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Critiques de Camille de Toledo (112)
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Thésée, sa vie nouvelle

Profondément marqué par le suicide de son frère, Jérôme, Camille de Toledo, Alexis Mital pour l’état-civil, écrit sous le nom de famille de sa grand-mère paternelle : de Toledo.



« Espagnols, puis Ottomans,

reconnus comme Français, dénoncés comme Juifs

emportés tout au long de ce vingtième siècle désastreux

dont nous sommes les descendants »



Ces quelques mots résument à eux seuls une destinée familiale. Thésée, nom choisi pour le narrateur parce que cherchant à se libérer d’un labyrinthe encombré de destins tragiques, se débat dans beaucoup de souvenirs, retrouve des documents, des lettres, des photos dont certaines sont jointes au texte. Tout cela à partir de la mort tragique de ce frère qui s’est pendu le premier mars 2005.

Ensuite, c’est leur mère qui est retrouvée morte dans un bus, au terminus, puis leur père qui décède après une longue maladie. C’est alors que Thésée décide de partir pour Berlin qu’il nomme « la ville de l’Est » avec ses enfants et trois cartons contenant tous ces souvenirs qu’il devra explorer.

Ainsi, il remonte dans l’histoire familiale avec ces deux frères, Nissim et Talmaï, qui ont quitté Andrinople (Edirne aujourd’hui), en Turquie, pour devenir Français. Nissim se bat pour la France sur le front de la Première guerre mondiale et ses longues lettres adressées à son plus jeune frère, Talmaï, sont d’une lecture impressionnante et terriblement émouvantes. Nissim est tué par une bombe allemande le 16 juillet 1918.

Talmaï perd son fils, Oved, à l’âge de onze ans. Désespéré, ce père se tire une balle dans la tête le 30 novembre 1939.

La Seconde guerre mondiale apporte les dénonciations, la déportation, cette haine anti-juive qui ne semble jamais s’éteindre. Reste Nathaniel, autre fils de Talmaï, devenu « patron de gauche », qui marie sa fille, Esther, à celui que l’on surnomme Gatsby, en 1969, futurs parents de Jérôme et Thésée. Si l’auteur parle des Trente Glorieuses dont ses parents disent avoir bien profité, il faut quand même préciser que tous les Français ne vivaient pas dans un milieu aussi privilégié.

Ainsi, Thésée, sa vie nouvelle pourrait sembler être une saga familiale. Pas du tout. Dans ce livre hors normes, sans majuscule, sans point, avec une mise en page originale réussie par les éditions Verdier, de Lagrasse, merveilleux village de l’Aude, Camille de Toledo se livre à une introspection très poussée sur la mort, le suicide, l’histoire familiale et notre lien avec la matière.

Son écriture très originale m’a surpris au début puis je m’y suis fait rapidement, aimant lire ces références historiques, souffrant avec lui lorsque, à Berlin, il est marqué, dans son corps, par toutes les questions qu’il se pose. Parlant de Thésée à la troisième personne, cela ne l’empêche pas de s’exprimer régulièrement en utilisant le « je ». J’ai aussi été très impressionné par son dialogue avec son frère lorsqu’il vient s’asseoir près de sa tombe.

Thésée, sa vie nouvelle, Camille de Toledo nous l’avait présenté aux Correspondances de Manosque 2020 et voici ce que j’écrivais sur http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/ :

Place Marcel Pagnol, nous découvrons un auditoire impressionnant pour écouter un Camille de Toledo captivant. Si son vrai nom est Alexis Mital, il publie sous ce nom de plume aux consonances ibériques : Camille de Toledo.

Yann Nicol le questionne à propos de Thésée, sa vie nouvelle et il suffit de lancer Camille de Toledo pour être subjugué. Un homme, son narrateur, se rend en train à Berlin avec un carton d’archives. Faut-il l’ouvrir ou pas ? Ainsi la question est posée : Quelle histoire de l’avenir écrivons-nous au nom du passé ? L’auteur veut qu’à la fin de notre lecture, nous nous demandions : qu’ai-je appris en allant au bout de cette histoire ? Qu’est-ce que j’ai partagé ?

