On a le droit de se sacrifier pour ses idées, mais pas pour le délire des autres. Que ceux qui y croient aillent mourir pour la patrie !…
Jamais le silence, jamais l’obscurité n’avaient été aussi lourds dans cette maison. L’épouvante du monde entier semblait flotter froidement entre les murs. Seule l’horloge, cette sentinelle de fer, continuait imperturbablement, de gauche, de droite, et elle savait qu’à chaque mouvement du balancier l’homme, l’homme vivant et aimé qu’elle avait à ses côtés, s’éloignait d’elle. Elle ne fut plus en mesure de le supporter, elle se leva d’un bond et arrêta le pendule. Désormais il n’y avait plus de temps, juste l’effroi et le silence.
On obéit. On est comme un écolier : il suffit que l’instituteur appelle pour qu’on se lève et qu’on tremble.
Seul celui qui a vécu la maladie connaît tout le bonheur de l’homme en bonne santé, seul l’insomniaque connaît la douceur du sommeil retrouvé.
Quelque part, il y avait toujours le sommeil et le silence, des gens qui s’éveillaient en riant au petit matin et qui rêvaient sans faire de rêves. Mais, au fur et à mesure de sa conquête du globe, l’humanité a noué des liens de plus en plus intimes, une fièvre secoue à présent tout son organisme, un frisson d’effroi parcourt la totalité du cosmos.
Rien, rien ne peut trouver calme et répit au cours de ces journées, l’humanité a entraîné faune et flore dans son combat meurtrier. Il y a moins de sommeil aujourd’hui dans le monde, les nuits sont plus longues et les jours aussi.
Les gens désormais labourent constamment, avec leurs soucis et leurs visions, la glèbe stérile de la nuit, et quand ils sombrent enfin dans le sommeil, ils s’adonnent à des rêves étranges. Car le sang est plus chaud dans leurs artères, et cette touffeur fait naître les végétaux tropicaux de l’effroi et de l’inquiétude, des rêves dont on est heureux de s’éveiller et de sentir qu’il s’agissait de cauchemars superflus, de ce songe le plus effroyable de l’épouvantable réalité de l’humanité : la guerre de tous contre tous.
Il y a moins de sommeil aujourd'hui dans le monde, les nuits sont plus longues et les jours aussi.
Ça n’est pas vrai ! Ils ne sont forts que tant que le monde le veut. L’individu est toujours plus fort que le concept, seulement il faut qu’il reste lui-même, qu’il garde sa propre volonté. Il doit juste savoir qu’il est un être humain et qu’il veut le rester ; ensuite, ces mots avec lesquels on veut maintenant chloroformer les gens, ensuite la patrie, le devoir, l’héroïsme, tout cela n’est plus que phrases creuses qui puent le sang, le sang humain chaud et vivant.
Nous devrons tous réapprendre à aller de l’hier au demain en passant par cet aujourd’hui que nul n’appréhende entièrement, dont nous ne percevons la violence que dans ’effroi, apprendre à guérir pour trouver une nouvelle forme de vie par le biais de cette fièvre qui porte nos journées à l’incandescence et rend nos nuits tellement torrides.