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Critiques de Raharimanana (36)
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Enlacement(s)

Grace à "Masse critique" (merci Babelio), j'ai eu le plaisir de découvrir "Ruines", premier volet de ce recueil de 3 textes.

Voici, d'abord, un bel objet. Format, papier, typo, mise en page servent un texte ... un texte ou plutôt une voix. C'est la deuxième qualité de "Des ruines". Les mots de Raharimanana sont autant criés, soufflés, hurlés, scandés, rappés qu'écrits. A les lire cela s'entend. L'esprit de l'auteur étant couturé des balafres que l'histoire a infligé à sa terre d'origine, et ne supportant pas de s'apitoyer sur ces plaies mal recousues, la scansion, forte, émouvante, oscille entre la rage, la douleur, le rire, la dérision ... C'est au final réjouissant. Subir la colonisation, la corruption, la mondialisation, la pauvreté, jonche de ruines l'être et sa terre. Mais l'être est debout sur ses ruines. On l'entend de loin, ses mots sont beaux, et il est bien vivant.
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Enlacement(s)

Dans le cadre de l’opération « Masse critique », organisée par l’un de nos fidèles partenaires, Babelio, il nous est aujourd’hui permis, grâce à ce site et à la maison d’édition Vents d’ailleurs – qu’ils en soient chaleureusement remerciés – d’évoquer Il n’y a plus de pays, le dernier volet de la trilogie intitulée Elacement(s) écrite par Raharimanana lors d’une résidence d’écriture à Athénor, scène nomade (Saint-Nazaire/Nantes). Même si nous n’évoquerons ici que le troisième texte, les trois œuvres réunies en coffret se présentent, par la dimension même de ce dernier, à la manière d’un livre d’art, interrogeant d’emblée peut-être les frontières poreuses entre les arts qui nous seront données de lire et de traverser. Il n’y a plus de pays, à mi-chemin entre récit et poème, chant et tableau, se donne d’ailleurs comme une traversée aussi bien esthétique que thématique, à travers la quête effrénée d’une mère dans un lieu-non lieu dévasté : « j’ai marché depuis l’enfantement […] ma marche est sans autre limite que ma perdition[2] », dit la mère.

Lire la suite sur : http://laplumefrancophonee.wordpress.com/2013/03/31/jean-luc-raharimanana-il-ny-a-plus-de-pays/
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Enlacement(s)

Occuper l’espace. Ce sont les mots de l’écrivain malgache. Ils ont un sens évident quand je prends mon RER avec le coffret intitulé Enlacement(s). Un peu encombrant. Si c’est le cas pour le passager que je suis, j’imagine la problématique pour un libraire où justement l’occupation de la surface est comptée au millimètre carré. Sourire. C’est un choix qu’assume Raharimanana. Ce coffret comprend trois volets d’une œuvre jouant sur plusieurs genres littéraires et artistiques. La poésie. Le théâtre. Le chant. La prose. La danse. Bref, un texte inclassable. Un peu comme Les cauchemars du gecko, sa précédente parution. J’ai pris là encore le temps de m’imprégner des différents volets de ce projet. Des ruines : Prologue pour une résidence littéraire. Obscena : Pour voix et chorégraphie. Il n’y a plus de pays : Pour chant et murmures. Afin de comprendre et faire une bonne lecture de ces textes, il est important de prendre en compte ces paramètres de la création de l’homme de lettres malgache et en fonction de la latitude du lecteur, se mettre en situation.



Des ruines

Le premier volet de ce triptyque pourrait être interprété comme un état des lieux des ruines à partir desquelles il serait possible de reconstruire quelque chose. Ruines de l’écrivain, ruines qu’il observe faites de terres razziées, de sous sols pillés, de corps souillés. Morceaux choisis :



« J’écris pour le vide. J’écris pour un futur. J’écris pour un monde d’espérance. Et ce n’est que cela : l’espérance, la possibilité d’être ou de ne pas être. »





L’écrivain pose la question de l’œuvre littéraire et de la réception qui en est faite. En particulier, quand l’esthétique suffit à satisfaire le lecteur sans que le cri de l’enfant suicide ne soit entendu, perçu. La poésie est applaudie, la douleur évacuée. Explorer les ruines, c’est revenir sur le passé. Forcément violent puisqu’il ne semble n’en rester rien. Il y a également cette assignation à penser le futur et à dépasser ce passé. Mais celui-ci conditionne bien les actes d’aujourd’hui. Comment ne pas questionner une mémoire faite d’esclavage, de traite négrière, de colonisation, de dictature quand cet héritage écrase le quotidien. D’ailleurs en tenter l’exploration semble impossible, tellement l’enrayement des actes est ancré, passé la lettre « B » est insurmontable. Posture indélicate de l’écrivain.



Obscena

C’est un volet plus charnel. Pour voix et chorégraphie. Les séquences sont plus courtes. Ciselées. Les mots sont plus crus. Les scènes mises en danse plus obscènes. Le poète met des mots sur le viol, l’intime pénétré de la femme, de la mère. Parler de l’obscène. Mais aussi prendre de la distance



« Mais l’enfant est autiste, je me paralyse au bord de la mémoire, les douleurs ont fermé sa gorge, ma révolte, ma haine, mon refus de lier ma vie à celle fracassée de mes pères, mère, est-ce vie de n’écrire que leur temps de mort et de défaite, celle des vies à dévorer les douleurs et à ingurgiter les malheurs que tous se sont ingéniés à méconnaitre ? Mais l’enfant est autiste et me rentre à la gorge la lâcheté à laquelle j’aspire, l’oubli

Je. N’oubliez pas, viens du sud, je. »





Obscena, éditions Vents d’Ailleurs et Athénor, page



source photo - Vents d'ailleurs



L’enfant est autiste. Raharimanana travaille sur la mémoire. Il est important d’inscrire ce triptyque comme un prolongement de l’écriture de Nour, 1947, Portraits d’insurgés 1947, Madagascar 1947. Alors que le silence enfouissait des pans entiers de la mémoire malgache, dire l’histoire est important, mieux c’est une préoccupation. Dire les violences subies, intériorisées, oubliées ou ignorées est essentiel. C’est un sacerdoce. Le poète affirme le fait qu’il n’a pas le choix. Y a-t-il de la prétention dans sa posture ? L’écrivain a pris la plume parce qu’un jour un adolescent sans espoir a décidé de résister ou de disparaitre. Anecdote.



