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Critiques de Carlo Goldoni (82)
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Arlequin, serviteur de deux maîtres

J'avais lu cette pièce de Carlo Goldoni, à l'origine (il y a plus de vingt-cinq ans de ça), parce que Sergio Leone prétendait, dans une interview, s'en être inspiré (en plus du Yojimbo d'Akira Kurosawa) pour créer son fameux premier western Pour une poignée de dollars.



Guettant, quêtant l'endroit où j'allais pouvoir retrouver certains éléments marquants du film, je me souviens de l'avoir dévorée goulûment, mais que, malheureusement, une fois arrivée au bout, hormis le lien évident que l'on pouvait déceler dès le titre, la parenté ne m'apparaissait pas probante ni aucunement intéressante. En somme, pour être tout-à-fait franche, je fus extrêmement déçue par cette farce épaisse, au burlesque hyper lourd, hyper insistant, hyper typique de la commedia dell'arte du XVIIIème siècle et qui, donc, sent fatalement beaucoup la naphtaline.



Avec les années, j'essaie d'ensevelir ma déception première et de ne chercher à y voir que les qualités, et il y en a sans doute, surtout si l'on replace la pièce par rapport à ce qui se faisait à l'époque. Il est vrai qu'à l'heure actuelle cette pièce a beaucoup vieilli et n'est plus trop regardable. (Encore que, personnellement, je crois que j'aurais adoré, à l'âge du collège, jouer avec mes camarades dans ce genre de pièce bouffonne qui ne se prend pas au sérieux.) C'est presque le pendant théâtral des Histoires extraordinaires de Poe, qui ont eu un rôle majeur d'initiateur dans l'histoire de la littérature, mais qui ne valent plus tripette aujourd'hui si on les compare à ce qui s'est fait depuis.



Et donc, si vous ne redoutez pas de vous engager dans des imbroglio pas possibles, des quiproquo à gogo et quelques peu insistants, des scènes largement téléphonées où les acteurs sont obligés d'en faire des tonnes (imaginez Roberto Benigni dans le rôle d'Arlequin, c'est son vivant portrait), si vous supportez les incessants apartés où l'on vous prend pour une quiche en vous expliquant tout par le menu au cas où vous auriez été distraits durant le déroulé de l'action de cette farce qui ferait passer Les Fourberies de Scapin ou Les Noces de Figaro pour des intrigues minimalistes et linéaires, alors, il y a des chances pour que vous trouviez votre compte dans cette pièce.



Des jeunes filles à marier, des amants disparus, des morts qui sont vivants, des vivants qui font les morts, les promis éconduits par les premiers travestis, les hommes qui sont des femmes et les femmes qui sont des hommes, Arlequin, valet de celle-ci, valet de celui-là, tous n'y voyant que du feu et qui y va, le bougre, de son lot de bourdes et de mensonges à faire pâlir Pinocchio, le tout chapeauté des coups de théâtre appuyés, bien, bien, bien appuyés et fréquents, tombant toujours pile à l'heure, car Goldoni n'y est pas allé de main morte, sans oublier une fin où tout se goupille bien, car quand on va voir ce théâtre-là, ce n'est pas pour pleurnicher, c'est pour oublier les lourdeurs du quotidien, bref, tout y est, même le superflu (surtout le superflu !). Baaaah ! cela fait aussi plaisir de temps en temps de manger gras, ne boudons pas notre plaisir, le tout étant de veiller à éviter l'indigestion...



En outre, si vous aimez les pièces plus intellectuelles, le style sobre et les répliques tout en subtilité, je vous conseille de passer votre chemin pour cette fois car vous pourriez probablement vous y ennuyer, et, même avec l'indulgence de l'intérêt historique, il est vrai que ce type de théâtre a vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup vieilli. Cependant, gardez à l'esprit que je n'exprime ici que mon arlequin d'avis, c'est-à-dire, plutôt deux fois qu'une, pas grand-chose.
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Un homme exemplaire

Goldoni ou essai sur la vertu vénitienne



Hier comme aujourd'hui, les touristes seraient bien inspirés de rester méfiants sous les doges de la sérénissime, ils sont de vraies vaches à lait !