Il y a d’un côté, les promesses non tenues du passé. Qu’en faire ? Mais aussi qu’avons-nous fait ? C’est la question de ce début de siècle et nous sommes en plein mythe de Thésée avec une dette à payer à un monstre. Nous devons nettoyer les eaux mortes du temps pour nos enfants, savoir exactement ce qui s’est passé à propos des colonies, de l’esclavage, de cette économie mise en place et pour cette écologie qui tarde à s’imposer.

Toutes ces questions sont essentielles et nous avons vraiment été impressionnés par cet auteur que nous avons découvert en cette fin d’après-midi, à Manosque.


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Thésée, sa vie nouvelle

C’est sous la forme d’une mélopée, d’un long poème lyrique, soutenue par une sublime musique des mots que Camille de Toledo se penche sur l’histoire d’une lignée, pour tenter d’écarter avec ferveur le poids d’une malédiction qui a conduit les hommes de cette famille à se donner la mort tandis que les survivants sont lestés de peurs ancestrales, de celles qui attaquent les corps autant que les âmes.





Thésée a cru que la rédemption viendrait de l’exode, vers un autre pays, là où personne ne sait les malheurs qui l’ont précédé, mais la fuite n’est pas la solution : autant enterrer une taupe, qui n’en creusera pas moins de multiples galeries qui fragiliseront le sous-sol.



Alors c’est de regarder l’histoire en face, sans esquive, en parcourant les traces que les ancêtres ont laissées dans l’histoire, sous forme de lettres, de photos, qui guidera l’homme atteint dans son corps, que toutes les médecines du monde ne parviendront pas à soulager. Comprendre pour effacer le poids du silence, pour balayer les peurs tapies dans l’environnement chimique de notre héritage génique.



C’et ainsi que Thésée questionne les avancées scientifiques qui font de l’épigénétique une des voies d’explication du mal-être qui accompagne certains d’entre nous. Et la charge est si lourde dans cette famille, et tant d’autre, minée par les guerres, les déportations, les suicides, toutes causes qui s’intriquent et trois générations plus tard continuent de blesser ou de tuer.



On ne redira pas assez l‘élégance la forme, sublime, d’une musicalité émouvante, avec ces phrases qui ponctuent comme autant de refrains le récit. Mais l’esthétique n’est pas la seule force : la dissection minutieuse des processus impliqués dans les ravages des secrets de famille aboutit à une hypothèse scientifique vertigineuse.





Un texte sublime, indispensable.
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Thésée, sa vie nouvelle

C’est sans doute lui le Goncourt 2020 s’il y en a finalement.

Je n’ai pas compris grand-chose. Oh, il y a bien quelques belles phrases, de celles que l’on entend lors d’un enterrement après une longue maladie ou une mort brusque. De celles que chaque être humain est susceptible de prononcer dans un moment tragique. Je ne me donnerai même pas la peine d’en citer une, préférant celles prononcées par mon humble voisine venant le mois dernier de perdre son mari. Les siennes sont sans doute moins calculées, plus véridiques.

Car ici il s’agit de parler d’un livre, d’un livre faisant partie du quatuor final d’un prix littéraire.

Hermétique, cultureux, quasi illisible pour un esprit simple comme moi. Priorité à la plastique pour cet ouvrage de M. Mital/Toledo/Riboud qui nécessite un mental d’acier pour supporter sa lecture indigeste.

Après coup, j’ai compris que la lignée généalogique de l’auteur était son obsession, et que, à l’instar de nombre de ses pairs, il nous faisait sa petite autobiographie romancée de nanti sous le haut patronage de la « psycho généalogie ».

Pour instruction, cette pseudo théorie a été inventée naguère par Mme Ancelin-Schützenberger dans un livre intitulé « Aïe mes Aïeux », où il s’agissait par exemple pour l’arrière-petit fils de développer un cancer des testicules par « loyauté » avec l’arrière grand-papa qui s’était pris un coup de pied de chameau dans les mêmes parties. Voilà où nous en sommes rendus ...