Est-il utile de parler du troisième volet qui évoque la mère ? J’ai trop parlé. Il n’y a plus de pays.

Chacun trouvera une part de soi, de son pays dans les mots de Raharimanana. Un texte difficile. Qu’il faut parfois lire, murmurer, chanter pour l’entendre. Des volets qui s’entrelacent et qui ont l’ambition d’occuper un espace. Faisons lui de la place.
Lien : http://sudplateau-tv.fr/litt..
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Il n'y a plus de pays

« Demain n’a pas d’importance, c’est hier que tu es à venir[1] »,

une lecture d’Il n’y a plus de pays de Raharimanana



Dans le cadre de l’opération « Masse critique », organisée par l’un de nos fidèles partenaires, Babelio, il nous est aujourd’hui permis, grâce à ce site et à la maison d’édition Vents d’ailleurs – qu’ils en soient chaleureusement remerciés – d’évoquer Il n’y a plus de pays, le dernier volet de la trilogie intitulée Elacement(s) écrite par Raharimanana lors d’une résidence d’écriture à Athénor, scène nomade (Saint-Nazaire/Nantes). Même si nous n’évoquerons ici que le troisième texte, les trois œuvres réunies en coffret se présentent, par la dimension même de ce dernier, à la manière d’un livre d’art, interrogeant d’emblée peut-être les frontières poreuses entre les arts qui nous seront données de lire et de traverser. Il n’y a plus de pays, à mi-chemin entre récit et poème, chant et tableau, se donne d’ailleurs comme une traversée aussi bien esthétique que thématique, à travers la quête effrénée d’une mère dans un lieu-non lieu dévasté : « j’ai marché depuis l’enfantement […] ma marche est sans autre limite que ma perdition[2] », dit la mère.



Continuités symboliques

On retrouve dans ce texte des symboles hantant l’écriture de l’auteur, telle l’image de l’eau mortifère. Ainsi, si l’image liminaire du miroir constitué par l’eau et associée au motif du puits, quoique formé ici par les mains, est encore marquée du sceau de la vie : « je viens à me regarder dans l’eau puisée / en mes mains je ris de ma soif je ris de / ma gorge palpitant de ce désir d’être / encore [3] », le puits s’apparente rapidement à une source tarie : « pourquoi donc ce puits ne donne jamais d’eau ?[4] ». Ces symboles de la mémoire que sont l’eau et le puits, en partie liés à la déferlante de la violence du monde qui s’abat sur eux, sont aussi féminins et évoquent un autre symbole très présent dans d’autres textes, celui de la matrice viciée[5], celle qui ne peut plus engendrer, meurtrie qu’elle est par la violence des hommes : « Nous n’y sommes que des vierges qui n’engendreront jamais, / que des sexes qu’ils défloreront à l’infini[6] ». La matrice empoisonnée, corrompue, engendre même la monstruosité du monde : « nous avons toutes engendré / nos bourreaux, notre mort / est dans nos ventres, conçue / dans la chair même de nos / chairs, part de nous, éclat de / nos vies, car si la barbarie est / de ce monde, elle est sortie / de nos entrailles, nourrie de / nos seins[7] ». Ce symbole polysémique renvoie aussi bien à l’autodestruction de l’espèce par les conflits qui ne cessent d’agiter les hommes, qu’aux violences historiques ; à la menace de la perte de la mémoire et de la transmission (par l’engendrement), ou encore à l’incapacité poétique, la matrice étant figure de création. Le corps, féminin en particulier, devient ainsi champ/chant de bataille, et la mère, dans le texte, pays terrassé : « et j’appellerai terre ce cœur qui me terrasse et sur lequel ils triomphent, je suis terre, / limons et poussières[8] ».



Mythes et réminiscences

Pourtant c’est bien une mère, et qui se nomme et donne comme telle, que nous suivons, une mère tournée vers le fruit de sa création, appelant en creux une « autre » qui est le prolongement d’elle-même, comme pour conjurer justement le déferlement de la violence : « il n’y a plus de pays, je viens te chercher[9] », lance-t-elle comme un défi. La mère est mouvement, marche effrénée : « je viens te chercher », formule reprise et isolée parfois sur la page, derrière laquelle on peut peut-être entendre les échos lointains du fameux « je suis une force qui va » ou de « Demain dès l’aube[10] », pourquoi pas, mais sur un mode parodique alors : « demain, à l’heure où la brume s’érige, où les murs s’écroulent… [11]». C’est que la poésie ne peut rendre compte d’un rapport apaisé de l’homme au monde. Elle est tension vers l’autre, le manque. La perte de sa fille déclenche sa parole, une parole de la mémoire (« que je te raconte », dit-elle souvent, elle qui a « traversé les âges et […] vu[12] »), une mémoire qui joue d’ailleurs avec celle des lecteurs et des peuples par la voie du mythe. Cette mère peut ainsi rappeler la figure de Déméter, déesse des moissons, dont la fille Perséphone est enlevée par Hadès, souverain des morts, et contrainte d’y rester (puisqu’elle y a mangé les six pépins de la grenade qu’il lui a offerte et que quiconque mange dans le royaume des morts ne peut le quitter). Déméter se lance ainsi dans une errance mortifère, partant à sa recherche et négligeant les récoltes de la Terre, ne manquant pas d’affamer les mortels, d’engendrer partout la famine. Elle peut aussi rappeler cette figure de la mythologie malgache, qu’est « celle qui ressent ou que l’on ressent », la femme de l’ogre qui enfante et perd son enfant, dévoré par son époux, le mâle dominant. Si le propre des mythes est de déclencher des interprétations multiples et polysémiques, comme peut-être ici le sort du continent africain dévoré par plus « dominant » que lui, l’idée de l’origine, d’une seconde naissance permise par un nouvel enfantement « traçable », ancré, nous paraît portée par le mythe. Les retrouvailles souhaitées entre la mère et la fille réintroduisent le corps maternel dans ses fonctions créatrices, corps perçu comme un refuge rassurant, une résistance au chaos et à l’informe de la violence. Le corps, à l’image du poème, devient lieu, celui de l’asile et de l’espoir possible, là où tout dans le monde semblait le condamner : « Je viens te chercher puisqu’il n’y a plus de pays où poser l’espérance, de pays qui remplace mon ventre d’où tu t’es expulsée, de pays qui accueille les pas que tu lances vers ton existence[13] ». Renaître à soi, questionner l’origine (elle qui « donne naissance » mais dérive aussi étymologiquement de oriri, « se lever ») relève ainsi tout à la fois de la création de nouvelles formes esthétiques, que d’une profonde in/re-formation de l’humain. « L’origine est devant nous », écrivait Heidegger, loin des communautarismes, elle est la source vive qui nous permet de nous tenir debout, de tenir les deux bouts de notre complexe liberté tout en contemplant l’avenir.



