J'ai eu la chance de recevoir ce très bon livre à l'occasion d'une rencontre organisée par Babelio avec
Naomi Wood, au mois d'avril. Jeune, charmante, simple, et surtout très "clever". Je ne pense pas qu'elle goûterait ma semi-plaisanterie, mais incontestablement, c'est à elle que devrait revenir le titre de Mrs
Hemingway, haut la main.
Quatre épouses dans la vie d'
Hemingway (1899-1961), quatre parties dans le roman. Chacune raconte la dissolution d'un mariage et commence par la fin de la vie commune : tromperie, divorce et remariage express.
Le schéma se répète dans des décors et des contextes très bien rendus : Montparnasse au temps de la bohème artistique, la French Riviera, la Floride, Madrid sous les bombes, le Ritz à la Libération de Paris, Cuba, l'Idaho.
Le roman commence à Antibes durant l'été 1926. Hadley est l'épouse d'
Hemingway depuis cinq ans. Ils sont jeunes, entourés d'amis américains venus faire la fête sur la Côte d'Azur. Il y a là, Fife, l'irrésistible "flapper", qui enlève Ernest à sa meilleure amie. Elle devient très vite la deuxième Mrs
Hemingway, mais ne sera pas la dernière. Ensuite viendra Martha, et pour finir Mary.
Des femmes passionnées, attirées, aimées, puis quittées par le plus grand écrivain de sa génération.
Cette sorte de chaîne quasi ininterrompue de mariages, ce manège d'épouses et de maîtresses pourrait donner le tournis et faire passer Ernest pour un séducteur insatiable et un éternel insatisfait. Ce qu'il fut peut-être aussi, mais pas seulement.
Naomi Wood montre que la situation était chaque fois beaucoup plus complexe. Chacune de ces quatre femmes était intelligente et capable de s'en sortir seule par ses propres moyens. Elles auraient pu le quitter avant que lui ne le fasse, et pourtant, elles restaient, comme pour assurer une transition, pour ménager leur grand homme.
Naomi Wood n'impose pas d'explication, mais donne des pistes en sous-texte pour comprendre un homme difficile à vivre, avec ses contradictions, ses failles, et des circonstances atténuantes (enfances, guerres, blessures morales et physiques).
Chacune des "sortantes" (sauf la dernière) a vécu l'épreuve du ménage à trois, plus ou moins bien, plus ou moins longtemps. Elles étaient très différentes, mais pourtant il y avait une sorte de reconnaissance mutuelle entre elles. Les deux premières, toutes deux plus âgées que
Hemingway, étaient "amies" et le sont restées malgré tout ; elles sont restées en contact jusqu'à la mort de Fife (Pauline Pfeifer). Ce sont elles, Hadley et Fife, qui ont donné trois garçons à
Hemingway. La troisième, Martha Ghellorn, plus guerrière, revendiquait son indépendance et fut peut-être moins passionnément amoureuse d'Ernest que les trois autres. Quant à la dernière, Mary, c'est la folie et la mort qui furent ses ultimes rivales, jusqu'au suicide de l'écrivain.
Pendant la rencontre Babelio,
Naomi Wood a raconté que quand l'inspiration se faisait paresseuse, ou lors de longues recherches fastidieuses dans les archives des bibliothèques des lieux où a vécu
Hemingway, pour se détendre (!) elle comptabilisait le nombre considérable de jours où il avait été marié, pour le comparer à celui fort réduit de ses jours de célibat. Je n'ai pas retenu le résultat, mais si il pourrait paraître normal pour un homme marié très jeune et une seule fois, il est étonnant pour un homme ayant fait quatre mariages !
En racontant l'histoire de ces unions du point de vue des femmes,
Naomi Wood fait apparaître au second plan un
Hemingway intime, très différent du mythe de super-homme qu'il a contribué à mettre en scène par ses livres et ses loisirs sportifs : moins sûr de lui et incapable de vivre seul. Elle nous a confié qu'elle avait été frappée par la différence de style entre les lettres adressées par Ernest à ses femmes, et l'écriture virile qui l'a rendu célèbre dans ses romans. C'est différence peu attendue qui lui a donné l'envie d'écrire Mrs
Hemingway.
En s'appuyant sur des recherches approfondies,
Naomi Wood a réussi un mélange homogène entre biographie et fiction, dessiné de beaux portraits féminins, et fait une restitution convaincante et vivante de l'atmosphère de la génération perdue. Un livre très agréable à lire, très intéressant.
Merci à
Naomi Wood, à Babelio (et Pierre Krause qui menait la discussion), à La Table Ronde (et
Alice Déon qui traduisait les propos de Naomi).
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