Quelle farce donc que ce livre qui s’inspire de ce genre de sous-pensée et qui sera bien sûr encensé par la nomenklatura subventionnée et servile, mais que personne ne lira plus ni ne citera dans dix ans parce que, il faut bien le dire, c’est simplement médiocre.
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Thésée, sa vie nouvelle

Thésée, sa vie nouvelle est un livre qui a de la force. Ce ne sont pas les êtres qui l’expriment bien que le « Faire face » est largement retranscrit mais l’aspect psychologique de celui qui reste debout après que l’autre ait disparu. Camille de Toledo s’exprime à travers les mots dans une langue qui dépasse l’appartenance identitaire. On peut quitter sa ville, fuir son pays sans qu’il soit systématiquement coupés, tous les ponts et tous les liens avec les siens. De même qu’il se passe un affrontement entre le corps et l’esprit quand le désir d’oubli se substitue par un trouble somatique. Alors, sommes-nous maîtres de nos destinées ? La croyance n’a-t-elle pas ses limites quand nous sommes construits par l’histoire générationnelle ? Sommes-nous permutables à souhait sans qu’il soit fait outrage à notre construction héréditaire ? En parcourant ce labyrinthe j’ai trouvé bien des sorties même si je ne détiens que ma propre vérité. J’ai trouvé ce développement très chaleureux et plein d’intelligence.
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Thésée, sa vie nouvelle

Ma première impression : quelle belle écriture, je vais adorer. Mais au bout de quelques pages, mon enthousiasme baisse un peu ce qui ne m'empêche pas toutefois de rester séduite par la plume qui bien qu'intellectuelle, reste agréable. En revanche, j'aurais aimé parfois que le naturel reprenne le dessus au détriment de la beauté de l'écriture. Si l'aspect intellectuel détrône trop, à mon goût, le véritable ressenti face à la mort brutale de son frère, je reconnais que les réflexions sur les genogrammes, sont intéressantes et incitent à la réflexion. Mais face à un sujet aussi cruel que la mort violente de son propre frère, un peu de lâcher prise aurait rendu ce livre plus accessible. Cela n'empêche pas un remarquable questionnement sur les blessures de l'âme, les marques du corps, "la traces de violence subies sur plusieurs générations."

Thésée fait le choix de quitter la France pour rompre avec les morts de sa vie, mais, ils se rend compte que la mémoire du corps n'est pas effaçable, oubliable par une simple volonté Les traces de la mémoire résistent et viennent chambouler le lecteur qui essaie à son tour de comprendre "qui commet le meurtre d'un homme qui se tue ? " c'est un livre d'une grande qualité mais qui mériterait aussi de laisser son coeur, uniquement son coeur parler...
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Thésée, sa vie nouvelle

Une expérience inoubliable ! J’ai eu le sentiment de voyager en compagnie des Parques, de voir la mort défiler sur l’écheveau, d’être témoin d’un dialogue intime entre l’auteur et Atropos. Pourquoi as-tu coupé le fil de leurs vies ? Comment puis-je me retenir à l’existence que tu me concèdes ? Quel lien peut-il y avoir entre mon mal être et le funeste destin de ma lignée ? Thésée souffre, corps et âme. Il ne peut s’y résoudre : la douleur des anciens l’empêche d’avancer.

Un atavisme les condamne tous dans la famille, une blessure secrète à laquelle il tente d’échapper en allant vers l’est, quittant sa langue et son pays. Une fuite en avant pour ne pas regarder le passé en face. En vain. Il est rattrapé par l’Histoire (ce maudit vingtième siècle), et par toutes ces histoires enfouies dans l’inconscient familial, le déni de judéité, l’Allemagne en minotaure, les mensonges du progrès, le rêve d’une France belle et universelle.

Pour survivre, il fouille les albums, il interroge les tombes. Il lui faudra toucher la vérité de ses chers disparus, son frère d’armes dont il n’a pas vu les larmes, ses parents ivres de réussites économiques et sociales. Lui sera tout le contraire : « surtout ne pas faire carrière, être un homme d’intérieur, savoir faire cuire les œufs et changer les couches, se tenir au plus près des petits détails de l’existence ». Juger ses aînés, pointer leurs erreurs, railler leurs illusions, c’est le commencement de sa guérison, de son retour à la vie.

Il en a douté, tous ces lieux, toutes ces dates… ce ne sont que des occurrences, des coïncidences ! Il devra se faire une raison : les traumas traversent les générations. Il paraît même que c’est une science, l’épigénétique.

Ce livre, d’une rare beauté, se gravera dans ma mémoire.

Bilan : 🌹🌹

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Thésée, sa vie nouvelle

Une belle découverte. Porté par une écriture tout en rythmes et sonorités qui se répondent comme dans les rimes d'un poème, Camille de Toledo mêle dialogues et dialogues intérieurs, photographies et papiers de famille pour partir à la recherche des traces  laissées par la famille de Thésée.