C’est ainsi que l’on pourrait comprendre, même si l’énoncé peut recouper d’autres dimensions, une parole proférée plusieurs fois par la mère : « Demain n’a pas d’importance, c’est hier que tu es à venir[14] ». Mais l’origine peut tuer, les identités peuvent être meurtrières, comme l’écrivait Amin Maalouf : « Le visage est une fosse qui nous ramène à la confusion des clans. Le visage est / une malédiction de l’individu[15] ». C’est pourquoi la connaissance du passé ne peut renvoyer à des préoccupations communautaires, si les retrouvailles avec la mère et sa parole ont un jour lieu, c’est parce que la connaissance du passé et de l’origine – ô combien nécessaires pour enrayer « la défaite de la mémoire, l’ablation du vécu, de ce qu’on fut[16] » – nous révèlent en tant qu’hommes, au sens noble du terme, malgré l’inhumain qui nous cerne, nous entoure. C’est à ce prix que pourront peut-être se fondre un jour le « je » et le « tu », le « nous » et le « ils », sur une même page[17] (« te souviens-tu seulement du pays de mon ventre où tu étais moi où nous étions moi dans le monde mon ventre[18] »), que pourra peut-être advenir « ce temps où la mère redeviendra fille, où la fille redeviendra mère », où l’on sera « plus que rien, une chose qui recommence le monde[19] » et où la chrysalide[20] se fera papillon.



Absurde et sonore





« L’orgueil de l’homme à vouloir atteindre la plénitude sur le vide de l’énigme… [21]». La méditation repose peut-être finalement sur l’absurde de notre existence, de notre finitude, et la quête de son sens. Il n’y a plus de pays revêt en ce sens une dimension proprement humaine et universelle : « continuer d’être encore sur une / humanité qui jongle sur sa raison d’être…[22] », peut-on lire dès la première page. La quête de sens ne peut cependant, comme chez Camus, espérer trouver de réponse dans une quelconque transcendance : « je m’en retourne sur les sens de la vie, qu’avons-nous à renouveler cette race qui abjure ses origines et qui s’en va inventer des dieux devant qui se soumettre ? ». Si le statut de cet énoncé pourrait renvoyer en contexte à une situation socio-historique donnée (il est question de femmes « à couvrir » au nom de dieux inventés), l’énonciation lui donne ainsi une portée bien plus large, abolissant le territoire étroit du pays, de la nation et de sa construction idéologique. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la violence du monde est souvent associée dans l’œuvre aux schèmes de l’enfermement – « le huis clos des êtres et des folies sur la surenchère des tremblements et des écroulements[23] » – et que la femme en est la victime idéale : « que je te raconte / des côtes d’Adam, que je te raconte des forges d’Héphaïstos, tu es sortie de leurs solitudes, tu es sortie de leurs désirs, créature rature âme seconde, sœur, compagne, épouse, lié // aliénée[24] ». Le dernier mot apparaît cependant isolé sur la page, sans liens, libre finalement, comme si l’écriture pouvait conjurer le sort, s’offrir la liberté.



L’écriture de Raharimanana renoue avec l’oralité au sens où elle se veut avant tout déploiement sonore, appelant en creux sa lecture à haute voix et la scène. « Pour chants et chuchotements » dit d’ailleurs le sous-titre de l’œuvre. Dans l’exemple suivant, on a même l’impression que les mots s’engendrent eux-mêmes de par leurs signifiants, qu’ils s’appellent, se font écho, comme par ricochets : « je vends vandalise ce que veut vaut l’eau que je boise, pisse, je ripe mon rire à l’aune de ma rage[25] ». Mais le procédé n’est pourtant pas gratuit, les jeux de mots inattendus (« boise »), tout autant que les rudes allitérations en [r] (« je ripe mon rire à l’aune de ma rage ») ouvrent un horizon sémantique dont la violence sourd par l’en-deçà des mots, leurs connotations et leurs signifiants. Or le sonore n’est-il pas le symétrique inversé de l’absurde, dérivé étymologiquement de surdus (sourd) ? L’écriture du poète, si elle épouse le rythme, les images et les sonorités de la violence du monde (« Pour leurs guerres / fers/ cœurs qui meurent / la peau est sœur du linceul / suaire vivant qui t’ensevelit dans des chroniques de souffle et de mort »[26]), est aussi, écho, par le déploiement du sonore, trace immatérielle et réponse. Elle élargit les frontières de l’intériorité du lecteur, s’immisce dans son pays intérieur, résonne en lui, ne laisse pas son appel humain sans réponse.



Virginie Brinker





[1] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, Vents d’ailleurs, 2012, p. 15, 21.



[2] Ibid., p. 5.



