Après avoir, dans les volumes précédents de l'histoire des Rougon-Macquart, décrit des personnages qui prennent ou incarnent une forme de pouvoir (Félicité, Aristide Saccard, l'abbé Faujas, Eugène Rougon,…),
Zola explore dans ce septième tome la faiblesse. Elle est principalement incarnée par Gervaise et Coupeau.
Après une première mésaventure avec le chapelier Lantier, Gervaise pense refaire sa vie avec Coupeau, un ouvrier zingueur sérieux et sobre. Malheureusement, à la suite d'un accident, Coupeau devient oisif, et, entraîné par de mauvaises fréquentations, tombe dans l'alcoolisme. Gervaise, qui a monté une petite blanchisserie prospère, ne réussit pas à rétablir l'équilibre de son ménage, bien qu'elle voie clairement ce qui risque de se produire. Mais elle fataliste, et refuse de voir la réalité en face. Les dettes s'accumulent, mais on continue à faire la fête, sans souci de l'avenir. Et peu à peu arrive la déchéance, la perte de la blanchisserie, les crises de delirium tremens de Coupeau, qui finit par entraîner Gervaise dans le tourbillon de l'alcool.
Il y a un peu de tragédie grecque dans ce livre : dès le chapitre 2, nous savons ce qui va arriver : Gervaise a une vision, dans le café du Père Colombe : « L'alambic, sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d'alcool, pareil à une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de
Paris. Alors Gervaise, prise d'un frisson, recula. »
Au fil des chapitres, présentés comme les tableaux d'un opéra, racontant, par des scènes précisément situées dans le temps, les moments de bonheur, puis la déchéance et la chute, on voit une Gervaise qui s'enfonce dans le déni : Coupeau sombre dans l'alcoolisme, mais elle prend cela en riant, comme si ce n'était pas grave, ça ira mieux demain… Elle ne tient pas compte des avertissements qu'elle reçoit, elle a déjà renoncé à réagir. Les conseils donnés par Madame Goujet, sa voisine prise un moment comme modèle, ainsi que l'amour du fils de cette dernière, restent vains.
La puissance et l'art de
Zola sont superbement mis en oeuvre, dans la peinture de la misère qui règne dans les faubourgs de
Paris, dans le discours de Coupeau qui justifie ses escapades au cabaret en proclamant sa « liberté » et le mépris du « qu'en dira t'on ». le réalisme est terrible dans la description des violences faites aux femmes et aux enfants sous l'empire de l'alcool, dans l'évocation des femmes qui attendent leurs maris à la sortie du travail pour les empêcher de dépenser leur paie au cabaret. Les crises de delirium de Coupeau sont évoquées avec des détails qui font penser que
Zola s'est beaucoup documenté sur le sujet.
Comme toujours dans les Rougon-Macquart, des figures innocentes viennent par contraste renforcer la noirceur du tableau. Ce sont d'une part Goujet, dont on devine que sa vie sera dévastée, et Lallie, petite fille de huit ans qui, après sa mère, succombe sous les coups et les mauvais traitements de son père.
Voilà donc un roman très dur, une peinture sociale noire, où, en plus de la dénonciation de la condition sociale des classes défavorisées, commence à poindre le combat contre les violences faites aux femmes. Un livre toujours d'actualité !