Depuis Andrinople dans l'Empire ottoman où Talmaï et Nissim ont fréquenté une des écoles de l'Alliance Israélite Universelle, jusqu'à la France et Berlin, nous traversons plus d'un siècle d'histoire (la Grande Guerre, puis la seconde guerre mondiale, les Trente Glorieuses et jusqu'en 2019) avec Thésée et les siens. A rebours, par courts chapitres et va-et-vient entre passé-présent-futur, par des dialogues réels et imaginaires entre les vivants et les morts, nous cherchons avec lui le fil qui lui permettra de sortir du labyrinthe dans lequel les siens se sont perdus, ont perdu leur identité juive et le  rapport à la prière, ont perdu la vie (se sont donnés la mort) et lui, Thésée a perdu sa santé. Camille de Toledo retisse le lien entre les générations, interroge la question de la transmission mais aussi questionne notre société et l'histoire tourmentée du XXe siècle dans ce qui est certes un récit d'une profonde tristesse mais aussi une ode à la vie et à la réconciliation. Le post-scriptum reprend la question de la transmission et du lien entre les générations et propose une réflexion nouvelle sur le suicide.



(p. 214)

et peut-être, finalement, est-ce cela que je cherche

en plus de relancer la vie

plonger dans le passé pour mobiliser les morts



pour qu'ils exigent que nous écrivions, en leur nom, une autre histoire à venir



p. 241

l'idée juste, profonde, qu'il y a un vaste lien des vies avec les vies, des morts avec celles et ceux qui naîtront, des ancêtres avec l'avenir, de la douleur avec la joie.

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Thésée, sa vie nouvelle

Finaliste du Goncourt, bardé de critiques gorgées de superlatifs amoureux, et un pitch qui a priori compte quelques arguments pour me plaire. J'achète, donc.

Pour une fois me dis-je, j'aurai peut-être lu le Goncourt avant sa proclamation... C'est alors qu'a commencé mon calvaire. L'histoire de Thésée est celle d'un homme qui décide de changer de ville et même de pays afin de laisser derrière lui les drames humains traversés par sa famille (suicide de son frère, mort de ses parents). Il embarque ses enfants, s'installe à Berlin mais trimballe tout de même quelques cartons d'archives hérités de ses aïeux. C'est dans ces documents que vont se dévoiler les drames qui hantent sa famille depuis des générations et dans lesquels il trouvera l'explication des douleurs qui colonisent son corps sans raison physiologique. Le lecteur est donc entrainé dans une longue spirale de questionnements et de lamentations, brassant finalement assez peu d'éléments mais les répétant inlassablement. Et c'est long. Très long. Sous couvert de démonstration autour de l'épigénétique, il faut tout de même s'infliger un sacré ressassement. Qui est aussi un drôle de règlement de compte de l'auteur vis à vis de ses parents, que j'ai trouvé assez malsain dans sa forme à moitié cachée puisque cette histoire est bien la sienne et celle de sa famille. Bref, ce livre m'a non seulement ennuyée mais laissé un sentiment d’ambiguïté gênant quant aux intentions de l'auteur. Pour un flop, c'est un vrai flop.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Thésée, sa vie nouvelle

Cet objet littéraire se présente comme un journal dont la mise en page isole des récits, des poèmes, et contient de nombreuses illustrations photographiques, anciennes ou volontairement floues, grises, décentrées, portant leur propre témoignage ou un message subliminaire. La confidence se veut continue, ponctuée de points-virgules, de tirets et de points d’interrogation, sans majuscule ni point pour encadrer les phrases. Les récits ont une marge différente et une typographie standard. Les poèmes sont isolés par une mise en page centrée, leur ponctuation se limite aux virgules, les majuscules y soulignent des mots, les idées se signalent par de riches métaphores et des enjambements :

« et cette enveloppe que nous appelons Corps

que nous revêtons, soignons et vénérons, n’est rien qu’une

cristallisation de liens qui peuvent

dans l’exil, la vieillesse ou l’accident

se dissoudre »



