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Critiques de Amos Oz (395)
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Une histoire d'amour et de ténèbres

Quand je me suis lancé dans Une histoire d’amour et de ténèbres, une autobiographie imposante d’environ 850 pages, je craignais de me perdre dans la reconstitution d’une vie bien remplie. Heureusement, ce n’est pas le cas. Amos Oz porte son attention (et celle de ses lecteurs) sur ses premières années, son enfance, son adolescence, un début de vie adulte. Un peu aussi sur ses racines, l’histoire de sa famille, avec des aïeuls tant paternels que maternels provenant de presque tous les coins de l’Europe de l’Est (Russie, Pologne, Lituanie, Galicie, etc.). Les membres de beaucoup de ces familles se sont retrouvés à Tel-Aviv, Haïfa ou Jérusalem au début du siècle dernier. C’est autant leur histoire qu’Oz raconte, et celle de quelques voisins qui deviennent des personnages colorés, chacun avec ses manies qui le rendent si particulier, mémorable. Le premier qui me vient en tête, c’est la grand-mère avec son obsession de la propreté, dont la lutte contre les microbes imaginaires devenait épique, entre autres obligeant son mari à pulvériser au DDT tous les jours les coins de leur minuscule appartement.



Une histoire d’amour et de ténèbres porte bien son titre. Comme tout ouvrage de ce genre, surtout quand on remonte très loin dans les souvenirs, la magie de l’enfance ne tarde pas à faire surface. On y retrouve quelques anecdotes drôles ou attendrissantes, des événements anodins mais qui prennent une tournure extraordinairement dramatique. Le premier qui me vient en tête, c’est quand il s’enferme involontairement dans le réduit d’une boutique et qu’un monsieur arabe réussit à le sortir de là, en pleurs. Le jeune Amos grandit, vieillit, puis, sans crier gare, la narration revient en arrière. Au début, cela m’a agacé, j’avais l’impression de ne pas progresser. Toutefois, je me suis ravisé : ces retours en arrière, bien que nombreux, ne constituaient jamais (il me semble) une redite, on apprenait toujours quelque chose de nouveau qui permettait de jeter un éclairage nouveau sur un ou des personnages, sinon au cours des choses. Si cela a rendu le récit plus compliqué, il l’a aussi rendu plus intéressant que ne l’aurait fait une narration purement linéaire. Du moins, c’est ce que je crois.



Évidemment, raconter l’histoire d’une famille juive, c’est aussi l’occasion de parler des pogroms en Russie au début du siècle dernier, de l’Holocauste, de la création de l’état d’Israël puis de la guerre contre les Arabes, aussi la vie dans les kibboutz. De tels événements marquent obligatoirement l’imaginaire d’un enfant, d’un jeune homme. Toutefois, s’il était présent (surtout pour les deux derniers), Oz n’a pas été directement impliqué. Incidemment, Une histoire d’amour et de ténèbres porte davantage sur des épisodes plus personnels de l’auteur. L’amour, c’est sa famille, son entourage. Les ténèbres aussi, en grande partie. Les passages avec sa mère, surtout ceux qui précèdent son suicide alors que son fils n’a que douze ans, étaient émouvants.



Le dernier aspect qui m’a particulièrement plu dans Une histoire d’amour et de ténèbres, c’est l’aspect littéraire. C’est ce que je scrute le plus dans l’autobiographie d’un écrivain. La famille Klausner n’était pas pauvre, mais pas particulièrement riche non plus. « Des livres, en revanche, on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l’entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore? » (p. 42). C’est l’avantage de grandir dans une famille d’intellectuels et de lettrés. J’aurais aimé vivre dans un tel environnement. Dans tous les cas, cela a influencé le jeune Amos car, après son expérience plus ou moins réussie dans un kibboutz, il se tourne vers les études littéraires et commence à lire les grands auteurs. J’ADORE découvrir les influences des écrivains, c’est souvent l’occasion de renouer avec quelques auteurs ou de découvrir de nouvelles plumes, certaines de leurs œuvres : Jabotinsky, Agnon, Luzzatto, Tourgueniev, Pouchkine, Schiller, Mazzini…



Au final, j’ai aimé beaucoup plus que je ne l’aurais cru cette autobiographie. Pour tout dire, je l’ai adorée. Amos Oz livre un récit intimiste, auquel beaucoup peuvent s’identifier (je fais référence ici au contexte familial, pas à la situation politique), sinon tenter de se projeter. La plume est jolie et accessible, jamais je ne me suis sentie dépassée malgré l’environnement juif-Israélien qui m’est complètement étranger. La reconstitution de ce monde révolu fut un beau moment de lecture.
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Judas

« L'histoire se déroule en hiver, entre fin 1959 et début 1960. On y parle d'une erreur, de désir, d'un amour malheureux et d'une question théologique inexpliquée ». Ajoutons – le détail a son intérêt – que nous sommes à Jérusalem, alors divisée par la ligne verte.

Le dépit amoureux, c'est celui que vit Schmuel Asch, étudiant pataud et souffreteux de 25 ans, depuis que sa copine l'a plaqué pour en épouser un autre. Ce qui lui restait de moral s'étiole encore un peu plus quand, faute d'argent, il doit renoncer à ses études et chercher du travail. Répondant à une petite annonce, il devient alors homme de compagnie d'un vieux savant aussi érudit que fantasque, Gershom Wald, qui vit reclus dans la maison qu'il partage avec une certaine Atalia Abravanel, sans que le lien qui les unit soit donné au départ.

Le désir, Schmuel le rencontre en même temps qu'Atalia. Celle-ci a deux fois son âge, est belle, séduisante, cruelle, inacessible. Elle est aussi la fille de Shealtiel Abravanel, figure du mouvement sioniste, décédé quelques années plus tôt.

Les séances de conversations quotidiennes entre Wald et Schmuel sont l'occasion d'aborder des sujets aussi différents que le contexte de la création de l'Etat d'Israël, dont le vieil homme fut un témoin privilégié, ou le personnage de Judas, le traître biblique, le juif déicide abhorré des chrétiens, dont Schmuel tente de décrypter le rôle dans sa thèse universitaire consacrée à « Jésus dans la tradition juive ». Des sujets a priori totalement étrangers, donc, et pourtant Amos Oz crée un lien entre eux. La question théologique de la trahison de Jésus par Judas est mise en parallèle avec la position de Shealtiel Abravanel qui, en 1947, allait à contre-courant de la volonté dominante personnifiée par David Ben Gourion et s'opposait au plan de partage de la Palestine et à la création d'un Etat juif indépendant, convaincu qu'il était encore possible de s'accorder avec les Arabes pour fonder un Etat unique où ceux-ci cohabiteraient pacifiquement avec les Juifs. De la même façon que Judas qui livra Jésus aux Romains devint la figure de la trahison par excellence, les chimères anti-nationalistes d'Abravanel lui valurent d'être exclu du Comité Exécutif Sioniste et considéré comme traître à la cause juive.