Cette pièce du maestro de la commedia dell'arte porte haut les couleurs de Venise. La ville-état flamboyante du XVIIIème est la promesse de l'aventure des sens, de la fortune, des roublardises et de la fête, une légèreté fantasmée où rien n'est gravissim(o) ! Bien qu'un peu manichéens, les personnages n'en restent pas moins incarnés.



“J'ai promis de vouloir vivre sans rien faire. Je suis un gentilhomme. Je veux tenir parole.”



Évidemment, le théâtre de Goldoni doit se voir représenté et incarné par des comédiens car les indications scéniques et les dialogues bien sentis du canevas ne peuvent rendre compte de la luxuriance des costumes d'Arlequin et des masques de Polichinelle, ainsi que des improvisations associées à la mise en scène des ces pièces italiennes.



Dans ce bref canevas de jeunesse, Carlo Goldoni ne signe-t-il pas finalement une oeuvre de moraliste ? La droiture de l'homme du monde Momolo n'est elle pas un exemple à suivre ? le dilemme entre l'hédonisme égoïste et les sacrifices qu'induit une vie de couple ne nous sont pas étrangers, aujourd'hui encore… la vertu est à portée de main.



Qu'en pensez-vous ?
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Les Rustres

Carlo Goldoni signe, avec Les Rustres (I Rusteghi), une petite comédie sociale en trois actes (dite Comédie d’Ambiance Vénitienne), possiblement osée pour l’époque, mais qui, de nos jours, fait un peu l’effet d’une vesse-de-loup sur laquelle on poserait le pied ou d’un soufflé sorti du four depuis bien longtemps.



Il y dénonce, et je ne saurais m’en plaindre, la condition de la femme dans le milieu des commerçants bourgeois dans la Venise du XVIIIème siècle, trop souvent réduite à l’obéissance, quand ce n’était pas à l’asservissement pur et simple, au joug, à la férule soit du mari, soit du père.



L’auteur y démontre, assez timidement je trouve, que l’on n’obtient rien ainsi des femmes, ni de personne d’ailleurs, et que la seule chose à laquelle on s’expose, c’est à la médisance et à la tromperie car, derrière le dos du mari ou du père inflexible, se trouvera toujours une combine, une ruse, une machiavélique pensée pour contourner le carcan du patriarcat absolu.



On y lit donc une critique sociale avérée, sous les traits d’une vague comédie (les passages comiques — vraiment comiques j’entends — sont peu nombreux et pas très drôles, plutôt de légers sourires qu’autre chose), mais pas une de celles que je qualifierais d’al dente. Ce n’est pas non plus désagréable, je ne dis pas, mais cela ne m’a pas laissé une très forte impression.



Bien sûr, on y lit aussi une pique évidente au matérialisme des bourgeois, plus soucieux de la bonne marche de leurs affaires que de celle de leur foyer, mais, là encore, c'est une pique timide, pour dire sans dire, car, comprenez-vous, il ne fallait pas trop froisser non plus le possible mécène, alors on y va sans y aller. Vous voyez je vous égratigne un petit peu, mais je vous aime bien quand même, je suis de votre côté dans le fond, et si vous pouviez me glisser un petit cachet, je n'y verrais rien à redire... Aaaah, mon cher Carlo, que c'est dur d'être auteur !



Si je devais la comparer, quant au genre et au sujet, à une comédie relativement contemporaine à celle-ci, je choisirais La Colonie de Marivaux et, immanquablement, ma préférence irait à cette dernière. Selon moi, le propos est plus fort, plus drôle et plus osé chez le Français que chez l’Italien, mais encore une fois, tout ceci n’est que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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La famille de l'antiquaire ou la belle-mère e..