Quant au contenu, l’auteur nous dit en post-scriptum que « l’essentiel tourne autour de ce que j’y ai compris du suicide, de ce que le suicide m’a offert comme matière à penser », et il cite Durkheim et Camus. Lointaines références, car on y trouve surtout une méditation sur la culpabilité. Culpabilité personnelle de Thésée, le frère restant, dont l’ainé s’est suicidé après une généalogie de suicides et de morts prématurées, remords d’avoir cru le frère quand il a promis de ne pas se tuer, honte de la fuite en Allemagne, refuge ambigu après la Shoah, doute sur l’éducation de ses propres enfants. Culpabilité par procuration surtout, liée au déni familial des racines juives, du mariage chrétien des « chers petits parents » qui ont abandonné les deux frères pour mener une brillante carrière, leur aveuglement par « la vie moderne », leur culpabilité politique dans « le capitalisme à visage humain ». Toute cette culpabilité se paye par la peur, une extrême solitude, une hypocondrie ciblant le solide — les os et les dents —, l’abandon à la surconsommation médicale, puis aux guérisseurs, la dépression paralysante. On trouve une excursion aventureuse vers l’épigénétique dans le texte à propos de Caenorhabditis elegans, reprise avec solennité en post-scriptum : « … nous pouvons nous poser cette question, utile je crois aux refondations qu’il nous faut accomplir :

que sait la matière que nous ne savons pas encore,

que nous échouons à porter jusqu’au langage ?

Ce qui découle de cette question est, il me semble, un puissant torrent capable d’emporter bien d’anciennes certitudes et des cadres épuisés. Car où s’arrête la responsabilité d’un État ou d’une entreprise si nos corps portent les traces des violences subies sur plusieurs générations ? »



Deuil, souffrance, recherche obsessionnelle d’une responsabilité reviennent envahir le journal, souvent dans les mêmes termes :

« qui commet le meurtre d’un homme qui se tue ? »

On ne peut douter un instant de la sincérité de l’auteur. Le lecteur est concerné par sa confession, ou pas.



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L'inquiétude d'être au monde

Avec ce court recueil, Camille de Toledo oscille entre la poésie et l’aphorisme. Certains préfèreront sans doute parler de pensées. Une succession de petits textes de quelques lignes, avec pour fil conducteur l’inquiétude engendrée par le mouvement perpétuel de ce siècle neuf : « plus rien ne demeure. Tout bouge et flue. Paysages ! Villes ! Enfants ! ». L’inquiétude d’être au monde tient donc dans le vacillement général des choses. Doit-on pour autant se raccrocher aux souvenirs, aux racines ? Certes pas. L’auteur a dressé contres ces mots un barrage éternel. Racines, origine, terre, pays, nation, autant de fictions qui ne servent qu’à nous donner l’illusion d’être quelque part.



Camille de Toledo appelle à résister contre ceux qu’ils nomment les « promettants », ceux qui nous vendent des solutions provisoires censées nous délivrer du risque, du mal, de la peur et de la mort. La révolution est là. Mettre à bas l’orgueil, « accepter de n’être qu’une espèce parmi les espèces, c’est-à-dire accepter son décentrement. » Les figures tutélaires convoquées pour légitimer le discours me parlent particulièrement. D’un coté Césaire et son Cahier d’un retour au pays natal et de l’autre Stieg Dagerman et son besoin de consolation impossible à rassasier. D’un coté l’universalité, l’exil perpétuel de Césaire et de l’autre « les chants trompeurs de la consolation contre lesquels Stig Dagerman nous mettait en garde. »



Naviguant sans cesse entre l’abattement, la colère et l’exhortation, l’écrivain n’endosse jamais le rôle du donneur de leçon. L’exercice, un brin désuet, est le signe d’une longue fréquentation de la littérature. Toujours brefs et fulgurants, souvent brillants, d’une extrême lucidité, ces paragraphes au lyrisme contenu sont à lire à voix haute pour mettre en valeur la musicalité de l’écriture. Une belle réussite.


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Le fantôme d'Odessa

Le fantôme d'Odessa retrace le parcours de l'écrivain Isaac Babel, accusé de trahison envers le régime stalinien. Sa mort en prison, longtemps tenue secrète a été enfin révélée lorsque la dernière lettre de l'écrivain a été retrouvée.

Grâce à une libre adaptation du scénario Bénia Krik qu'Isaac Babel a écrit pour le cinéma, c'est la révolution bolchévique à Odessa qui est retranscrite. La volonté de cet écrivain n'était pas de dénoncer le régime, simplement de raconter, à la manière d'un peintre. Cette BD rappelle que la vérité est l'ennemie des dictatures.