[3] Ibid., p. 3.



[4] Ibid., p. 15.



[5] Voir notre article à paraître, « Rêves sous le linceul, “Rwanda et dépendances …” »



[6] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, op. cit., p. 5.



[7] Ibid., p. 13.



[8] Ibid., p. 7.



[9] Ibid., p. 9.



[10] Nous faisons allusion ici à deux œuvres de Victor Hugo, Hernani et au poème « Demain, dès l’aube » dans Les Contemplations.



[11] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, ibid., p. 13.



[12] Ibid., p. 19.



[13] Ibid., p. 10.



[14] Ibid., p. 15, p. 21.



[15] Ibid., p. 24.



[16] Ibid., p. 32.



[17] Les pronoms « je » et « ils » sont parfois les seuls mots d’une page (cf p. 27, 31, 33, 35, 37), condamnés à ne jamais se rencontrer. Le « Ils » arrivant en fin de série étant même conçu comme une barrière empêchant le déploiement du « je ».



[18] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, ibid., p. 23.



[19] Ibid., p. 62.



[20] Voir les pages 49, 53, 57.



[21] Ibid., p. 49.



[22] Ibid., p. 3.



[23] Ibid., p. 6.



[24] Ibid., p. 16-17.



[25] Ibid., 2012, p. 3.



[26] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, Vents d’ailleurs, 2012, p. 26.



A lire sur : http://laplumefrancophonee.wordpress.com/2013/03/31/jean-luc-raharimanana-il-ny-a-plus-de-pays/
Lien : http://laplumefrancophonee.w..
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Il n'y a plus de pays

« Demain n’a pas d’importance, c’est hier que tu es à venir[1] »,

une lecture d’Il n’y a plus de pays de Raharimanana



Dans le cadre de l’opération « Masse critique », organisée par l’un de nos fidèles partenaires, Babelio, il nous est aujourd’hui permis, grâce à ce site et à la maison d’édition Vents d’ailleurs – qu’ils en soient chaleureusement remerciés – d’évoquer Il n’y a plus de pays, le dernier volet de la trilogie intitulée Elacement(s) écrite par Raharimanana lors d’une résidence d’écriture à Athénor, scène nomade (Saint-Nazaire/Nantes). Même si nous n’évoquerons ici que le troisième texte, les trois œuvres réunies en coffret se présentent, par la dimension même de ce dernier, à la manière d’un livre d’art, interrogeant d’emblée peut-être les frontières poreuses entre les arts qui nous seront données de lire et de traverser. Il n’y a plus de pays, à mi-chemin entre récit et poème, chant et tableau, se donne d’ailleurs comme une traversée aussi bien esthétique que thématique, à travers la quête effrénée d’une mère dans un lieu-non lieu dévasté : « j’ai marché depuis l’enfantement […] ma marche est sans autre limite que ma perdition[2] », dit la mère.



Continuités symboliques

On retrouve dans ce texte des symboles hantant l’écriture de l’auteur, telle l’image de l’eau mortifère. Ainsi, si l’image liminaire du miroir constitué par l’eau et associée au motif du puits, quoique formé ici par les mains, est encore marquée du sceau de la vie : « je viens à me regarder dans l’eau puisée / en mes mains je ris de ma soif je ris de / ma gorge palpitant de ce désir d’être / encore [3] », le puits s’apparente rapidement à une source tarie : « pourquoi donc ce puits ne donne jamais d’eau ?[4] ». Ces symboles de la mémoire que sont l’eau et le puits, en partie liés à la déferlante de la violence du monde qui s’abat sur eux, sont aussi féminins et évoquent un autre symbole très présent dans d’autres textes, celui de la matrice viciée[5], celle qui ne peut plus engendrer, meurtrie qu’elle est par la violence des hommes : « Nous n’y sommes que des vierges qui n’engendreront jamais, / que des sexes qu’ils défloreront à l’infini[6] ». La matrice empoisonnée, corrompue, engendre même la monstruosité du monde : « nous avons toutes engendré / nos bourreaux, notre mort / est dans nos ventres, conçue / dans la chair même de nos / chairs, part de nous, éclat de / nos vies, car si la barbarie est / de ce monde, elle est sortie / de nos entrailles, nourrie de / nos seins[7] ». Ce symbole polysémique renvoie aussi bien à l’autodestruction de l’espèce par les conflits qui ne cessent d’agiter les hommes, qu’aux violences historiques ; à la menace de la perte de la mémoire et de la transmission (par l’engendrement), ou encore à l’incapacité poétique, la matrice étant figure de création. Le corps, féminin en particulier, devient ainsi champ/chant de bataille, et la mère, dans le texte, pays terrassé : « et j’appellerai terre ce cœur qui me terrasse et sur lequel ils triomphent, je suis terre, / limons et poussières[8] ».



