Si tu aimes Downton Abbey, l'époque victorienne et les comédies d'
Oscar Wilde et que tu t'es déjà dit que « c'est bien sympa mais ça manque drôlement de cannibalisme », alors tu ne pouvais pas mieux tomber. Parce qu'ici, on est sur du roman victorien, avec intrigues amoureuses et jeux de pouvoir, mais tous les personnages sont des dragons !
Alors évidemment, la première chose qui m'a ravie en lisant ce livre, c'était les images mentales de dragons avec des chapeaux extravagants, des perruques et des manières de haute société. Il fallait oser, et c'est un pari qui a totalement fonctionné sur moi. Au niveau de l'histoire, on est sur un scénario relativement classique et attendu (mais pas désagréable), en pimentant le tout avec un tas de détails relatifs aux dragons, comme le cannibalisme, le fait de voler, et d'autres caractéristiques imaginées par Jo pour servir l'histoire.
Je dis servir l'histoire, mais effectivement, pourquoi avoir voulu mettre des dragons là au milieu ? Eh bien ça peut paraître plutôt absurde à la base, mais il faut reconnaître que c'est un moyen très efficace d'exagérer les critiques qu'on peut faire sur la société victorienne. C'est bien simple, grâce aux dragons, tout est transposé au premier degré : le décalage impressionnant entre pauvres et riches, et l'exploitation des premiers par les seconds ? Les dragons nobles attachent les ailes de leurs serviteurs pour les empêcher de s'enfuir et mangent les enfants des paysans pour devenir plus forts. La femme considérée comme extension de l'homme et capable de ne tomber amoureuse qu'une seule fois ? Les dragonelles ont les écailles qui virent au rouge lorsqu'elles sont en contact rapproché avec un dragon (et c'est donc une honte ultime d'être une dragonelle rouge et encore célibataire). Les hommes soi-disant plus forts que les femmes ? Seuls les dragons mâles ont des griffes, alors que les femelles ont des pattes qui leur permettent d'écrire. Bref, tu as compris le principe.
Au-delà de la première lecture loufoque et parodique, ce roman est aussi féministe. On y voit des dragonelles qui remettent en question le système en place, qui s'interrogent sur l'esclavagisme et qui voudraient être capables d'épouser qui elles veulent sans s'inquiéter des familles ou de la fortune des uns et des autres. Alors ça reste une lecture légère, sympathique et un peu déjantée, mais c'est agréable de voir qu'elle est un peu plus qu'un simple vaudeville.
Le principal problème qui peut se poser pour bien apprécier ce livre, c'est l'anthropomorphisme. Eh oui, ça peut être troublant d'imaginer des dragons se comporter comme des humains, et malheureusement, si on ne parvient pas à se représenter la chose, on risque de passer un mauvais moment. Personnellement, je sais que c'est le genre de gymnastique neuronale qui ne me dérange pas, j'ai été à bonne école avec La guerre des Clans, Silverwing et surtout La Cité des livres qui rêvent (qui met aussi en scène un dragon), et l'immersion dans cette histoire s'est fait sans aucun problème.
Bref, je ne pense pas que ce soit une lecture mémorable, qui me suivra pendant des années, mais je l'ai trouvée délicieusement divertissante. Certaines scènes sont très comiques (comme la scène du jugement, avec l'avocat qui doit alterner entre les perruques selon quelle partie de son argumentation il entame), on a plein de petites blagues par-ci par-là (Jo interpelle le lecteur, les titres de chapitre tiennent le compte du nombre de propositions de mariage, …) et le tout respire le second degré, ce qui fait beaucoup de bien. Mais ce qui me ravit le plus, c'est ce contraste entre la délicatesse, la coquetterie de cette noblesse draconienne et la barbarie de leurs traditions.
Au final, j'y retrouve le côté malicieux de
Jo Walton (qui fait le charme de ses interviews), avec l'intelligence de sa plume et son féminisme qui s'exprime sous des formes plutôt inattendues. C'est un roman à part, un petit bonbon à savourer sans se prendre la tête, et je n'ai pas fini de rire en imaginant ces dragons endimanchés !
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