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Critiques de Albert Camus (2743)
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L'étranger

Je me rends compte que je n'ai jamais fait de fiche de lecture sur ce livre, voilà qui va être réparé ! C'est en classe de Première que j'ai lu ce livre pour la première fois car il était dans ma liste du bac (quel est le sagouin qui a dit que ça remontait aux calendes grecques ?). Sur le coup, avec ce fameux "Aujourd'hui maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas", je me suis dit que la lecture allait être difficile... Bien évidemment, je n'avais pas compris sur le moment toute la finesse de cette phrase et je pensais que le sieur Camus s'adonnait à la boisson.



Trêve de plaisanterie, ce roman met en oeuvre l'absurde, celui de la condition humaine. Le personnage, sorte d'anti-héros, prénommé Meursault, est étranger au monde qui l'entoure. Et quiconque ne rentre pas dans le moule se verra rejeté, exclu et pénalisé par la peine ultime, la mort. Voilà qui pourrait résumer un peu l'idée, bien que cela reste complexe.



Ce qui fait tout le succès de ce roman, c'est d'abord ce personnage qui est également le narrateur. Souvent, le lecteur a de l’empathie lorsqu'un récit est à la première personne. L'autre facette du succès, c'est que ce roman parait simple. Il raconte une histoire somme toute banale, celle d'un homme qui vient à l'enterrement de sa mère, qui tombe amoureux de Marie et dont le voisin de palier a des problèmes avec une de ses maîtresses. Ce voisin, Raymond, invite Marie et Meursault dans un cabanon appartenant à l'un de ses amis, sur la plage. Le groupe croise alors des jeunes gens parmi lesquels figurent des frères de la maîtresse bafouée. Bien évidemment, une bagarre s'ensuit, dans laquelle Raymond est blessé. Un peu plus tard, alors qu'il se baladait sur la plage, Meursault rencontre à nouveau l'un des protagonistes de la bagarre. Aveuglé par le soleil, n'ayant plus, dès lors, tous ses sens, le narrateur prend le revolver qui se trouvait dans sa poche et tire à l'aveugle, tuant le jeune. Voilà qui pourrait figurer dans les faits divers... Oui mais Meursault ne s'arrête pas là. Une balle aurait pu, à la limite passer pour un accident... mais certainement pas les quatre autres qui ont suivi ! Et que dire ensuite du procès ? Meursault ne montrera pas une once de regret face à son geste, tout comme on lui reprochera de ne pas avoir pleuré à la mort de sa mère... Les conventions sont les conventions... mais Meursault y est étranger.



Je lis et je relis ce roman avec plaisir, y découvrant à chaque fois une signification. Sous ses dehors d'une simplicité confondante se cachent en fait une symbolique et une poésie représentatives de Camus.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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L'étranger

Je ne suis pas du sud. Je viens du nord. C'est pourquoi, chaque fois que j'échoue quelques semaines à la latitude de Bordeaux ou un peu en dessous, je suis toujours fascinée par le chant des cigales. Avez-vous déjà essayé de localiser des cigales dans un bois de chênes ? Moi oui. Souvent.



Plus d'une fois j'ai fait chou blanc. On les entend mais on ne les voit jamais. Presque à chaque fois que j'en ai découvert une avec certitude, c'était une fausse. Un restant de tégument creux, une image, rien qu'une mue oubliée sur une écorce. J'ai lu L'Étranger une fois. Il y a longtemps. Plus de dix ans je crois, peut-être quinze, je ne sais plus, cela n'a pas d'importance. Je n'ai pas aimé. Je n'ai pas aimé parce que j'ai trouvé que ça me faisait penser à une mue de cigale. Un truc creux, désincarné, pas vivant.



Un peu comme une prothèse de jambe. Vous avez déjà touché une prothèse de jambe ? Moi oui, quelquefois. Ça fait tout comme une jambe, ça monte, ça descend, ça plie là où il faut. Quand on met un bon vêtement dessus on ne la voit pas et on ne devine même pas que ce n'est pas une vraie jambe. Par contre, l'été, c'est moins facile. Déjà, avec un short, ça se voit et en plus, comme ça se voit, les gens ont envie de toucher… ou de tourner la tête, c'est selon. Moi j'ai touché. C'est vrai que ça fait comme une jambe sauf qu'en fait c'est froid.



Je crois que ce qui caractérise une jambe, c'est bien moins la fonction que la chaleur. Les jambes d'un paralytique, pas de doute, on sait que ce sont des jambes. Par contre une prothèse fonctionnelle, ce n'est pas une jambe. La différence est là. du moins je crois, mais ce n'est pas grave cela n'a pas d'importance.



Je lisais L'Étranger, donc, il y a bien longtemps de cela et je m'y ennuyais ferme de bout en bout bien que le livre fût court. C'est là que j'ai repensé à la prothèse de jambe. En fait, pour moi, ce livre était comme une mue de cigale ou une prothèse de jambe.



Beaucoup de gens, beaucoup d'entre-vous même m'avaient dit : « Nastasia, tu es une ignare ! Tu ne sais pas ce qui est bien. » Je ne sais pas. Peut-être avaient-ils raison et moi tort ou bien l'inverse. Peu importe cela n'a pas d'importance.



Alors, une lectrice me conseilla la version audio du livre, lue par Albert Camus lui-même. Je me suis alors dit que ça n'engageait pas à grand-chose, que c'était toujours bien d'entendre parler les morts, surtout quand ils sont aussi des auteurs réputés et que, peut-être, ma vision du livre allait changer par l'audition (si vous me pardonnez cette pirouette).



J'ai donc écouté le livre comme on dévore un paquet de pop-corn. Après j'ai ressenti une petite faim. « Je me suis fait cuire des oeufs et je les ai mangés à même le plat, sans pain parce que je n'en avais plus et que je ne voulais pas descendre pour en acheter. Après le déjeuner, je me suis ennuyé un peu et j'ai erré dans l'appartement. Je me suis aussi lavé les mains et, pour finir, je me suis mis au balcon. »



Vous vous demandez peut-être pourquoi j'ai mis des guillemets à ces trois dernières phrases ? Parce qu'elles ne sont pas de moi. Elles proviennent tout droit du livre. du moins je crois, je ne sais plus, cela n'a pas d'importance.



(Ouf ! Je respire, j'arrête cet exercice de désincarnation totale et absolue.)

Je trouve qu'elles sont un puissant reflet de la GRRAAANNNDDDEEE flamboyance de style de Camus dans ce roman, tout au moins, dans la première partie. Non mais franchement, vous voyez comme c'est chiant ce style ! À peu de chose près, on dirait une rédaction de mes élèves de CM1 les moins imaginatifs. C'est tout juste s'il ne nous dit pas qu'il est allé aux toilettes, qu'il a péniblement démoulé sa terrine et que pour se torcher il n'a utilisé que trois feuilles parce que le rouleau était fini.



C'est vrai, je ne vous cache pas qu'à cette deuxième lecture, j'ai toujours autant de mal que la première fois à trouver cela génial. Peut-être, même est-ce pire, dans le fond, car la première fois je n'avais pas du tout aimé, j'étais déçue. Aujourd'hui, c'est de l'indifférence que je ressens. Indifférence totale.



Il n'y a rien de pire quand, comme moi, on aime que ça palpite au creux des pages, que cela frétille entre les paragraphes et que cela flamboie, qu'on en prenne plein les mirettes à force de voir des phrases sculptées avec goût et délicatesse, avec force et lyrisme, au besoin, avec grandiloquence et verve. Ici, plouf ! rien, une mue de cigale, je vous dis.



Pourquoi est-ce que je déteste autant ce non style ? Selon moi, les ornements, c'est la vie ! Quelle est la première chose que l'on fait quand on prend possession d'un nouvel appartement, d'une nouvelle chambre ou d'un nouveau logement en général ? On y met sa petite touche à soi, ce petit tableau, cette petite déco, cette petite chose futile mais qui est précieuse, car elle est le témoin de la vie qui l'a fait naître.



Pour moi, le dépouillement, le dénuement stylistique, c'est la mort et rien que la mort. Or, personnellement, j'attends d'un auteur qu'il insuffle la vie dans ses personnages. La mort se charge bien assez elle-même de nous rappeler qu'elle existe. Voilà mon désamour pour le non style, pour l'absence d'ornementation.



Je note tout de même une réelle différence d'intérêt entre la première et la deuxième partie. Je trouve la première soporifique et ennuyeuse à souhait, totalement descriptive et désincarnée où le narrateur relate les faits comme il lirait le mode d'emploi d'une yaourtière.



