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Critiques de Bertolt Brecht (118)
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La Vie de Galilée

Bertolt Brecht nous propose, avec sa Vie de Galilée, à la fois une espèce de portrait, une volonté partielle de biographie du savant pisan, et une interprétation personnelle, une valeur symbolique, un genre de parabole à visée édificatrice — autant que mise en garde — de ce qu'est et de ce que devrait toujours être la science, selon l'auteur.



On voit, dès la présentation du projet littéraire et/ou dramatique, que c'est une chimère, que c'est un brin bâtard tout ça, qu'on navigue entre deux eaux, qu'on est un peu dans plusieurs choses sans être vraiment dans aucune et c'est un peu dommage d'après moi.



Pour que la pièce se maintienne dans des dimensions acceptables, Bertolt Brecht fait le choix d'un nombre limité de tableaux. Bon, certes, c'est réducteur, mais cela peut se comprendre. Ainsi se fixe-t-il beaucoup, énormément même, sur les travaux astronomiques de Galilée, qui, pour être demeurés les plus célèbres, n'en sont pas moins qu'une petite partie de son activité scientifique. Mais bon, passons.



Indubitablement, la pièce pose des questions intéressantes, philosophiquement parlant, sur le rôle des sciences pour la société, sur le rapport que science et pouvoir entretiennent, sur les faiblesses du scientifique, pauvre par nature car non productif (sauf dans le cas où la découverte scientifique permet des retombées économiques immédiates) et donc constamment obligé de faire allégeance aux détenteurs de capital susceptibles de financer ses recherches, c'est-à-dire, très souvent les dirigeants politiques, jamais très éloignés des bourses bien pleines.



Indubitablement, le personnage de Galilée est intéressant et Brecht s'ingénie à le rendre complexe, multifacial, trouble, etc. Aussi multifacial, peut-être que les autres personnages m'apparaissent monolithiques. On sent bien que l'auteur souhaite absolument qu'on comprenne quelque chose à travers sa pièce, quelque chose qui dépasse sa pièce, quelque chose qui est éminemment dans l'air du temps et qui l'est encore aujourd'hui.



Mais je crois qu'il y a là un véritable anachronisme général — comme à plusieurs endroit de la pièce, par exemple quand il fait dire à Galilée des mesure en millimètres cubes, mais peu importe à la limite — : porter un jugement sur les agissement d'époque de Galilée avec un regard et des expériences de maintenant.



C'est quoi l'essence du théâtre, du drame ? Soit la modification d'un personnage (comme Une Maison de poupée d'Ibsen reste un exemple phare), or, ici, dès le départ Galilée est convaincu de ses convictions, donc ce n'est pas là que ça se joue. Soit un conflit : ici, c'est le conflit porté par Andrea Sarti, l'ancien élève de Galilée, convaincu qu'il ne reviendra pas sur sa parole, même sous la torture, et qui est cruellement déçu en constatant que son modèle plie lamentablement et se dédit publiquement.



Là, je pense que Brecht rate un petit peu quelque chose car son théâtre devient trop manichéen. Les bons incorruptibles d'un côté, désireux de science et de bienfaits universels à l'usage de tous, les vilains corruptibles de l'autre, prêts à toutes les compromissions pour de l'argent ou des bénéfices personnels, quitte à ce que leur science soit utilisée à mauvais escient contre une majorité de la population.



Quand on sait les conditions de régime qui sévissaient à l'époque de l'écriture de la pièce en Allemagne, on comprend, on applaudit presque Bertolt Brecht. Mais est-ce ça la fonction et la force du théâtre ? le triomphe du théâtre, c'est le triomphe des personnages, or, ici les personnages secondaires sont assez insipides et du personnage principal on n'a pas les déchirements.



À aucun moment on n'est vraiment dans la tête de Galilée aux moments cruciaux, au moment des choix cornéliens qu'il a été amené à faire. Peut-être justement parce que l'auteur juge un peu trop son personnage au lieu de chercher à le comprendre. Dans l'ensemble, ce Galilée n'est pas très attachant — aucun personnage d'ailleurs dans cette pièce — et si l'auteur s'était plus donné la peine de comprendre et de justifier Galilée, elle aurait forcément perdu en valeur d'édification face aux événements contemporains qu'il entendait dénoncer.



Bref, quelle est la fonction du théâtre ? Quel est le rôle que l'auteur doit donner à ses convictions personnelles par rapport aux personnages eux-mêmes ? En ce qui me concerne, à chaque fois que je vois un auteur qui souhaite à toute force me dire ce que je dois penser, je trouve qu'il y a malfaçon dans l'oeuvre. Une pièce, quand elle est vraiment réussie ne doit rien retirer à ses personnages.



Si je cherche une pièce traitant de la science et du mésusage de la science, je pense à Pygmalion de Shaw et je la trouve supérieure. Pourquoi ? Parce qu'à aucun moment son auteur ne cherche à faire passer ses convictions avant ses personnages. Si je cherche une pièce dont l'analogie historique est parfaite par rapport à ce que l'auteur cherche à dénoncer, je pense à Montserrat de Roblès et là encore je la trouve supérieure car elle touche à l'universel, elle n'est pas compréhensible et forte uniquement en regard de son contexte d'écriture.



Certes, ici la pièce de Bertolt Brecht possède des qualités nombreuses mais elle n'est pas aussi bien sentie, à mon sens, que, par exemple, l'analogie magistrale entre le régime d'Hitler et les groupes mafieux de Chicago dans La Résistible ascension d'Arturo Ui. Je la trouve beaucoup moins plaisante que Maître Puntila et son valet Maati car l'auteur y laisse moins les personnages exprimer tout leur potentiel scénique. Donc, en résumé, pas mal mais pas top, surtout quand on connaît le talent par ailleurs de Bertolt Brecht, mais, bien entendu, une fois encore, ça n'est que mon avis, c'est-à-dire pas grand-chose.
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La résistible ascension d'Arturo Ui

Juste un mot : Admirable ! Je sais pourtant combien on fait dire tout et n’importe quoi à ce mot, mais s’il est bien un contexte où il se justifie, c’est dans la qualification de cette lumineuse pièce de Bertolt Brecht.



Pas facile pourtant : Brecht se propose, sous l’angle théâtral, de documenter, d’expliquer et d’expliciter toute la fine mécanique d’accession au pouvoir d’Adolf Hitler, tant en Allemagne qu’en Autriche.



Brecht joue gros et il le sait. Voilà pourquoi l’écriture de cette pièce est admirable ; admirable de justesse, admirable de simplicité, admirable d’édification, admirable d’efficacité, en un mot : admirable.



La force de l’auteur : ne jamais tomber dans la caricature ou l’exposé trop visiblement destiné à discréditer. Il prend Hitler au sérieux et ne cherche pas à le rendre ridicule, lamentable peut-être, mais pas ridicule.



Par contre, sa réussite est admirable (encore une fois, cela commence à faire beaucoup, mais vous n'avez pas fini de le lire) dans la composition d’un portrait effrayant. Brecht simplifie, certes, mais ne caricature pas. Il embrasse dans le petit volume d’une pièce de théâtre des rapports aussi vastes et complexes que ceux qu’entretiennent les organisations économiques, politiques et fascistes (ici, plus précisément mafieuse, mais la différence est mince, somme toute).