Bah, bah, bah. Une pièce de Goldoni, c'est au moins la perspective de se divertir un moment. Alors oui, Goldoni n'en étant pas tout à fait à son coup d'essai avec La Famille de l'antiquaire ou La Belle-mère et la bru (bien que quelques vingt-cinq années de carrière fussent encore à venir), on serait mal venu de dire que la pièce est ratée. Mais.





Mais, bien que je n'aie pas lu énormément de pièces de l'auteur - ce serait grandement mentir que de prétendre le contraire, et je préfère encore décevoir ceux qui seraient, pour une raison obscure, fantaisiste et fort improbable, persuadés que je suis un puits de sciences -, je ne crains pas d'affirmer que ce n'est pas la meilleure (je ne manque pas d'air sur ce point, puisque que je me moque allégrement dans les musées des personnes qui disent de façon méprisante d'un petit Monet, sous prétexte qu'il n'est pas le plus connu : "Ce n'est vraiment pas son meilleur tableau." J'ai toujours envie de demander auxdites personnes : "Alors, c'est quoi, son "meilleur" ??? Et si vous citez les Nymphéas, je vous trucide sur place !!!")





L'histoire est simple : un noble, amateur pas du tout éclairé d'antiquités, comme il en fleurissait en Italie ou en Angleterre au milieu du XVIIIème, puis un tout petit peu plus tard en France, se ruine en cochonneries qui ressemblent à ses yeux (et seulement aux siens) à des merveilles dignes d'une collection prestigieuse. Il ruine en même temps sa femme, son fils et sa bru, cette dernière, issue de la bourgeoisie marchande, ayant pourtant apporté vingt mille écus de dot, déjà mangés au début de la pièce par les dettes de son beau-père (et ça ne fait que quatre jours qu'elle est installée dans la famille de son mari, ça promet pour la suite). D'où quelques soucis domestiques, comme on l'imagine. le ressort principal de cette comédie se trouve malgré tout ailleurs : dans l'inimitié que se vouent la belle-mère et la bru, Goldoni ne craignant pas de donner dans la misogynie pure et dure (on y reviendra).





C'est la première pièce de Goldoni que je lis et qui nécessite à mon sens d'être lue à haute voix pour que le rythme reste soutenu. La langue française peut difficilement rendre la vivacité de l'italien (c'est d'ailleurs dommage que nous n'ayons pas ici une version bilingue). J'ai beau ne pas lire l'italien, j'ai quand même compulsé la version originale, et on sent clairement la différence. Pour autant, les autres comédies de Goldoni que j'ai lues étaient aussi traduites en français (puisqu'évidemment je ne lisais pas plus l'italien alors que maintenant), et le besoin de se soucier de la langue d'origine ne se faisait pas spécialement sentir. Cela dit, il faut sans doute préciser que pour cette pièce de 1750, certains rôles étaient pensés pour être joués par des acteurs rompus à l'improvisation, qu'à la création de la pièce Goldoni a été très déçu du résultat, et qu'il a entièrement réécrits les rôles par la suite. Par conséquent, j'ai l'impression que, comme Goldoni n'avait pas encore achevé sa "révolution théâtrale" (ou je ne sais plus comment il appelait ça et j'ai la flemme d'aller vérifier l'expression exacte, je viens d'égarer le livre à force de l'avoir trimballé dans toutes les pièces de mon appartement , ah la la), parce qu'il était encore tributaire de la commedia dell'arte alors qu'il tendait à une nouvelle forme de comédie, cette pièce-ci souffre d'appartenir à un entre-deux.





