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Critique de Lamifranz


Pour nous autres Européens, la littérature américaine est surtout romanesque : nous en connaissons tous les grands noms, de Fenimore Cooper à Philip Roth, en passant par Edgar Poe, Herman Melville, William Faulkner, Ernest Hemingway, John Steinbeck et tant d'autres. Mais quand il s'agit de citer des noms de poètes, tout au plus trouvera-t-on Edgar Poe, peut-être Emily Dickinson ou Walt Whitman, et c'est à peu près tout. Remarquez, ce n'est déjà pas si mal, ces trois-là tiennent la dragée haute à leurs collègues du vieux continent. Edgar Poe, on le connait bien grâce aux traductions qu'en ont faites Baudelaire (pour la prose) et Mallarmé (pour la poésie). Mais les deux autres ne sont guère connus et appréciés que des initiés. Pourtant ils valent bien qu'on leur accorde un peu de notre attention. Emily Dickinson, un jour ou l'autre fera l'objet d'une chronique car « elle le vaut bien » : excentrique et tourmentée elle laisse des centaines de poèmes, d'une écriture novatrice et d'une inspiration romantique, sinon baudelairienne.
Walt Whitman (1819-1892) est très différent : non seulement il a vécu plus longtemps (72 ans contre 55 pour Emily), mais son inspiration est complètement différente : alors qu'Emily Dickinson s'apparente un peu à ses cousines anglaises les soeurs Brontë, Walt Whitman, lui, est un américain pur jus, dans sa vie comme dans ses écrits : démocrate dans l'âme, il est également attaché à sa terre ainsi qu'à ses habitants. Une certaine idée de l'Amérique l'anime, tout comme une certaine idée de l'Homme. Ne nous le cachons pas, Whitman est un jouisseur, un hédoniste, un sensuel. Un homme en connexion avec l'univers, avec les autres humains (les hommes surtout, il est un homosexuel notoire), les animaux les plantes, les paysages, la mer, le ciel et les étoiles. Whitman prend son plaisir partout : dans la vue d'une fleur, d'un corps, d'un tableau, peut-être même prend-il son plaisir à l'intérieur même de son plaisir : écoutez la « Chanson des joies » :
« Car je veux écrire le plus jubilatoire des poèmes !
Un poème tout en musique – tout en virilité, tout en féminité, tout en puérilité !
Plénitude d'usages communs, - foultitude d'arbres et de graines.
J'y veux la vois des animaux – la balance vivace des poissons !
Je veux qu'y tombent les gouttes de pluie musicalement !
Je veux qu'y brille le soleil que s'y meuvent les vagues musicalement !
Sortie de ses cages la joie de mon esprit, filant comme une langue de foudre !
Posséder tel globe précis ou telle portion mesurée du temps ne me comblera pas,
Ce sont mille globes c'est l'ensemble complet du temps qu'il me faut ! »
De la joie, Whitman en demande partout : à la nature, à son corps, à toutes les manifestations d'une sensualité à la fois païenne et chrétienne, héritière de l'Antiquité par certains côtés, (Giono a de ces accents-là) ; en même temps profondément marquée par l'Amérique des pionniers, paradoxalement puritaine et libérée, avec des valeurs intemporelles comme la fraternité (en particulier en temps de guerre) et l'amitié (même en dehors de la sexualité). On a même reproché une à Whitman une certaine naïveté, parce qu'il évoquait des réactions primitives. Peut-être était-on jaloux de son « naturel » : « Whitman est tout le contraire de d'un poète froid. Il chauffe, il fume, il éructe, il siffle comme une locomotive prosodique entraînant d'interminables wagons d'humanité derrière elle » (Jacques Darras, dans sa remarquable préface, Poésie-Gallimard)
C'est peut-être ce qu'il faut retenir de Walt Whitman : ces interminables wagons d'humanité.

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