Ajoutez à cela un trait de génie, à savoir, faire le parallèle entre le savant processus de prise de pouvoir à l’échelle d’un état et celle de l'instauration de la férule d’une mafia de gangsters sur une ville telle que Chicago.



On comprend alors pourquoi les noms choisis par Bertolt Brecht ont des relents de Sicile. Adolf Hitler est le plus transformé et devient Arturo Ui, Hermann Göring devient Ermanuel Gori, Joseph Goebbels devient Giuseppe Gobbola, Ernst Röhm devient Ernesto Roma, le chancelier allemand Paul von Hindenburg devient Hindsborough, le chancelier autrichien Engelbert Dollfuss devient Ignace Dollfoot, le bouc émissaire qui porta le chapeau pour l’incendie du Reichtag Marinus van der Lubbe devient Fish, etc. Tous sont très reconnaissables. Cet exemple de translation est l'archétype de ce que Brecht appelait la distanciation.



Quand on sait que cette pièce fût écrite en 1941, au plus fort de la domination nazie, on se doit de témoigner un certain respect et même un respect certain à MONSIEUR Bertolt Brecht. Il a, ni plus ni moins, inventé un nouveau genre théâtral : la tragédie historique contemporaine.



C’est une tragédie, au sens propre, par le fond, mais aussi par la forme excessivement bien travaillée en ce sens. Tragédie historique, comme on dirait roman historique, car c’est vraiment très bien documenté malgré la pirouette du transfert dans les rues du Chicago de la prohibition.



J’ai trouvé cette pièce particulièrement intéressante car elle détaille les rouages de l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler et de l’Anschluss (annexion de l’Autriche). Car on a trop tendance à croire que cela s’est fait « comme ça ». Non, ce fut un lent processus, fortement catalysée par la crise économique mondiale du début des années 1930. De même pour l’Anschluss qui fut longuement et savamment orchestré.



Bertolt Brecht introduit ces points de repère historique par l'entremise du bonimenteur, sorte de narrateur théâtral, encore un des traits typiques du théâtre tel que l'entend l'auteur, à savoir le théâtre épique, c'est-à-dire le théâtre raconté comme une épopée.



J’ai trouvé cette pièce particulièrement intéressante également parce que pour la première fois j’ai pris conscience de la communauté de moyen entre l’instauration d’un régime de terreur d’état et d’une organisation mafieuse. Je n’avais jamais fait ce lien aussi distinctement auparavant.



Bien sûr, il me faut signaler tout de même que Brecht ne serait pas Brecht sans ses petits traits d’humour caustique et ravageur qui émaillent parfois certaines répliques ou certaines appellations. Par exemple, l’organisation mafieuse marche avec le « trust du chou-fleur », ou le brutal et sanguinaire Gori s’affuble toujours du chapeau de sa dernière victime ou au moment de procéder à un vote à main levée dit : « Les mains en l’air. »



Le message de l’auteur, outre l’extrême dangerosité de cette organisation fasciste, est que l'on peut et que l’on doit toujours et COLLECTIVEMENT résister. (Le mot le plus important est bien collectivement, pas les verbes pouvoir, devoir ou résister.) Certes, dans la pièce, certains individus se sont opposés et ont de suite été liquidés. C’est donc, selon Bertolt Brecht, que seule une réponse COLLECTIVE est efficace.



Bref, vous l’aurez compris, dans cette pièce, au sujet lourd comme des caravelles de plomb, il n’y a rien a jeter, c’est un morceau (répétez après moi ou je tire !, comme dirait Arturo Ui ou l'un de ses lieutenants) AD-MI-RA-BLE. Mais bien entendu, toutes ces menues considérations ne sont que l'ascension d'un avis, un et un seul, c’est-à-dire, quelque chose d'infiniment résistible.
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L'Opéra de quat' sous

Encore un coup d'essai, encore un coup de maître. Décidément, Bertolt Brecht peut tout se permettre, tout ce qu'il touche se transforme en or. Il peut tout se permettre car il OSE tout se permettre. Rien ne l'effraie, rien ne le dissuade de porter haut et fort les messages qui sont chers à son coeur. En un mot comme en mille, c'est cela qu'on appelle un auteur. (Et même une hauteur !).



Cette fois-ci, c'est John Gay et son déjà fort osé et fort remarquable Opéra Des Gueux, datant du XVIIIe, que l'ami Brecht décide de remettre à sa sauce. À la fois très fidèle et très différent, c'est un drôle de jeu d'équilibriste, mais même quand il est sur la brecht, Bertolt sait toujours retomber sur ses pieds.



John Gay avait parodié l'opéra italien très en vogue en son temps en Angleterre et créé un anti-opéra, basé sur des airs très populaires et dont les héros étaient des malfrats. Occasion pour lui de dénoncer beaucoup de travers de la société britannique d'alors.



Bertolt Brecht, qui est toujours friand des critiques sociales, — surtout dans l'Allemagne de l'entre-deux guerres, si vous voyez de quoi je veux parler, — saute sur l'aubaine, réutilise même les noms des personnages, Peachum, Machealth et compagnie mais n'oublie pas, au passage, d'y greffer sa propre sensibilité, ses propres revendications sociales et politiques du XXe siècle, qui, somme toute, collent assez bien au projet littéraire et sociétal de John Gay.



Personnellement, les formes chantées m'horripilent et m'agacent particulièrement, donc le côté « comédie musicale » tel qu'en a (trop) produit le cinéma n'est vraiment pas ce que je préfère. Mais il en faut pour tous les goûts. La pièce alterne donc des phases chantées avec des phases jouées classiquement au théâtre, sans toutefois qu'on puisse confondre cela moindrement avec un véritable opéra.



Le scénario est intéressant : Peachum est un cynique voyou qui organise le business de la mendicité dans tout Londres. Nul ne peut s'improviser mendiant sans être un rouage de sa fine machinerie très hautement structurée.



Son trésor, c'est sa fille Polly, celle qu'il voudrait élever loin de la fange des rues dont il fait son gagne-pain. Alors imaginez sa surprise, et surtout son désarroi et sa fureur lorsqu'il apprend que celle-ci souhaite se marier avec Macheath, le plus notable proxénète et bandit de Londres !



Macheath, alias Mackie-le-surineur ou simplement Mac (vu qu'il s'agit du nom initialement donné au XVIIIe siècle par John Gay, peut-être y a-t-il un lien entre le nom « Mac » et les expressions argotiques « maque », « maquereau » et « être maquée » qu'on utilise de nos jours, à creuser…) est un bandit à la al Capone (voir aussi l'autre pièce de Brecht La Résistible Ascension d'Arturo Ui), très à l'aise, qui graisse la patte à tout le monde pour avoir le privilège de s'exposer au vu et au su de tout le monde.



Donc, sur fond de grande ébullition due au couronnement prochain de la reine d'Angleterre, nous assistons à la lutte de deux éminences du banditisme et de l'exploitation de la misère humaine, à coup de corruption et d'intimidation des forces de police matérialisées par Brown, alias Tiger-Brown, un homme qui sait sortir ses griffes au besoin...