Mythes et réminiscences

Pourtant c’est bien une mère, et qui se nomme et donne comme telle, que nous suivons, une mère tournée vers le fruit de sa création, appelant en creux une « autre » qui est le prolongement d’elle-même, comme pour conjurer justement le déferlement de la violence : « il n’y a plus de pays, je viens te chercher[9] », lance-t-elle comme un défi. La mère est mouvement, marche effrénée : « je viens te chercher », formule reprise et isolée parfois sur la page, derrière laquelle on peut peut-être entendre les échos lointains du fameux « je suis une force qui va » ou de « Demain dès l’aube[10] », pourquoi pas, mais sur un mode parodique alors : « demain, à l’heure où la brume s’érige, où les murs s’écroulent… [11]». C’est que la poésie ne peut rendre compte d’un rapport apaisé de l’homme au monde. Elle est tension vers l’autre, le manque. La perte de sa fille déclenche sa parole, une parole de la mémoire (« que je te raconte », dit-elle souvent, elle qui a « traversé les âges et […] vu[12] »), une mémoire qui joue d’ailleurs avec celle des lecteurs et des peuples par la voie du mythe. Cette mère peut ainsi rappeler la figure de Déméter, déesse des moissons, dont la fille Perséphone est enlevée par Hadès, souverain des morts, et contrainte d’y rester (puisqu’elle y a mangé les six pépins de la grenade qu’il lui a offerte et que quiconque mange dans le royaume des morts ne peut le quitter). Déméter se lance ainsi dans une errance mortifère, partant à sa recherche et négligeant les récoltes de la Terre, ne manquant pas d’affamer les mortels, d’engendrer partout la famine. Elle peut aussi rappeler cette figure de la mythologie malgache, qu’est « celle qui ressent ou que l’on ressent », la femme de l’ogre qui enfante et perd son enfant, dévoré par son époux, le mâle dominant. Si le propre des mythes est de déclencher des interprétations multiples et polysémiques, comme peut-être ici le sort du continent africain dévoré par plus « dominant » que lui, l’idée de l’origine, d’une seconde naissance permise par un nouvel enfantement « traçable », ancré, nous paraît portée par le mythe. Les retrouvailles souhaitées entre la mère et la fille réintroduisent le corps maternel dans ses fonctions créatrices, corps perçu comme un refuge rassurant, une résistance au chaos et à l’informe de la violence. Le corps, à l’image du poème, devient lieu, celui de l’asile et de l’espoir possible, là où tout dans le monde semblait le condamner : « Je viens te chercher puisqu’il n’y a plus de pays où poser l’espérance, de pays qui remplace mon ventre d’où tu t’es expulsée, de pays qui accueille les pas que tu lances vers ton existence[13] ». Renaître à soi, questionner l’origine (elle qui « donne naissance » mais dérive aussi étymologiquement de oriri, « se lever ») relève ainsi tout à la fois de la création de nouvelles formes esthétiques, que d’une profonde in/re-formation de l’humain. « L’origine est devant nous », écrivait Heidegger, loin des communautarismes, elle est la source vive qui nous permet de nous tenir debout, de tenir les deux bouts de notre complexe liberté tout en contemplant l’avenir.



C’est ainsi que l’on pourrait comprendre, même si l’énoncé peut recouper d’autres dimensions, une parole proférée plusieurs fois par la mère : « Demain n’a pas d’importance, c’est hier que tu es à venir[14] ». Mais l’origine peut tuer, les identités peuvent être meurtrières, comme l’écrivait Amin Maalouf : « Le visage est une fosse qui nous ramène à la confusion des clans. Le visage est / une malédiction de l’individu[15] ». C’est pourquoi la connaissance du passé ne peut renvoyer à des préoccupations communautaires, si les retrouvailles avec la mère et sa parole ont un jour lieu, c’est parce que la connaissance du passé et de l’origine – ô combien nécessaires pour enrayer « la défaite de la mémoire, l’ablation du vécu, de ce qu’on fut[16] » – nous révèlent en tant qu’hommes, au sens noble du terme, malgré l’inhumain qui nous cerne, nous entoure. C’est à ce prix que pourront peut-être se fondre un jour le « je » et le « tu », le « nous » et le « ils », sur une même page[17] (« te souviens-tu seulement du pays de mon ventre où tu étais moi où nous étions moi dans le monde mon ventre[18] »), que pourra peut-être advenir « ce temps où la mère redeviendra fille, où la fille redeviendra mère », où l’on sera « plus que rien, une chose qui recommence le monde[19] » et où la chrysalide[20] se fera papillon.



Absurde et sonore





« L’orgueil de l’homme à vouloir atteindre la plénitude sur le vide de l’énigme… [21]». La méditation repose peut-être finalement sur l’absurde de notre existence, de notre finitude, et la quête de son sens. Il n’y a plus de pays revêt en ce sens une dimension proprement humaine et universelle : « continuer d’être encore sur une / humanité qui jongle sur sa raison d’être…[22] », peut-on lire dès la première page. La quête de sens ne peut cependant, comme chez Camus, espérer trouver de réponse dans une quelconque transcendance : « je m’en retourne sur les sens de la vie, qu’avons-nous à renouveler cette race qui abjure ses origines et qui s’en va inventer des dieux devant qui se soumettre ? ». Si le statut de cet énoncé pourrait renvoyer en contexte à une situation socio-historique donnée (il est question de femmes « à couvrir » au nom de dieux inventés), l’énonciation lui donne ainsi une portée bien plus large, abolissant le territoire étroit du pays, de la nation et de sa construction idéologique. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la violence du monde est souvent associée dans l’œuvre aux schèmes de l’enfermement – « le huis clos des êtres et des folies sur la surenchère des tremblements et des écroulements[23] » – et que la femme en est la victime idéale : « que je te raconte / des côtes d’Adam, que je te raconte des forges d’Héphaïstos, tu es sortie de leurs solitudes, tu es sortie de leurs désirs, créature rature âme seconde, sœur, compagne, épouse, lié // aliénée[24] ». Le dernier mot apparaît cependant isolé sur la page, sans liens, libre finalement, comme si l’écriture pouvait conjurer le sort, s’offrir la liberté.



L’écriture de Raharimanana renoue avec l’oralité au sens où elle se veut avant tout déploiement sonore, appelant en creux sa lecture à haute voix et la scène. « Pour chants et chuchotements » dit d’ailleurs le sous-titre de l’œuvre. Dans l’exemple suivant, on a même l’impression que les mots s’engendrent eux-mêmes de par leurs signifiants, qu’ils s’appellent, se font écho, comme par ricochets : « je vends vandalise ce que veut vaut l’eau que je boise, pisse, je ripe mon rire à l’aune de ma rage[25] ». Mais le procédé n’est pourtant pas gratuit, les jeux de mots inattendus (« boise »), tout autant que les rudes allitérations en [r] (« je ripe mon rire à l’aune de ma rage ») ouvrent un horizon sémantique dont la violence sourd par l’en-deçà des mots, leurs connotations et leurs signifiants. Or le sonore n’est-il pas le symétrique inversé de l’absurde, dérivé étymologiquement de surdus (sourd) ? L’écriture du poète, si elle épouse le rythme, les images et les sonorités de la violence du monde (« Pour leurs guerres / fers/ cœurs qui meurent / la peau est sœur du linceul / suaire vivant qui t’ensevelit dans des chroniques de souffle et de mort »[26]), est aussi, écho, par le déploiement du sonore, trace immatérielle et réponse. Elle élargit les frontières de l’intériorité du lecteur, s’immisce dans son pays intérieur, résonne en lui, ne laisse pas son appel humain sans réponse.