La seconde partie m'a semblé plus intéressante car le fait d'être " extérieur à sa propre vie " est plus crédible dans le cas d'une mise en examen et d'un procès. Les événements se succédant sans qu'on ait de prise sur aucun d'eux, la machine judiciaire avançant, presque indépendamment des accusés eux-mêmes.



Donc, voilà, Albert Camus souhaite nous parler de la justice des hommes, de la faculté de juger, de la peine de mort et, pour ce faire, il veut inscrire son roman dans la ligne du courant de conscience.



La gageure consiste à nous faire ressentir, à développer de l'empathie, précisément vis-à-vis de quelqu'un qui ne ressent pas grand-chose d'un point de vue émotionnel et qui est presque au degré zéro de l'empathie. Ses réactions sont bizarres, dissonantes, inattendues par rapport à celles du commun des hommes.



Ce n'est pourtant pas un malade mental au sens où on l'entend généralement. C'est juste une personne très fortement insensible émotionnellement. Mais là où je trouve que cela sonne toujours un peu faux, ce courant de conscience, c'est que je me dis : « Qu'est-ce qu'il en sait, lui, Albert Camus, ce qu'éprouverait un homme totalement insensible, car lui justement est doué d'une sensibilité à fleur de peau, donc, il nous parle de ce qu'il ne connaît pas, ce n'est qu'une magouille formelle où il essaie de nous embarquer. »



J'en veux pour preuve le fameux « Aujourd'hui, maman est morte. » qui, comme magouille formelle se pose là, puisque d'un simple point de vue du respect de la narration et des temps verbaux, il aurait dû écrire « C'était le jour où maman était morte. » ou bien « C'était le jour où maman mourut. » mais comme la formule était moins percutante, l'écrivain a choisi cette pirouette marquante mais qui ne se justifie en rien au vu du reste de la narration car seuls les deux premiers paragraphes sont à ce temps. Preuve qu'il avait besoin de ce temps verbal pour créer un impact initial et c'est tout. Ce présent est un artifice, peut-être comme tout le reste, d'ailleurs.



L'auteur essaie de nous faire toucher du doigt l'impossibilité d'émettre un jugement selon nos critères à nous face à une personne pour lesquels les critères sont différents. Ce livre va évidemment à l'encontre de la peine de mort, et même, de façon plus vaste, s'oppose au jugement des actes et des attitudes par des tiers comme, par exemple, dès la première scène de veillée funèbre où les pensionnaires « jugent » le fils de la défunte.



À ce propos, on peut lire aussi, très succinctement, mais tout de même, une réflexion sur le thème de la vieillesse, des personnes âgées délaissées et auxquelles on refuse de s'identifier.



En résumé, mon sentiment est que, dans la première partie, Camus bâtit un cas limite, absolument pas naturel, même en psychiatrie. J'en veux pour preuve le soin qu'il prend avec un tas de petites magouilles formelles pour rendre le discours de Meursault totalement déshumanisé, jusqu'à la caricature.



L'objectif de Camus est sans doute sa deuxième partie, c'est-à-dire de montrer que face à un individu hors norme, le système se montre incapable de souplesse et brutal, sans compassion aucune, pire même que le sujet qu'il juge.



Ok, mais ça ne me convainc guère. À mon sens, il n'est pas du tout question de réfléchir sur l'humanité ou non de Meursault, Camus s'en contre fiche, ce n'est pas son propos, ce qu'il veut plaider, c'est l'inhumanité du système judiciaire, c'est ça qui me semble être réellement sa cible.



On pourrait encore dire deux ou trois choses à propos de cet ouvrage, mais je persiste et signe, même lu par Albert Camus lui-même, je trouve que ce livre ne casse toujours pas des barres, que ce thème du personnage " handicapé de la sensibilité " a été abordé ailleurs et avec franchement plus de brio, par exemple — s'il faut choisir un exemple — par John Steinbeck dans le personnage de Kate d'À L'Est D'Éden.



Il est vrai que je suis toujours très frileuse et souvent même assez réticente avec cette technique littéraire du courant de conscience et qu'à chaque fois que je l'ai rencontrée, je n'ai pas trop adhéré. Je reste donc globalement assez d'accord avec l'avis ancien (peut-être avec un léger mieux car je ne m'attendais à rien de très bon et que je n'ai donc pas eu à subir la première déception) que j'avais à propos de ce roman et que j'avais exprimé à l'époque comme ceci :



Ce livre est considéré par beaucoup comme un chef-d'oeuvre. Ceux qui prétendent le contraire se font régulièrement huer. J'ai donc décidé, envers et contre tous, de prétendre le contraire (car j'ai bien écouté les conseils de Monsieur Corneille, mais, bien loin d'être une nouvelle Rodrigue, je sais qu'il n'y aura pour moi ni victoire ni triomphe ni gloire, tout au plus, peut-être, une once de péril.)



Je ne peux pas dire que ce livre soit sans intérêt, mais cela signifie-t-il chef-d'oeuvre pour autant ? cela signifie-t-il monument de la littérature française pour autant ? Là, permettez-moi de m'interroger. Sans être du calibre d'un vrai bouquin qui questionne du genre L'homme sans qualités de Musil (peut-être faut-il un peu remettre Camus à sa place ?), l'ouvrage a le mérite de soulever, cahin-caha, deux ou trois questions qu'il peut être intéressant de méditer ou de rediscuter autour d'un verre entre amis, d'où mes deux étoiles et non une seule.



Cependant, lors de cette lecture, j'ai passé mon temps à attendre que quelque chose décolle, et rien n'a jamais décollé. Je fus donc horriblement déçue par ce livre vis-à-vis duquel, aux dires des critiques, j'avais nourri de nombreux et fructueux espoirs. le style, ou plutôt l'absence de style (je sais, c'est ça le « génie », faire comme si on n'avait pas de style alors qu'on en est pétri et qu'on en a plein ses poches, OK je veux bien, si vous le dites, mais je n'en crois rien) de cet écrit en font une oeuvre aride qui pourra apparaître à certains (j'en fais partie) comme insipide, voire vaine.



Ceux qui veulent trouver des qualités à ce livre en trouveront. Selon mon fort misérable avis, c'était une espèce de curiosité, un objet peu esthétique comme ces machins dont on ne sait pas trop quoi faire et qu'on n'ose pas non plus jeter car ce sont des soi-disant oeuvres d'art et donc qu'on pose dans un recoin peu éclairé, faute de mieux. Bref, j'en étais conduite à me demander « Imposture ou chef-d'oeuvre? that is the question ».



À ce stade, me direz-vous, de deux choses l'une : soit je suis passée totalement à côté de ce livre, ce qui n'est pas impossible, soit ce livre n'est pas aussi fantastique qu'on veut bien le prétendre, ce qui n'est pas impossible non plus. Cependant, étant d'un naturel réfractaire à toute forme de manichéisme, de dichotomie ou d'avis bêtement tranchés et inconciliables, je pense qu'il existe une troisième voie : celle du chemin.



Sur le chemin qui conduit un lecteur à une oeuvre, il peut y avoir mille embûches, détours ou passages infranchissables qui font que l'oeuvre demeurera inaccessible ou qu'au contraire, au prix d'un effort (qui peut être de différents ordres) le lecteur pourra s'avancer sur le chemin, jusqu'à atteindre l'oeuvre.



J'ai honnêtement essayé de m'avancer sur ce chemin, mais c'était trop loin de moi, trop « étranger » si j'ose écrire, et je ne pense pas jamais atteindre l'orée de ce qui pourrait m'en rapprocher. Alors, je vous regarderai de l'autre rive monsieur Camus, sans bien comprendre tout ce remue-ménage autour de vous, et m'en retournerai toute penaude sur mon chemin, si étranger au vôtre.



Une fois de plus, (et plus que jamais), ceci n'est que mon avis, un parmi quelques milliards d'autres, autant dire, pas grand-chose.
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L'étranger

Lorsque les Editions Gallimard publient “L’étranger” en 1942, Albert Camus n’a pas encore trente ans. La critique de l’époque accueille ce court roman, le premier de la tétralogie “Le cycle de l’absurde”, sans enthousiasme et pourtant soixante-dix ans plus tard cette œuvre de jeunesse est de loin la plus connue du Nobel de littérature.