Je vous laisse le soin d'en découvrir davantage si le coeur vous en dit et me contenterai d'ajouter que même si en raison des parties chantées qui m'ennuient quelque peu, je n'ai pas autant goûté cette pièce que d'autres du même auteur, je la considère néanmoins comme une pièce de très haut vol qui vaut le coup d'être découverte et qui reste dans la lignée des grandes dénonciations sociales et politiques de l'auteur. Ceci dit, ce n'est là qu'un avis de quat' sous, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Maitre Puntila et son valet Matti

Que voilà une pièce drôle, profonde et spirituelle ! Je ne m'y attendais pas à ce point et j'ai été subjuguée. Grand merci monsieur Bertolt Brecht.



Nous sommes dans la Finlande rurale du milieu du XXème siècle (c'est-à-dire que l'action est tout à fait contemporaine au moment de son écriture). Puntila et Matti forment un couple de contraires assortis à la façon de Don Quichotte et Sancho Pança ou de Jacques le fataliste et son maître.



Puntila est un gros propriétaire terrien et riche fermier du Tavastland (Brecht donne presque tous les noms locaux en Suédois, en Finnois on nomme cette province Häme). Matti est son chauffeur (cette fonction incluait aussi, à l'époque et en milieu rural, le maniement intensif du tracteur dans les champs).



Un inévitable choc des classes devrait se produire entre eux deux s'il n'était une petite caractéristique de Puntila. C'est un intarissable ivrogne et, lorsqu'il est saoul comme un cochon, ce qui arrive souvent, l'alcool produit chez lui un éveil des sentiments humains, voire de la philanthropie et de la confraternité envers son personnel qui contrastent fortement avec l'autoritaire, prosaïque et calculateur Puntila qu'il est lorsqu'il est à jeun.



Parmi tous les employés de Puntila, Matti est le seul à lui dire franchement son fait sans chercher à le flatter d'aucune façon. À cause ou grâce à ce caractère, Matti est le protégé de son maître sous l'emprise de l'alcool ou bien sa bête noire en période de sobriété.



Il est aussi question de mariage mais il ne serait pas souhaitable que vous en sachiez plus dès à présent. En revanche, sachez encore que cette pièce est le prétexte pour Bertolt Brecht à l'évocation de questions très profondes sur l'humanité, les classes ou le modèle social, le tout avec une drôlerie sans pareil.



Le propos politique résolument orienté "à gauche toute" est dans la lignée d'un Gorki, avec l'humour en plus. Si ce point ne vous rebute pas, je vous conseille sans hésitation, des deux mains et des deux pieds, cette mignonne petite comédie sociale, mais ce n'est là que mon avis, un parmi tant d'autres, autant dire, pas grand-chose.
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L'Opéra de quat' sous

Le dramaturge allemand signe, en 1928, une pièce sur les bas-fonds du crime, de l’escroquerie et de l’esbroufe.



Au cœur de Soho, Mackie le Surineur règne en maitre sur le crime et les femmes, grâce à ses appuis dans la police. Il s’éprend de la fille de Peachum, le magnat de la mendicité qui a fait des indigents de trottoir et leurs oboles un business juteux et marketing. Faire pleurer le bourgeois, l’apitoyer, un jeu d’acteur en somme.



Fondamentalement, le bourgeois n’a rien contre le mendiant. Peut-être effectivement la vue des indigents, des nécessiteux en trop grand nombre, le dérange, ainsi l’Est de Paris par exemple, était réservé aux bidonvilles quand les quartiers ouest des propriétaires d’usines échappaient aux fumées mortifères de leur capital. Mais le bourgeois a un goût pour la charité, les bonne œuvres, sorte d’ordre immuable de l’organisation humaine qui ne le menace en rien et ça, les « faux » mendiants, les professionnels de l’aumône, d’hier comme d’aujourd’hui le savent bien…



Brecht, et Kurt Weill qui signe la musique, n’inventent pourtant pas la pièce, Jonathan Swift avait déjà soufflé l’idée à John Gay au XVIIIème siècle, ce dernier connu un grand succès avec son « Opéra des gueux ».



« Nous aimerions tous être bons

Si les circonstances s’y prêtaient »



Cette pièce est l’occasion pour Bertolt Brecht de mettre en pratique ses théories sur ce que doit être le théâtre dans la cité : un inquiéteur de conscience.

Sa méthode, jugée à la fois marxiste et novatrice, est, d’après le spécialiste français de Brecht Bernard Dort, la distanciation ou « Verfremdungseffekt ». Ainsi, Brecht s’inscrit en faux contre le théâtre « naturaliste » qui campe le personnage dans un milieu, cherchant la vraisemblance et la cohésion entre décor, personnage, didascalies et dialogue, de façon à créer l’illusion du plausible.



Avec « l’Opéra de quat’sous », nous n’oublions jamais que nous sommes au théâtre. Le public est parfois pris à parti, les personnages cessent tout à coup de suivre le fil de l’intrigue pour se planter face à l’audience et entonner un chant, et d’autres ressorts scéniques comme le deus ex machina revisité.



« Et sans preuve juridique, un requin n’en est pas un ». Sur le plan politique, la pièce opère une sorte de renversement des valeurs bourgeoises et chrétiennes dans le but de provoquer et d’inciter le spectateur à s’interroger sur la société, par exemple la justice au service d’un ordre corrompu : « nos juges sont parfaitement et radicalement incorruptibles : aucune somme d’argent ne saurait les inciter à rendre une justice équitable. »



Et s’il ne fallait retenir qu’une phrase emblématique de ce miroir renversé de la société, à la fois provocatrice, pathétique et primaire :



« Vous pouvez retourner ça dans tous les sens

La bouffe vient d’abord, ensuite la morale »



Qu’en pensez-vous ?
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Les Fusils de la Mère Carrar

Les Fusils de la Mère Carrar est une très courte pièce en un acte de Bertolt Brecht. Oui, Bertolt Brecht, il faut que je me le répète fréquemment car à aucun moment je n'ai eu l'impression de lire autre chose que du Federico García Lorca.



Bien que cette pièce de 1937 ne soit probablement pas conçue comme un hommage au poète et dramaturge espagnol disparu l'année précédente (quoique, ce serait à creuser…), de par son sujet, l'atrocité de la Guerre d'Espagne en Andalousie, de par sa prise de position, proche des gens, contre Franco, elle ne peut qu'évoquer le combat de García Lorca.



Pourtant, cette pièce ne fait pas du tout dissonance dans l'oeuvre de Brecht, très cohérent avec lui-même, ouvertement ennemi de toutes les formes de fascisme, mais elle a le parfum féroce de la rude Andalousie et de la tragédie collective qui s'y est jouée dans les années 1930.



Très bien écrite, très bien amenée, comme c'est souvent l'habitude chez Brecht, son sujet n'est pourtant, selon moi, ni la résistance, ni la dénonciation. Le sujet me paraît plus philosophique, plus théorique : la neutralité en cas de conflit.



Oui, Bertolt Brecht pose hardiment la question : Peut-on décemment se déclarer neutre et pacifique quand ce qui se joue c'est la vie et la liberté ? Une question qui s'est posée en son temps en Espagne, qui a dû se poser il y a une vingtaine d'années en Bosnie et qui se pose encore et plus cruellement que jamais au Proche-Orient aujourd'hui.



La réponse de l'auteur est sans équivoque ; c'est à mon sens le principal point faible de la pièce. Présentée dans un premier temps sous une forme relativement dialectique et équilibrée, elle prend au dénouement de la pièce un caractère univoque : on n'a pas le choix, il faut s'engager contre le fascisme, quitte à y perdre la vie.