Virginie Brinker





[1] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, Vents d’ailleurs, 2012, p. 15, 21.



[2] Ibid., p. 5.



[3] Ibid., p. 3.



[4] Ibid., p. 15.



[5] Voir notre article à paraître, « Rêves sous le linceul, “Rwanda et dépendances …” »



[6] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, op. cit., p. 5.



[7] Ibid., p. 13.



[8] Ibid., p. 7.



[9] Ibid., p. 9.



[10] Nous faisons allusion ici à deux œuvres de Victor Hugo, Hernani et au poème « Demain, dès l’aube » dans Les Contemplations.



[11] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, ibid., p. 13.



[12] Ibid., p. 19.



[13] Ibid., p. 10.



[14] Ibid., p. 15, p. 21.



[15] Ibid., p. 24.



[16] Ibid., p. 32.



[17] Les pronoms « je » et « ils » sont parfois les seuls mots d’une page (cf p. 27, 31, 33, 35, 37), condamnés à ne jamais se rencontrer. Le « Ils » arrivant en fin de série étant même conçu comme une barrière empêchant le déploiement du « je ».



[18] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, ibid., p. 23.



[19] Ibid., p. 62.



[20] Voir les pages 49, 53, 57.



[21] Ibid., p. 49.



[22] Ibid., p. 3.



[23] Ibid., p. 6.



[24] Ibid., p. 16-17.



[25] Ibid., 2012, p. 3.



[26] Raharimanana, Il n’y a plus de pays, Vents d’ailleurs, 2012, p. 26.



A lire sur : http://laplumefrancophonee.wordpress.com/2013/03/31/jean-luc-raharimanana-il-ny-a-plus-de-pays/
Lien : http://laplumefrancophonee.w..
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Les cauchemars du gecko

Comme un grand poème roulant, le livre, mise en page, l'alternance des poèmes, des cris, de la prose poétique, des emportements, des textes de grands anciens, de discours ironiques et presque calmes, de photos et dessins de Jean Luc Raharimanana - la colonisation et ses entours
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Lucarne

Le rythme de la langue emmène superbement à Madagascar, île de misère pétrie de violences : les mots dansent mais ils sont crus, acérés et poignants, les histoires sont pleines de douleurs, de sexe et de folie. Par cette Lucarne, le paysage de mer et de vent est sculpté par Eros - désir de vie - et Thanatos - désir de mort - et fait frémir d'horreur... d'autant plus qu'on se dit que ce livre est beau alors que vraiment, ce qu'il raconte...
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Lucarne

Ainsi parlait Raharimanana,



Ces nouvelles, parues en 1996, se font les témoins de la misère et de la violence de Madagascar.



“Voici la nuit, voici mon univers. C’est un univers de silence. De silence, oui ! On écoute le silence comme on écoute une femme murmurer “je t’aime”. Voluptueux ce silence, sensuel, doux, comme une prière que ressentent tous les fibres du corps.”



La misère cynique d’un enfant qui ne peut ni boire ni manger car il a avalé sa pièce de monnaie, la cruauté d’un poseur d’appât pour prendre les riches conducteurs en embuscade, le sadismes de gosses de riches qui jouent à Guantanamo avec des miséreux, ou encore celle de cette femme contrainte de coudre de la drogue dans les corps d’enfants morts.



A ce stade, on peut oser une petite corrélation, qui fait jamais plaisir tant on voudrait traiter l’insécurité comme si elle n’avait aucun lien avec la précarité, mais là où il y a misère, surtout lorsqu’elle côtoie l’opulence, il y a aussi violence. L’auteur nous contraint à regarder ça droit dans les yeux.

Le ciel malgache de Jean-Luc Raharimanana est foudroyant de désespoir, de lutte pour la survie et de refuge érotique ; matricide, infanticide, viol, meurtre et torture se succèdent impitoyablement.



Qu’est ce qui peut bien alors motiver la lecture jusqu’à son terme de ce petit recueil ?



Il y a indéniablement une aventure de la langue. Un style déstructuré, hagard, les impressions l’emportent parfois sur la narration. C’est aussi une limite car on peut perdre le fil de certains textes un peu trop abstraits.



“L’enfant mort roula sur le plancher de bois du navire. On aurait dit une poupée de pierre, une sculpture d’argent, d’or ou de cuivre. La femme gémissait, lovée sur son propre corps. Elle voulut que ses pleurs fussent de pointes et de sagaies. Elle voulut s’empaler sur les lames de ses larmes.”



La cruauté et la douleur, les sentiments très forts, physiques même, des personnages et la belle langue, poétique, qui convoque la mer, la nuit forment un mélange tantôt éprouvant, tant sur le fond que sur la forme ,tantôt indéniablement esthétique et captivant.



L’auteur déclare que parfois “face à des choses innommables il faut reposer la beauté du monde” d’où son choix d’aller vers la photographie, vers la musique.. suivant son conseil je m’en vais respirer les paysages alpins, les lacs translucides et le duvet des forêts; on tous a besoin d’entrevoir cet équilibre entre la beauté du monde et la conscience de son horreur à travers la lucarne.



Qu’en pensez-vous ?
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Lucarne

Extraordinaire recueil de nouvelles sur Madagascar, où se mêlent nature luxuriante, violence inouïe des hommes et amour éperdu des femmes.