Et, au travers du destin de ces personnages fictifs, l'auteur de s'interroger : et si Judas était en réalité le premier chrétien authentique, le seul, dont l'erreur fatale aura été, précisément, de croire avec une foi inébranlable en la nature divine de Jésus ? de pousser celui-ci à se laisser crucifier pour ensuite miraculeusement descendre vivant de la Croix et révéler à cette occasion son immortalité ? Qu'en aurait-il été du christianisme sans cette croyance ? Qu'en aurait-il été de la haine des chrétiens envers les juifs ?

L'analogie avec le traître Abravanel est tentante, lui dont l'erreur avait été de croire que Juifs et Arabes pouvaient vivre ensemble dans un même Etat sans s'entre-tuer. Que serait-il advenu si une telle idée avait pu s'imposer ? Qu'en aurait-il été de la haine réciproque entre Juifs et Arabes ?



Je ne savais rien d'Amos Oz avant de lire ce roman, fort peu de choses de l'histoire de l'Etat d'Israël, et guère plus sur Judas et Jésus que ce que j'en ai appris au cours de religion à l'école. Je ne suis donc pas capable de juger de la vraisemblance des idées développées dans « Judas », mais quoi qu'il en soit, j'ai trouvé ce roman très riche et très intéressant, voire passionnant.

D'une belle écriture fluide, Amos Oz entrelace avec talent histoire, politique et religion – thèmes indissociables en Israël – à un passage à l'âge adulte assez cocasse et une tragédie familiale émouvante. Un grand roman et une belle découverte.



Merci à Masse Critique de Babelio et aux éditions Gallimard pour ce beau roman.
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Judas

La couverture Folio de ce livre met la figue à l’honneur. Il est vrai que ce fruit charnu est souvent cité dans le roman d’Oz qui commence comme un conte: une mystérieuse petite annonce permet à notre héros qui l’est peu d’entrer dans une maison sans doute hantée où il sera payé pour distraire un infirme aussi laid que mélancolique tandis qu’une belle femme apparaît et disparaît mystérieusement, glissant telle un fantôme d’une chambre interdite à l’autre.

Si la figue symbolise le sexe féminin dans l’imagerie populaire, elle a bien ici toute sa place puisque Shmuel, abandonné par sa petite amie, rêve de séduire Atalia dont la fente qui descend de son nez à ses lèvres ne cesse de le fasciner.

Mais l’histoire n’est pas seulement conte, elle est aussi parabole. Sur le point de chasser les marchands du Temple, Jesus maudit un figuier stérile tandis que Marc se permet de tancer celui qui aurait oublié qu’un figuier ne peut produire de fruits hors de sa saison. Or, nous rappelle Shmuel, « L’histoire a souvent produit des individus courageux, en avance sur leur temps, qui étaient passés pour des traîtres ou des hurluberlus.  » Le figuier maudit par le Christ n’est pas en avance sur son temps, c’est là son moindre défaut.

Judas a pressé Jesus, qui aurait bien attendu encore un peu, de prouver qu’il était fils de Dieu. Contrairement au figuier qui ne donne pas ses fruits quand on a besoin d’eux, Jesus est allé au devant du supplice. Et Judas désespéré d’avoir tué son maître et ami s’est pendu, au lieu d’attendre les trois jours qui lui auraient prouvé qu’il avait raison.

Oz n’est pas le premier à décrire Judas comme le meilleur disciple. Kazantzakis l’avait déjà fait dans La Dernière Tentation du Christ; et l’évangile de Judas est un texte révéré par les gnostiques. Mais ce qui rend le roman d’Oz aussi fascinant, c’est qu’il met en parallèle la figure du traître et l’histoire d’Israel.

Qui a trahi ? Paul de Tarse qui a créé le christianisme contre le Judaïsme, faisant du Juif le symbole même du traître et ouvrant la voie aux pogroms puis à la Shoah ? Ben Gourion qui imposa Israël par la guerre et rendit impossible la coexistence pacifique avec les Arabes ? Shealtiel Abravanel, le père de la belle Atalia pour qui Israël perdait son âme en faisant la guerre? Ou bien Amos Oz lui-même ?

Et le traitre n’est-il pas, finalement, celui qui aime le plus et qui se sacrifie jusqu’à l’opprobre ?

Il faudrait des pages et des pages pour étudier tous les symboles qu’Oz place dans son roman, sans qu’il devienne pour autant un pensum lourdement illustratif. Le scorpion qui pique et fait advenir l’amour parental préfigure la marche qui cède et le corps endolori bientôt rassasié de plaisir. À la souffrance du crucifié répond celle du soldat qui agonise, abandonné par les siens, torturé par ses ennemis. Au portrait pataud de Schmuel font écho tous les chiens abandonnés sur sa route, qui mendient un morceau de pain et une caresse. Et si le roman semble se terminer sans qu’aucune réponse n’ait été donnée, on peut aussi penser que la seule marche à suivre a été évoquée dès le début: moins pleurer, moins s’émouvoir et agir, même si l’on ne fait rien d’autre que de recueillir un chat famélique, c’est toujours un peu de misère qu’on aura contribué à faire disparaître: il n’y a pas de saison pour le don de soi.
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Judas

D’une lecture parfois un peu ardue, le nouveau roman d’Amos Oz aborde tous les grands thèmes qui caractérisent l’œuvre de ce grand écrivain Israélien. Dès le premier paragraphe Amos Oz nous résume son livre : « L’histoire se déroule en hiver, entre fin 1959 et début 1960. On y parle d’une erreur, de désir, d’un amour malheureux et d’une question théologique inexpliquée».



Jérusalem, hivers 1959, Shmuel vient d’être abandonné par sa petite amie. Il décide de renoncer à ses études universitaires et ses recherches sur Jésus dans la tradition juive. Notre héros, qui se cherche, accepte de tenir compagnie à un vieux professeur handicapé, Gershom Wald un vieillard d’une grande capacité intellectuelle. Il se retrouve dans une vieille maison habitée par Gershom mais aussi par Atalia sa belle-fille.

C’est le début pour Shmuel d’une vie solitaire mais aussi de réflexions et de découvertes.