C'est quand même bien composé dans l'ensemble, les personnages sont drôles, les répliques et les situations également, même si, il faut bien le dire, ça tend à se répéter un chouïa et à tirer un brin en longueur. Autant certains gags à répétition ne fonctionnent (et l'un en particulier fonctionne très bien) que parce qu'ils sont assumés en tant que tels, autant certaines scènes ne sont que les épigones d'autres scènes précédentes. Et d'autres scènes perdent de leur efficacité à la lecture, notamment celle où tout le monde entre et sort par deux portes - ce qui n'est pas sans faire penser aux vaudevilles de Feydeau.





Le truc qui m'a franchement gênée, c'est la misogynie affichée, accentuée par un mépris des classes populaires auquel je ne m'attendais pas du tout. Qu'on se moque des femmes aussi bien que des hommes, des domestiques aussi bien que des nobles, pas de souci. J'ai quand même lu sans que ça me perturbe plus que ça Les deux mégères d'Abington (XVIème siècle), qui était déjà pas mal question misogynie. Là, je suis sans doute plus pointilleuse avec La Famille de l'antiquaire parce que, comme je le mentionnais plus haut, le ressort dramatique est presque entièrement dépendant d'un motif misogyne un peu lourdingue, mais également parce que je ne connaissais pas cet aspect de Goldoni. de même, je ne lui connaissais pas ce mépris de classe qu'il affiche ici ouvertement, alors que dans d'autres pièces, ce sont toutes les classes de la société (vénitienne, en général) qui en prennent pour leur grade. Ici, oui, bon, les nobles sont un peu moqués, mais pas si méchamment que ça, les chefs de famille inconséquents également, mais pas tant que ça, alors que les bonnes femmes et les larbins en prennent plein leur tronche - ne parlons pas du seul personnage qui est à la fois une gonzesse et une bonniche : c'est le mal en personne.





Alors je comprends bien qu'utiliser les ressorts faciles qui marchaient du tonnerre à l'époque ait été très tentant. Il y a un tome des Compagnons du Crépuscule de François Bourgeon où il est question de ça : au théâtre, il faut bien gagner sa vie, et taper sur les personnes les plus ostracisées par la société, eh ben ça paye (on parle du moyen-âge pour Les Compagnons du crépuscule et du XVIIIème pour Goldoni, mais c'est la même idée générale). le problème, c'est qu'on a beau prendre du recul, ça n'est pas bien fin, et c'est encore sans compter sur l'apologie un tantinet outrée de la bourgeoisie qui a toutes les qualités, et, partie de rien et à force de travail, a bien mérité d'être riche : le mythe de la bourgeoisie travailleuse et méritante était en marche (oups, j'ai pas fait exprès ! Bon, vous savez ce que Freud pensait des jeux de mots et des lapsus...) Voilà qui fait perdre de sa force à la critique sociale de la Famille de l'antiquaire. Je pense que ce serait en tout cas intéressant d'étudier cette pièce par le biais de la sociologie - ce que je ne suis pas en mesure de faire (je lance donc un appel à candidatures). de même, ce serait intéressant de la comparer à des pièces comme George Dandin de Molière, qui traite à peu près des mêmes thématiques, mais plus subtilement.





Je ne pense pas que Goldoni, qui a composé une bonne centaine de comédies dans sa carrière (sans parler du reste), ait tenté d'être très ambitieux pour cette pièce, et je ne crois pas qu'il faille la prendre comme un modèle du genre. Certes, elle démontre que Goldoni travaillait à réformer le théâtre italien, certes, elle divertit, mais elle ne vaut clairement pas, du moins à mes yeux, d'autres pièces - je pense très fort à L'Éventail, bien plus fine, plus aboutie, plus... plus tout, quoi. (Et je viens donc de faire comme les gens qui ne citent que Les Nymphéas pour démonter que tel tableau ou tel tableau de Monet n'est pas son meilleur. Argh !!!)







Masse critique Littératures
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Une des dernières soirées de carnaval

Partir, c'est mourir un peu...



Carlo Goldoni, battu en brèche par ses rivaux, Carlo Gozzi  en tête, envisage d'aller en France, le pays de Molière et de l' Illustre Théâtre,  porter ses comédies enlevées et joyeuses,  modernes et raffinées pour s'y sentir apprécié à sa juste valeur, y être vraiment reconnu.



