HIER VIVAIT D'AILLEURS
Hier vivait d'Ailleurs . Il nous était donné de faire chanter la
lèpre, d'entretenir les ruines. On dormait dans le lit des rivières,
dans le froid des cressons. On donnait une conscience à des
terres incultes : cadastres transparents, vastes projets
d'irrigation et de détournement des vents .
Notre pouvoir s'éclairait du dedans. Une forêt d'astres
humiliait la nuit .
Prends la ronce à pleines mains…
Prends la ronce à pleines mains, des roses
jailliront de tes paumes car nul poème n'est innocent.
*
Il fallait avoir raison du sec et de l'inco-
lore, donner aux mots le courage de la sève et
l'obstination des racines. Mais les sauterelles ve-
naient toujours avant la feuille, avant l'oiseau. La
pluie suivait de loin la foudre.
*
Qui tend l'oreille, entend la rouille.
*
CONFIANCE AU TEMPS
J'aurais trop fait confiance au temps, trop espéré du sommeil.
Je n'ai pas vu la mer prendre le large, les crêtes cingler vers
des horizons, ceux-là vraiment inaccessibles . Désormais nul
poème ne me renvoie l'image de celui qui logeait dans les plis
du vent, qui rêvait de mener de vieilles catastrophes dans la
demeure des princes ...
J'interroge en vain les miroirs et les flaques.
CRAQUELURES
Les reflets se dépareillent dans les eaux confuses de la famine.
Les étoiles s'entredévorent . La lune est un cratère de glace,
un mufle de charogne ...Une fois encore il faut marcher parmi
ces futaies de lave, se fier aux balises de l'irrévocable, trouver
un sens . Avancer. Avancer vers quoi ?
Pardonnez-moi …
Pardonnez-moi, je ne me voulais pas vêtu
de feux sombres et de présages. Votre sommeil
m'était précieux. Précieux la rouille de vos parcs et
le vernis de vos étangs, l'ombre loyale de vos rem-
parts et l'odeur de vos lits clos. Mais je n'ai pas
beaucoup d'oreille et mon regard est infidèle. Je n'ai
jamais su reconnaître une feuille d'une paupière et
pas plus un coq d'un buisson.
Je passais par ici, pour vivre, simplement.
Ce jour fut un mauvais compagnon de voyage.