Citations sur Le Monde sans sommeil (30)
Une frontière, c’est un pays étranger. Les gens ne te laissent pas passer.
Ceux qui reviendront, et ceux qui seront restés, seront plus heureux de la vie que ceux qui sont partis, ils sauont apprécier sa valeur avec plus de gravité et de justesse, et l’on attendrait presque avec impatience les formes que tout cela va prendre si, aujourd’hui encore, comme dans les temps antiques, les carreaux du temple de la paix n’étaient pas humides du sang sacrifié, si le prix de ce nouveau sommeil bienheureux du monde n’avait pas été la mort de millions de ses plus nobles créatures.
La confusion de ces jours donnera le jour à un nouvel ordre auquel notre premier souci doit être de se plier avec force et dans un esprit secourable.
Il n’existe pas d’indifférence quand les réalités changent, nul ne se tient aujourd’hui en sécurité sur son rocher, à regarder, souriant, se soulever les flots. En toute connaissance de cause ou à son insu, chacun est emporté par le courant, sans savoir où il le mène. Personne ne peut se couper des autres, car notre sang et notre esprit nous font tourner dans le fleuve d’une nation et chaque accélération nous pousse plus loin, chaque blocage dans sa pulsation ralentit la mesure de notre propre vie.
Chacun regarde, chacun reste à toutes les fenêtres de ses sens pour recevoir le message, boit les mots aux lèvres des courageux qui le tranquilliseront et la crainte dans le doute de ceux qui se laissent abattre. Les prophètes, les vrais et les faux, ont de nouveau du pouvoir sur la foule, qui désormais obéit et obéit encore, avance dans la fièvre et s’allonge dans la fièvre, jour et nuit, les longues journées et les nuits infinies de cette époque qui mérite qu’on la vive éveillé.
Une guerre, jusqu’ici, ce n’était qu’une inflammation isolée dans l’immense organisme de l’humanité, un membre qui suintait et que l’on cautérisait pour le guérir, tandis que tous les autres pouvaient exercer leurs fonctions librement et sans la moindre entrave.
Même les plus pacifiques rêvent à présent de batailles, des colonnes montent à l’assaut et se précipitent à travers le sommeil, le sang sombre mugit de l’écho des canons.
Mille pensées cheminent sans répit, des villes silencieuses jusqu’aux feux de camp, de la garde solitaire sur le champ de bataille jusqu’à l’arrière, du plus proche au plus lointain, planent d’invisibles fils d’amour et d’inquiétude, un tissu de sentiments, un réseau sans fin recouvre désormais le monde, toutes les nuits, toutes les journées.
Nul n’est seul désormais, tout seul avec soi-même et son destin, chacun regarde au loin.
Même dans la geôle on retrouve une liberté. Tant que l’on est à l’extérieur et que l’on se sent en fuite, on se sent encore privé de sa liberté