Le narrateur, Meursault, habite Alger qui en cette première moitié du 20e siècle est encore la préfecture éponyme d’un département français. Insensible au monde qui l’entoure, ce pied-noir sans histoire a une personnalité des plus atypiques. Les événements du quotidien, les choses de la vie ne l’atteignent pas vraiment et semblent glisser sur lui comme les gouttes de pluie sur les plumes d’un oiseau.

Stoïque lors des obsèques de sa maman dont il refuse de voir le corps, conciliant avec ses deux voisins de palier aux comportements primaires, prêt à se marier avec sa petite amie Marie alors qu’il ne l’aime pas vraiment, Meursault prend la vie comme elle vient. Tout lui est égal et rien n’a vraiment d’importance.



Le jour où sur une plage écrasée de soleil Meursault abat à bout portant un jeune arabe au couteau menaçant, “L’étranger” plonge soudain dans les sables mouvants de l’absurdité.



L'irrationalité d’un comportement a toujours le don d’exacerber le ressentiment, d’articuler avec force le bras vengeur de la société ; et la justice aux grandes œillères de s’engouffrer dans la brèche, de se mettre au diapason de cette absurdité.

Imperturbable au fond de sa cellule Meursault reste fidèle à lui-même : le remord ne fait pas partie de ses états d’âme. Le verdict de cette pseudo-justice il s’en accommode et arrive même à apprécier l’indifférence du monde à son égard.



On ne sort pas indemne d’un roman tel que celui-ci dans lequel la bêtise semble la chose la mieux partagée. Trente ans après une première lecture, je le referme aujourd’hui encore avec un sentiment de révolte vis à vis d'un monde qui trop souvent par manque de volonté ou de vigilance se laisse aller à la facilité, tombe dans la médiocrité.



Ce roman d’Albert Camus au titre si justement choisi fait partie de ces œuvres intemporelles dont le message humaniste impacte durablement l’inconscient collectif.

Lire “L’étranger” c’est faire un pas en direction de l’Autre et c’est déjà beaucoup !



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La Peste

Avril 194.., la peste s’installe en Algérie dans la ville d’Oran, chaque jour des cas mortels se multiplient. Pourtant la préfecture tarde à faire la déclaration de « l’état de la peste » car elle ne veut pas inquiéter l’opinion publique. Mais au bout de quelques semaines, face à l’urgence le préfet ordonne de fermer les portes de la ville.

Oran est isolée, séparée et coupée du reste du monde, les habitants deviennent « les prisonniers de la peste », la ville ressemble à une condamnée à mort.

L’épidémie progresse... La peste frappe partout et garde la ville repliée sous elle. Elle devient une « affaire collective » et même ceux qui ne portent pas « cette cochonnerie de maladie » la porte dans leur cœur.

La peste ouvre les yeux des habitants et force à penser et à réagir. Chaque individu choisit son camp et adopte une attitude propre à lui-même.

Albert Camus illustre son récit avec des personnages principaux comme Rieux le docteur, Cottard le trafiquant, Grand l’employé de mairie, Paneloux le prêtre, Tarrou le chroniqueur, Rambert le journaliste etc... Chacun de ces protagonistes incarne une morale différente face au fléau et même si ces hommes sont en désaccord sur différents plans, ils s’avèrent des « hommes de bonne volonté » qui agissent pour vaincre ensemble la peste.



Camus fait un rapprochement (sans le citer) de la peste à la guerre et la montée du nazisme, et la lutte des hommes face au fléau représente la résistance.

Les hommes occupent une place prépondérante dans son livre, comme si la peste ne concernait que les hommes. Par conséquent on peut en déduire que les conflits ne sont qu’une histoire d’hommes ! La femme a une place au second rang, effacée, elle n’apparaît de temps à autre comme une douceur, un réconfort voire juste un soutien pour l’homme et non un être pensant.



Dans son œuvre, l’auteur dépeint une communauté qui partage la même lutte, il démontre que les effets du fléau sur l’homme peuvent changer des mentalités, des sentiments et une vision du monde. Il démontre surtout qu’on est tous égaux devant la mort.



Une œuvre de grande qualité, certains passages sont d’un réalisme terrifiant, la progression et les ravages de la peste sont décrits dans les moindres détails.

La scène de l’agonie de l’enfant est un des passages les plus douloureux car nous assistons, impuissants, à sa souffrance et inévitablement à sa mort.

L’enfant représente le symbole de l’innocence et pour le coup Camus frappe là où ça fait mal !

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L'étranger

Albert Camus - L'étranger - 1942 : Quelqu’un s’est-il déjà dit que ce livre ressemble à l’ébauche d’un vrai roman un peu comme les pastels de Degas semblent préfigurer la réalisation d’un plus grand tableau. L’histoire est squelettique et son résumé tient en une phrase. Un individu sans but, extérieur a sa propre vie assassine un ressortissant arabe sans vraiment le vouloir et sans le regretter non plus. Pourtant ce court texte sorti en 1942 est considéré comme un des chef d’œuvre de la littérature mondiale. Dépouillé à l’extrême, il raconte la vie d’un homme insensible et désabusé considérant que son existence même ne le concerne pas y compris dans les épisodes les plus dramatiques qu’il traverse (la mort de sa mère, l’assassinat de l'homme, sa condamnation à mort). Cette absence de sentiments et de ressorts dramatiques contrebalancée par une écriture simple mais puissante rend ce livre fascinant bien des années après sa sortie. On peut se demander rétrospectivement si «l’étranger» n’est pas la plus grande escroquerie littéraire du 20ème siècle. En effet toute personne ayant un tant soit peu d’ambition plumitive chercherai à étoffer son propos autrement qu’en expliquant qu’elle a mangé des œufs le midi ou qu'elle s’est lavée les mains en guise d’ablutions pour le reste de la journée. Oui mais tout le monde n’est pas Albert Camus, et lorsqu’on dit que le plus compliqué dans la vie est de faire simple, on parle sans doute de ce grand écrivain et de son livre le plus célèbre. Un autre avantage lié à «l’étranger» tient dans sa brièveté. Voilà un livre qu’on peut relire souvent. Lors d’un voyage en train par exemple, disons Bordeaux / Paris, l’allé retour sera suffisant pour en venir à bout. Essayez avec «Belle du Seigneur», le tour du monde ne suffira pas à égrainer ces phrases ampoulées qui font encore grimper aux rideaux de manière incompréhensible les femmes installées et les jeunes béotiennes avides de contes de fée. Cette comparaison à la Meursault (l’indigent qui sert de héros à cette histoire) n’est pas vaine car les deux livres sont vraiment la thèse et l’antithèse d’une littérature qui se voulait à une époque exagérément froide et sans lyrisme où totalement mièvre et démonstrative. On parle aussi de révolte quand on évoque cette œuvre, mais une révolte contre quoi ? on est plutôt là dans l’affichage d’un nihilisme et d’un état dépressif qui mèneront un homme au suicide physique et social. On ne sait quelles raisons ont poussé Camus à déshabiller ainsi son écriture et sans doute aussi son âme mais «l’étranger» restera toujours pour nous les petits humains perdus dans nos questionnements existentiels un phare à la lumière délavée ou un brasier sans flammes alimenter par l’ennui qui traverse la plupart de nos misérables vies… une pierre angulaire de l'histoire de l'écriture
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La Peste

La Peste ne parlerait que de la peste ? Ce serait éluder un peu trop rapidement le talent d’Albert Camus. Ses livres sont des strates qui entrecroisent plusieurs récits à plusieurs niveaux, tous étant essentiels les uns aux autres.





La trame de l’histoire est simple et respecte la thématique annoncée. Dans les années 1940, la peste se déclare à Oran et force ses habitants à une mise en quarantaine qui déchaîne d’abord des réactions passionnées, avant de céder place à une indifférence de plus en plus tenace à mesure que la période de réclusion se prolonge. La peste semble alors ne jamais devoir finir et les habitants se résignent à ne plus revoir ceux dont ils sont coupés et –c’est peut-être le plus difficile- à devenir des personnages anhistoriques. Pourtant, autour d’eux, la peste continue à faire des ravages et ne laisse jamais deviner l’identité de ses futures victimes.