Il faut quitter Venise....



 Comme Anzoletto, brillant dessinateur qui fournit ses motifs aux meilleurs tisserands de la Sérénissime, et qui la laisse pourtant pour Moscou,  il voudrait savoir si son mérite et son talent sont reconnus hors de sa mère Patrie pour pouvoir revenir, mieux formé,  rassuré sur lui même,  partager un peu de cette nouvelle gloire avec sa ville natale chérie.



Mais Goldoni, lui,  ne reviendra jamais à  Venise.



Dit comme ça, et avec son titre un peu nostalgique,  la pièce de Goldoni semble  teintée d'une mélancolie  que ses autres comédies  n'avaient pas. Une des dernieres soirées de carnaval est en tout cas la dernière  pièce  vénitienne de Goldoni. 



Mais accorder toute la place au motif autobiographique serait en déplacer le sujet : les adieux envisagés par  Anzoletto n'interviennnent qu'après un long préambule qui laisse tout le loisir d'installer la présentation et l'entrée en jeu de tous les personnages .



 Car il s'agit avant tout d'une fête, avec ses préparatifs, ses préliminaires, ses jeux, son repas et son bal.



Le départ d'Anzoletto et ses amours avec la jeune Domenica, fille du maitre de maison n'en sont pas le sujet principal. Juste l'élément légèrement perturbateur, le petit grain de poivre..Tous les invités de la fête  ont part égale dans cette comédie chorale, sociale, et de caractères, qui se passe quasiment en temps réel:  celui d'une petite fête amicale et sans prétention d'une douzaine de vénitiens et vénitiennes  tous artisans drapiers-  calandreur, brodeuse, dessinateur, soyeux, marchand, commis..- . dans le grand salon d'un tisserand veuf,  Zamaria,   qui veut sceller amicalement,  avec ses amis et partenaires proches, cette dernière soirée de carnaval.



 Voilà une pièce dont tous les personnages sont les héros à part égale. 

Comme dans une tarentelle , dans un choeur. Ou dans une partie de minouchette.



 Les rires se mêlent aux inquiétudes, les plaisirs aux désenchantements,  les jeunes aux vieux, les valets aux maitres, les charmants aux ridicules,  comme dans la vie.



Ne serait-ce pas la vie même que l'étonnant Goldoni a tenté de saisir,  avec son  temps si lent dans les préparatifs et son  temps si court dans le  plaisir?



 Une tranche de vie vénitienne, un regard sur un petit microcosme d'artisans, avec toute la palette des caracteres: le roué, le père généreux, la fille douce et soumise mais que l'amour affranchit, la ( française) coquette plus très fraîche, l'ambitieux timide, les jeunes époux jaloux et fusionnels , l'hypocondriaque par ennui,  l'entremetteuse intuitive et fine mouche, le lubrique fauché,  et j'en passe...Tout ce petit monde joue , mange, danse dans les salons du brave Zamaria au son de la musique -magnifique et qui fait partie intégrante de l'intrigue - qui ponctue leurs ébats et qu'ils chantent eux mêmes avec talent.



La scénographie subtile et précise  de Clément Hervieu Léger  donne à  des décors  simples et élégants  des allures de tableaux vénitiens par le simple rappel d'un panneau de bois, d'une robe bleue, d'un plancher de danse, d'une grande nappe damassée et de quelques chandeliers. On voit littéralement un de la Tour- la partie de carte- et surtout un Guardi.



Pendant près de deux heures et demie, nous sommes invités à cette dernière soirée de carnaval. Privilège,  plaisir et petit pincement au coeur.



Partir, oui, c'est mourir un peu.



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La Locandiera

Mirandolina, jeune et belle aubergiste , aime plaire: elle aime avoir tous ses hôtes à ses genoux, les mener par le bout du nez...