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Thésée, sa vie nouvelle

Petits arrangements avec les morts.



Avant d’être happée, je ne sais rien de ce livre et je n’ai jamais lu l’auteur. L’appel du Minotaure, le découpage et les photos qui émaillent le texte m’interpellent. Et ce titre qui dans un même élan, concilie et oppose antiquité et modernité. Je me suis lancée et rien n’a pu m’arrêter.



Thésée est celui qui reste, après le suicide de son frère, les morts successives de sa mère et de son père. Il décide de fuir pour s’inventer une vie nouvelle, chargé de trois cartons d’archives. Un pour chacun des morts.



Faites taire vos ouvenirs sous le vernis d’une vie nouvelle, une langue nouvelle, c’est le corps qui finira par crier. Celui de Thésée part en vrac, aucun examen médical ne peut l’expliquer. Il est temps de s’asseoir au milieu du contenu de ces cartons, pour comprendre le geste de son frère et réparer la douleur. Thésée initie sa quête à partir de cette question « Qui commet le meurtre d’un homme qui se tue. », il interroge photographies, journaux et lettres du passé, deroule la bobine, tente de démêler l’écheveau, entre histoires et légendes qu’on se raconte, secrets et dissimulations, fantômes et règlements de comptes.



Dans ce récit où il tire le fil de sa blessure personnelle et généalogique, c’est finalement le récit plus vaste d’un siècle qui se déroule en deux guerres et Trente Glorieuses.



Tuer le monstre, sortir du labyrinthe, ne plus payer le tribut, en finir avec la malédiction qui met en vrac son corps-mémoire.

« Que sait ce corps qu’il ne sait pas? »



Thésée. Seul. Bouleversant.

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Herzl : Une histoire européenne

Je n'ai pas du tout réussi à entrer dans ce roman graphique.

Je m'attendais à une biographie de Théodore Herzl, et il s'agit en fait de l'histoire d'un photographe juif, Ilia Brodski, qui croise la route de Herzl à certains moments de sa vie.

De plus, je n'ai pas du tout accroché au style des dessins, ni à la couleur en noir et jaune.

Enfin, si les textes sont bien écrits, ils sont trop longs pour une bande dessinée et la police n'est pas très agréable.

Décevant!
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Thésée, sa vie nouvelle

Après le suicide de son frère, le premier réflexe de Thésée est de fuir. Quittant la France pour Berlin, il espère faire table rase, se délester d’un passé familial trop lourd à porter. Mais les quelques cartons d’archives qu’il a emportés s’imposent à lui avec une force renouvelée. Explorant les lettres, les journaux et les photographies, Thésée va tenter de faire parler les morts, et de comprendre, depuis le drame fondateur du suicide d’un ancêtre, la nature du fardeau passé dans sa famille de génération en génération.

Comme le héros grec défiant le destin, l’alter ego de Camille de Toledo dans cette nouvelle variation autobiographique cherche à conjurer le sort. Mais les forces auxquelles il fait face sont celles qui ont déchiré l’Europe tout au long du XXe siècle. Mettant en oeuvre une véritable poétique de l’archive, d’où émergent les regards et les pensées de tous ces ancêtres aux existences heurtées, Camille de Toledo compose un grand roman de la réparation, une enquête familiale à la tonalité lyrique, funéraire, comme une vaste oraison pour tous les morts des grands traumatismes du siècle passé.

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Le fantôme d'Odessa

Isaac Babel est un écrivain difficile à découvrir et à comprendre pour le public français. Difficile car il faut se plonger dans toute la complexité et les ambivalences de l'identité du personnage, et de son époque, ultra violente. Difficile également d'aller à la rencontre d'un auteur dont l'oeuvre est fragmentaire puisque les censeurs soviétiques ont confisqué ses travaux avant de l'exécuter purement et simplement.

Ses textes n'ont été diffusées en France que tardivement et il était probablement compliqué de saisir leur ambiguïté dans un contexte idéologique où le communisme restait un idéal à défendre...



Pour faire connaître cette figure tragique des lettres soviétiques, Camille De Toledo et Alexander Pavlenko ont imaginé ce roman graphique qui n'est pas vraiment biographique et pas vraiment fictionnel non plus. Je suis toujours circonspecte avec les projets qui mélangent l'histoire vraie et la fiction mais dans ce cas, les auteurs ont pris beaucoup de précautions pour contextualiser la démarche et ne pas embrouiller le lecteur.

