Citations de Blaise Cendrars (739)
quand tu aimes il faut partir
quitte ta femme quitte ton enfant
quitte ton ami quitte ton amie
quitte ton amante quitte ton amant
quand tu aimes il faut partir
Les grands fétiches
I.
Une gangue de bois dur
Deux bras d'embryon
L'homme déchire son ventre
Et adore son membre dressé
II
Qui menaces-tu
Toi qui t'en vas
Poings sur les hanches
A peine d'aplomb
Juste hors de grossir?
III
Noeud de bois
Tête en forme de gland
Dur et réfractaire
Visage dépouillé
Jeune dieu insexué et cyniquement hilare
IV
L'envie t'a rongé
Je menton
La convoitise te pipe
Tu te dresses
Ce qui te manque du visage
Te rend géométrique
Arborescent
Adolescent
v
Voici l'homme et la femme
Également laids également nus
Lui moins gras qu'elle mais plus fort
Les mains sur le ventre et la bouche en tire-lire
VI
Elle
Le pain de son sexe qu'elle fait cuire trois fois par jour
Et la pleine outre du ventre
Tirent
Sur le cou et les épaules
VII
Je suis laid!
Dans ma solitude à force de renifler l'odeur des filles
Ma tête enfle et mon nez va bientôt tomber
VIII
J'ai voulu fuir les femmes du chef
J'ai eu la tête fracassée par la pierre du soleil
Dans le sable
Il ne reste plus que ma bouche
Ouverte comme le vagin de ma mère
Et qui crie
IX
Lui
Chauve
N'a qu'une bouche
Un membre qui descend aux genoux
Et les pieds coupés
x
Voici la femme que j'aime le plus
Deux rides aiguës autour d'une bouche en entonnoir
Un front bleu
Du blanc sur les tempes
Et le regard astiqué comme un cuivre
A bord, il y a Johann August Suter, banqueroutier, fuyard, rôdeur,vagabond, voleur, escroc.
J'entreprends ce voyage pour être loin de l'hideuse face humaine...!
Enfin, pouvoir durant 15 jours se recueillir sur la face grave de l'océan! Son visage attristé est le mien. Ce flot horrible qui déferle, mon amertume. Moi aussi j'ai mes abîmes.
Vous me faîtes rire avec votre angoisse métaphysique, c'est la frousse qui vous étreint, la peur de la vie, la peur des hommes d'action, de l'action, du désordre. Désordre que les végétaux, les minéraux et les bêtes ; désordre que la multitude des races humaines ; désordre que la vie des hommes, la pensée, l'histoire, les batailles, les inventions, le commerce, les arts ; désordre que les théories, les passions, les systèmes. C'a toujours été comme ça. pourquoi voulez-vous y mettre de l'ordre ? Quel ordre? Que cherchez-vous ? Il n'y a pas de vérité. Il n' y a que l'action, l'action qui obéit à un million de mobiles différents, l'action éphémère, l'action qui subit toutes les contingences possibles et inimaginables, l'action antagoniste. La vie. La vie c'est le crime, la vol, la jalousie, la faim, le mensonge, le foutre, la bêtise, les maladies, les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, des monceaux de cadavres.
Tu n'y peux rien, mon pauvre vieux, tu ne vas pas te mettre à pondre des livres, hein?
Si j’avais pu suivre mes plans jusqu’au bout, j’aurais été en très peu de temps l’homme le plus riche du monde : la découverte de l’or m’a ruiné. (p. 91, Partie 31, Chapitre 9).
MACHIN, TRUC, CHOSE, tous morts, tous tués, crevés, écrabouillés, anéantis, disloqués, oubliés, pulvérisés, réduits à zéro, et pour rien (...)