Elle aime aussi par-dessus tout sa liberté, et la multitude de ses amoureux la lui assure aussi sûrement que le ferait une garde rapprochée.



Aussi quand l'un d'eux, nouveau venu à l'auberge, entreprend de lui résister et même de critiquer son service réputé irréprochable , elle prend la mouche.



Celui-là , un certain Chevalier de Ripafretta, est aussi misogyne qu'elle est, au fond, misandre - curieux, ce néologisme que j'ai été contrainte d'inventer: voudrait-ce dire , messieurs, qu'on n'arrive jamais à vous détester collectivement?



Elle entreprend donc de séduire le récalcitrant avec ses propres armes: la franchise et l'indépendance. Toutes voiles dehors. Et le trouble la prend. C'est assez vertigineux de clamer sa liberté et son refus d'attachement quand on sent- à des mains qui se frôlent, à un verre où l'on trempe, après celles d'un autre, ses propres lèvres- qu'ils vacillent et qu'on est en train de les perdre.



Mais Mirandolina a la tete sur les épaules, et celle-ci est aussi bien faite que son corps. Pas question de flancher. D'autant que le chevalier rétif a fait du chemin lui aussi et que Mirandolina ne voit que trop bien où il veut en venir...et la faire venir.



Jeu leste et habile, trouble maîtrisé, Mirandolina mène la danse au milieu d'un monde de fantoches: caricatures d'hommes -le nouveau riche, l'aristocrate fauché , le viveur cynique, le valet fidèle- et caricatures de femmes-deux comédiennes descendues à l'auberge et flairant l'aubaine-il y a trop d'hommes pour une seule femme..- et qui incarnent, aux yeux de Goldoni, la commedia dell' arte finissante, deux caricatures d'un "éternel féminin" truqué et éventé, qui a fait son temps, comme leur théâtre!



Une comédie nouvelle, alerte et raffinée, sociale et psychologique, et une héroïne nouvelle, émancipée et vive, mais pas folle, la guêpe !



La bourgeoisie montante du 18e sait , depuis les Lumières, qu'elle ne peut compter que sur elle-même. Et Mirandolina, à temps, comprendra qui est son allié naturel, si elle ne veut pas tout perdre.



Une jolie comédie, qu'on joue en ce moment au Français , avec un peu trop de sagesse pour mon goût , car le vent du boulet ne passe pas très loin de cette locandiera téméraire!
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L'Eventail

Une des dernières pièces de Goldoni, composée en 1764 et brandie partout, ce que je ne savais pas quand j'ai décidé de la lire, comme la pièce la plus fine, la plus réussie, la plus tout-ce-qu'on-voudra de l'auteur. Ce qui m'a fait peur, pour tout dire. Soit on n'exagérait, soit je n'allais pas l'apprécier à sa juste valeur. Que de pression sur mes frêles épaules, déjà bien mises à mal par la capsulite (aïe, aïe !!!) Allais-je malgré tout relever le défi ? Ce fut un oui.





Et il faut bien dire que pour trouver des défauts à cette pièce relève, il faut bien chercher - à défaut de trouver. Elle est incroyablement bien construite, avec des personnages étoffés, et le style m'a étonnée par sa sobriété.