D’abord sur les personnages qui vivent dans cette grande demeure. Sur la mort du fils de Gershom. Sur le père d’Atalia, Shealtiel Abravanel, qui pour s’être opposé à Ben Gourion et à la création de l’Etat d’Israël est considéré comme un traitre. Ensuite, sur le sionisme, les fondements de l’Etat d’Israël et la question israélo-palestinienne. Enfin, grâce aux discussions avec Gershom, il approfondit ses idées pour sa thèse. Juda n’aurait pas trahi Jésus, mais aurait été le dernier et le plus fidèle de ses compagnons, il croyait que l’épreuve de la crucifixion serait l’ultime miracle.



Un roman écrit dans un style direct sans fioritures, parfois sentimental, parfois ironique mais toujours juste. Les réflexions d’ordre historique, politique et religieux s’alternent tout au long du récit. Dans ce huis clos, Amos Oz comme tout grand intellectuel émet différents points de vue, différentes hypothèses, sans jamais énoncer de certitudes. Au lecteur de se forger une opinion.

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Une histoire d'amour et de ténèbres

Il est difficile de parler de ce roman autobiographique, tant il est dense. Disons dans un premier temps que c'est un beau livre qui n'est pas si facile à aborder, c'est sans doute la raison pour laquelle j'ai mis 3 semaines à le lire. Amos Oz, parle de sa famille, de ses ancêtres, de leur vie en Pologne et Russie, puis de leur arrivée dans un eldorado, sous mandat britannique, qui n'était pas encore l'Etat d'Israël. Les conditions de vie sont difficiles et l'intégration n'est pas évidente dans un pays si différents de ceux qu'ont connu les protagonistes en Europe de l'Est. Naturellement l'auteur évoque le nazisme, la shoa, et aussi la disparition de sa mère lorsqu'il était tout jeune adolescent. Le climat est lourd. Amos Oz évolue dans un milieu bourgeois surtout composé d'intellectuels et de savants, de gens bardés de diplômes. Les références littéraires sont fréquentes, ainsi que des remarques sur l'étymologie, science chère à son père. Ce roman est très intéressant et riche en informations, mais la narration n'est pas linéaire et chronologique, Amos Oz effectue souvent des retours en arrière. De même, volontairement ou non, il y a énormément de redites. Ce qui alourdit le texte. Ce sont les seuls reproches que je m'autoriserai vis à vis de ce livre. Cette lecture est à déconseiller aux personnes qui apprécient les textes amusants et légers. Il n'y a rien de tout cela dans le texte d'Amos Oz, c'est une histoire où il y a beaucoup de ténèbres, et finalement peu d'amour... Beaucoup d'erreurs d'aiguillages, des non-dits, des silences. Un très beau livre. L'illustration de couverture, Amos enfant avec ses deux parents, est splendide.
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Judas

Nous sommes à la fin des années 50 en Israël. Imaginez une maison rue Arav Elbaz dans la banlieue de Jérusalem. Franchissez la porte comme l'a fait Schumuel Ash, jeune étudiant qui vient d'abandonner son mémoire sur "Jésus dans la tradition juive". Parcourez le long corridor qui mène à la bibliothèque. Là vous découvrirez Gershom Wald, un vieil invalide, difforme et dont l'érudition n'a d'égale que l'incommensurable laideur. C'est à lui que Schmuel doit servir d'homme de compagnie. C'est en tout cas ce que lui a expliqué sa belle-fille, Atalia Abravanel, une jeune femme mystérieuse, lointaine, inaccessible.

Ce sont les trois principaux personnages du dernier roman d'Amos Oz : Judas, écrit en 2014. Sur eux, planent l'ombre de deux morts : Micha, fils de Gershom, mari d'Atalia et Shealtiel Abravanel, père d'Atalia. Ce sont eux que j'ai suivis avec beaucoup de curiosité et d'interrogations car n'étant pas une grande connaisseuse ni une grande lectrice des Evangiles ou du Talmud, j'ai moins accroché au thème de Judas, présent sous forme de flash-back sur l'histoire de Jésus dans la tradition juive.

Ce qui m'a frappé dans le roman c'est moins tant le thème de la traîtrise que celui de la dissidence et de l'exil intérieur. Les personnages de l'histoire incarnent d'une façon ou d'une autre l'un de ces deux thèmes quand ce n'est pas les deux. Prenez Shealtiel Abravanel, dissident en 1947 par rapport à la création de l'état d'Israël telle que la préconise Ben Gourion, il va payer un lourd tribut à ses convictions et sera chassé de la vie politique et sociale. Solitude et exil intérieur seront désormais ses compagnons. Il sera rejoint par sa fille et son "meilleur ennemi" Gershom Wald pour lesquels la mort atroce de Micha pendant la guerre d'indépendance en 1948 va être le déclic pour un exil volontaire dans cette maison qui deviendra à la fois une prison et un refuge. Schmuel ne sera pas dépaysé lorsqu'il rejoindra la rue Arav Elbaz car lui aussi traîne derrière lui une solitude et une souffrance un peu pleurnicharde qui lui collent à la peau.

Ces deux thèmes : la dissidence et l'exil intérieur sont si largement développés qu'ils m'ont paru entrer en forte résonance avec les dernières années de vie d'Amos Oz, dans un Etat israélien dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne correspondait en aucune façon à son idéal politique.

La structure en cercles concentriques convient parfaitement à cette ambiance de huit-clos où va se tisser, au fil de scènes répétitives à quelques détails près, des avancées, des ouvertures, en tout cas pour Schmuel à qui Atalia et Gershom vont servir respectivement de mère d'adoption et de mentor.

J'ai vraiment ressenti ce roman en raison de sa structure et de son écriture comme un roman d'ambiance tout autant qu'un roman à thème. Certaines scènes récurrentes, comme celles des balades de Schmuel et Atalia dans Jérusalem devenue ville fantôme, sont très marquantes par l'atmosphère qui s'en dégage. L'écriture d'Amos Oz est minutieuse, précise, témoigne d'un sens aigu de l'observation et l'humour n'en n'est pas non plus absent surtout lorsqu'il s'agit du sens de la dérision ou de l'auto-dérision.

Je ferais pourtant quelques réserves concernant certains procédés d'écriture. J'ai été gênée par le nombre très important de : tel, comme, pareil qui annoncent une comparaison. de même pour certains portraits dont l'intégration au récit n'est pas non plus évidente.

Peut-être s'agit-il d'un problème de traduction ? Je suis tentée de le croire au vu de la force d'écriture d'Amos Oz dans certains passages notamment celui de la crucifixion de Jésus d'une "horrifique beauté" ou bien ceux où ses héros débattent avec une véhémence toute polémique sur le bien-fondé de leurs convictions;

C'est le premier roman d'Amos Oz que je lis et il m'est difficile de faire des comparaisons avec d'autres.