Dans ce magma les hommes glissaient, sautaient, nageaient, étaient plus souvent sur le dos ou sur le ventre que sur pieds et, comme des naufragés vidés dans un lagon, allaient munis d’une grosse canne ou d’un bâton, pataugeaient, s’enlisaient, perdaient le fond, plongeaient dans la flotte jusqu’au menton, se cramponnaient à des pieux ou à des bouts de planche coincés entre deux monticules bavants ou fichés de travers le long des parois glissantes comme les échelons d’une échelle démantibulée dont les deux bouts eussent été engloutis, et les hommes se sentaient perdus et restaient cramponnés à leurs misérables appuis, comme suspendus au bord du gouffre qui digérait tout ce qui y tombait, et si l’immonde bouillasse ne montait pas jusqu’à leur instable point d’appui pour leur faire lâcher prise à la longue, on voyait dans leurs yeux monter l’horreur et la détresse au fur et à mesure qu’ils prenaient conscience de leur situation et sentaient grandir leur faiblesse.
(La tranchée Clara)
ÎLES
Îles
Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétations
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
bien aller jusqu’à vous
Feuilles de route, 1924
Don Quichotte avait-il peur ? Prenait-il des précautions avant d'attaquer les moulins à vent ? Non, jamais. Son enthousiasme le faisait agir. Et quel sera le sort de Don Quichotte ?...
QUELQUES PROVERBES ENGOUDA
La vieillesse n’a pas de remède
L’œuf deviendra coq.
Celui qui épouse une belle, épouse les tourments.
L’indiscret ne garde secret que ce qu’il ignore.
Si l'on y pouvait mieux écrire, je serais prêt à passer toute ma vie dans les trains, devant une bougie allumée, face à face avec moi-même. (p. 22)
C'est une femme de cœur. Elle a de la branche. Dans un visage d'un bel ovale, des yeux immense que voile, je ne dirai pas une énigme ou de la tristesse, mais un mystérieux sourire, un peu battu et par moments presque effacé. Je suppose qu'elle a trop vécu et qu'elle en a de la répulsion. Il ne sied pas à une noble de faire deviner un besoin. Je la devine insatisfaite. Qui va contre ses désirs va à sa perte.
« Mon cher Edouard Peisson - ... j'ai pris feu, dans ma solitude, car écrire c'est se consumer...
« L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-méninge d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l'alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c'est brûler vif, mais c'est aussi renaître de ses cendres.
« Ou ne crois-tu pas, tout simplement, que les marins comme les poètes sont beaucoup trop sensibles à la magie d'un clair de lune et à la destinée qui semble nous venir des étoiles, sur mer, sur terre, ou entre les pages d'un livre quand nous baissons enfin les yeux et nous détournerons du ciel, toi, le marin, moi, le poète, que tu écris et que j'écris, en proie à une idée fixe ou victimes d'une déformation professionnelle ? (21 août 1943)
1639 - [Le Livre de poche n° 535/6, p. 13]
L'amour est masochiste. Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d'angoisse des amants, cet état d'attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à peine exprimée, ces mille inquiétudes au sujet de l'absence de l'être aimé, cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d'humeur, ces rêvasseries, ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l'amour-propre sont en jeu, l'honneur, l'éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus nerveux, ces écarts de l'imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle des sens qui fouaillent et qui fouillent, cette chute, cette prostration, cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du diminutif, cette familiarité, ces hésitations dans les attouchements, ce tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont progressant, jusqu'à la complète inhibition, la complète annihilation de l'âme, jusqu'à l'atonie des sens, jusqu'à l'épuisement de la moelle, au vide du cerveau, jusqu'à la sécheresse du cœur, ce besoin d'anéantissement, de destruction, de mutilation, ce besoin d'effusion, d'adoration, de mysticisme, cet inassouvissement qui a recours à l'hyperirritabilité des muqueuses, aux errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l'amour d'après lesquels on peut diagnostiquer, puis tracer d'une main sûre le tableau clinique du masochisme ?
Je lui parlais allemand.
- Debout, lui dis-je, et tâche de marcher droit ! On les met.
- Je ne peux pas bouger, me fit-il. Je dois avoir la jambe cassée.