Un vrai coup de cœur, à la langue cependant très crue et pleine de noirceur malgré la très belle poésie qui sous-tend ce petit ouvrage.
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Madagascar, 1947

Raharimanana n’était pas né en 1947. En mars, Madagascar s’était insurgée contre la colonisation française. La répression dura deux ans. Sa mémoire demande des comptes. Il cherche à reconstituer ces années-là qui échappent aux mémoires, histoire réécrite par les vainqueurs, tue par les vaincus, pour oublier.



Article complet en suivant le lien.
Lien : http://bibliothequefahrenhei..
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Nour, 1947

Lecture mitigée que voici. C'est un livre étrange dont je ne sais quoi penser. J'ai aimé certains passages que j'ai trouvé très beaux, très poétiques, tanfis que je n'ai pas supporté d'autres passages très violent, à la limite du soutenable (pour un en particulier). J'ai eu des difficultés à comprendre l'histoire pendant le premier tiers du roman, puis par la suite je me suis habituée à cette narration hachée, mélangeant différentes époques.

Il faut tout de même reconnaître que l'auteur a une très belle plume, très poétique (comme dit plus haut), il y a un rythme, des phrases qui reviennent comme une rengaine, un refrain, un leitmotiv. J'ai également aimé la description faite des sentiments, la mise en lumière sur les sentiments des colonisés , la cruauté des colonisateurs. Mais je pense tout de même que j'ai dû passer à côté de quelque chose.
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Nour, 1947

Un homme ère, tirant le cadavre de son amour, Nour.

Durant sept nuits, dans un récit assez décousu, possédé, quasi délirant, il nous raconte son histoire, celle de Nour fille d'esclave tombée sous les balles des colons français, celle de ses compagnons d'insurrection, celle de la « Grande Ile » et de ses peuples. Des siècles de violence : guerres tribales, esclavage, colonisation française avec ses missionnaires chrétiens chargés d'éradiquer l'impiété, jusqu'au carnage de la répression de l'insurrection en 1947.

Tirailleur enrôlé de force en France et plongé dans l'horreur d'une guerre qui n'est pas la sienne, à expédier des wagons d'humains vers la mort, à son retour sur son île il jure « de ne plus jamais obéir à aucun des coloniaux » et rejoint le camp des rebelles qui mènent l'insurrection. Survivant du massacre, il est à bout de forces, de désespoir, de maladie. Boue, putréfaction, mouches, pluie, vagues, feu, vent, sont omniprésents. Il est guidé dans son errance par des êtres légendaires : Konantitra, vieille femme danseuse et chanteuse de mort ; Dziny, la Mère, femme des eaux et des lumières ; Retany le maître des terres, à l'origine de toute plante, de tout arbre.

Chant de lamentation, complainte, désolation. Ambiance glauque. C'est un texte d'abord difficile, dans une langue poétique, il faut y pénétrer comme dans une transe, accepter de se laisser traverser et transporter par les esprits de cette terre, laisser opérer l'envoutement. Mais le voyage est rude, inconfortable, il vous remue les tripes.

C'est toute la magie et l'art du poète de rendre belles autant d'horreurs.
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Nour, 1947

La langue de Raharimanana est celle du silence qui succède au rêve et précède l'éveil. Sa poésie est un plat qui se mange cru, un cri qui dilate les dédales du vide. Elle entame les ciselures du coeur, ruisselle de larmes viscérales vers un ciel inversé, ouaté d'une transcendance sucrée-salée.



Ici il est le chef d'orchestre d'un récit-choral se déroulant lors des émeutes anticoloniales de 1947 à Madagascar où des dizaines de milliers de Malgaches ont été massacrés par l'armée française. Dans ce contexte dramatique, c'est l'histoire d'amours pour une terre et pour une femme, victimes de ce carnage.



"Transcrire. Tout transcrire."

Les apôtres des candeurs coquettes et doucereuses lui reprochent la violence de ses images... mais ce sont les civilisations humaines qui sont violentes !

Le poète est une colonne érigée en cortège de vertèbres qui soutiennent l'ossature de la résistance au scandale du monde. Il se saisit de l'abject à deux mains, comme nos ancêtres éblouis de voir le feu jaillir de la friction des silex, le décrasse, le lustre avec sa radieuse salive puis le dégrade en fines incandescences sublimées. Avec l'impudente pudeur de la lune lorsqu'elle éclaire le soleil, ses mots, acrobates des cloaques, déferlent dans la fosse des charniers et en distillent de l'or...



Raharimanana est, selon moi, le phénix des poètes contemporains.
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Nour, 1947

Je retrouve ici tout le suc des écrits de Raharimanana : une langue aussi belle que violente, des tableaux cruels et révoltants qui se succèdent, l'histoire de la grande île qui s'entremêle aux esprits malgaches qui ne semblent jamais vouloir laisser en paix les victimes de la guerre.



Certains passages révulsent, repoussent le lecteur, bien qu'ils ne fassent rien d'autres que de décrire ce que subissent les corps face à la guerre et les pires bassesses de l'humanité. Les corps violentés et en putréfaction, mais non dénués d'attraction, ne sont pas sans rappeler Baudelaire.



Toujours aussi séduite par la plume de cet auteur qui sait si bien faire retranscrire le souffle de Madagascar à travers ses romans.
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Nour, 1947

Je m'en viens partager avec vous une certaine déception. En effet, tous les ingrédients étaient réunis, semblait-il, pour un beau moment de lecture : un auteur malgache que je ne connaissais pas, l'histoire de Madagascar et ses phases successives de colonisations puis de décolonisation pour la dernière d'entre elles, dont j'avais tout à découvrir. Une écriture a priori très belle…



Bref, beaucoup d'excellents ingrédients mais, finalement, une préparation qui ne m'a pas du tout séduite : d'abord une lourdeur sur l'estomac d'un bout à l'autre qui m'a moult fois donné l'envie de tout arrêter. Ensuite des écoeurements propres à créer des aversions et enfin, des associations de saveurs qui ne sont guère plaisantes à mes papilles.



