Le vieux et l'arbre visité
à Claude Albarède
L'oiseau sans nom
l'oiseau que nul n'a vu venir
se pose en grand silence
sur la plus haute branche
la plus désespérée
de l'arbre mort
Le vieux passant par là
qui n'entend plus très bien
et qui voit plutôt mal
n'en croit ses yeux ni ses oreilles
quand l'arbre se met à chanter
Alentour
la prairie crépite
de guêpes
de libellules
de criquets
et le vieux pense à voix haute
comme pensent les vieux quand il pensent
(on dit qu'ils parlent tout seul)
que ce pays est beau
sous une pluie de voyelles
(c'est l'arbre mort
qui improvise
en d'aériennes vocalises
une espèce de plain-chant)
Et le vieux dit
ce monde est beau
(trois fois
car souvent
les vieux se répètent)
Alors l'oiseau
plus invisible que jamais
reprend son vol
L'arbre se tait
Et le vieux dit
ce monde
est trop beau
pour être vrai.
Insubordination des choses
Ce n'est pas tant ta maladresse
ce sont les choses qui se refusent
et qui t'agressent
le café qui se renverse
le savon qui glisse entre tes doigts
l'horloge qui te ment
le stylo qui fait des taches
la fenêtre qui n'accepte pas
qu'on l'ouvre
ou qu'on la ferme
Et dans la brume de ton miroir fêlé
le vieil homme au regard triste
qui te demande son chemin.
L'album
Un soir
j'ouvre l'album
pour ne pas être seul
Les photos n'ont pas jauni
Dans la forêt de Marly
Jean Rousselot fait la course avec son ombre
les arbres applaudissent
Un jardin entre dans l'été
Michel Manoll invente des bouquets
aux couleurs de la liturgie
Jean Bouhier marche sur la mer
Dans les yeux de Luc Bérimont
des jeunes filles nous sourient
Guillevic à La Forêt Sainte -Croix
donne des leçons de solfège au merle
(…)
Et Laude encore
les yeux fermés
écoutant
sa chienne de vie
aboyer à la mort