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EAN : 9782716903011
94 pages
Publications orientalistes de France (01/03/1994)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Zéami, qui vécut de 1363 à 1444, fut le créateur du nô sous une forme très proche de celle que l'on peut voir de nos jours encore, mais aussi l'auteur des deux tiers des pièces du répertoire et d'un ensemble de traités lesquels constituent La tradition secrète du nô.
Cependant, trois très courts textes, d'un caractère très personnel, restaient dans nos tiroirs. Ils datent des dernières années de la vie de Zéami: son fils et successeur étant mort subitement, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Pour commencer, rappelons que le Nô est avec ses six siècles d'existence, la plus ancienne des formes traditionnelles de théâtre japonais (comportant aussi le Kyôgen, le Kabuki, et le théâtre de marionnettes Bunraku). Il a été classé dès 2001 au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO. le jeu d'acteur, masqué et costumé, est mêlé de danses stylisées, d'une musique (flûte traversière et tambours de différentes tailles) et éventuellement de choeurs et chant, l'acteur pouvant partiellement chanter son texte. le Nô est un art transmis par des maîtres de génération en génération, dont le plus illustre représentant est Zeami (1363-1443), qui vécut donc à l'époque Muromachi, sous le règne des shoguns Ashikaga. Il a commis des traités recueillis dans sa « Tradition secrète du Nô ». L'interprète central est appelé le « Shité ». Généralement masqué, il est souvent le metteur en scène de la pièce. le « Waki » est un personnage secondaire, non masqué, qui précède le Shité sur scène pour présenter la pièce et son contexte au public.

Zeami est donc LE grand artisan du théâtre Nô. René Sieffert a traduit ce petit ouvrage compilant des écrits des dernières années de vie du maître. le principal est « L'île d'or », récit de son voyage d'exil à l'âge de 70 ans de la capitale Kyoto vers l'île de Sado plus au nord, pour cause d'opposition au choix du shogun quant à son successeur. Car Zeami vient de perdre brutalement son fils Motomasa, héritier naturel de la tradition, et penche plutôt pour son gendre Zenchiku pour la perpétuer, quand le shogun lui a imposé son neveu On.ami.

L'île d'or est un mini-chef d'oeuvre d'une douzaine de pages seulement. L'évocation du périple marin de Zeami en remontant la côte ouest par la mer du Japon s'avère assez fascinante. Arrivé au lieu d'exil, il tente de garder la sérénité auprès du grand Bouddha, mais s'interroge. En sera-t-il capable ? Si Zeami s'en remet à la religion bouddhique, il invoque tout autant la spiritualité shintoïste en saluant les sanctuaires, la montagne, les sources, les coucous et les mousses. le lecteur croit voir les paysages, il est envoûté par la puissance poétique du texte, sûrement par la double magie de l'auteur et du traducteur, comme une méditation traversée de courts poèmes de forme waka-tanka ou s'en rapprochant.

A l'heure prévue
Sur l'auvent couvert de roseaux
Se montre la lune
Mais ce que l'homme ignore
C'est le terme de ses jours.

Zeami revisite même le mythe fondateur du Daï Nippon-koku, le Grand Royaume du Soleil Levant, convoquant les Dieux Izanagi et sa soeur Izanami, pour traduire la beauté de ce bout de terre d'exil qui finalement le subjugue, Sado, l'île d'or.

« Or bien, qu'il me soit donné, fût-ce pour peu de temps, de reposer mon corps en un pays ainsi béni des dieux, sans doute est-ce l'effet de quelque lien contracté en une autre vie. Moi donc, m'abandonnant au gré des nuages et des eaux, j'en suis à demeurer, sans en rien offenser nul être vivant, nul Bouddha, en ces lieux aux montagnes altières, aux mers profondes. Ah, le charme ineffable des nuages sur les monts, de la lune sur les eaux, de cette mer de Sado, parure naturelle des vertes montagnes ! Que si vous en voulez savoir le nom, cette île est dite Sado, l'Ile d'Or, à la splendeur sublime ! ».

Ces pages, ainsi que les riches notes et commentaires de René Sieffert en fin de livret sont un passionnant concentré de culture, de traditions et d'histoire japonaises séculaires.

« La trace d'un songe sur un feuillet » est un court texte où Zeami pleure son fils, « Tradition orale d'après ma soixante et dizième année » met en lumière les modalités de transmission de cet art, alors que « Deux lettres à Zenchiku » illustre les relations entre Zeami et celui qu'il considère désormais après la mort de son fils comme l'héritier de son art. Mais il est à la fois élogieux et prudent, il entend les échos sur les qualités de Zenchiku, mais ne consentira à y croire qu'en les constatant lui-même…et le deuxième écho positif ne suffit pas encore totalement à emporter son entière conviction. Zeami est la statue du commandeur, son exigence est très forte.

Il entend peser aussi sur la mise en scène de Sumidagawa qui boucle le recueil, nô pourtant créé par son défunt fils Motomasa. le waki, qui est batelier, a entendu parler d'une femme devenue folle depuis que son enfant a disparu. Tandis qu'un client monte dans sa barque, une femme approche…Il devine qu'elle pourrait être la folle, et commence à détailler l'histoire de l'enfant…Il ne faut pas longtemps pour que la femme, shité de ce nô, reconnaisse en ce récit son enfant…qui malheureusement est mort. Arrivés au pied du tertre lui servant de tombe, elle croit le voir apparaître et l'entendre…l'espoir ne dure pas, ce n'était qu'ombre dans le clair de lune et peut-être bruissement du vent dans les roseaux. Si Motomasa a opté pour une incarnation physique de l'enfant par un acteur, Zeami lui préférait sans, laissant plâner l'ombre et la voix fantomatiques autour de la tombe et de la mère, laissant perdurer deux mises en scènes possibles.