Le récit s'accompagne également d'une annexe tout à fait biographique (chronologie et entretien avec la traductrice des œuvres complètes) qui permet de poser des faits.



Le récit est construit sur 3 trames : les années 2000 avec un dialogue entre la fille de Babel et un historien de l'association Mémorial, à propos d'une lettre posthume retrouvée. La réclusion de Babel à la fin des années 30, emprisonné et torturé, ses pensées tournées vers sa fille a qui il écrit cette fameuse lettre (imaginee par les auteurs). Et enfin la mise en image du récit des aventures du "roi" de la pègre juive d'Odessa, Bénia Krik, personnage emblématique de Babel, dans sa version scénarisee pour le projet de film non abouti avec Einsenstein.



La lecture est passionnante même si je l'ai trouvée exigeante car le contexte n'est pas évident à remettre en place vu de France (sensation que j'ai eue aussi avec la lecture des nouvelles de Babel lui même). En outre, autant le dire, le tout est tragique et j'ai ressenti beaucoup d'émotions.

J'ai apprécié les partis pris graphiques : couleurs ternes, flash noir et blanc, les cadrages sont intéressants. J'ai été moins séduite par le dessin et le lettrage que j'ai trouvé un peu frustes. C'est sûrement plus le projet intellectuel qui compte dans la démarche des auteurs que l'aspect esthétique.



Ce roman graphique est une bonne porte ouverte à qui veut découvrir cet écrivain dont le destin et les œuvres font bouger et réfléchir dans nos petites vies tranquilles...
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Thésée, sa vie nouvelle



Plongée abyssale dans la dépression et la jouissance mortifère pour la « lignée des morts », ce roman autobiographique peut dérouter. Dans un style incantatoire et poétique, l’auteur applique à son histoire familiale la psychogénéalogie ET l’épigénétique pour expliquer qu’après le suicide de son frère, il ait sombré dans une profonde dépression avec tout un sombre cortège de somatisations.

Au décours de ce livre, il cite l’expérience scientifique sur le ver « C elegans », autrement dit, le ver des cadavres… qui démontre qu’un traumatisme subi se répercuterait sur 14 générations. Il part du principe, pour le moins nuançable, que chaque individu n’est ni un corps isolé, ni une conscience séparée, mais que la « matière » humaine porte une mémoire qui le relie à un flux continu d’apparitions et de disparitions. Cette matière et ce flux continu ne se constituerait cependant qu’au sein de la seule famille, « la lignée des morts ».

Treize ans après le suicide de son frère Jérôme, le narrateur, le récitant, parlant à la fois à la première personne et à la troisième, quitte Paris avec ses enfants pour une « ville de l’Est », Berlin, où il s’écroule littéralement, ses os et ses dents se délitant sous un poids insupportable. Seule lui reste la force de renverser à terre les trois cartons de photos et archives familiales qu’il va peu à peu regarder et relier, découvrant des vies et surtout des morts. Et donc, il déroule le fil de la mort de maladie d’un jeune garçon, doté d’une mémoire prodigieuse, rêvant d’être le premier roi juif de France, du suicide bien plus tardif, en 1939, d’un arrière grand-père après le départ au front d’un fils, de la mort au front d’un grand oncle en 1918.

Devant une photo du mariage de ses parents, en 1969, rayonnants, il les implore rétrospectivement de ne pas avoir d’enfant… leur reprochant d’avoir été portés par la dynamique de leur époque, d’avoir aimé leur métier, et d’avoir confié, de ce fait « à une mère de substitution » l’éducation de son frère et de lui-même… Qu’en conclure ? qu’une mère au foyer aurait brisé les traumatismes de 14 générations ? Il interpelle avec rage ses « petits parents », leur reprochant d’avoir cru en leur époque…

Toutes ces histoires, insérées dans la grande Histoire du dernier siècle, induisent chez lui « une colère généalogique et une haine impuissante » sans perspective pour lui et pour sa « lignée » de jamais pouvoir terrasser le Minotaure et sortir du labyrinthe.