- Cela ne m’étonne pas, lui répondis-je en regardant en l’air pour mesurer la hauteur d’où il était tombé. Tu as fait un beau plané. Il ne fallait pas y aller, mon vieux.
Merde, voilà que je devais maintenant trimbaler monsieur sur mon dos. Je le chargeai tant bien que mal. Et nous voici partis l’un portant l’autre, la monture ployée en deux, le blessé lourd comme un mort qui se laisse aller, un drôle d’équipage, ahanant2, sacrant, jurant, chutant, tombant sur les genoux, se prenant les pieds dans les taupinières, se relevant. Jamais je n’oublierai cette équipée avec ce Boche qui me pissait dans le cou un sang chaud, douceâtre, gluant et écoeurant. Cette fois-ci j’eus beaucoup de mal à traverser les barbelés car je m’y étais mal engagé. Je dus décharger mon blessé et me frayer une nouvelle voie à coups de cisaille, puis revenir sur mes pas, rechercher le pauvre type et repartir à la sauvette car j’avais fait beaucoup de bruit et je n’en revenais pas qu’avec toutes ces allées et venues, personne dans aucun camp ne nous eût encore remarqués. Enfin je le balançai dans notre trou d’obus. J’avais eu chaud. C’était un dur. Durant tout le trajet, il n’avait pas poussé un gémissement.
- Qui est-ce ? me demanda Ségouâna en se penchant sur le blessé allongé au fond du trou et qui serrait les dents.
- Tu pourras le lui demander toi-même.En tout cas, c’est ton homme. Il a ta balle dans le ventre. D’abord on va le panser et puis on l’emportera dès qu’il fera nuit. Arrange un brancard avec nos fusils, moi je vais voir ce qu'il a.
La blessure du ventre n’était pas belle, j’y mis un tampon. Puis je lui pansai l’épaule.
- Ne t’en fais pas, pauvre vieux, ça n’est rien. On sera bientôt rendus et tu fileras à l’hôpital, veinard. Je ne te fais pas mal, non ? Comment t’appelles-tu ?
Il s’appelait Schwanenlaut. J’ai oublié son prénom. Il était de Hambourg. Il travaillait dans une banque. Il avait fait un stage en Angleterre pour apprendre l’anglais. La suite de notre conversation eut lieu en anglais. […] Le pansement était terminé. Nous installâmes notre homme sur la civière improvisée, prenant grand soin de soutenir sa patte cassée, une fracture de la cuisse gauche, pour ne pas le faire souffrir inutilement.
On ne vit pas dans l'absolu. Nul homme n'est coulé d'une seule pièce. Même un robot connaît la panne. Sans contradictions il n'y a pas de vie.
Or, il y avait chez nous des étrangers qui s’étaient engagés par amour pour la France beaucoup plus que par haine de l’Allemagne, et non seulement des intellectuels et des artistes, mais aussi des commerçants et des négociants ; et non seulement ils avaient quitté leur boutique, leur commerce et leur standing de vie à Paris ou en province pour mériter leur naturalisation ou gagner la régularisation de leur situation politique ou de famille, mais beaucoup étaient venus de l’étranger, voire des pays d’outre-mer, avaient quitté femmes et enfants, car tous n’étaient pas jeunes, et sans aucun esprit d’aventure ils étaient venus en France signer un engagement pour la durée de la guerre, puis ils s’en retourneraient dans leur pays d’origine.
Je voudrais arriver
Je voudrais arriver à faire
Je voudrais arriver à faire ce que j’ai à faire
Je voudrais arriver à écrire
Je voudrais arriver à écrire ce que je dois écrire
Mon cœur et tout ce qui me déborde
Et on n’a jamais le temps etc.
"En marge" de ‘’Au cœur du monde’’
« Vivez, ah! Vivez donc, et qu’importe la suite !
N’ayez pas de remords .
Vous n’êtes pas juge . »