Un très court ouvrage d'une grande richesse, pour découvrir ce mythe du théâtre traditionnel japonais qu'était Zeami.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
SHITÉ :
Que nul parent, que même le père ne s'en soit enquis, cela n'est que raison ! Car cet enfant, c'est le fils que moi, la folle, je recherche...(se tournant vers le waki :) Ah tout cela ne serait-il qu'un rêve ? Quelle misère !

WAKI :
J'en reste sans parole ! Jusque là, je pensais que cette affaire ne me concernait en rien, et voilà qu'il s'avère qu'il était votre enfant ! Ah, combien devez-vous souffrir ! Mais à présent, se lamenter ne sert plus à rien...Je vais vous montrer la tombe de l'enfant. Veuillez me suivre, par là !

(Le waki guide le shite jusqu'au "tertre". Le shité s'asseoit face au tertre, sur la droite. Le waki va s'asseoir devant le choeur. Le shité chante, relayé par le choeur.)

WAKI :
Eh bien donc, voici la tombe de l'enfant ! Instamment veuillez prier pour son salut !

SHITÉ :
Jusqu'à cette heure
c'est avec l'espoir malgré tout
de le retrouver
qu'en cet Azuma inconnu
je m'en suis venue
or voici que je ne trouve
que ce monument
preuve qu'il n'est plus de ce monde
Ah cruel destin
qui voulait qu'il mourût
loin du pays natal
et que du fin fond d'Azuma
au bord du chemin
à la terre il se mêlât
où les herbes du printemps
seules croissent exubérantes
ce serait donc là-dessous qu'il repose

(Le shité regarde fixement le bas du tertre)

CHOEUR :
Or ça bonnes gens
(Son regard se tourne vers le waki)
cette terre retournez-la
qu'une seule fois encore
(Il se lève et fait mine de creuser)
ainsi qu'il était en ce monde
il soit à la mère
permis de le revoir
(Il se rasseoit et pleure)
Fût-il resté en vie
rien n'était perdu mais disparu
rien n'était perdu mais disparu
à quoi bon lui survivre
quand tel l'arbre-balai
son image à mes yeux
tantôt paraît tantôt s'efface
incertaine selon les us de ce monde
misérable la vie de l'homme
telle la fleur dans sa splendeur
au vent d'impermanence
qui fait rage au long de la nuit
de vie et de mort
couvrant de nuages
le clair de lune incertain
en vérité sous mes yeux la misère du monde
en vérité sous mes yeux la misère du monde

(Le waki de sa manche sort un petit gong et une baguette ; il se lève et les remet au shité. Celui-ci se lève à son tour et de cet instrument rythme son chant. On entend, dans le tertre, le chant de l'enfant, lequel enfin se montre.

WAKI :
A présent, vous lamenter ne servirait plus de rien : dites seulement les invocations afin d'assurer son salut en l'autre monde.
Déjà la lune est levée
et du vent de la rivière
rapide passe le souffle
des nocturnes invocations
voici l'heure venue
et tout un chacun frappant le poing
vous invite à la prière

SHITÉ :
La mère dans l'excès de sa douleur
incapable même de dire les invocations
étendue face contre terre
ne sait que verser des larmes
(Le shité pleure).


Extrait du Nô "Sumidagawa"
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La mer au nord est de nuages toute couverte, et pas une île à l'horizon. Aussi loin que porte le regard vers l'est, ce n'est que ciel de pluie de la cinquième lune ; dans une seule direction, toutefois ce n'est point l'été et les montagnes au loin sont vaguement blanchâtres ; y subsisterait-il par endroits de la neige encore ? Plus loin, notre voyage nous amène à doubler le Cap des Grelots du dieu qui dans son nom porte la province de Noto ; dans le lointain se détachent les côtes des Sept Îles ; les vagues du large qui lavent le soleil couchant, graduellement se font obscures et, dans l'ombre du soir, comme autant de lucioles, les feux des pêcheurs balisent les rivages nocturnes. Voici le Mont Tateyama sur lequel s'étirent les nuées de l'aube, puis le Mont Tonami dans le ciel qui peu à peu s'éclaire, et jusqu'aux cimes de Kurikara le regard porte au loin ; et le rivage d'Ariake, à l'issue d'une longue route marine à travers les passes franchies à la rame, l'on croyait que c'était là-bas où brillait un restant de lune, mais le navire poursuit son chemin, rapide, jours et nuits le temps passe, flèche des ans que décoche l'arc tendu de la lune à son déclin, quand des pins apparaissent entre les vagues au point du jour ; c'est donc là, enfin, que de la mer de Sado au rivage d'Ôta nous voici parvenus, au rivage d'Ôta nous voici parvenus.
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A croire ce qu'on dit
une fois tombés au tréfonds
du fond de l'enfer
entre le roi et l'esclave
il n'est plus de différence
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Les rocs et les arbres
qui ne sont humains pourtant
paraissent plus tristes
à Mizu no Kojima
en ce crépuscule d'automne
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