Alexandra Lapierre

Les intellectuels, les érudits et les savants rendront à la jeune illettrée de la via délia Croce bien plus que de multiples services d’ordre pratique. Ils lui feront découvrir un univers auquel elle n'aurait jamais eu accès, ni par son père, ni par son mari : le monde de la connaissance.

Son certificat en poche, elle avait tout de suite trouvé un stage de préposée à l'accueil dans l'une des deux bibliothèques publiques de New-York, la Lenox Library (...)
L'entrée nécessitait un ticket et la salle n'était fréquentée que par de rares érudits. Ce fut là, dans les rayonnages obscurs de la réserve, que Belle feuilleta un manuscrit enluminé pour la première fois. Elle en ignorait l'histoire, elle était même incapable d'en déchiffrer le titre. Mais devant la splendeur des images peintes au Moyen Age, la richesse des couleurs et le raffinement de la calligraphie, elle éprouva cette sorte d'émotion qui change le cours d'une vie. (p. 61)

La voix d'Isabel resta en suspens. Pétronille attendit la suite. Rien ne vint.
Pétronille insista :
Si ?
Isabel hésita :
Si j'aurais dû réagir différemment... Dire autre chose ? Elle soupira. Quoi qu'il en soit, j'avais coupé court à l'hésitation qui le clouait au sol. La possibilité de renoncer au voyage était passée. Le cérémonial du lendemain allait revêtir l'apparence d'un départ en croisade.

Elle était une aristocrate. Elle aurait peut-être pu être une communiste. Elle n'aurait jamais pu être une bourgeoise.

A dater du 31 août 1914, Sankt-Petersburg ne s'appelerait plus Saint-Pétersbourg, mais Petrograd.

...cet homme doué d'une curiosité, d'une intelligence et d'une énergie sans égale, ne savait ni se taire, ni écouter, ni s'arrêter, ni attendre. Et son impatience, doublée de son manque de tact, le perdrait.

Orazio, Artemisia: chacun devait - écraser l'autre de sa superbe. Ils pouvaient tous deux compter sir un adversaire bien armé. Si la piété filiale avait présidé à la folle équipée d'Artémisia, l'amour n'en constituait qu'une facette.

A son grand soulagement, sa rivale devait mourir assassinée par son propre mari, un peintre qui la soupçonna d'adultère avec Stanzione. Anna de Rosa ne passera à la postérité que par le biais de ce fait divers, une tragique affaire de mœurs.

L'affaire de Mantoue, son aventure avec Nicholas Lanier, lui avait appris que les œuvres se déplacent, qu'elles disparaissent au delà des mers.; que les collections se démantèlent, se dispersent et se vendent! Seul les tableaux d'autel et les commandes public demeuraient in situ.

Violée à 17 ans par le plus proche collaborateur de son père, elle eut l'audace de soutenir l'affaire devant les tribunaux. Il en résulta un procès retentissant, plusieurs centaines de pages de témoignages, le premier grand procès pour viol du siècle. c'était en 1612.

A l'heure ou il meurt Artémisia est encore plus célèbre que lui. Elle travaille pour Philippe IV d'Espagne, et pour toutes les têtes couronnées d'Europe. Célèbre, oui. Et belle. Et scandaleuse.

Durant ces heures de tête à tête, qui mieux que le peintre aurait le loisir et le temps de bavarder avec le roi, l'opportunité d'influencer sur sa réflexion, d'infléchir sa décision, peut être?

Qui d'autre que l'artiste aurait ainsi pu approcher un monarque en huis clos, sous couvert de peindre son portrait? Quel ambassadorial, quel agent diplomatique, quel espion jouerait de cette sorte d'intimité quotidienne entre l'artiste et son modèle.

D'une avidité qui n'a connu ni frein ni mesure, rois, ministres et papes se sont révélés des collectionneurs maniaques et sans scrupules. de tout temps l'art a servi de signe extérieur de richesse. Mais, entre les mains des mécènes du XVIIème siècle, les peintres et les sculpteurs sont devenus des monnaie d'échange, instrument de propagande, armes de chantage. L'Italie avec le Bernin, l'Espagne avec Velasquez, La Flandres avec Rubens. Chacun joue des convoitises de son voisin, offre titres et provinces, la guerre ou la paix, contre le prêt de tel ou tel génie. qu'à réussi à s'arracher l'un ou l'autre des potentats.

Il y a un peu de Zola (au Bonheur des Dames, ou encore Nana) et de tous les auteurs de l'époque que "la Mandragore" a rencontré.
En principe, le lecteur doit éprouver une certaine sympathie, à défaut d'une empathie envers le personnage principal.
Là, Céleste est vraiment insupportable, et on a plus envie de l'envoyer se promener que de la plaindre.
Ceci étant, le roman est bien écrit, bien documenté et nous plonge dans l'ambiance du Paris du milieu du XIX ème siècle, celui du Baron Haussmann, des premiers grands magasins, des bals, des artistes mais aussi des différences de classes sociales prémices des révolutions futures.

Vous combinez les genres, vous mélangez les générations. Vous soutenez la jeunesse et, pour elle, vous osez tout. Vous recevez les poètes les plus obscurs, les écrivains et les musiciens les plus novateurs, avec les hommes politiques au pouvoir. Les bohèmes et les aristocrates, les révolutionnaires et les conservateurs : tous ont droit de cité à vos côtés, pourvu qu'ils fréquentent les hautes sphères, celle de la naissance, de l'esprit ou de la beauté.

Ce n'est pas une histoire d'actes (...), ni même de paroles. Mais de ton. Une inflexion qui m'est réservée... La note dans sa voix quand elle s'adresse à sa fille. Une subtile et systématique condescendance. Un petit quelque chose qui condamne, avant même le début de l'échange.

Comment accomplir, maintenant, le chemin en sens inverse ?

L'émotion d'une première expérience ne peut se répéter. Le premier amour, le premier lever de soleil, la première île du Pacifique restent à jamais des souvenirs à part, ils touchent à la virginité des sens, écrit Stevenson.
Avec ses amarres, mon âme s'en fut à des profondeurs d'où nul treuil ne la saurait extraire, nul plongeur la retirer. De ce séjour, quelques-uns de mes compagnons de voyage et moi-même devions demeurer les esclaves des îles du Pacifique.

"J'avais toujours imaginé la race des immigrants comme des Vikings partant à la conquête du Nouveau Monde, poursuivait Stevenson en s'animant. Ceux dont j'ai partagé la misère et la saleté sur le Devonia ne ressemblaient pas exactement à cela... L'alcoolisme n'est pas gai, Fanny, et la pauvreté n'invite pas précisément au dépassement de soi-même...
Elle hocha la tête :
Et, pour l'empêcher de dévier, elle insista :
- Et alors ?
- Et alors... Comparés aux passagers de première, combien plus humains, combien plus dignes, les fuyards, les lâches et les désespérés de la cale... J'ai tendance à penser qu'un homme en vaut un autre, je n'ai jamais été radical en matière sociale. Mais, bon Dieu, quand les belles dames et leurs cavaliers sont venus, nous rendre visite, j'ai été stupéfié du paquet d'insultes que la seule présence de ces gens nous envoyait à la figure ! Avec leur curiosité, leur mépris qu'ils croyaient poli de cacher sous la condescendance d'un sourire, ces riches-là, je les aurais volontiers rossés !