Si l'on se souvient que Bertolt Brecht écrit cette pièce en plein dans le feu de l'action de la Guerre d'Espagne, qu'il ne prend même pas la précaution littéraire de changer les noms des dirigeants comme il l'avait fait dans La résistible ascension d'Arturo Ui, on peut comprendre et pardonner cette réponse simple dictée par l'urgence de la situation.



En deux mots, madame Carrar est veuve : elle vient de perdre son mari qui s'est engagé dans la lutte contre Franco. Elle redoute de voir ses deux fils suivre le même chemin et se réfugie donc dans la neutralité en interdisant formellement aux deux garçons de prendre parti (en l'occurrence, rejoindre le maquis).



Cette décision est d'autant plus dure à tenir que le village est fermement résistant et que les jeunes hommes Carrar se font régulièrement conspuer pour leur non engagement, eux qui ont des cœurs vaillants.



Soudain arrive le frère de la veuve qu'on n'a pas vu depuis longtemps. Il est lui aussi très activement engagé dans la résistance à Franco et vient chercher… les fusils de la mère Carrar, ceux qui appartenaient à son beau-frère. Il espère repartir non seulement avec les armes mais aussi avec deux combattants supplémentaires…



Je vous laisse découvrir la lutte acharnée d'une mère qui, ayant déjà vu revenir son mari les pieds devant, fait tout son possible pour éviter que ses fils ne lui échappent à leur tour, eux qui ne rêvent que de prendre les armes.



En somme, du bon García Lorc… euh, non, Brecht, rude comme le soleil et les pierres d'Andalousie, où les fusils deviennent le symbole de l'engagement dans la lutte contre le fascisme. À découvrir, mais ce n'est bien sûr que mon avis à un coup, pas toujours percutant, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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La résistible ascension d'Arturo Ui

J'avais lu depuis longtemps La résistible ascension d'Arturo Ui mais je ne l'avais jamais vu au théâtre…jusqu'à hier soir, dans la mise en scène impeccable de Dominique Pitoiset, avec Philippe Torreton dans le rôle- ô combien ambigu- d'Arturo…



Le choc est tel que j'ai aussitôt rajouté une dernière étoile à ce texte qui fait mouche avec une rare élégance dans l'air de présenter sans caricature un putsch fasciste – la prise de pouvoir de Hitler, pour ne pas le nommer - d'en expliquer les rouages sans lourdeurs pédagogiques et de pousser à la réflexion, voire à la résistance – l'ascension n'est-elle pas résistible ?- sans endoctrinement.



Un texte étincelant, ciselé avec l'exactitude historique nécessaire.



On reconnaît, derrière la fable, la Nuit des Longs Couteaux, l'Anschluss- et en même temps, une distance s'introduit avec l'Histoire qui nous laisse du champ pour juger – la fameuse « distanciation brechtienne »- , en particulier grâce au déplacement spatio-temporel.



L'action est située dans le Chicago des années 30, en pleine crise, où les commanditaires de l'approvisionnement – le « trust des choux-fleurs »- et les gangsters s'unissent pour mieux tirer profit de la misère et des désordres qu'elle engendre.



Les personnages historiques portent des noms d'emprunt – transparents- à l'exception d'Arturo Ui –Adolf Hitler, dont la sinistre notoriété se passe de tout pseudonyme de pacotille.



La distance est aussi obtenue par le portrait éminemment retenu, voire nuancé d'Arturo, qu'on ne nous présente pas en psychopathe, même si son moteur est la notoriété, la revanche sociale et le pouvoir.



Arturo, c'est une crapule de bon ton. Il sait se contenir et se taire- quand il trahit son meilleur ami, Roma –alias Ernst Röhm, chef des S.A.- et le livre à la vindicte des ses rivaux, Gori et Gobbola. Il sait montrer patte blanche avec le vieux Président Hindsborough - ou Ignace Dolfoot, chancelier d'Autriche,...avant de sortir ses griffes! Il se montre même pathétique quand il supplie qu'on le prenne au sérieux et qu'on accepte ses « services ».



Mais il est plein d'une froide détermination, d'un aplomb incroyable et d'un cynisme qui fait froid dans le dos.



Les étapes du coup d'état sont dégagées avec une impitoyable lucidité : d'abord désoeuvrement et voyouterie aux confins de la légalité, puis, à coup de menaces, de pressions, de services rendus, de crimes, de trahisons, une discrète infiltration dans le monde des notables, et enfin, en toute légalité, l'appropriation, la spoliation, la mise en coupe réglée du monde de l'argent, le contrôle de la force, la jouissance du pouvoir .



C'est à l'évidence un brillant cours d'histoire politique, mais c'est bien plus que cela : dans la mise en scène de Pitoiset, j'ai soudain trouvé à ce texte une valeur intemporelle.



La distanciation n'est plus obtenue par la légère distorsion des noms célèbres ou par les allusions au Chicago des années 30 : en effet Pitoiset appelle un chat, un chat : Gori c'est Göring, Gobbola, Goebbel, Roma, Röhm Hindsborough , Hindenburg, et Dolfoot, Dolfüss. Seul, bien sûr, le héros éponyme de la pièce garde son nom d'Arturo Ui.



Serions-nous devenus trop bêtes ou trop ignares pour saisir les allusions historiques, qu'il faille ainsi surligner les intentions du texte ? Point du tout!



Le dispositif scénique de Pitoiset actualise le contexte, provoquant un double mouvement d'éloignement –adieu Chicago !- et de rapprochement,- Bonjour, la France ! - qui met le texte dans une sorte d'intemporalité, d'éternelle jeunesse – et d'éternelle menace.



En effet nous sommes dans une salle de conseil d'administration avec une rangée de casiers où trônent coupes, bustes de Marianne, fleurs et couronnes mortuaires - casiers qui s'ouvrent parfois, par inadvertance, sur quelques cadavres, comme à la morgue.



Aux murs, des écrans – des caméras de surveillance voyeuses qui ouvrent cet espace policé des grands brasseurs d'affaire sur l'agitation du monde extérieur.



D'abord Résistance et Révolte : le « va pensiero » de Verdi chanté à l'opéra de Milan par tous les spectateurs en larmes en présence du grotesque Berlusconi, les « casseurs » aux prises avec les force de l'ordre dans les émeutes de banlieue .

Puis l'Ordre retrouvé - le meeting-aux-mille-drapeaux-bleu-blanc-rouge du Palais de Chaillot en 2012.



Une incursion du monde extérieur , mais glacée, contrôlée, désincarnée : celle des écrans vidéo.



Costards, cravates, dossiers, salle d'attente stylée : pas un souffle sinon ne semble devoir altérer la bonne marche des affaires du libéralisme triomphant.



Il y a bien quelques coups de feu en coulisse, quelques meurtres en avant-scène, mais vite escamotés par l'ordre aseptisé de l'Entreprise, soutenue et bientôt noyautée par des voyous en col blanc.



La distanciation brechtienne et celle choisie ici par le metteur en scène, servies par un texte et des acteurs magnifiques, – Torreton, génial en Arturo Ui !- délivrent un message limpide : attention, une prise de pouvoir célèbre peut en cacher une autre, et la respectabilité est sans doute le masque le plus redoutable et le plus trompeur dont puisse s'affubler le fascisme.