Le récit, pris en charge par un narrateur d’abord mystérieux, se concentre sur le personnage du docteur Rieux. Technique, ne laissant jamais transparaître ses émotions et effaçant toujours son individualité en face des vagues que provoque l’ensemble de ses congénères, ce personnage est d’autant plus crédible qu’Albert Camus semble s’être directement inspiré de sa propre personnalité avant de l’intégrer à son récit. Le docteur Rieux impose une distance qui convient aux évènements. En temps de peste, il s’agit de prendre son rôle au sérieux, de tout faire pour guérir les malades et pour soulager les familles, sans jamais s’impliquer au point de détruire sa propre santé ou de sacrifier son équilibre mental aux passions de l’affection. Pourtant, derrière ce professionnalisme intransigeant qui nous permettra de connaître la progression de la maladie jour après jour –ses lois absurdes, son imprévisibilité de la gratuité de ses engouements à ses rémissions inespérées-, une menace plus grande que celle de la peste se profile.





Si la plupart des habitants d’Oran se méfient les uns des autres et doivent être mis en quarantaine dans leur propre foyer à chaque fois qu’un proche se révèle atteint de la maladie, le docteur Rieux ne peut pas se permettre la prudence. Du premier jusqu’au dernier jour de l’épidémie –si tant est que le dernier jour existe vraiment-, sa profession lui aura permis de mieux connaître les hommes. Les malades, en général, mais aussi le père Paneloux et sa théorie du fléau divin, Raymond Rambert et ses désirs d’évasion, Joseph Grand et son intérêt monomaniaque pour la grammaire ou encore Mme Rieux, mère du docteur et double de la propre mère d’Albert Camus. Mais le docteur ne se laisse jamais abuser par les états d’âme de chacun et c’est toujours en sa qualité de technicien physiologiste qu’il décrit le comportement de ses semblables et de lui-même. Il nous arrache ainsi brutalement à nos croyances d’une identité propre à chacun. Nous sommes tous les mêmes, régis par des lois internes que nous ne maîtrisons pas mais qui nous incitent à trouver la meilleure ruse pour prolonger notre existence par-delà les fléaux. Le docteur Rieux, froidement attendri par les effusions sentimentales qui demeurent toutefois en dépit des situations désespérées, ne place pas le salut dans ces considérations sans âme. Si le détachement lui semble salvateur, il ne fait que prolonger une existence sans saveur.





« Il était juste que, de temps en temps au moins, la joie vînt récompenser ceux qui se suffisent de l’homme et de son pauvre et terrible amour. »





C’est d’ailleurs là où souhaite en venir Albert Camus. Que la peste soit terrible parce qu’elle constitue un mal invisible qui touche indifféremment toutes les catégories de population, nous le savons tous et nous pouvons même l’accepter dans une certaine mesure. En revanche, le docteur Rieux ne semble pas pouvoir accepter le climat d’indifférence qui s’installe peu à peu dans la ville recluse d’Oran. La peste devient le symbole d’un autre fléau qui touche les âmes et ce mal porte le nom d’indifférence.





« Nos concitoyens s’étaient mis au pas, ils s’étaient adaptés, comme on dit, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Ils avaient encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance, mais ils n’en ressentaient plus la pointe. Du reste, le docteur Rieux, par exemple, considérait que c'était cela le malheur, justement, et que l'habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même. »





L’écrivain de l’absurde ne délaisse jamais sa volonté –absurde elle aussi- de décrire ce sentiment de détachement qui fait percevoir la vie à la manière d’un plateau de jeu régi par des lois guindées qu’on ne respecte plus que par habitude, avec une acceptation du corps mais sans l’approbation de l’âme. Le désenchantement d’une ville se laisse à voir à travers le récit du docteur Rieux. Des décennies plus tard, cette peste mentale semble s’être propagée et avoir contaminé une plus grande partie du monde. Albert Camus ne décrit-il pas le sentiment général d’une société industrielle qui fonctionne parfaitement en apparence –ainsi que les rescapés de la maladie- mais qui est privée de toute âme, et qui ne sait plus vers où se diriger ?





« La peste avait supprimé les jugements de valeur. Et cela se voyait à la façon dont personne ne s’occupait plus de la qualité des vêtements ou des aliments qu’on achetait. On acceptait tout en bloc. »





La peste nous emporte dans son sillage beaucoup plus loin que prévu. Même lorsqu’elle se résorbe, elle n’empêche pas de laisser des séquelles dans les âmes qui ont connu le néant. Il s’agit ensuite de retrouver son humanité, à la manière d’Albert Camus qui se bat à chaque page pour ne pas laisser l’indifférence reprendre le dessus sur la gratuité superbe de la vie.
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La Chute

Eh beh ! Quelle claque ! Il est des textes qu’il faut relire des décennies plus tard, cela fait un bien fou. En tout cas moi cela m’a fait du bien. Ça repositionne les choses, les relativise, et ce, avec d’autant plus de majesté qu’en trente années, j’ai le recul, l’expérience et une connaissance de moi plus complète. Il a bien fallu les gravir les montagnes, mais à quel prix. La chute ! Je sais comment j’ai agi et pourquoi. C’est ainsi que cette lecture est totalement différente aujourd’hui. J’ai beaucoup plus de points de comparaison pour sentir l’ironie de Camus et en prendre pour mon grade. A seize ans, que sait-on de soi-même... Mes maigres certitudes actuelles qui finalement n’en sont pas. Et ma générosité qui n’est en fait que l’amour de moi pour moi. J’ai tout aimé dans ce texte, tout. Le narrateur discourt avec un personnage que l’on n’entend jamais autrement que par les questions ou réponses que reprend le narrateur, ce fameux juge-pénitent. La plume est vive et féroce. Rien ni personne n’est oublié, Camus est imparable et son regard perçant. Un très grand texte pour moi.
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L'étranger

Ah l'Etranger... jamais de ma vie je n'aurait pensé ouvrir un ouvrage de Camus, loin de moi l'idée d'avoir un a-priori sur l'auteur mais tout simplement parce que je n'y ai jamais pensé. Dieu merci j'ai récemment réparé cette erreur en maudissant par moment mon manque de curiosité car je suis obligée d'avouer, comme une grande majorité des amis lecteurs du site : Camus, c'est d'la balle!



Et pourtant, en démarrant le lecture du roman je me suis demandé dans quoi j'allais mettre les pieds. En lisant le démarrage emblématique du roman "Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas", j'ai eu un sursaut d'angoisse en me disant : "Oh non, c'est sur, celui-là, il va pas me plaire!". Qu'est-ce qui m'a poussé à persévérer? Je n'en sais absolument rien! Mais je dois dire que plus j'avançait dans ma lecture et plus je m'attachait à Mersault, ce héros atypique, cet étranger montré du doigt par tous.

Pour faire court, Mersault, il a plus ou moins la capacité émotionnelle d'un mollusque, c'est le genre de brave type qui ne se prend pas la tête, qui prend un peu la vie comme elle vient mais quand un jour il pète un plomb et abat un arabe, là c'est le drame et accessoirement la descente aux enfers sur le plan social. Je n'en dirait pas plus car je ne veux pas priver de plaisir ceux qui n'ont pas encore ouvert l'Etranger. En tout cas pour moi, ce bouquin m'a laissée sur le cul, si j'avais pu m'attendre à ça...

C'est vrai, L'Etranger est le roman de l'absurde mais je pense que c'est plus profond que ça. Attention, je ne me vante pas d'être une experte de Camus, c'est juste que le déroulement de l'histoire m'a bien remué les tripes. Pourquoi s'acharner comme ça sur un homme? Car au-delà de son crime, c'est avant tout sa froideur apparente, sa personnalité, sa différence qui ont été mises à l'index. Est-ce que les personnes qui l'ont condamné ne sont pas plus condamnables? Ne faites pas attention, je suis une révoltée chronique quand il s'agit d'humanité et ces deux questions que j'ai évoquées plus haut me trottent encore dans la tête, bien que j'ai achevé ce roman il y a plus de deux semaines. Je pense que ce sont ces interrogations, ce sentiment d'impuissance vis-à-vis du héros, qui donnent à cet ouvrage le statut de chef-d'oeuvre. Pourtant le style est simple, direct, avec des phrases courtes qui vont droit au but mais ça m'a plu, au-delà de mes espérances même alors je vais continuer l'aventure Camus avec La Peste qui me fait de l'oeil dans ma PAL. L'Etranger a été un belle découverte, je ne regrette pas de l'avoir lu, si vous ne l'avez pas encore eu entre les mains, n'hésitez pas à l'ouvrir car il ne vous laissera pas indifférents.
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Le Premier Homme