J'aimerais avoir d'autres avis sur la question...

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Entre amis

Huit nouvelles tragi-comiques qui racontent la vie au kibboutz Yikhat.

Amos Oz,qui a vécu près de trente ans dans un kibboutz ,montre qu'en faite cette forme de société communautaire peut "qu'opérer des changements mineurs dans l'ordre social,mais la nature brutale de l'homme ne change pas.Les votes d'une assemblée ou d'un autre ne réussiraient jamais à éradiquer l'envie,la mesquinerie ou la jalousie."(p.143).Trés,trés agréable à lire!
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Soudain dans la forêt profonde

Au coeur d'une forêt, là les animaux sont normalement les maîtres, un village est maudit. Tous les animaux ont disparu, les cerfs, les loups, les chiens, les chats, les oiseaux, les poissons et même les insectes. le village baigne dans une ambiance morne et pleine de secret. La nuit tombée, tous les habitants se terrent dans leurs maisons, terrorisés par la créature inconnue nommée Nehi. Avec leur innocence d'enfants, Matti et Maya vont partir à l'aventure pour tenter de découvrir où sont partis les animaux.



Soudain dans la forêt profonde est un court roman qui plaira autant aux enfants qu'aux adultes. Baigné par une atmosphère particulière et porté par une plume pleine de poésie, le roman est une véritable expérience. Bien que très court, ce conte nous empreigne et nous happe dans cette forêt aux mille secrets. Véritable conte moderne, les morales (il y en a bien plusieurs) sont toujours d'actualités dans notre société et nous chamboulent ! À découvrir !
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La boîte noire

La boite noire, c’est un dispositif qui enregistre toutes les informations (particulièrement dans les avions) mais ça peut s’appliquer à un tas de choses. En fait, c’est ce qui reste. Et c’est un peu le propos de cette histoire que nous raconte Amos Oz. Dans son livre, La boite noire, c’est une longue série de lettres que s’échangent quelques personnages troubles, un trio amoureux insolite et leurs accolytes, à mi-chemin en Jérusalem et les États-Unis.



Tout commence avec Ilana, qui brise un long silence en écrivant à son ex-mari pour lui demander de l’aide (lire ici de l’argent). C’est que leur fils de seize ans a été expulsé du kibboutz où il était éduqué et on veut de lui nulle part. C’est devenu un géant bouillon et brouillon, impulsif et violent. Alexandre Gidéon (Alec) répond positivement à sa demande par l’entremise de son avocat Zakheim. Le nouveau mari, Michel Sommo en rajoute et lui écrit à son tour pour en demander davantage. Après tout, c’est lui qui subvient aux besoins de l’adolescent depuis un bon bout de temps. Éventuellement, le jeune Boaz se permet de communiquer directement avec lui, puis avec Ilana et Michel quand il s’enfuit à nouveau.



J’ai trouvé le début assez difficile. Pas tant par le vocabulaire ni par le style, non, plutôt par l’atmosphère. Les premières lettres sont pleines de rancœur, de mépris, de douleur, de mots durs (même quand ils ne sont pas écrits, on peut les lire entre les lignes). C’était très négatif, même si c’était approprié. N’est-ce pas ainsi que s’adressent des anciens amoureux, surtout quand la séparation, le divorce fut pénible. Et quand l’argent est en jeu. Quand à Michel, il me semblait avare, ne rechercher que cet argent. C’est un défaut qui me répugne.



Puis les personnages s’ouvrent un peu plus. On comprend leur peine, leur cœur dur, leurs aspirations. Et les manipulations auxquelles chacun est disposé à s’abaisser pour obtenir ce qu’il veut. C’est fou ce que les gens peuvent révéler dans des lettres, dans des messages intimes. Surtout, dans ce qu’ils ne disent pas. Puis, ils baissent leur garde et laisse des sentiments s’échapper, se raviver, évoluer. Amos Oz se livre à du grand art, avec des personnages travaillés, qui ont chacun leur personnalité propre, qu’on arrive à saisir et dont on perçoit les voix unique. Criantes de vérité !



Les lettres d’Ilana révèlent un cœur de mère prête à tout pour protéger sa progéniture, sa famille. Celles d’Alec, un cœur blessé (dans son amour ou dans son orgueil ?). Celles de Boaz, une révolte intérieure, une indécision, une immaturité. Quand à Michel Sommo, ça m’a pris plus de temps à le cerner, surtout que j’étais agacé par sa manie de tout rapporter à Dieu, à sa religion, à la supériorité juive, tout le temps à citer des passages de la Torah ou des proverbes hébreux. C’est mon côté laïc qui ressortait.



Au final, La boite noire est un roman intimiste. Il y a très peu de personnages qui gravitent autour de ceux mentionnés plus haut, alors il faut s’accrocher à eux. Surtout qu’il y a peu d’événements, à peine quelques rebondissements, alors il faut s’immerser sans se laisser distraire, si on ne veut pas manquer un détail un état d’âme, un indice qui permet de mieux comprendre un personnage et anticiper ses réactions. D’ailleurs, les dernières du roman, je les ai trouvées un peu mouichi-mouichi, mais chacun ses goûts.
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Judas

Jérusalem, 1960.

Shmuel Asch, étudiant désargenté et légèrement dépressif, trouve une aubaine : un emploi, logé et nourri, consistant à faire du thé et la conversation tous les soirs à un vieil érudit bavard.

Une autre personne habite la maison : l’énigmatique et séduisante Atalia, une femme dans la quarantaine (qui ne compte pas peu dans la décision de Shmuel d’accepter l’emploi).

Mais que de questions il se pose !

Shmuel est un personnage attendrissant avec "l’apparence d’un homme des cavernes et l’âme nue comme une montre dont on aurait ôté le verre", qui se pose naïvement des questions toutes prosaïques : qu’y a-t-il derrière cette porte fermée, que fait Atalia de ses journées… mais aussi des questions plus existentielles sur la fondation de l’État d’Israël et le rôle joué par un certain Abravanel.

Abravanel a été un Judas, un traître aux yeux des siens : un idéaliste qui croyait à la paix, un sioniste fraternisant avec les Arabes.

"Qu’est-ce qui vous fait penser que les Arabes n’ont pas le droit de lutter de toutes leurs forces contre des étrangers qui ont débarqué ici comme s’ils venaient d’une autre planète pour leur confisquer leur pays, leurs terres, leurs champs, leurs villages, leurs villes, les tombes de leurs aïeux et l’héritage de leurs enfants ?"

J’ai beaucoup de tendresse pour Amos Oz.