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La Vie de Galilée

Savoureux premier contact avec Bertolt Brecht.



L'auteur déploie sur scène la vie du célèbre savant du 17ème siècle, Galileo Galilei, avec une petite idée derrière la tête. Il s'agit d'alerter le public sur le fait qu'il existe souvent des conséquences socio-politiques aux découvertes scientifiques qui apriori « se contentent » d'accroitre notre compréhension de l'univers. Ainsi, la Vie de Galilée a été écrite durant l'exil au Danemark de Brecht, après avoir lu dans les journaux l'annonce de la fission de l'uranium par le physicien Otto Hahn et ses collaborateurs. Un tel potentiel entre les mains du régime hitlérien ne pouvait que faire réagir le dramaturge.

Mais si volonté de faire réfléchir le spectateur il y a, elle est judicieusement incorporée dans une pièce vivante et passionnante qui balaie l'ensemble de la carrière du savant italien.



La période vénitienne insiste sur les idées coperniciennes qui visiblement fascinent Galilée. L'auteur tente de les faire comprendre au jeune Andrea – et aussi aux spectateurs – par certaines scènes amusantes, comme celle où Galilée déplace Andrea sur sa chaise autour d'un trépied représentant le soleil afin de lui faire sentir la relativité du mouvement.

Puis c'est la période florentine, bouleversée par des scènes éprouvantes de présence de la peste. Galilée tourne vers le ciel une lunette optique et découvre les montagnes de la lune, les phases de Vénus et les satellites de Jupiter. Autant d'éléments qui devraient foudroyer le modèle cosmique de Ptolémée, mais qui sont loin de convaincre les savants florentins pour lesquels une observation qui contredit le texte de la Bible ne peut qu'être fausse, voire imposée par Satan. Sans parler des réactions de moquerie des moines et des prélats.



Galilée passe par diverses phases. Il suit les conseils (injonctions ?) de l'Église qui souhaite le voir s'éloigner des sujets cosmologiques, puis il cède à sa curiosité, ne peut plus supporter que la Vérité soit ainsi étouffée, décide d'écrire un livre en langue vulgaire afin que chacun sache. Les conséquences sont telles que les avaient envisagées le haut clergé : le peuple réagit en extrapolant les découvertes. Si la Terre bénie par Dieu n'est plus qu'un astre parmi d'autres qui tourne autour du soleil, cela ne signifie-t-il pas que le noble et le prêtre ne sont que des hommes parmi d'autres qui n'ont aucune raison de se trouver au centre de l'univers humain ? La structure sociale entière peut s'effondrer, l'Église perdre son ascendant.

Le peuple italien a-t-il réellement régi ainsi aux découvertes de Galilée ? Ce tollé a-t-il été une répétition de ce que Darwin provoquera deux siècles plus tard ? Quoi qu'il en soit, ce dernier ne se sent pas responsable. Il a dévoilé une théorie cosmologique élégante et efficace, et cela s'arrête là.

Voilà donc pourquoi l'Inquisition va mettre ses ouvrages à l'index, lancer son procès en hérésie et le pousser à abjurer ses découvertes. Galilée aime la vie confortable et la bonne chaire. Il craint l'idée de la torture. Il cède. L'Église le maintient sous surveillance pour le reste de sa vie.



La fin de la pièce montre Galilée qui accepte finalement la responsabilité des conséquences de sa découverte. Il entre en résistance passive et donne une version de ses « Discours » au jeune Andrea, devenu l'élève tellement déçu de la rétractation de son maître, et qui s'en va en Hollande où les idées ne sont pas emprisonnées. Ainsi le savant qui découvre se doit d'envisager les conséquences non scientifiques positives et néfastes de sa découverte. Il se doit de se considérer responsable de ces conséquences, et décider si le jeu en vaut la chandelle. Voilà comment j'interprète le message de Bertolt Brecht.



Un auteur dont je lirai certainement d'autres oeuvres. Peut-être Mère Courage et ses Enfants qui se passe durant la guerre de Trente Ans.

D'ici-là, j'aurai la joie d'aller voir la Vie de Galilée sur scène, à la fin du mois.
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Nouvelles

Certains auteurs ont ce petit plus, que l'on nomme communément : génie. C'est le cas de Dante Alighieri en Italie, des "poètes maudits" (Baudelaire, Rimbaud et Verlaine) en France, d'Oscar Wilde en Angleterre, de John Steinbeck aux États-Unis, de Joseph Roth et Stefan Zweig en Autriche, de Friedrich Dürrenmatt en Suisse, et de Bertolt Brecht en Allemagne, etc. pour n'en citer que quelques-uns. Par là, j'entends que, outre leur compétence littéraire manifeste, ils arrivent à vous rendre bouche bée de certaines de leurs trouvailles, qui ont le mérite (où l' inconvénient ) de résonner x temps après dans votre tête et que vous n'oubliez plus jamais.

Pour moi, en tout cas, cela a été le cas avec certains passages de "L'Opéra de quat' sous", de"Mère Courage et ses enfants", de "La vie de Galilée" et de "Grand-peur et misère du IIIe Reich" de Bertolt Brecht.



L'édition bilingue (Allemand/Français) des "Nouvelles/Kurzgeschichten" de Bertolt Brecht, paru en collection "Pocket" en 2015, en contient 5.

La préface, traduction et notes sont de Danielle Laquay-Meudal, qui prouve que ni la langue, ni l'auteur n'ont pour elle de secrets. Comme docteure en littérature comparée de l'université de Berlin, elle est spécialisée dans l'oeuvre de Walter Benjamin et des contes d'Hoffmann, ce qui ne l'a pas empêché de publier une BD avec beaucoup d'humour : "Ils sont fous, ces Berlinois !" en 1991.



- La vieille dame indigne : le petit-fils raconte qu'à la mort de son mari, sa grand-mère a commencé à mener une vie indigne, du moins selon sa famille et surtout un de ses fils toujours à court de blé. Qu'en est-il ? Après une vie d'épouse exemplaire et de mère-modèle pour ses 5 enfants, les dernières 2 années de sa vie, entre ses 74 et 76 ans, elle pense un peu à elle-même... en osant aller manger dans un resto bon marché et de s'occuper d'une pauvre fille "demeurée".



- Un sale type : une très courte nouvelle que Brecht a écrite lorsqu'il avait à peine 21 ans. L'histoire d'un profiteur éhonté du charme féminin, de nature à choquer la pudibonderie bourgeoise de tout de suite après la première guerre mondiale. Anecdote marrante, la secrétaire de son père a refusé de taper cette histoire "scabreuse".



- Les crevettes de la mer du Nord : 3 poilus de la Grande Guerre, des anciens d'Ypres et d'Arras, se retrouvent un soir dans l'appartement de l'un d'eux. Un flat modèle du type Bauhaus. L'hôte et son épouse sont très fiers de leur réalisation : un grand mur blanc sans décoration aucune, un bureau spartiate, un salon où tout est lilas... le tout inspiré par un "parti pris fonctionnel novateur" et d'un dogmatisme de l'esthétique... jusqu'à poser un objet absolument hideux dans la salle à manger, car rien n'est plus agaçant "qu'une harmonie sans faille". Cet endroit, où manquent convivialité et intimité - "Gemütlichkeit" - irrite un des invités à tel point, qu'ii procède, le whisky aidant, à un réaménagement catastrophique. Une boîte de crevettes de qualité extra était le cadeau d'arrivée de cet invité à son hôte.