Le manuscrit du Premier Homme a été retrouvé dans la sacoche de Camus au moment de sa mort. C'est une épreuve originelle d'une très grande qualité et qui permet au lecteur de savourer pleinement l'écriture d'Albert Camus. Elle porte en elle les germes de son oeuvre. Elle permet au lecteur qui ne pouvait apprécier "La peste ou l'Etranger" (comme moi) d'entrer en contact avec sa personnalité. J'ai lu ce roman comme un message d'adieu, comme si l'auteur avait eu besoin de jeter un éclairage sur son oeuvre. C'est très beau, très émouvant. Les mots qui reviennent sont "ignorance, misère, mémoire, racines, révolte, amour, droiture" et pourtant, à lire cette oeuvre autobiographique, sa jeunesse a été heureuse dans un milieu de grande pauvreté et de dur labeur. De cette difficile réalité et de sa soif de vivre, il a su en faire un prix Nobel, sa révolte a été pour lui un moteur. Ce roman démarre avec Jacques Cormery, 40 ans, le narrateur, qui rend visite à un vieil ami ayant pris sa retraite à Saint-Brieuc. L'occasion lui permet de se rendre sur la tombe de son père qui est mort au combat en 1914 et qu'il n'a pas connu puisqu'il n'avait qu'un an. Pour lui cette visite n'a aucun sens mais elle répond à un souhait de sa mère restée en Algérie. Dans son milieu familial, on ne parle pas du disparu. Il ignore tout de son père et à ce moment là, ce n'est pas un souci pour lui jusqu'à ce qu'il découvre l'inscription inscrite sur la tombe de son père "1885 - 1914". "L'homme qui était enterré sous cette dalle et qui avait été son père était plus jeune que lui au moment de sa mort". Cette prise de conscience est comme un déclic. Jacques va alors comprendre que son père a eu une vie avant lui dont il ignore tout, que cet homme a souffert, aimé, qu'il a été un être de chair et de sang, qu'il a connu bien des vicissitudes. Alors devant la virginité de sa mémoire, il va se mettre en quête. Il va tenter de savoir d'où il vient, qui il est. Remplir ces manques c'est se rattacher à une filiation qui ne lui a pas été transmise entre son dragon de grand-mère et sa douce maman, si soumise, sourde et avec une grave difficulté d'expression d'où l'inexistence de la transmission. D'ailleurs il écrit "La mémoire des pauvres est moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repères dans l'espace puisqu'ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise" C'est ainsi qu'il l'explique. L'écriture de Camus c'est un film qui se déroule sous les yeux du lecteur, c'est assez impressionnant d'entrer ainsi dans l'intimité de l'auteur, c'est une force, une puissance ou une pulsion de vie que sa plume. Le lecteur est avec lui. J'ai beaucoup aimé les passages sur sa mère, sur son oncle Ernest, la partie de chasse, le capteur de chiens, le chien de son oncle, ses aventures avec son ami Pierre, mais surtout, son instituteur, Monsieur Bernard (Mr Germain) dont la dernière lettre est annexée au roman. Un vrai "passeur de lumière" que cet instituteur laïc. Dans ce livre, bien sur, Camus parle de la misère, de ces personnes qui travaillaient durement jusqu'à l'épuisement, qui comptaient sous par sous, qui avaient leur dignité, mais à aucun moment on ne tombe dans un pathos outrancier, non, c'est pittoresque, réjouissant, il y a beaucoup d'amour, de reconnaissance, de bonté sous sa plume.



Je tiens ici à remercier une amie Babeliote, Oran, qui m'a incitée à lire ce livre, sans son conseil, je serais passée à côté d'une oeuvre magistrale!
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Les Justes

J’ai vraiment du mal à m’enthousiasmer pour les écrits d'Albert Camus. Ça me chiffonne toujours un peu car l'homme m'est sympathique, j'admire sa droiture, sa loyauté et même d'une certaine façon son combat mais quand je me prends à le lire directement, il n'émane de moi qu'un morne et peu satisfaisant : « Mmm ouais, sans plus... »



Je ne peux pas dire, par exemple, que cette pièce, Les Justes, soit inintéressante, non, absolument pas. Mais si je veux être honnête avec vous et avec mon ressenti, je ne peux pas dire non plus que je la trouve captivante, ni émouvante, ni motivante, ni toutes ces choses en " vante " qu'on nous vante. Il ne ressort de moi que le triste " décevante " qui souvent m'épouvante quand il vente le soir au crépuscule...



La réflexion centrale de cette pièce est celle de la justification d’un crime pour raison politique. N’est-on pas tout aussi bourreau que le dictateur si notre moyen d’action est le crime ? Peut-on, pour un bien hypothétique et futur, faire présentement un acte vil et pendable ?



Le contexte retenu par Albert Camus et qui s'appuie sur des faits historiques réels (tous les personnages de la pièce ont réellement existé et l'attentat dont il est question fut perpétré le 17 février 1905 contre le grand-duc Serge Alexandrovitch de Russie) est celui de la révolution russe (revendication pour l’installation du communisme en lieu et place d’une autocratie tsariste de type dictatorial) mais il pourrait tout aussi bien s’appliquer à n’importe quelle révolution. Le personnage de Stepan rappelle étrangement notre brave Robespierre, droit dans ses bottes et prêt à tout pour aller jusqu’au bout de l’idée, quitte à être plus dictatorial que le dictateur même.



La question du jugement est également soulevée. De tels fanatiques assassins, espèrent-ils autre chose que la mort ? Est-ce les punir que de les faire mourir ? (Je vous conseille à ce propos Les Sept Pendus de Leonid Andreïev qui répond ou qui prolonge admirablement cette pièce.) À l’époque de l’écriture de la pièce, la peine de mort était encore très largement répandue, même dans les démocraties occidentales qui l’ont depuis, peu à peu, abandonnée.



Ici, la question se pose, et les terroristes révolutionnaires russes de Camus n’ont probablement rien de très différent avec les terroristes kamikazes palestiniens d’aujourd’hui. Ils sont convaincus d’être des justiciers et d’œuvrer pour le bien public en se faisant exploser contre un bus quelconque et en massacrant un maximum d’innocents.



Si l’on renonce à ce levier d’action, quel autre moyen choisir pour qu’il soit efficace et qu’il abrège rapidement la souffrance des peuples ? En ce sens, Albert Camus amène des questionnements intéressants et bien sentis. Par contre, je reste toujours dubitative sur le « style » Camus, qui m’indispose presque, tellement je le trouve plat, morne, sans âme, sans vie, telle une mue de cigale dont le petit corps musicien aurait déserté la scène.



Bref, pas ma tasse de thé stylistiquement parlant, mais comme je l’avais déjà longuement évoqué pour L’Étranger, je vais m’arrêter là car ces menues considérations ne sont que mon avis, pas toujours très juste, c’est-à-dire, bien peu de chose.
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L'étranger

Un roman que j'ai tardé à ouvrir. J'avais été traumatisée, échaudée par une mauvaise approche de Camus lorsque j'étais lycéenne. Mon professeur de seconde, en dessous de tout, ne nous avait pas permis d'aborder ce livre avec détachement. Elle nous avait ôté toute envie de le découvrir, de l'apprécier à sa juste valeur. C'est donc sur la pointe des pieds, avec appréhension que je me suis approchée de "L'étranger". Mais maintenant que le livre est refermé, je ne regrette pas cette belle rencontre. Loin de là! J'ai beaucoup aimé ce livre tant l'écriture, que l'histoire ou la psychologie de Meursault (le héros). Meursault condamné en fait non pas parce qu'il a tué un homme, mais plutôt parce qu'il n'a pas eu une conduite digne lors des obsèques de sa mère. Ce roman pointe du doigt l'insensibilité; c'est la condamnation du manque d'affection, de tendresse, de l'absence de pleurs.

Un très beau texte, sobre, bien écrit, fort, à savourer comme une friandise. Je sors heureuse de cette lecture, réconciliée avec Albert Camus. Prête à lire d'autres ouvrages de cet auteur.
Lien : http://araucaria20six.fr/
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Correspondance (1944-1959) : Albert Camus /..

Maintenant je peux me laisser choir dans la joie de l'été, sans autre forme que l'insouciance. La mort pourra bien venir après, malgré l'urgence de nos vies précaires. Il n'est pas facile d'entrer dans la Correspondance de deux êtres qui brûlent d'amour l'un pour l'autre. Parfois, nous hésitons à entrer dans la lumière des autres, ceux qui s'aiment. Je ne suis pas sûr de savoir bien dire les choses ici, je vais sans doute tâtonner un peu avec mes mots. Voilà, la Correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès m'a donné tout d'abord l'impression d'entrer par effraction dans un rêve réveillé et brutal. Ces lettres incandescentes sont un acte d'amour de près de quinze années. Elles sont tout simplement belles et je me sens presque ridicule en vous le disant.