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Thésée, sa vie nouvelle

La couverture de ce roman ( dans la dernière sélection des Goncourt) se présente masqué. Un peu d'Espagne, un peu de mythologie et un enfant boxeur... Du romanesque en perspective se dit-on en ouvrant le livre ... qui surprend tout de suite par un texte à la mise en page inhabituelle. De la poésie ? Un peu... Peut être... même si plus loin, le texte semble se ranger selon les codes habituels....sauf que dans les paragraphes où l'auteur parle, il n'y a jamais de majuscule pour démarrer, ni de points. Est-ce important ? Sans doute, mais le lecteur lambda s'affranchira très vite de cette particularité, car au-delà de cette forme particulière, "Thèsée, sa vie nouvelle" va l'emporter dans un voyage passionnant, intime et exigeant.

Evacuons d'abord quelques faits biographiques qui pourraient injustement ranger ce texte (magnifique) dans les lamentations d'un pauvre fils de riches ( ici, lever les yeux au ciel pour dire qu'ils nous gonflent ces nantis avec leurs misères non essentielles). Oui, Camille de Toledo ( un pseudo) est fils et petit fils de grands industriels français. Oui, sa mère fut une grande journaliste économique et rédactrice en chef de revues faisant l'opinion. Mais, Camille de Toledo est surtout un remarquable écrivain qui nous livre, se livre dans un livre d'une rare intensité littéraire et intellectuelle.



Après le suicide de son frère ainé, puis la mort de ses parents, Thésée ( l'auteur) fuit la France pour vivre avec femme et enfants en Allemagne. Il embarque avec lui des cartons de photos et de documents récupérés après les décès des siens. Alors que son corps montre des signes de grande faiblesse, il se penche sur le contenu de ces archives. Les vies et les morts de ses ancêtres viennent alors éclairer sa vie d'une lumière nouvelle et terrible.



Le roman, façonné d'une écriture magnifique, rappelle dans sa première partie les mouvements de l'océan à marée montante. Avec une prose se rapprochant un peu du ressassement universitaire, chaque paragraphe, comme une vague de mots terribles, répétés pour mieux les intégrer, s'écrase sur la page tout en laissant apparaître un élément nouveau. Petit à petit, on s'enfonce dans les non-dits d'une famille. Le propos, certes intime, se teinte également de sociologie et de politique, mais surtout d'épigénétique ( en gros c'est la modification de l'expression de vos gènes en fonction de traumas passés). La dernière partie du livre, vous serre le coeur et porte cette histoire personnelle vers des interrogations et des impressions qui nous renvoient à notre 21 ème siècle si destabilisé.



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Vies et mort d'un terroriste américain

Sur fond de religion, le récit mythique d'une époque réelle, préambule à sa transposition en images animées sous forme d'un film d'un personnage apparaissant tour à tout sous son vrai nom et son pseudonyme... il y a de l'idée, mais l'artifice est un peu forcé - on n'est pas vraiment captivé.
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Une histoire du vertige

Je n'apprécie pas le tutoiement de l'auteur..., c'est pourquoi ma note ne monte pas très haut mais pour l'analyse, le constat qu'il fait de nos prédations (écritures) et la manière dont on n'en sort jamais vraiment (titre), il y a peu à redire



C'est un travail de chercheur et même d'explorateur dans la mesure où, sans pessimisme, d'autres façons d'écrire (passées et à venir) sont interrogées malgré tout
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Thésée, sa vie nouvelle

Thésée, perd son frère Jérôme qui se suicide en 2005, puis sa mère, inconsolable de la perte de son fils, puis son père quelques années plus tard. Il décide alors de quitter la ville de l’ouest qu’il habite pour se réfugier dans la ville de l’est pour tenter de faire table rase du passé, en emportant avec lui trois cartons contenant les vies du frère, de la mère et du père. Le besoin de comprendre le passé familial le torture, et il le reconstitue grâce aux archives, au prix d’une dégradation physique incompréhensible par toutes les structures soignantes auxquelles il a recours. Ce besoin de comprendre qui l’obsède lui fait découvrir des antécédents familiaux qu’il ignorait et qu’il rend responsables de ce qui advient ensuite. Ce roman est un quête poignante, remarquablement écrite, d’une grande sensibilité, qui ravive le mythe du juif errant et attribue à la chimie de l’eau des corps la possibilité de véhiculer et transmettre des traumatismes sur plusieurs générations. La lecture doit être attentive et vigilante pour que la beauté du texte et sa magie vous emporte !
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