- le cercle de craie d'Augsburg : Cette nouvelle est située dans la ville natale de Bertolt Brecht. Il s'agit en fait, d'une fable qui remonte à la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui opposait catholiques et protestants, et dans laquelle l'auteur prône une nouvelle éthique sociale.



- Curriculum du boxeur Samson-Körner : Brecht, à une certaine époque, était un fanatique de la boxe, ce "combat sans hostilité". C'était lorsqu'il était adolescent d'ailleurs son loisir préféré. Violon d'Ingres qu'il partageait avec Lion Feuchtwanger, par l'intermédiaire duquel il rencontra le boxeur Paul Samson-Körner (1887-1942), champion poids lourd, avant de devenir acteur de cinéma et de mourir dans un accident de voiture.

Brecht décida de laisser le boxeur raconter ses souvenirs, qu'il nota à sa façon, pour en faire un feuilleton destiné à des revues sportives.



Ce recueil de nouvelles, comparé aux oeuvres citées plus haut, ne peut prétendre au même niveau littéraire. La sélection et présentation par la traductrice Danielle Laquay-Meudal nous font connaître cependant un Bertolt Brecht un peu moins connu, pour ne pas dire insoupçonné, et offre ainsi un intérêt incontestable.



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Mère Courage et ses enfants

C'est en gros par erreur que j'ai lu Mère Courage et ses enfants, vu que j'étais persuadée que le challenge Théâtre avait un niveau Brecht ; en fait, c'était un niveau Marivaux (il faut quand même en tenir une couche pour confondre les deux). Donc, toute à mon erreur, je renâcle, je renâcle et je renâcle encore, comme je le fais depuis plusieurs années concernant Brecht. C'est que ces histoires de théâtre didactique donnent une image à la fois ennuyeuse et poussiéreuse aux pièces de Brecht. Et puis il faut bien avouer que ma bibliothèque de quartier n'offre pas beaucoup de choix (oui, je sais, le théâtre ça ne sort pas, donc on en achète pas, donc forcément ça risque pas d'être lu si c'est pas à disposition, et donc ça ne risque pas d'être emprunté. Mais passons.) Donc je devais avoir le choix entre deux ou trois bouquins, dont un avec des bonnes taches de café dessus : c'était Mère Courage. Comme les autres titres me rebutaient encore plus que Mère Courage, c'était soit l'exemplaire aux taches de café, soit celui que j'ai récupéré dans une boîte à livres... mais en allemand. Mon allemand s'étant fort usé au fil du temps, j'ai opté pour les taches de café (les gens sont dégueulasses, quand même ; quand ils ne rayent pas des DVD tout neufs. Mais passons.) Donc je me force en vue du challenge (pour le niveau Marivaux, en toute logique), j'ouvre mon livre (avec ses taches de café), et là... grosse surprise. Ce texte qui m'avait semblé horriblement ennuyeux quand je l'avais tout juste feuilleté m'a plu dès la toute première page.





Mère Courage, de son véritable nom Anna Fierling, parcourt l'Europe au XVIIème siècle, en pleine Guerre de Trente ans. Elle suit l'armée (au vu des circonstances, elle peut changer de camps si nécessaire) avec ses enfants et sa carriole, dans laquelle elle trimbale un peu de tout ce qu'elle peut revendre. C'est comme ça qu'elle gagne piètrement sa vie, et qu'elle va mettre, bien qu'involontairement, en péril ses enfants. Étonnamment, Mère Courage est consciente de profiter de la guerre pour survivre, mais d'être aussi largement exploitée, de se montrer lâche, et pourtant elle continue envers et contre tout son parcours insensé. La fin montrera que le courage peut pourtant se révéler dans les pires circonstances, et chez quelqu'un qu'on n'attend pas forcément dans ce rôle - mais qui évidemment n'est pas Mère Courage.





Brecht a l'art de traiter un sujet grave avec beaucoup d'humour, les répliques de Mère Courage y étant pour beaucoup, ainsi que les chansons ponctuant la pièce. Je ne sais quoi dire d'intéressant, tellement Brecht l'a lui-même analysée pour les spectateurs et a clairement expliqué ce qu'il dénonçait : le capitalisme naissant, dont Mère Courage est à la fois la victime et l'un des rouages, mais surtout le fait que Mère Courage n'apprend rien de son expérience. Pour une fois, les éditions de L'Arche n'ont pas livré un texte brut (ce qui m'agace prodigieusement d'habitude, vu le prix de leurs bouquins), mais ont constitué un petit dossier en fin d'ouvrage avec des textes et un entretien de Brecht, qui permettent de saisir son projet. le grand regret de Brecht, c'est au final que les gens aient apprécié sa pièce mais n'aient pas saisi son propos, même six ans après sa création (la pièce a été montée en 1949). Il cite des idées reçues du genre "Une bonne guerre réglerait tout ça" et déplore le fait que personne n'apprenne rien de la guerre : "[La masse] apprend aussi peu de la catastrophe que le cobaye apprend de la biologie." Bon, bon, bon.





Voilà, c'était la critique rigolote du jour. Vu que je fais une pause du côté de O'Neill, il fallait que je trouve un autre sujet bien déprimant pour combler cette lacune. On ne peut pas toujours faire le clown, n'est-ce pas ?







Challenge Théâtre 2020
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Grand-peur et misère du IIIe Reich

Si je souhaitais lire « La vie de Galilée » et « La résistible ascension d’Arturo Ui », c’est finalement avec la pièce de théâtre « Grand-peur et misère du IIIè Reich » écrite entre 1935 et 1938 que j’ai découvert le dramaturge allemand Bertolt Brecht.

Cette pièce de théâtre est composée de 24 scénettes qui se déroulent durant l’Allemagne nazie avant que n’éclate la seconde guerre mondiale.



Dans ces différentes scénettes, Brecht évoque le quotidien des Allemands sous le régime nazi, quotidien régi et rythmé par la peur. On pénètre dans leur intimité lors de discussions, autour d’une table de la cuisine, dans un appartement, dans la rue... On comprend combien tous font attention à ne pas critiquer le pouvoir de peur des représailles. Qu’ils soient issus de la classe populaire ou du milieu bourgeois, qu’ils soient résistants, juifs, militants ou militaires mais aussi -déjà- prisonniers dans les camps, personne n’est épargné par cette peur, cette peur d’être dénoncé, d’être arrêté. Et face à elle, l’auteur dépeint les divers comportements, les mensonges, les chuchotements, les états liés à la peur. On entend le bruit des bottes, les cris, les larmes, les voix chevrotantes et le lourd silence.



Dans cette pièce de théâtre, le dramaturge dresse le portrait de toute la société allemande prise sous le joug du régime totalitaire. Il représente toutes les classes sociales, que ce soit dans la sphère privée ou celle publique, familiale ou professionnelle (et on se retrouve forcément dans l’un des personnages).

