J'ai dix ans, je suis calé dans un siège de cinéma de quatre sous de la banlieue anglaise. Sur l'écran, un homme au menton saillant et en pull noir à col roulé se fraie un chemin à travers la végétation de la jungle. Il s'accroupit derrière une pierre tombale dressée et sort un énorme pistolet de son étui. Une femme blanche est liée à deux poteaux et un Noir vêtu d'une peau de bête rit comme un dément et brandit à deux mains un gros serpent venimeux. Tout autour, des centaines d'adorateurs du vaudou hurlent et sont pris de convulsions. Le type au menton saillant commence à tirer sur les Noirs, qui sont trop occupés à rouler des yeux blancs en agitant de vieux coupe-coupe pour offrir de résistance.
À vrai dire, à partir de là mes souvenirs s'embrument. Dans un instant de témérité avant le film, j'avais acheté un Old Jamaïca géant, une redoutable barre chocolatée des années 1970 fourrée d'extrait de rhum et de raisins secs. Cela m'avait paru une friandise raffinée, peu conscient que j'étais qu'elle visait uniquement les gamins de 10 ans désireux de frimer. N'importe : la nausée très réelle, l'impression d'être soûl, et la saveur nettement caribéenne de la barre alliée au décor du film qui l'était nettement moins, conspirèrent à m'anéantir. Abandonnant les pratiquants du vaudou à leur sort, je tanguai jusqu'aux toilettes. Trente ans après, l'odeur de rhum me renvoie - tel un distillat proustien - à cette salle de cinéma et à ce qui s'avéra une rencontre fondatrice avec un homme au menton massif.
La chance et l'héroïsme stupéfiants qui firent de la Grande-Bretagne, à la fin de l'été 1940, une balise d'espoir, doivent être mis en regard d'années de connivence et de trahison, peut-être le mieux condensées dans le personnage de Sir John Simon, homme politique qui réussit à être à la fois sec et visqueux, et qui hanta les années 1930 en donnant toujours l'impression de jaillir là où on ne l'attendait pas avec une proposition spécieuse et grotesque.
Phare authentique et impérissable de la démocratie après 1940, au nombre des « Trois Grands » vainqueurs en 1945, souveraine d'environ un quart du globe, la Grande-Bretagne était devenu en 1960, pour reprendre la formulation railleuse d'un de mes amis américains, « une île agonisante à la frange d'un petit continent glacé ».