Je ne sépare pas l’homme de l’artiste : j’ai beaucoup de tendresse pour l’homme humaniste, pacifiste, universaliste, dont la personnalité se révèle dans les œuvres.

Ayant beaucoup de tendresse pour Amos Oz, jusqu’à sa mort en 2018 j’ai espéré qu’il reçoive le prix Nobel de littérature, pas tant pour les honneurs – il n’était pas homme à les rechercher – que pour faire connaître son œuvre au plus grand nombre.

Ayant beaucoup de tendresse pour Amos Oz je suis heureuse qu’il soit mort en 2018 et ne puisse voir ce qui se passe aujourd’hui au Proche-Orient.

Je suis certaine qu’il aurait été ravagé par le pogrom du 7 octobre, et ravagé tout autant par les trente mille morts dans la bande de Gaza.

Il aurait sans aucun doute été foudroyé, lui aussi, par les paroles du médecin humanitaire Raphaël Pitti : "Rafah aujourd’hui... c’est le ghetto de Varsovie."

Amos Oz, puisses-tu reposer un jour en paix.



Traduction de Sylvie Cohen.
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Judas

C'est un roman qui nous instruit sur l'histoire (d'Israël à ses débuts), la religion (la figure du Christ dans la tradition juive), la philosophie et ses rapports à la politique (Qu'est-ce que la trahison et quelles en sont les motivations?) — que sais-je encore ? — mais c'est aussi un roman psychologique, un roman d'amour, un roman initiatique... un livre bien écrit qui a su me happer en me guidant sans me perdre à travers ses passages du général (les grands débats autour de la fondation d'Israël, de celle du christianisme...) au particulier (les tourments du héros qui, suite à un dépit amoureux et une rupture avec sa famille, cherche sa voie à travers d'autres références). J'ai donc aimé ce subtil mélange d'analyse psychologique intime et de brassage intellectuel d'idées auxquelles je n'ai cependant pas toujours adhéré. Il m'est difficile de me figurer, en particulier, un Judas metteur en scène qui aurait orchestré la crucifixion pour vérifier le caractère divin de son héros...

Il m'en reste une impression d'érudition et de savoir-faire d'un écrivain que je me promets de lire de nouveau prochainement.
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Toucher l'eau, toucher le vent

Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, « Toucher l’eau, toucher le vent » ? La quatrième de couverture était intrigante, pourtant. Il y était question d’un Elisha Pomerantz, un mathématicien juif fuyant la persécution nazie à travers l’Europe de l’est pour atterrir en terre d’Israël, où l’attendent d’autres conflits. Il y a de cela, oui. Mais l’intrigue se divise plutôt en deux, le lecteur a droit aux aventures de l’épouse du mathématicien, Stepha, qui trouve son chemin jusqu’en Russie où elle devient un instrument (volontaire !) du régime communiste. Et, dans les deux cas, beaucoup de considérations scientifiques, philosophiques, historiques, blablabla… Elles finissent par se recouper mais, rendu là, je ne m’y intéressais plus suffisamment. C’est que, aucune de ces deux trames narratives de l’excellent Amos Oz n’a réussi à me captiver, à me retenir. J’ai continué à lire uniquement parce que je n’aime pas refermer un livre sans le terminer, et aussi parce que secrètement j’espérais que l’auteur me surprenne. Je suis vraiment déçu de ne pas avoir aimé… Ce n’est que partie remise !
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Une histoire d'amour et de ténèbres

Après de nombreuses déceptions, j'ai trouvé avec "une histoire d'amour et de ténèbres" un roman qui justifie pleinement ma passion pour la littérature.

D'ailleurs, je trouve regrettable que les critiques précédentes ne fassent pas suffisamment honneur à l'excellence de ce récit autobiographique. Saurais-je faire mieux pour vous communiquer mon enthousiasme ?

Amos Oz est un Sabra, né sur la terre d'Israël en 1939, alors que ses parents sont des exilés, déracinés d'Europe de l'Est, c'est à dire qu'ils portent à des degrés divers les stigmates de leur déracinement.

Enfant curieux et éveillé, élevé dans un milieu intellectuel, l'auteur a vécu la fin du mandat britannique, la création de l'Etat, la guerre d'indépendance. Tous les évènements douloureux et chaotiques qui s'y rattachent sont évoqués avec force et une réflexion de fond.

En marge de la grande Histoire, c'est le passé de ses grands parents et de ses parents qu'il relate avec un exceptionnel talent de narrateur et de conteur, en faisant toujours preuve d'humanité, d'esprit d'observation, d'analyse. Son regard est lucide, souvent drôle envers les travers de sa communauté, et plein d'empathie pour la partie adverse dont il admet la frustration et la révolte.

L'absence de chronologie du roman n'est pas un problème. Au contraire, elle exprime tous les souvenirs qui le hantent et se rappellent à lui au fil de sa pensée, passant de l'intime au général, ou inversement.

Il y a des pages douloureuses concernant son entourage, ceux qui n'ont pas su ou pu maîtriser les souffrances, les déceptions, les pertes. Sa mère est le plus bouleversant exemple de cette tragédie.

Mais il y a aussi des pages d'espoir qui évoquent les conquérants, ceux qui ont décidé de tourner la page et de reconstruire un monde à leur mesure. Bien sûr, le problème de fond n'est toujours pas réglé mais je rappelle qu'Amos Oz, partie prenante dans le conflit, appartient à la minorité progressiste qui œuvre pour la paix.

Je quitte le monde et la pensée d'Amos Oz avec regret.

Six jours m'ont suffit pour venir à bout des 850 pages de la version Folio. J'aurais pu mettre Six étoiles si c'était possible.

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Entre amis

La vie suit son court au kibbout Yikha. L'auteur y arrête son regard - le temps d'écrire huit nouvelles - pour nous faire partager des moments fondamentalement humains, qui dépassent les différences culturelles ou religieuses.

Dans cette communauté les gens se moquent, souffrent, se souviennent, s'épient, se jalousent, se séparent, se querellent, mais surtout : ils s'aiment.



Derrière chaque drame personnel, Amos Oz nous parle beaucoup des liens d'amour qui unissent les membres de cette communauté. L'amour paternel, l'amour trahi, la compassion aussi, l'amour perdu, l'amour qu'on a jamais osé déclaré ou l'amour que l'on garde pour l'Humanité malgré les mauvais tours que la vie peut jouer.



Cela faisait un moment que j'avais repéré des titres de cet auteur israélien (que je connaissais surtout pour son engagement pour la Palestine) et j'ai été charmée par sa plume sensible et pudique et les analyses très fines qu'il a su livrer de ses personnages en quelques pages. Bien sûr, il y a des nouvelles que j'ai moins aimé, mais pas de quoi m'arrêter là.
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Judas

Si vous le permettez, en ce début de vacances et afin de profiter un peu mieux de mes lectures, je m'attarderai un peu moins sur mes chroniques que je rédigerai de façon plus conscise.

