Les jardins de l'usine
Par tous les temps
Par tous les temps, il neige
sur les jardins désastreux de l'usine à ciment
une neige brûlante et sale
Les oiseaux ne fréquentent pas ces arbres blanchis avant l'âge
Nul insecte ne creuse son trou sous cette paille qui jamais ne fut de l'herbe
Lointain, muet le ciel passe
solitaire indifférent à la nuit grasse des flaques
Terre harassée
Planète éteinte
Chaque jour des hommes viennent là
jeter leur poids de neige
sur les balances rigoureuses de leurs épaules
Chaque jour
Chaque jour des hommes
Chaque jour des hommes viennent là
le sang un peu plus lourd
le cœur un peu plus las
les poumons plus opaques
pour paver leur enfer d'intentions dérisoires
Poème retranscrit à partir de la lecture que fit le poète dans le film de l'hommage qui lui fut rendu à Aulnay sous Bois en 2006.
LES JARDINS DE L'ARTHROSE ‒ Extrait 1
Van Gogh a peint ce soleil qui répand
son soufre sur les jardins de l'arthrose
Comment en verrions-nous la lumière aveuglante
Mais nous savons que c'est ici
à des fractures mal scellées
à des divorces de jointures
à de froides incandescences
Il m'arrive l'image noire
de buissons retournant contre eux-mêmes
leurs épines
greffes de la folie
Les oiseaux ne se posent pas
ils s'accrochent
à quelque défaut de paroi
à quelque frottement
de branches contrefaites
ils ne jouent de la flûte ni du violon
mais du bec
cela fait
un bruit d'horloge
inconsolable
Il m'arrive la rumeur
de racines forant
la calamine et le cambouis
comme des doigts de sculpteur fou
d'équarisseur
et le feu prend figure
d'un geste qui délie des gerbes de vipère
d'un mouvement qui fait
jaillir des roses de scorpions
sommeil cardé par
de rugueuses vertèbres
survol vertical
de lignes à haute tension
une épeire y dessine
sans fin mon labyrinthe …
L'ORDINAIRE DES JOURS
pour Annie
Un nid tombe en poussière entraînant dans sa chute
la Grande Muraille de Chine tout entière
De son côté la mer fait des corbeaux boiteux
Vous avez dit pétrel ? Vous avez dit pétrole ?
Il n'y a pas que les oiseaux
et les érables qu'on opère à cœur ouvert en pure
perte
De sources bien informées nos rivières vont mourir
La pluie affame les chevaux La terre nous quitte
S'en va tournant vers quelque soleil froid
Et moi je vais dans l'autre sens conduit par une
rumeur de racines
par des odeurs de pommes mûres de lait bourru de
feu de bois
vers l'amont l'enfance de l'art la désuétude
une maison qui n'est qu'un seuil où tu m'attends
Ma belle au dormant de la porte
Je n'ai de demeure qu'en toi.
UNE MATINÉE FRANCISCAINE
Pour Marguerite-Marie Neel
Quand le temps se met aux abeilles
Seigneur je reconnais en toi
le seigneur des abeilles
et de leurs environs infinis
Dans la fournaise de l'essaim
dans le grégorien de la ruche
il me revient de percevoir
le bourdonnement des planètes
Vienne alors la pluie
déchirer nos vitres
la folie vêtue
de balle d'avoine
l'or des saisons
qui dans nos arbres fructifie
et que le temps s'y mette
et que le temps s'y fasse
vienne ce qu'il advient
c'est toujours comme une poignée
de clous incandescents
qu'on me jette à la face
toujours dans l'éblouissement
ton apparence la plus sûre.
Arbre ou quoi donc
pour Christian Cailliès
Arbre ou quoi donc
berger
dans la lumière qui fait écran
droit que vous êtes
muet d'oiseaux
noir comme un prêtre
et juge en ces collines
où règne le serpent
ce qui me vient de vous
me vient à travers vous
nervures d'abîme
mains ouvertes
deltas imaginés par des sables mouvants
et
maintenant
le cri
l'exclamation du silence
chauffé à blanc
visible
l'azur tous crocs lavés
la face de l'oracle.