objectivité remarquable.

C'est un livre que j'ai acheté d'occasion et qui porte bizarrement la signature de l'auteur suivi de la date du "26.1.92" ajoutée de sa propre main à l'encre noire, mais sans dédicace pour autant. Si j'étais un peu malhonnête je pourrais me le dédier !