Et donc....



Judas de Amos Oz a su éveiller mon intérêt et susciter ma réflexion.

Les conversations qu'ont Shmuel et Gershom Wald, le vieillard dont il s'occupe, concernent essentiellement la création de l'état juif, encore récent en 1959, ainsi que le thème du mémoire inachevé du jeune homme, "Jésus dans la tradition juive".

À travers ces échanges tumultueux, c'est la définition même du traître qui fait matière à débat.

La traîtrise de Judas Iscariote n'était-elle pas plutôt une foi exacerbée qui l'a mené à l'erreur ?

Quant à Shealtiel Abravanel, sa soi-disant traîtrise n'était-elle pas seulement une vision différente de la cohabitation entre Juifs et Arabes ?

Le fait d'avoir tenté un dialogue avec ces derniers faisait-il vraiment de lui un traître ?



Si le débat m'a vraiment passionnée, le personnage de Shmuel par contre m'a laissé de marbre.

Mou, presqu'inconsistant, il ne trouve un peu d'énergie que lorsqu'il disserte.

Même son attirance pour Atalia, la fille d'Abravanel et belle-fille de Wald, manque d'implication, d'initiative.



Un très bon livre qui nous fait parcourir Jerusalem en tous sens mais qui, d'après moi, ne nécessitait pas cette très fade intrigue amoureuse.
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Judas

Jérusalem, 1959 : le 17 décembre, David Ben Gourion, qui vient de remporter pour la quatrième fois les élections législatives israéliennes, présente son cabinet à la Knesset.



«La ville israélienne était cernée par la jordanienne sur trois côtés », à certains endroits «des écriteaux signalaient à travers les barbelés rouillés : «Stop! », «Frontière!», «Terrain miné!», «Danger!», «Attention, zone exposée aux tirs ennemis!».



Deux ans après la fin de la deuxième guerre israélo-arabe, due à la crise de Suez, la tension reste élevée entre Ie jeune État hébreu et Ies États arabes voisins, notamment avec l’Egypte de Nasser. Exercices militaires démonstratifs, incursions aériennes dans les territoires cédés par Israël (Sinaï et Gaza), passés désormais sous tutelle de l’ONU, sont fréquents. À l’intérieur du pays, les incidents impliquant des civils sont tout aussi récurrents, y compris dans la ville trois fois sainte. La menace de nouvelles hostilités est visible, palpable dans le quotidien de la population.



«De temps à autre, un franc-tireur jordanien touchait un passant et des échanges de tirs sporadiques se produisaient».



Les forces en jeu dans le conflit qui oppose Juifs et Arabes depuis la création d’un État hébreu en Palestine rendent pratiquement inévitable, tôt ou tard, la perspective d’une troisième guerre israélo-arabe, l’opinion israélienne étant par ailleurs très majoritairement acquise à l’idée que le «grand Israël» ne pourrait pas se construire autrement que par la force militaire. Cette équilibre fragile entre négociations diplomatiques dans un contexte de guerre froide et escarmouches épisodiques sur le terrain va durer jusqu’en 1967, et aboutira finalement à la Guerre des Six Jours.



C’est dans ce contexte historique que JUDAS, le dernier des romans d’Amos Oz, publié en 2014, s’inscrit.



La ville même de Jérusalem tout d’abord, au cours de cet hiver froid et pluvieux de 1959, en est un personnage à part entière. Dans les nombreuses déambulations du jeune héros, ou plutôt anti-héros du roman, Shmuel Asch («corpulent, barbu, timide, émotif, socialiste, asthmatique, cyclothymique, les épaules massives, un cou de taureau, des doigts courts et boudinés»), Jérusalem apparaît le plus souvent sous les traits d’une ville morcelée, meurtrie, «exhibant la face brute, à nu de ses murs de pierre», sa topographie ayant été redessinée par de rues bordées de hauts murs, transformées parfois en couloirs flanqués de barbelés, ou bien culminant sur des terrains vagues brumeux, jonchés de débris, limitrophes à des no man’s land servant de tampon entre les territoires occupés par les uns et les autres.



Shmuel Asch peut être vu comme un personnage emblématique de l’éveil progressif, par une part encore assez restreinte à cette époque de la jeunesse israélienne, à une critique du sionisme triomphant qui avait permis la création du pays une dizaine d’années plus tôt, et contre lequel très peu de voix au sein de la société civile avaient osé s’élever depuis, au risque d’être considérées à chaque fois comme des traîtres à la cause juive, d’être ostracisées par les dirigeants politiques, ainsi que condamnés par l’opinion publique.



Et, pourquoi pas, ne serait-il par ailleurs un double fictionnel de l’auteur, lui-même âgé d’une vingtaine d’années à l’époque, en 1959 ? Issu d’une famille installée en Palestine mandataire dès 1930 et inscrite dans le courant du sionisme révisionniste militant pour l’implantation d’un Etat hébreu en Palestine, Amos Oz, sera lui aussi, à l’image de son Shmuel, très tôt séduit par les idées de gauche. À l'âge de quinze ans, il décide de partir vivre en kibboutz, où il adoptera le nom d'«Oz» («force» en hébreu). A partir de cette première rupture idéologique («Jusqu'à l'âge de 12-13 ans, j'étais fanatique et militariste, je croyais en la force militaire, j'aimais le slogan de Vladimir Jabotinsky, leader de la droite nationaliste : «Dans le sang et le feu, Israël est tombé. Dans le sang et le feu, Israël se relèvera»), Oz développera une pensée originale sur la question du sionisme et figurera plus tard parmi les intellectuels les plus influents en Israël, l’un des premiers à plaider ouvertement, juste après la Guerre des Six Jours, en faveur de la séparation en deux États comme étant la seule solution envisageable pour mettre fin au conflit entre Israéliens et Palestiniens.