Je m'explique : je n'ai ressenti absolument aucune empathie à aucun moment durant cette lecture. Il y a des morts atroces, il y a le destin de peuples et d'une île parmi les plus vastes au monde et je ne ressens rien. Soit cela vient de moi, ce qui n'est pas impossible, soit cela vient de la manière dont cela a été écrit, ce qui n'est pas impossible non plus. En tout cas, nous ne nous sommes pas trouvées elle et moi.



C'est très confus, très touffus, très diffus, on vous parle de ça 5 minutes, puis d'autre chose, puis encore d'autre chose ; tantôt c'est 1947, tantôt c'est le XVIIIè siècle, tantôt c'est 1943, c'est ici, c'est là, c'est partout à la fois et, moralité, c'est nulle part. Et puis on y revient, et ça se répète, et ça se répète encore plus loin et à nouveau plus loin : ce que ça m'a fatiguée (ce que ça m'a saoulée même, dans l'acception première du terme, pas celle qui s'utilise en langage familier).



Pfff ! ce patchwork incessant interdit toute identification vis-à-vis d'un quelconque personnage, d'intrigue, je n'en ai point trouvé. À de nombreuses reprises, l'auteur écrit qu'il veut tout retranscrire or, je serais tentée de lui dire que c'est justement le travail d'un écrivain d'effectuer des choix car là, ça ne crée que de l'embrouille et

absolument aucune impression d'exhaustivité.



On comprend que la colonisation française n'a pas été tendre, mais bon, ça on le savait déjà, du moins j'imagine. On comprend que les différentes ethnies de Madagascar se sont toujours plus ou moins étripées les unes les autres ou, à tout le moins, mis en position d'esclavage les unes vis-à-vis des autres. Un festival de douleurs qui s'étale sur des siècles, une narration totalement décousue, parfois très accessible (les lettres des religieux français des XVIII et XIXè siècles) parfois presque incompréhensible car absconse.



En somme, l'archétype d'une bonne grosse déception littéraire alors que j'aurais tellement aimé aimer. Mais voilà, définitivement, ce livre n'est pas pour moi. Que cela ne vous dissuade pas de le découvrir et, éventuellement, d'en dresser un tableau qui serait tout autre. Plus que jamais, nous avons besoin de diversité d'opinion, d'esprit critique et d'interprétations alternatives.



Ce n'est que mon avis de lémurienne, sans l'ombre d'une lumière, pour cette Nour malgache, c'est-à-dire pas grand-chose.
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Nouvelles de Madagascar

Vol destiné sur l’île de Madagascar est annoncé…N’oubliez pas d’embarquer….

Un voyage en couleurs où l’île rouge est le thème central de ce livre…Un dépaysement garanti mais qui contraste avec les images de cartes postales et la vie quotidienne des habitants malgaches.

Un gouffre énorme entre les riches et les pauvres où ces derniers doivent se battre pour survivre et tombent parfois sur des mauvaises rencontres…Au début, j’ai pensé que les nouvelles étaient « légères » et parleraient de vacances exotiques mais les auteurs voulaient montrer l’envers du décor sous des allures exotiques et de rêves…Le côté idyllique n’est pour tout le monde surtout si tu connais la pauvreté.

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Nouvelles de Madagascar

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Nouvelles de Madagascar

Des nouvelles d'une qualité inégale : on alterne ici l'anecdotique et le bon.



Une lecture enrichissante sur le peuple malgache et ses conditions de vie.

Le point de vue des différents auteurs montrent l'île sous plusieurs angles différents.

Ces deux aspects constituent l'intérêt principal de ce recueil, en plus de sa disponibilité dans une rubrique (littérature de madagascar) où le nombre de volumes est assez restreint..



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Nouvelles de Madagascar

Cette petite Edition - Miniatures, Magellan & Cie, qui se spécialise dans le recueil de Nouvelles de différents pays est d'habitude une valeur sûre, mais là, c'est la grosse déception.



A part la première Nouvelle "Ambilobe" de Raharimanana qui à elle toute seule mériterait 5 étoiles, les autres ne m'ont pas plu et la dernière, une histoire de viol, m'a totalement écoeurée.



La première est vraiment amusante : le narrateur essaie de rentrer de Ambilobe à Diego Suarez, à deux heures de route, en partageant un taxi-brousse. Après moult péripéties toutes plus amusantes les unes que les autres, il partira enfin, 6 heures après s'être assis dans le taxi :)
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Obscena

L'écriture de Jean-Luc Raharimanana n'est pas une écriture facile, la langue est brute, dépouillée, violente. Il faut la laisser tinter, sonner, bourdonner, tonner mais surtout résonner. "M'ouvrir la bouche, c'est dégueuler la honte, l'indignité, ma parole est noire, elle fatigue, n'ai-je pas d'autres chants qui balancent ?".

Il faut entrer, c'est difficile, il faut entrer entre :"Mes murs l'indécence mes murs sont d'obscènité d'enfants qui meurent de famine, de femmes qui se violent, de fous, de folles, de riens qui s'écrasent les uns sur les autres, entassés sous le ciment du loin et de la pensée belle." Il faut entrer et ne pas fermer les yeux. "A chaque seconde. A chaque mouvement de cil. Une autre mort encore. Tout à l'heure. Le sida. La malarie. La famine. La désespérence...mes murs l'obscènité. Vous passez dans ma maison. Vous êtes mon invité. Vous êtes le bienvenu. Vous ne pleurez pas".

Mais Jean-Luc, c'est aussi la douceur, l'innocence : "Douceur est l'enfant. Que douceur. Rien que douceur. Douceur", "J'ai enfanté l'innocence et ne m'en suis pas relevé...l'enfant et ne m'en suis pas relevé."

C'est tout l'amour de son île "l'île caillou", des douleurs qu'endure sa bien-aimée, ses rêves d'enfant, qu'il nous livre sans honte avec toute la violence d'une langue épurée. Pour qu'on voit, pour qu'on sache.

Se laisser emporter n'est pas sans risque mais l'indifférence n'est pas de mise et le chant est si beau.
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