Le jour mémorable et néfaste du cinq septembre arriva enfin. C'était un vendredi. La convocation des hommes, jeunes et vieux, et des enfants âgés de dix ans, avait été fixée pour trois heures de l'après-midi, dans l'église de
Grand-Pré.
Dans cette affaire, le plus inquiet du résultat était peut-être Winslow lui-même; il est vrai qu'il n'avait constaté jusque-là aucun sentiment de crainte ou de malaise chez les Acadiens; la Proclamation du 2 septembre leur ordonnant de se rassembler n'avait provoqué parmi eux aucun mouvement insolite, aucune agitation. Les apparences étaient donc favorables au plein succès de sa supercherie ; mais la situation où il se trouvait était ai nouvelle, si étrange, l'opération qu'Il préparait était si barbare, qu'il ne pouvait se défendre des appréhensions qui l'assaillaient malgré lui. Il était comme humilié, honteux de lui-même; en même temps, il désirait ardemment la réussite de son entreprise. Car, s'il y avait, de la part des habitants, résistance, et refus d'obéir à l'ordre de convocation, à quelles extrémités cruelles ne serait-il pas forcé de recourir contre un peuple au désespoir et désarmé! Son esprit dût passer par toute la série des sensations qu'éprouve, à son premier crime, le serviteur jusque-là fidèle.
Bancroft, l'éminent historien des États-Unis, a stigmatisé en ces termes la déportation : « Ces infortunés Acadiens n'étaient coupable d'autre crime que de leur attachement à la France. Je doute que les annales humaines présentent un tel exemple de maux infligés avec autant de complaisance,
de cruauté et de ténacité ».