Shmuel, lui, quitté du jour au lendemain par sa petite amie, se voit en même temps couper les vivres par ses parents suite à un revers financier important subi par sa famille. Il se retrouve ainsi dans l’imminence de devoir abandonner des études universitaires à défaut de pouvoir continuer à les financer par ses propres moyens. Éprouvant en même temps le besoin de prendre de la distance par rapport à son entourage familial et à ses quelques amis appartenant au Cercle du renouveau socialiste, ces derniers en pleine scission et débandade aussi, suite aux révélations spectaculaires du dernier congrès du Parti communiste de l’Union soviétique sur la «terreur» stalinienne, il se sent un peu perdu. Errant la nuit, «tel un ours déboussolé», dans les rues désertes du centre-ville battues par un vent glacé, il finit par se décider à tout plaquer, y compris son mémoire sur «Jésus dans la tradition juive» et à quitter le plus rapidement possible Jérusalem pour aller chercher du travail dans une ville nouvelle en train d’être édifiée au fin fond du désert du Néguev. C’est alors, en allant déposer une affichette dans le hall de son université, afin de vendre les quelques affaires qu’il possédait dans sa chambre en location, que Shmuel tombera sur une annonce cherchant «un étudiant en sciences humaines pour servir d’homme de compagnie à un invalide de 70 ans très cultivé».



En nous faisant pénétrer avec Shmuel dans la vieille bâtisse de pierre de la rue Harav Elbaz, avec ses territoires bien démarqués, ses accès réservés, avec ses zones interdites et ses secrets cachés derrière des portes systématiquement closes, c’est d’une certaine manière à une allégorie de la ville de Jérusalem elle-même à laquelle Amos Oz invite le lecteur. Maison habitée par le profond désenchantement teinté de cynisme de Gershom Wald, et par l’anesthésie des sentiments de la belle et inaccessible Atalia Abravanel, sous le charme de laquelle notre jeune héros tombera immanquablement, ses occupants incarnent le terrible déchirement, l’immense douleur, l’amertume de ceux qui ayant participé à la naissance d’Israël, ont vu l’histoire récente et le rêve sioniste de fonder un État hébreu juste et équitable se transformer progressivement en un cauchemar à répétition, funestement inextricable, fait de haine, de violence, de discrimination et de destruction.



Sous l’apparence d’une banale histoire de passion de jeunesse, réunissant des personnages à vif dans un huis clos où chacun finira, avec force pudeur et réserve, par se dévoiler aux yeux de l’émotif et idéaliste Shmuel, touchant de sincérité et de maladresse juvéniles, l’auteur réussit en même temps à faire émerger dans JUDAS un brillant roman d’idées, qui à mon sens serait le véritable leitmotiv de ce livre. Amos Oz propose entre autres une version révolutionnaire, intéressante et intellectuellement très séduisante du rôle qu’aurait joué la trahison de Judas dans l’avènement du christianisme, ainsi que sur l’absence surprenante de ce dernier dans tous les récits de la tradition juive narrant la vie de Jésus (le sujet du mémoire de Shmuel) et sur la place occupée par l'apôtre dans l’imaginaire antisémite.



JUDAS incite le lecteur, par le récit vivant de la trajectoire et des prises de position de ses personnages, à porter un regard ouvert et non-reducteur sur les diverses composantes du mouvement sioniste, aux aspirations et aux limites de ses différentes conceptions et orientations politiques.



Mais le roman est néanmoins avant tout une ode magnifique à la liberté de pensée et à ceux qui ont le courage et la clairvoyance de défier les systèmes d’idées uniques et majoritaires, les conceptions consacrées et les jugements dogmatiques, au risque d’être mis à l’écart, considérés comme des traîtres et maudits par leurs semblables.



En 2018, déjà gravement malade, Amos Oz a donné une conférence à l'Université de Tel-Aviv, plaidant une dernière fois, dans ce qui restera comme son testament politique, pour la cessation immédiate de toute occupation des territoires palestiniens par Israël, et pour la création de deux États séparés et indépendants au Moyen-Orient.

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Chanter et autres nouvelles

Une unité de lieu pour ces quatre nouvelles d'Amos Oz qui se déroulent dans le village de Tel-Ilan, évoquant la vie et les sentiments de quelques personnes à des moments importants de leur vie et que l'on croise dans l'une ou l'autre nouvelle. Avec "Les proches", Gil Steiner, la cinquantaine, femme médecin, attend son neveu Gidéon à la station de bus. Mais, les derniers voyageurs sortis, son neveu n'est pas là. Dans "Attendre", Beni prend connaissance d'un mot que Nava, sa femme a griffonné à son attention où elle a écrit "Ne t'inquiète pas pour moi". Il refait le chemin habituel pour la retrouver dans les lieux familiers, y compris chez Gil Steiner, amie du couple. "Les étrangers" une nouvelle dans laquelle Kobi Ezra, un  adolescent de dix-sept ans s'éprend de la bibliothécaire, Ada Devash et fantasme sur la passion qu'il pense être partagée par cette femme mariée. Une ambiance douce amère et particulièrement poignante pour la quatrième nouvelle "Chanter" - qui donne son titre au recueil -, où l'on assiste à la réunion de la chorale de voisins chez le couple Abraham et Dahlia Levine, une réunion qui leur permet d'atténuer leur douleur, suite à un drame que l'on découvre progressivement. Un recueil de quatre nouvelles assez courtes mais dans lesquelles Amos Oz réussit à installer une ambiance en plongeant le lecteur dans l'intimité des êtres et à dessiner des personnages confrontés à des moments de doute, d'introspection ou d'attente. Des sentiments bien détaillés mais avec quelques longueurs, Amos Oz revenant quelquefois sur la même situation, ce qui ralentit le rythme. Ce bémol mis à part, j'ai découvert cet auteur et ce recueil m'a donné l'envie de connaître un peu plus l'oeuvre de cet écrivain.
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Soudain dans la forêt profonde

Dans un petit village, les animaux ont disparu. Pas le moindre moineau ne traverse le ciel, aucun chien ne vient briser le silence avec ses jappements, même le ruisseau ne contient pas de poissons. Les adultes restent muets en ce qui a trait à cette malédiction et craignent le démon Nehi, vivant dans la forêt interdite. Il faudra le courage (ou la naïveté ?) de deux enfants pour percer le mystère…



C’est la belle simplicité de ce conte qui charme le lecteur. Le message de tolérance est plutôt évident dès le départ de l’aventure. Néanmoins, Oz parvient à captiver le lecteur avec ses personnages colorés. Pour une raison qui m’échappe, le livre semble avoir été publié originalement dans l’optique de rejoindre un public adulte, alors qu’il s’agit d’une petite histoire idéale à raconter aux enfants avant d’aller dormir.



Un texte court mais très fort dans son imagerie.
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Judas

Judas. Tel est le titre de ce livre d’Amos Oz... Judas, ça veut dire traitre !... C’est plus qu’un titre, c’est un pavé lancé... De quel côté va-t-il retomber ? Comment ne pas fâcher ou blesser ?...



Un coup d’œil autour de nous. Il n’est pas un seul homme politique qui n’ait été un jour accusé de trahison... Traitres, nous le sommes tous ; je trahis, tu trahis, il ou elle trahit, etc... Voilà ! C’était juste pour dédramatiser le titre avant de nous pencher avec sérénité sur l’ouvrage.