En lecteur indiscipliné, je n'ai pas pu m'empêcher d'aller à la dernière page. Mais je ne regrette pas. Je ne suis sans doute pas le seul. Nous savons qu'Albert Camus a trouvé tragiquement la mort dans un accident de voiture le 04 janvier 1960. Et la dernière lettre qu'il livre à Maria Casarès date du 30 décembre 1959. Pouvons-nous simplement retenir ce qu'il écrit : « Je t'envoie déjà une cargaison de tendres vœux, et que la vie rejaillisse en toi pendant toute l'année, te donnant le cher visage que j'aime depuis tant d'années (mais je l'aime soucieux aussi, et de toutes les manières). Je plie ton imperméable dans l'enveloppe et j'y joins tous les soleils du coeur » ?

Je me souviens de ce film « Les choses de la vie », avec Romy Schneider et Michel Piccoli. La première scène du film démarre par l'accident qui provoque la mort du personnage incarné par Michel Piccoli. Puis il s'agit d'un long flash-back pour revenir à la source de l'histoire. Voilà, c'est ce que j'ai ressenti en lisant la dernière page de cette Correspondance, puis en revenant aussitôt à la première page et en dépliant les pages suivantes. Le reste est une histoire d'amour désormais livrée à nous-mêmes.

Une fois que je vous aurai dit que j'ai trouvé cette Correspondance passionnée, que dire d'autre ? Ce sont des lettres enflammées. Elles sont au nombre de 865. D'ailleurs, qu'importe le nombre...

Ils se portent l'un dans le souffle et la lumière de l'autre. La lumière est là. Elle est belle. C'est un soleil qui efface le doute et la mélancolie, le renoncement et les défaites possibles.

C'est une correspondance riche et croisée. Albert et Maria se parlent à distance dans leurs lettres, parlent un peu de tout, l'essentiel, l'insignifiant... Se questionnent, parlent encore, n'en finissent pas de parler, de leur vie, de leurs métiers... Ces lettres disent la joie d'aimer mais aussi les trop longues séparations, les jours sans l'autre, l'attente, la folle impatience des corps et des cœurs. Il suffit de balayer les pages pour entendre l'écho de leur voix.

Nous savons qu'Albert Camus a couru toute sa vie après le bonheur absolu. Nous le savons encore plus, après cette lecture.

Entre les pages, c'est parfois aussi lire entre les lignes. Dans la chronologie de ces lettres, il y a des trous, des absences de missives. Cela souvent veut dire que ces amants étaient ensemble à ce moment-là et donc, point besoin de s'écrire. Au fond, cela voudrait-il dire que ces lettres forment l'envers du décor de leur vie ?

L'écriture d'Albert Camus ne m'a pas surpris : solaire, exigeante, humaine. Nous découvrons aussi un homme à la santé fragile, parfois en proie au doute. L'écriture de Maria Casarès m'a étonné : flamboyante, sensuelle, excessive, ne cédant rien dans une forme d'intransigeance parfois cruelle. Elle voue à Albert Camus une fureur amoureuse, presque animale. Et il le lui rend bien.

Souvent, ils leur arrivent d'écrire sur la mort. Ils disent la peur de mourir. Étonnante et magnifique, cette phrase écrite presque criée par Maria Casarès dans une lettre datée du 15 septembre 1949, c'est-à-dire dix ans avant la mort d'Albert Camus : « La seule chose qui me sépare de toi maintenant et qui me pousse à la folie par instants, c'est l'idée qu'un jour la mort vienne nous obliger à vivre l'un sans l'autre. Lorsque cette pensée s'empare de moi avec assez d'acuité pour me faire vivre, par exemple, un matin, avec l'idée que tu n'es plus là et que tu ne seras plus jamais là, toutes mes facultés se brouillent dans un chaos total, je me sens une terrible envie de vomir, et des sons de folie se font entendre partout en moi ». La « faucheuse » viendra, nous le savons, pour l'un des deux de manière prématurée, à cause d'un platane, à cause d'une voiture qui sortit d'un virage, à cause d'un destin idiot qui voulut qu'Albert Camus ayant cependant un billet de train pour revenir du sud de la France pour Paris, accepta l'invitation de Michel Gallimard pour faire le trajet à bord de sa voiture...

Nous savons que la mort viendra et nous déroulons les pages avec des gestes encore insouciants : 1950, 1951, 1952, 1953... Pour l'instant, nous nous contentons de croiser la mort des autres : André Gide, Louis Jouvet, Marcel Herrand... Plus tard viendra celle de Gérard Philippe, leur grand ami, l'année même où s'achève cette correspondance.

Comme un voyage entre les mots, comme un train qui passe dans le paysage, nous visitons les villes qui ont hébergé leurs lettres, sinon leurs amours : Paris forcément, Ermenonville, Angers, Cannes, Cabris, Camaret-sur-Mer, Tipasa, Alger, Oran, Avignon, Moscou, Buenos Aires, Lourmarin enfin...

Le temps file, les pages s’égrènent comme des billes qui tombent d’un sac, elles sont brûlantes, le vent s’engouffre dans les doigts ou bien c’est peut-être le temps qui s’accélère. Décembre 1959, nous voudrions retenir leurs mots encore un peu, avant qu’ils ne s’éparpillent entre la terre et le ciel.
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Le mythe de Sisyphe

Sitôt le personnage de ''L'étranger” abandonné à son triste sort, l'envie de rester un petit moment encore en compagnie d'Albert Camus s'est imposée naturellement.

D'un point de vue chronologique le choix de l'essai ”Le mythe de Sisyphe”, publié également en 1942 dans le cadre de la tétralogie “Le cycle de l'absurde”, semble aller de soi.



“Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide”. Malgré cet incipit quelque peu intransigeant, cet essai ne fait pas l'apologie du suicide, tant s'en faut.

Selon Camus, la passion et la révolte sont les meilleures armes pour combattre l'absurdité de la vie.

Pour échapper au tourment de sa propre finitude, à l'inutilité d'une vie, l'homme doit être habité d'un esprit tourné vers les relations humaines, épris de liberté dans la pleine conscience de ses pouvoirs et de ses limites.

L'homme conquérant doit essayer de constamment tendre vers “l'étonnante grandeur de l'esprit humain”.



Si le ton est parfois un peu péremptoire, le style de Camus n'est pas rébarbatif. Pour étayer ses dires l'écrivain se réfère souvent à d'illustres aînés, les passionnés de philosophie apprécieront.

Mes carences en la matière m'ont sans doute privé de quelques subtilités mais je n'ai pas éprouvé de lassitude à suivre l'auteur dans ses pérégrinations existentielles.



“Le mythe de Sisyphe” constitue une approche intéressante de la pensée camusienne. Le titre est éloquent mais la lecture de cette oeuvre pas le moins du monde éreintante.

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Le mythe de Sisyphe

Lorsqu'une fin d'année approche, que tout et tous autour de vous vous incitent au bilan, pensée on ne peut plus absurde quand on y pense, car, après tout, pourquoi ne pas faire un bilan chaque jour, ou tous les mois, etc... ?, il se produit un phénomène récurrent chez ma petite personne : j'ai besoin de ma dose de Camus, oui, je le confesse, je suis addict, il me faut me replonger dans sa prose, son style, ses idées, pour savoir où j'en suis. Ce peut être au travers d'un roman, d'une pièce de théâtre, d'un essai, et même de sa correspondance ou journaux de voyage, j'ai déjà tout lu, et la seule façon de me donner l'illusion heureuse qu'il continue d'écrire, est de poser un nouveau regard sur un texte que j'ai déjà exploré. Ces jours-ci, j'ai relu "Le mythe de Sisyphe", et ça m'a fait du bien. J'y trouve matière à affronter la vie, que ce soit dans le plus trivial du quotidien comme dans les plus hautes sphères de la réflexion. Cela me remet également les idées en place, me "dépollue" en quelque sorte de l'avalanche d'informations, commentaires, critiques, exégèses que je suis la première à lire via les divers supports médiatiques, pour ne garder que l'essentiel, la substantifique moelle de ce que devrait être notre regard sur le monde, sur notre propre vie : une distance nécessaire, une absence de complaisance non dépourvue d'humanité, et, plus que tout, ce qui, il me semble, irrigue l'oeuvre entière d'Albert Camus : la solidarité. Cela peut paraître simple, voire simpliste, mais si vous réflechissez, si vous êtes de ceux qui essaient de mettre en cohérence vos pensées et vos actes, reconnaissez que ce n'est pas si facile que ça. C'est un voyage intérieur, dont vous êtes seul le héros, mais avec un compagnon comme Camus, les bagages se font plus légers. Alors, oui, je suis peut être droguée à mort, mais, puisqu'il nous faut bien mourir à nous-mêmes, je persiste et signe.