En se servant uniquement des dialogues, des discussions échangées (puisque les descriptions des personnages sont quasi inexistantes), l’auteur réussit à nous montrer combien et comment la peur est entrée en chacun, avec notamment des relations avec les autres dictées par cette peur, des relations forcément déformées, avec déjà pour certains une forme d’obéissance, d’acceptation du régime. Et c’est par ce style dépouillé que les scènes de la vie quotidienne instillent en nous une sensation de malaise et d’angoisse plus dense.

Et ce d’autant plus lorsque l’on sait que Brecht a écrit ces scénettes à partir d’articles de journaux ou encore de ce qu’on lui a raconté.



Lui qui a connu l’horreur de la première guerre mondiale, l’arrivée au pouvoir du nazisme l’a contraint à fuir l’Allemagne et à s’installer au Danemark en 1933. Par cette pièce de théâtre qui sera joué notamment à Paris en 1938, Brecht souhaitait témoigner et alerter, tout particulièrement aux compatriotes exilés comme lui, de la gravité des évènements qui se déroulent en Allemagne.



Certaines de ces scènes m’ont plus marquée que d’autres. Mais c’est bien entendu en les prenant dans leur globalité que cela prend tout son sens, et c'est dans cette globalité que chacune d'elles prend alors plus de poids.

Le lecteur d’aujourd’hui, sachant que le pire était encore à venir -que cette période n’était encore que les prémices de la folie d’un homme (et de la seconde guerre mondiale, des camps de concentration, …), lit avec plus d’effroi ces scénettes. Et cela résonne en nous et rend cette lecture encore plus saisissante.



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Grand-peur et misère du IIIe Reich

Cette pièce, constituée de 24 scénettes indépendantes, écrites entre 1935 et 1938, qui, ensemble, révèlent des facettes de la société allemande. Brecht ne vivait déjà plus en Allemagne à ce moment-là et s'est inspiré de récits de témoins et d'extraits de journaux. Ensemble ces scènes dressent l'état de l'infiltration du régime nazi dans toutes les sphères de la société. Publiée d'abord en 1938 à Prague, elle a été peu diffusée (invasion de la Tchécoslovaquie), mais huit des scénettes ont été jouées en allemand à Paris en 1938. Elles ne connaîtront une plus large diffusion qu'à partir de 1945 et mises en scènes d'une façon plus classique (répartition des scénettes pour faire trois parties) dans un décor évoquant la guerre et l'armée nazie et avec un texte supplémentaire, le « Choeur de l'auto blindée » réparti entre le début, les intermèdes et la fin. Je pense que j'avais déjà lu ce texte présenté ainsi (le nombre mais aussi l'ordre des scénettes est extrêmement différent de la version de 1938), c'est un texte fort, mais il ne faut absolument plus le lire ainsi, ça donne trop l'impression erronée d'avoir été écrit pendant la guerre ! Toujours est-il que, par curiosité, j'ai voulu lire les huit scénettes de la représentation parisienne en premier, pour percevoir ce qu'elles donnaient à voir à leur probablement rare public : suspicion, délation, méfiance et auto-censure permanente et généralisée (La croix blanche, le mouchard, Placement de main-d'oeuvre), débâcle économique, manifeste mais niée, au nom de l'effort de guerre (Secours d'hiver, Deux boulangers, le paysan nourrit son cochon), situation des juifs (La femme juive), état surréaliste du droit et de la justice (A la recherche du droit). Puis j'ai continué avec les autres scénettes, mais il faut bien avouer que ces 8 scénettes sont les textes les plus fort, même si les autres montrent d'autres facettes sociales et insistent un peu plus sur le sort d'opposants politiques plus conscients. Tout est dit en quelques mots, comme avec ses parents qui craignent que leur fils soit sorti pour les dénoncer alors qu'il est juste allé acheter des bonbons. C'est d'une concision remarquable, avec cette galerie d'anonymes très représentatifs. Un texte édifiant, témoignage de la résignation, de la soumission inéluctable de tous les pans de la société.
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La résistible ascension d'Arturo Ui

Bien joué, Brecht ! la distanciation proposée faisant de la prise de contrôle du marché du chou fleur à Chicago une parabole de l’accession au pouvoir d’Hitler est une idée géniale qui fonctionne à merveille.

Dans le climat malsain et poisseux de la pièce, la brutalité crasse d’Arturo Ui et de ses sbires ramène le fuhrer et sa clique à ce qu’ils sont : une misérable bande de gansgters arrivistes, réussissant pourtant à prendre le pouvoir par la force, la ruse et l’intimidation sur les institutions locales qui se font avoir et baissent les bras.

Résistible, l’ascension d’Arturo Ui ? Pas si simple de résister quand on a un browning sur la tempe, mais c’est pourtant le message de Brecht qui écrit cette pièce depuis son exil finlandais en 1941 : d’abord savoir lire le sens des événements quand ils adviennent (mais sait-on le faire dans l’instant, sans le concours de ces panneaux qui à chaque fin de scène viennent relier le feu de l’action aux étapes fondatrices de l’accession d’Hitler au pouvoir dans les années trente ?), puis comprendre quels sont les mécanismes à l’œuvre dans la mise en place d’une dictature, enfin porter un regard froid sur ce que sont fondamentalement les dictateurs afin de démystifier leur puissance.

Une pièce dérangeante et redoutablement efficace.

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La résistible ascension d'Arturo Ui

Une idée casse-gueule, sur laquelle je n'aurais pas misé un kopeck: parler de la résistible ascension d'Hitler par le biais d'une histoire de gangsters - il y a même des panneaux soulignant les parallélismes avec la montée du nazisme, ça devrait être lourdingue et too much non?

Et pourtant le mélange de la dimension tragédie politique, du « grand style » et du côté cabaret, farce du trust du chou-fleur, univers de gangsters hollywoodien, fonctionne en fait très bien. C'est drôle, c'est terrifiant, intelligent et très efficace d'un point de vue dramaturgique.

La référence historique n'a rien d'enfermant ici, au contraire, et La Résistible ascension d'Arturo Ui garde toute sa force et résonne aussi fort chez le lecteur ou spectateur d'aujourd'hui. Bien sûr, l'épilogue indique clairement que la dimension anti-fasciste de la pièce continue à nous concerner, ce qui a assuré à la phrase finale sa triste notoriété:

« Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester

Les yeux ronds. Agissez au lieu de bavarder.

Voilà ce qui aurait pour un peu dominé le monde !

Les peuples en ont eu raison, mais il ne faut

Pas nous chanter victoire, il est encore trop tôt :

Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde ! »

Mais les réflexions auxquelles nous pousse la pièce débordent largement le cadre du nazisme ou du fascisme: crise de la démocratie et pourrissement du capitalisme, élus manipulés par des hommes d'affaires, instrumentalisation nauséabonde du thème de l'insécurité, de la peur, importance de la com, de la manipulation par la politique-spectacle, passivité qui laisse mourir la vie démocratique...
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Grand-peur et misère du IIIe Reich

Une belle petite pièce! Ici, nous sommes à la genèse du nazisme. On vit les perturbations qu'engendre l'arrivée du nazisme dans le petit monde et aussi chez les fonctionnaire qui voient la chose arrivée sans mesurer l'ampleur de la chose sur une dizaine d'année...
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La résistible ascension d'Arturo Ui

Mesdames et Messieurs, le sieur Brecht va vous raconter une histoire de gangsters. Toute ressemblance avec des faits existants ou ayant existé n'est pas purement fortuite. La résistible ascension d'Arturo Ui ou Comment un auteur allemand exilé en Finlande, porte en 1941, un regard au vitriol et fatalement lucide de ce que subissent ses contemporains en transposant l'actualité dans le Chicago du temps de Capone.



