Notre grande erreur est d’essayer d’obtenir de chacun en particulier des vertus qu’il n’a pas et de négliger de cultiver celles qu’il possède.
Je me remettais sans peine à parler le langage des camps, ce latin déformé par la pression des langues barbares, semé de jurons rituels et de plaisanteries faciles.
J’endossais la vie militaire comme un vêtement devenu commode à force d’avoir été porté.
Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. À cette servitude de l’esprit, ou de l’imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait.
Il faut l’avouer, je crois peu aux lois. Trop dures, on les enfreint, et avec raison. Trop compliquées, l’ingéniosité humaine trouve facilement à se glisser entre les mailles de cette nasse traînante et fragile. Le respect des lois antiques correspond à ce qu’a de plus profond la piété humaine ; il sert aussi d’oreiller à l’inertie des juges. Les plus vieilles participent de cette sauvagerie qu’elles s’évertuaient à corriger ; les plus vénérables sont encore le produit de la force. La plupart de nos lois pénales n’atteignent, heureusement peut-être, qu’une petite partie des coupables ; nos lois civiles ne seront jamais assez souples pour s’adapter à l’immense et fluide variété des faits. Elles changent moins vite que les mœurs ; dangereuses quand elles se mêlent de les précéder.
Certains êtres déplacent les bornes du destin, changent l’histoire.
Mes inquiétudes subsistaient, mais je les dissimulais comme des crimes ; c’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt.
L’amitié était un choix où elle s’engageait tout entière ; elle s’y livrait absolument (…). Elle m’a connu mieux que personne ; je lui ai laissé voir ce que j’ai soigneusement dissimulé à tout autre : par exemple, de secrètes lâchetés. J’aime à croire que, de son côté, elle ne m’a presque rien tu. L’intimité des corps, qui n’exista jamais entre nous, a été compensée par ce contact de deux esprits étroitement mêlés l’un à l’autre.
Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n’aurais aucun droit, ni aucune raison, d’essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moments, ou j’aurais pu l’être. Entre autrui et moi, les différences que j’aperçois sont trop négligeables pour compter dans l’addition finale. Je m’efforce donc que mon attitude soit aussi éloignée possible de la froide supériorité du philosophe que de l’arrogance du César. Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs (…)
L’une des meilleures manières de recréer la pensée d’un homme est de reconstituer sa bibliothèque. (notes)