Il y a un peu plus d'un mois, au cours d'un voyage familial en Provence, je me suis rendue à Lourmarin. J'avais un bouquet de fleurs avec moi, que j'ai déposé sur la petite tombe de Camus, cette tombe simple qui lui ressemble, avec cette jolie végétation qui lui sert de protection les jours de grand soleil. Je lui ai dit quelques mots, rien qu'entre lui et moi, ai versé quelques larmes. Et c'était bien.
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L'étranger

L'Étranger de Camus - que je viens d'attraper au hasard dans ma bibliothèque - est un classique du XXe siècle et je ne l'avais jamais lu. Pourquoi ? Je ne sais pas. Tout comme je ne savais pas, voire même rien, de ce que recelait précisément ce chef-d'oeuvre de la littérature contemporaine.

La découverte a donc été pleine et entière. Et, c'est ce que j'aime quand je m'attaque à une oeuvre véritable... n'en rien savoir, ne m'attendre à rien, n'être guidée que par son auteur, n'éprouver que mon propre ressenti sans qu'il n'ait été préalablement orienté par des avis extérieurs.



Dès les premières pages, j'ai été interloquée par ces phrases courtes, saccadées, froides, ne trahissant aucune émotion. Comme c'était bien vu de la part de Camus ! Car, par sa plume, c'est son Meursault qui s'exprime, qui se raconte, qui nous raconte.



Camus s'étant très adroitement effacé, il me laisse donc en tête-à-tête avec Meursault. Et, rien à faire, je ne parviens pas à éprouver la moindre sympathie, empathie, ni même antipathie pour ce gars-là. Il est impénétrable. Il me laisse à l'extérieur. Le mur qu'il a dressé entre lui et moi - et pire encore, entre lui et lui - est infranchissable.

Au fur et à mesure que Meursault raconte, un terme que j'ai appris il y a fort longtemps dans des circonstances particulières, me revient à l'esprit : Alexithymie.

L'alexithymie est une construction de personnalité caractérisée par l'incapacité d'identifier et décrire les émotions en soi. Les individus souffrant de ce dysfonctionnement ont également du mal à distinguer et à apprécier les émotions des autres. Ce qui conduit à une réponse psychologique sans issue et inefficace.



Voila le drame de Meursault. Il est étranger. Étranger à lui-même. Étranger aux autres. Étranger à la vie. Étranger à tout. Il passe et ne fait passer. Il passe à côté de nous, à côté de lui-même. Comme un souffle... ni chaud ni froid, impalpable, inconsistant et sans plus de conscience.



Génialissime Camus !
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L'étranger

« Le soleil, comme la mort, ne se peuvent regarder en face », disait La Rochefoucauld. Il y a un peu des deux dans L’Étranger. Meursault devient un meurtrier à cause du soleil et le récit commence avec la mort de sa mère.



J’ai croisé la route de Camus à l’adolescence et j’ai bien aimé ce roman car, comme dans ceux de Dostoïevski, je trouvais que l’auteur osait aborder des questions existentielles et métaphysiques qui me taraudaient : Dieu, le sens de la vie humaine, la mort, les conventions sociales auxquelles il sied de se plier pour ne pas être rejeté, exclu…



Camus trouvait d'ailleurs que Les Frères Karamazov est un chef-d'œuvre, avis que je partage pleinement, ce fut un coup de cœur littéraire pour moi, et il a adapté au théâtre le roman Les Possédés. Raskolnikov dans Crime et Châtiment aime sa mère et sa sœur, ainsi que Sonia, cet amour l'obligera à faire certains choix, presque malgré lui. Meursault est, pour moi, un Raskolnikov qui ne vit pas cet amour qui change la donne et le comportement.



L’Étranger est un roman assez court qui se lit facilement mais il est très riche. Il est possible de le lire et de le relire des années après, d’en avoir des interprétations différentes, d’y voir ce que l’on veut bien y voir en fonction de sa sensibilité… ou de son insensibilité comme Meursault.



À seize, dix-sept ans, alors que le dossier scolaire de mon édition me parlait de « nature et société, de la justice, de l’absurde, du titre, de la structure, du personnage » etc., je me posais des questions sur le sens de la vie, la mort, Dieu : est-ce qu’il existe ou pas, ou est-ce comme le Papa Noël, une jolie histoire qu’on raconte aux enfants ? Et la mort : à quoi bon construire quelque chose puisque au final tout va disparaître et nous avec ? À moins que…



L’Homme rêve d’immortalité et, maintenant, il se tourne vers le transhumanisme. Alors, plus besoin d’être révolté, comme Meursault à la fin, par la mort et les mensonges que l’aumônier lui raconte sur « l’autre vie » à laquelle il devrait croire. Il devrait la voir derrière les pierres du mur de la prison mais Meursault est un rebelle, un esprit fort, un athée. Non décidément, il ne voit rien. Le prêtre insiste : « C’est ce visage qu’on vous demande de voir. » Meursault ne voit toujours rien et, pour lui, cela n’a aucune importance car peu importent nos croyances, nos convictions, nos Dieux, nos absences de Dieux, nos révoltes, notre indifférence, nos cris de haine le jour de son exécution, nous irons tous au même endroit que lui. Nous sommes tous condamnés à mourir et donc sans doute tous coupables comme lui, sinon pourquoi serions-nous condamnés à mourir ?



Les romans de Camus sont brefs, énigmatiques et source de réflexion. Il n’a pas peur d’aborder des sujets tabous qui sont au cœur de la condition humaine, une condition tragique mais « philosopher, n’est-ce pas apprendre à mourir » ?
Lien : https://laurebarachin.over-b..
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La Chute

"La chute" d'Albert Camus est le monologue d'un individu à bout de souffle dont les phrases se succèdent dans un rythme effréné, se livrant à un interlocuteur attentif. Les confessions d'un homme rongé par la culpabilité de ne pas avoir réagi au suicide d'une jeune femme qui s'est laissée jeter d'un pont.

Cette culpabilité va réveiller sa conscience humaine...

Jean Baptiste Clamence, bourgeois vaniteux et égocentrique, avocat renommé, que ses bonnes actions calculées distinguent, va abandonner sa riche vie parisienne, son travail suite au suicide d'une jeune femme. Il décide alors d'inverser son rôle en se positionnant au banc des accusés afin de se juger sans duplicité.

Il s'exile donc en Hollande, pays rocailleux froid, hostile qu'il décrit comme les portes de l'Enfer.

Clamence veut se repentir de ses péchés, il devient observateur, contemple l'ignominie humaine, mais il souffre, s'enivre et côtoie des endroits mal famés. Il s'attribue un poste de juge pénitent au bar Mexico City où il se confesse à nu publiquement et s'accuse des fautes de l'humanité afin de les renvoyer à ses interlocuteurs espérant qu'eux mêmes prendront conscience de leurs erreurs. Ainsi tel un prophète en pleine rédemption, il s'accorde le droit de juger les hommes (Plus je m'accuse et plus j'ai le droit de vous juger), sa cible la bourgeoisie!

Mais sa culpabilité le poursuit amèrement, la confession et la rédemption ne peuvent pas toujours offrir le pardon...

Dans un ton froid, glacial, écrit avec une grande éloquence Albert Camus nous frappe à coup de mots percutants, critique l'humanité égoïste sans oublier toutefois qu'il est bien conscient d'en faire partie.

"La chute" provoque chez le lecteur un malaise troublant et nous amène à se poser certaines questions existentielles.

A lire ou étudier du moins par curiosité.