Que vous dire si ce n'est de lire ce livre, un style de prose poétique mirifique et macabre. L'Histoire avant qu'elle ne le devienne ou comment une dictature s'installe tranquillement au pouvoir. Les personnages de Brecht sont travaillés, caricatures vraisemblables de leurs doubles réels, les décors une Amérique en pleine récession économique où la loi du browning et des règlements de compte règne. L'intrigue, la suprématie du trust du chou-fleur sur le marché des légumes interurbain, si le thème porte à sourire, le traitement lui fait grincer des dents et hérisser les cheveux sur la nuque, le frisson du canon avant l'impact.



Le devoir de mémoire dans sa forme la plus aboutie. Un chef d'oeuvre du théâtre moderne.
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Antigone

J'aime le personnage d'Antigone, depuis ma découverte, adolescente, de la version d'Anouilh. J'en ai lu plusieurs depuis lors. Jamais je n'avais croisé de version plus proche de mon ressenti initial.



Et j'aime, je l'avoue, le prologue proposé par les éditions de l'Arche, celui de Berlin 1945, plutôt que le nouveau prologue ajouté en fin de livre. J'aime cette vision moderniste de ce mythe antique, ce qui me paraît respecter justement le sens même d'un mythe.



Cela ne me donne qu'une envie, approfondir l'oeuvre de ce dramaturge, trop peu joué, en tout cas dans mon pays.
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L'Opéra de quat' sous

Comme pour Rabbit Hole vu il ya peu, un autre grand succès d'une création de théâtre lyonnais de l'an dernier est revenu pour quelques représentations au grand plaisir des retardataires que nous sommes.



Il s'agit de l'opéra de quat'sous, un classique de théâtre musical- terme plus approprié que comédie musicale crée en 1928 par Bertolt Brecht et Kurt Weill que Jean Lacornerie, le directeur du Théâtre de la Croix Rousse a revisité dans une mise en scène particulièrement flamboyante.



Jean Lacornerie, accompagné de ses fidèles complices Lisa Navarro, scénographe et Émilie Valentin, marionnettiste, ont construit un spectacle hybride et ambitieux associant théâtre, cabaret et marionnettes.



Comédiens, musiciens et chanteurs se mêlent aux marionnettes d’Émilie Valantin, dans cette pièce qui emprunte largement sa forme au cabaret.



Jean Lacornerie, qui connait son Kurt Weil sur le bout de ses ongles, a voulu revenir au texte original, tel qu'il avait été créée avant d'être interdit en 1933 par les nazis, et non pas à la version la plus jouée, celle qui avait été finalement été retenu par un Brecht brouillé depuis longtemps avec son compositeur fétiche. Ici, la pièce réaffirme joliment la prédominance de la musique sur le texte, et Jean Lacornerie, qui a toujours adulé les partitions de Kurt Weil, soigne particulièrement l'emballage musical de l'ensemble.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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La Vie de Galilée

Galilée est un personnage très réussi, complexe et fascinant, permettant à Bertold Brecht de faire vibrer la pièce de questionnements, de réflexions bien vivantes et bien pertinentes pour le spectateur du XXème ou du XXIème siècle - remettre en question les vérités imposées par la pensée dominante, les soumettre au doute, à l'analyse basée sur l'observation et la raison, ne pas oublier que « le seul but de la science consiste à soulager les peines de l’existence humaine », que mal utilisé, le feu sacré du savoir « finira

Par nous dévorer tous

Oui, tous »

D'où le regret du Galilée de Brecht:

«Si j'avais résisté, les physiciens auraient pu développer quelque chose comme le serment d'Hippocrate des médecins, la promesse d'utiliser leur science uniquement pour le bien de l'humanité! Au point où en sont les choses, le mieux que l'on puisse espérer est une lignée de nains inventifs qui loueront leurs services à n'importe quelle cause. »

Pas de sécheresse ni de lourdeur dans cette volonté de donner à réfléchir, la pièce est prenante et très réussie d'un point de vue littéraire. À vrai dire, je trouve que la réflexion sur la connaissance, sur le rôle de l'homme de savoir, contribue à faire de la vie de Galilée une crise historique chargée d'intensité dramatique nourrie par le contraste, le conflit entre l'enthousiasme du jeune Galilée pour la recherche scientifique, sa foi en la raison humaine, et les persécutions, abdications, inquiétudes, liés notamment à l'action des puissants pour contrôler le savoir - interdire les découvertes ébranlant leurs dogmes ou utiliser la science à tout autre chose qu'à « soulager les peines de l’existence humaine ».

Une très bonne pièce, forte et intelligente et qui malheureusement n'a pas du tout vieilli.
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La résistible ascension d'Arturo Ui

Retour à Brecht deux ans après avoir lu La Bonne Âme du Se-Tchouan.



Que dire à part que cette pièce ne peut être que l'oeuvre de ce génie du théâtre qu'est Brecht. Dans une mise en relation ingénieuse entre l'ascension d'Hitler au pouvoir jusqu'à l'Anschluss, et la prise de contrôle d'un bandit de seconde zone du commerce de chou-fleur de Chicago, Brecht atteint son but: faire réfléchir le lecteur/spectateur. Mais en plus de la comparaison implicite entre ses personnages et de véritables protagonistes de la gabegie qui a mené Hitler au pouvoir, l'auteur place des points communs évidents entre ces derniers et la pègre américaine aux ordres d'Al Capone. Dans ce judicieux parallèle tripartite, se fait sentir une volonté de mise en exergue de cette prise de pouvoir d'hommes à l'origine médiocres, mais, qui, prêts à utiliser tous les moyens, y comprit la violence, se sont servi de la crise et de la vulnérabilité des individus qui en découlent comme tremplin pour asseoir leur domination.

Brecht provoque ainsi le rire, mais achève également de briser la mystification de ces tueurs sanguinaires.



Par-delà l'aspect historique de la pièce, l'utilisation constante du vers blanc crée un contraste entre une écriture indéniablement poétique et une ambiance sous tension, et renvoie au passé glorieux de la culture et du classicisme allemands, qu'Hitler se targue de transcender dans son entreprise meurtrière, les instrumentalisant en tout temps.



Par le biais de ces deux procédés, Brecht fait de La Résistible Ascension d'Arturo Ui l'archétype même du théâtre épique, mu par un procédé théâtral de son invention, la distanciation. Il cherche délibérément à casser l'illusion théâtrale, et toute identification, et rompt avec la conception aristotélicienne du théâtre (ou, du moins, de la tragédie) et son concept de mimesis; invitant ainsi le spectateur à mener une réflexion face à la pièce qu'il vient de lire/voir.



L'auteur nous livre donc une pièce magistrale, qui fait travailler l'intelligence de son lecteur , et au terme de laquelle, ce dernier ne peut qu'être admiratif devant un tel courage et une telle ingéniosité.

N'oublions pas que la théorie brechtienne de la dramaturgie inspira nombre de ses successeurs et notamment le mouvement absurde...



S'il est bien un génie du théâtre du XXème siècle, c'est assurément Brecht.

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