Au départ, une bête histoire d'amour entre deux jeunes gens un peu niais. Histoire qui va tourner au désastre à cause d'un fichu éventail cassé. Dans un petit village à la population très représentative de la société italienne de l'époque - aristocrates, bourgeois, paysans, artisans et commerçants, employés et domestiques -, Evaristo aime Candida, Candida aime Evaristo. Celle-ci ayant cassé son éventail, lui veut lui en offrir un autre, mais en cachette, pour que la tante et chaperon de Candida ne s'aperçoive de rien. Alors qu'à peu près tout le monde dans le village a compris qu'ils sont amoureux... Pour être discret, Evaristo achète un éventail à la mercière Susanna (ça commence bien question discrétion), pour ensuite le confier, dans la boutique et par conséquent sous le nez de Susanna, à Giannina, une paysanne qui travaille plus ou moins pour Candida. Vous imaginez bien que cet achat et la remise de l'éventail à Giannina ne va pas être sans conséquences, conséquences qui vont toucher tout le monde, se compliquer d'heure en heure, puis de minute en minute. Plus l'histoire de l'éventail est éventée (ah!), plus chacun s'imagine et raconte n'importe quoi. D'où bagarres, insultes, provocations en duel, vexations de toutes sortes, évanouissements, disputes, et, évidemment méprises à l'envi. Plus le temps passe, plus l'éventail change de mains, pour le plus malheur de tous. Il faudra user de rouerie pour régler l'affaire.





Question rythme et action, vous aurez saisi que tout y est, que la pièce ne connaît pas un temps mort, et que le lecteur est emporté de plus en plus vite dans un tourbillon d'agitation en tous genres. Les dialogues fusent, les acteurs se doivent de jouer autant avec le public qu'avec leurs partenaires, mais surtout, ces dialogues ne seraient pas aussi savoureux s'il n'y avait dans cette assemblée presque autant de personnages que de couches sociales. Or, si les aristocrates prétendent avoir le dessus sur tout le monde, les bourgeois se montrent tout aussi méprisants avec qui leur semble inférieur, et ainsi des artisans et commerçants qui n'ont aucun respect pour les paysans, domestiques ou le garçon de café. Et le fait est que personne ne respecte personne en tant que représentant d'un ordre social établi, que les bourgeois ferment leur caquet aux aristocrates, et que les commerçants et les paysans, tout en bas de l'échelle, rient au nez des nobles et des autres. Il n'est pas anodin que la première scène débute par un échange qui sent la lutte des classes entre un garçon de café, Evaristo et un baron. Quant aux jeunes bourgeois, à part s'affoler, bouder et s'évanouir (oui, oui, les mecs aussi s'évanouissent ici), ils ne sont pas bons à grand-chose - et pourtant, rien de tout ça (et quand je dis tout ça, c'est qu'il se passe vraiment beaucoup de choses) n'arriverait sans ces deux tourtereaux terriblement niais ! le Comte représente le personnage imbu de sa position sociale par excellence, ne payant jamais ce qu'il doit, assommant tout le monde de ses rodomontades, parlant à tort et à travers et proposant sa divine protection à... disons à tout le monde.





Il y a constamment rapports de force entre les personnages, qu'il s'agisse de domination en amour (et là les femmes seraient clairement perdante si elles n'en remontraient pas aux hommes comme le fait si bien Giannina), d'argent, ou de rang social. Il semble bien que Goldoni, à travers une comédie enlevée, drôle au possible, au style extrêmement naturel (style qui m'a d'ailleurs pas mal surprise ; si vous n'aimez pas Marivaux, essayez Goldoni !), ait cherché à rendre compte des mutations d'une société où les repères anciennement établis ne peuvent plus servir de balises sûres.





Un regret, pourtant. J'aimerais tant pouvoir lire le texte en italien, ou, encore mieux, pouvoir voir la pièce sur scène jouée par des comédiens italiens !







Challenge Théâtre 2020
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La famille de l'antiquaire ou la belle-mère e..

J’avais déjà lu une pièce de Goldoni mais cette lecture remonte à bien longtemps et je n’en ai aucun souvenir, même pas le titre. Je me rappelle juste que j’avais beaucoup aimé. La masse critique de janvier m’a donc donné l’occasion de redécouvrir cet auteur. Une redécouverte fort plaisante car « la famille de l’antiquaire » est une pièce très sympathique qui, derrière la façade humoristique, propose un portrait assez acide de la société italienne du 18ème siècle.