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La Peste

Professeur de français, je n'avais pas lu La Peste (ouhhh, sortez-la !) Honteuse de cette faille, je l'ai finalement acheté et tenté de le lire il y a trois ans. Impossible, trop ennuyeux. Mais que m'arrivait-il donc ? Cet été, cela a été mon défi: "tu lis La peste jusqu'au bout où la honte s'abattra sur toi et ta descendance !" Commencé deux jours avant l'attentat de Nice, le propos de La peste s'est subitement illuminé devant mes yeux le 15 juillet: le voilà ce mal qu'on ne veut nommer parce qu'on n'en a pas le courage, parce que le nommer nous obligerait à agir ! le voilà ce mal qui en arrange bien quelques uns, dont d'autres se désintéressent parce qu'ils s'imaginent que ça ne les concernera pas, le voilà ce mal dont certains nient l'évidence ! Quel choc.
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La Peste

Ce livre trônait depuis bien trop longtemps sur ma liste de livre à lire mais je retardais à chaque fois le moment de le lire. Pourquoi ? Ce n'était jamais le bon moment et je peux même dire, une fois l'avoir lu qu'il n'y a jamais de bon moment pour lire un de ces ouvrage où toute la misère humaine y est décrit dans toute sa grandeur.



Oran dans les années '40, de plus en plus de personnes meurent jour après jour mais de quoi ? Je crois qu'il est très difficile de lutter contre un fléau tant qu'on n'y a pas mis un nom dessus car on ignore contre quoi on se bat. Le docteur Rieux, l'un des protagonistes de ce roman, se fera un point d'honneur à appeler les choses par leur nom. Nous font-elles moins peur alors ? Pas forcément mais on peut alors mettre toutes les chances de son côté afin de l'enrayer. Le fléau qui fait rage ici se prénomme Peste. Aussi, Rieux, accompagné de ses amis de fortune, à savoir l'employé de mairie Grand, Cottard, Tarrou et le journaliste Rambert ainsi que de nombreuses autres personnes du corps médical ou volontaires vont-ils lutter de toutes leurs forces afin de vaincre la maladie. Après avoir pris des mesures radicales comme fermer les portes de la ville et empêcher tout envoi de courrier,ou du moins le réduire au strict minimum, tout comme pour les moyens de transport et l'utilisation de l'électricité, les habitants doivent apprendre à vivre en autarcie, coupés du monde. Aussi, en dépit des séparations déchirantes qui eurent lieu dans certaines familles ou entre deux amants, les habitants d'Oran vont voir naître en eux un sentiment nouveau : celui de l’entraide. C'est dans ces moments là que l'on se rend compte que les hommes sont tous égaux. Oui, tous égaux face à la mort et ils doivent donc se liguer contre une telle injustice lorsque celle-ci vient frapper les plus jeunes ou les plus faibles.



Roman que j'ai trouvé rempli d'humanisme et très émouvant. L'écriture de Camus, que je ne connaissais jusqu'alors qu'à travers des extraits, est parfois ambigüe puisque le lecteur n'arrive pas toujours à cerner les sentiments propres de l'auteur mais elle est agréable à lire et poignante de vérité !
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La Chute

« Vous avez entendu parler, naturellement, de ces minuscules poissons des rivières brésiliennes qui s'attaquent par milliers au nageur imprudent, le nettoient, en quelques instants, à petites bouchées rapides, et n'en laissent qu'un squelette immaculé ? Eh bien, c'est ça, leur organisation. « Voulez-vous d'une vie propre ? Comme tout le monde ? » Vous dites oui, naturellement. Comment dire non ? « D'accord. On va vous nettoyer. Voilà un métier, une famille, des loisirs organisés. » Et les petites dents s'attaquent à la chair, jusqu'aux os. »



Jean-Baptiste Clamence s'adresse, depuis un tripot d'Amsterdam, à un interlocuteur anonyme dont les répliques, si elles se laissent parfois deviner, restent hors-champ, renforçant l'impression que Camus, par le truchement du narrateur, s'adresse directement au lecteur. Ce que cet homme au mitan de son existence est devenu, à savoir un homme désabusé qui cache un profond désarroi derrière une ironie mordante, un cynisme roboratif, semble être l'exact opposé de ce qu'il était hier : foncièrement généreux, naïvement altruiste, s'ingéniant à trouver chaque jour mille et une façons d'aider son prochain et de manifester sa compassion, courant littéralement derrière les aveugles pour les aider à traverser la chaussée, se réjouissant qu'une grève des transports lui donnât l'opportunité de charger dans sa voiture des inconnus attendant en vain le bus, etc, etc… Mais là où ses talents d'homme admirable s'exerçaient le mieux, là où véritablement il s'élevait au-dessus de la mêlée, c'était dans son métier d'avocat :

« Etre arrêté, par exemple, dans les couloirs du Palais, par la femme d'un accusé qu'on a défendu pour la seule justice ou pitié, je veux dire gratuitement, entendre cette femme murmurer que rien, non, rien ne pourra reconnaître ce qu'on a fait pour eux, (…) croyez moi, cher monsieur, c'est atteindre plus haut que l'ambitieux vulgaire et se hisser à ce point culminant où la vertu ne se nourrit plus que d'elle-même. »

Ah! Les vertiges de l'illusion ! Qu'il est doux de se croire le meilleur des hommes, qu'il est exaltant de se croire « désigné », élu entre tous parmi la grouillante foule anonyme de ses semblables. Quoi de comparable au fait de « se hisser à ce point culminant où la vertu ne se nourrit plus que d'elle-même »? Quoi de plus merveilleux que de mirer dans les yeux de son prochain l'amour qu'on se porte à soi-même? Même ce libertin de vicomte De Valmont dans Les liaisons dangereuses, qui, s'étant adonné jusqu'alors aux seuls plaisirs du vice, ne voit dans l'exercice de la vertu qu'une chose mortellement ennuyeuse et vaguement repoussante, découvre à son corps défendant que secourir des malheureux peut procurer du plaisir, une véritable jouissance :

« J'avouerai ma faiblesse; mes yeux se sont mouillés de larmes, et j'ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien; et je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n'ont pas tant de mérite qu'on se plaît à nous le dire. »



Emmanuel Kant, dans sa grande prescience, avait également flairé la supercherie, allant jusqu'à imaginer le personnage du misanthrope moral, seul à même de faire le bien d'une façon purement désintéressée, donc morale. La compassion de l'altruiste, dit-il, « mérite des louanges et des encouragements, mais non point de l'estime. »

« Mais non point de l'estime »… Nous y voilà. Jean-Baptiste Clamence croyait, depuis les sommets où son âme admirable l'avait hissé, être estimé de tous, échapper à l'inexorable jugement que les hommes pratiquent entre eux avec la même implacable vigueur que la fornication, jusqu'au jour où… ou plutôt jusqu'à la funeste nuit où il chuta aussi sûrement que ce corps chutant du haut du pont royal dans la Seine. Mais contrairement au corps qui bascule dans l'eau noire au milieu du silence et de l'indifférence, sa chute à lui est intérieure et insidieuse. Tout d'abord invisible à ses propres yeux car les vapeurs de l'illusion sont tenaces, elle se révèle peu à peu par petites touches ricanantes et mortifiantes. L'univers entier se met à rire de lui, de lui, Jean-Baptiste Clamence, ex-surhomme, ex-homme admirable, ex-avocat de la veuve et de l'orphelin désormais « juge pénitent ».

Que s'est-il passé? Peu importe l'événement déclencheur au fond. Il s'est passé que Clamence est frappé d'un mal dont personne ne guérit vraiment tout à fait : la lucidité. Son regard décillé voit enfin clair en lui, mettant au jour sa duplicité profonde. Il a compris au terme d'une douloureuse introspection que sa modestie l' « aidait à briller, l'humilité à vaincre et la vertu à opprimer. »



À ce point du récit, parvenue presque à la fin du monologue Clamence, j'étais tout à fait réjouie. Ah! La belle lucidité, le merveilleux acte de contrition! Puis, le doute commença à s'insinuer en moi. J'avais déjà relevé quelques propos suspects, voire séditieux, comme cette troublante apologie de la servitude découlant de la nécessité de traiter l'homme (tout homme, même le Christ) en coupable. Mais, emportée par le flot de paroles et l'impétuosité du discours, je ne m'y étais pas arrêtée.

Et puis, j'ai compris.

J'ai compris que la convaincante confession que je venais de goûter avec une joie mauvaise et un brin de condescendance n'était pas tant l'acte de contrition d'un homme ayant accédé à la lucidité qu'un implacable réquisitoire contre l'humanité entière. J'ai compris que le portrait sans concession que Clamence dresse de lui n'est autre qu'un miroir qu'il tend à chacun de nous. Et que l'habile bretteur avait encore une fois trouvé le moyen de s'élever au-dessus de la multitude, tirant sa supériorité de celle de savoir ce que les autres ignorent.



« Je règne enfin, mais pour toujours. J'ai encore trouvé un sommet, où je suis seul à grimper et d'où je peux juger tout le monde. »



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