Quel est le genre de ce roman ? Drame psychologique, récit politico-historique, recueil de débats et d’idées ? Il est un peu tout cela ; tout y est entremêlé, dans un ensemble très cohérent ; c’est ce qui rend le livre absolument passionnant. Essayons d’y mettre bon ordre.



Nous sommes en 1960, à Jérusalem. La ville est loin d’être ce qu’elle est aujourd'hui ; terrains vagues, no mans land, barbelés. C’est l’hiver. Il fait froid, il pleut, il vente.



Shmuel Asch, vingt-cinq ans, n’a plus les moyens de poursuivre ses études. En échange du gîte, du couvert et d’une petite rémunération, il tient compagnie le soir, dans une petite maison de banlieue, à un vieil homme invalide, érudit et disert. Cette opportunité lui permet de continuer à travailler à son mémoire de maîtrise « Jésus dans la tradition juive ».



Chaque soir est l’occasion de discussions enflammées entre Shmuel et cet homme âgé, disgracié, du nom de Gershom Wald ; une forte personnalité à l’esprit affûté et au tempérament emporté ; établi en Israël bien avant la création de l’Etat. Ensemble, ils parlent histoire, politique, philosophie, sciences. Wald, est un intellectuel pragmatique, Shmuel, socialiste, est un rêveur. Tous deux sont sionistes, laïques, sans doute athées. Les religions ne sont pour eux que sujets historiques ou politiques.



Dans la maison, vit aussi Atalia Abravanel, une belle femme d’une quarantaine d’années. Sa féminité mystérieuse et majestueuse fascine Shmuel, qui va tout essayer pour la séduire. Pas gagné d’avance. Avec son look d’homme des bois bedonnant, son agitation brouillonne alternant avec des tendances à la procrastination, sa manie de ressasser indéfiniment malaises, problèmes familiaux et déboires sentimentaux, Shmuel n’a rien d’un prince charmant. Mais son extrême sensibilité, sa naïveté, sa balourdise et son empathie sincère finissent par le rendre attachant.



Wald et Atalia s’ouvrent à lui. Shmuel prend ainsi connaissance d’un malheur survenu il y a douze ans, pendant la guerre d'indépendance. Deux ombres planent depuis sur la maison. Celle de Shealtiel Abravanel, son ancien propriétaire, père d’Atalia... Et celle de Micha...



Shmuel découvre que dans les années quarante, ce Shealtiel Abravanel avait été un dirigeant sioniste important. Il avait été écarté peu avant la création de l’Etat d’Israël, car il y était opposé ainsi qu’au plan de partage des Nations Unies. Il estimait que ce projet ne tiendrait pas dans le temps et qu’il était préférable que Juifs et Arabes trouvent ensemble un arrangement. Plus généralement, il considérait que le concept d’Etat était archaïque et qu’il fallait habituer les peuples à vivre ensemble sans frontières, passeports ni drapeaux. Un rêveur idéaliste... mort tristement deux ans plus tard, abandonné par ses anciens amis qui le tiennent pour un traitre.



Shmuel travaille aussi à son mémoire sur Jésus et il développe une hypothèse originale, en rupture par rapport aux évangiles canoniques. Selon ceux-ci, Judas Iscariote avait dénoncé Jésus aux autorités romaines en échange d’une récompense de trente deniers, devenant ainsi l’archétype haïssable du Juif traitre et vénal, fondement de vingt siècles d’antijudaïsme chrétien. Pour Shmuel, Judas était au contraire un adepte fervent et dévoué de Jésus. Convaincu de sa nature divine – ce dont doutait Jésus lui-même – il l’avait délibérément mené à la crucifixion, afin qu’en se libérant miraculeusement du supplice, il se révèle à la face du monde et instaure le Royaume de Dieu sur terre... Judas, un idéaliste, naïf, illuminé.



Nous voici donc face à deux dilemmes : Abravanel et Judas, traitres ou rêveurs idéalistes ? Chacun se fera librement son opinion. Mais malheureusement les meilleurs – Jésus, Micha – périssent toujours dans des conditions atroces.



Shmuel pose la question : Pourquoi sa thèse, lumineuse et crédible, n’a-t-elle jamais été défendue avant lui par un érudit ou savant juif ? Cela aurait pu mettre fin aux malentendus entre Chrétiens et Juifs... Rêverie, quand tu nous tiens ! semblent penser Wald et Atalia.



Écoutons Gershom Wald, le réaliste (nous sommes en 1960) : « Les Arabes du cru tiennent à cette terre parce que c’est la seule qu’ils possèdent. Ils n’en ont pas d’autre. Comme nous, pour les mêmes raisons. Ils savent que nous n’y renoncerons jamais et nous savons qu’ils ne lâcheront pas prise non plus. Par conséquent, une parfaite entente règne entre nous. Il n’existe pas de malentendu et il n’y en aura jamais. » ... On ne peut pas parler d’optimisme béat.



Encore Gershom Wald pour le mot de la fin : « Grâce aux rêveurs, nous les réalistes sommes un peu moins pétrifiés et désespérés ».


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Judas

Nous sommes à Jérusalem, en plein hiver, il fait froid, la ville est triste.

Schmuel Asch, jeune étudiant en histoire est comme englué dans la morosité ambiante. Ses Parents ont subitement perdus les économies de toute une vie, ses études sont interrompues faute de moyens financiers et pour couronner le tout, sa petite amie le quitte pour épouser son ex.

Au bord du gouffre, il pense trouver son salut grâce à une petite annonce qui propose le gite, le couvert et une petite rémunération en échange de quelques heures de compagnie quotidienne auprès d’un vieil homme invalide.



Une étrange complicité se noue entre Schmuel et son employeur perdu au milieu de ses livres et de son énigmatique gouvernante, la belle Atalia Abravnel.



A travers les échanges des trois personnages, Amos Oz évoque la création d’Israël et les guerres qui l’accompagnèrent, en plus de l’histoire des relations entre Juifs et chrétiens, ou celles des uns et des autres vis-à-vis de Judas et de Jésus.



L’histoire avance poussée par le passé, portée par le présent, et on ne sait bientôt plus ni qui est le traître.



Et si ce livre était une thérapie pour Amos Oz, qui, pour son engagement politique en faveur d’un compromis israélo-palestinien a souvent été qualifié de traître comme Judas.

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Mon père parlait 11 langues, mais il a fait mon éducation en Hébreu, j'étais alors un « petit chauvin déguisé en pacifiste». Un «nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, j'étais, j'étais, comme une panthère dans la .....?......

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