Les deux aspects, comédie et satire, sont bien équilibrés. La pièce est vraiment amusante, très agréable à lire, et on pressent que ça doit être un bonheur de la voir jouer sur scène. La pièce permet également de se plonger dans l’Italie du 18ème. D’une part, Goldoni évoque ici la grande mode qu’il y eut au 18ème autour de l’Antiquité, notamment suite à toutes les découvertes liées à Pompéi. D’autre part, l’auteur évoque avec une certaine causticité les relations sociales de l’époque entre les différentes classes. Et tout le monde ou presque en prend pour son grade : la comtesse est pédante et vit très mal l’arrivée d’une bourgeoise dans sa noble famille, aussi riche soit cette bru ; le comte est un idiot dont on peut se jouer facilement ; le fils du comte est assez falot et manque de caractère ; la bru a des prétentions arrogantes depuis qu’elle est entrée dans une famille noble et se montre désagréable avec sa belle-mère ; les sigisbées (sortes de chevaliers servants dans l’Italie du 18ème siècle) de ces dames sont hypocrites et ne courent qu’après leur intérêt ; les serviteurs sont malhonnêtes, n’hésitent pas à duper leurs maîtres ni à semer la discorde entre la comtesse et sa bru.



Tout ceci est dépeint dans une comédie virevoltante, très rythmée, dans laquelle on ne s’ennuie jamais. Je remercie vivement Babelio et les éditions Théâtre en Poche pour ce délicieux moment de lecture, à la fois drôle et intéressant dans le portrait d’une époque.

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L'amant militaire

Comme le précise Michel Corvin dans son Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Goldoni a écrit plus de cent comédies (sans compter les livrets et les tragi-comédies), et pourtant, on n'a retenu de lui de nos jours que quelques titres qui sont lus et joués. L'Amant miliaire, pièce de 1751, ne fait pas partie des plus célèbres, mais elle est tout de même un peu connue puisqu'elle a été traduite en français. Et elle est bien caractéristique du renouveau de la comédie italienne qu'avait engagé Goldoni.





L'action se situe au moment de la guerre de succession d'Autriche (du mois ça ressemble fort à la guerre de succession d'Autriche), à laquelle participèrent les Espagnols, juste avant que ce soit conclu un traité de paix. Les personnages sont donc des bourgeois ou des domestiques italiens, et des militaires espagnols logeant chez lesdits bourgeois italiens. La jeune Rosaura s'est entichée de Don Alonze (qui le lui rend bien), enseigne espagnol qui habite chez le père de Rosaura, Pantalon. Ils veulent se marier, mais voilà, Rosaura est terrifiée à l'idée que Don Alonze meure à la guerre. Lui n'est pas plus inquiet que ça, d'ailleurs aucun militaire ne l'est tellement : on s'intéresse davantage aux femmes, à la boisson et aux cartes qu'à la guerre.





L'intrigue n'est pas très importante, ce sont les personnages et les dialogues qui donnent tout son sel à la pièce. On s'inquiète, on s'évanouit, on fait le fanfaron, on se bat en duel, on veut se marier ou au contraire échapper au mariage, on s'engage étourdiment dans l'armée pour se prendre aussitôt des coups de bâton (ah, les coups de bâton, voilà un élément du théâtre talien sur lequel on peut compter !), on part mourir à la guerre, on doit être fusillé pour désertion, on revient de la guerre sans avoir combattu ni vu un quelconque ennemi, on s'inquiète encore, on pleure, on cherche à se venger d'un infidèle...





À peu près toute la gamme des péripéties de la comédie italienne est présente, déclinée à l'envi, mais revigorée. Les personnages-types comme Pantalon et Arlequin ne sont plus des types mais des hommes, certes dotés de caractères marqués. Pantalon est d'ailleurs un père bienveillant, si Arlequin, lui est un grand naïf (sa fiancée utilise le terme "idiot", en fait). Je précise que Goldoni avait d'ailleurs laissé tomber les masques traditionnels pour les acteurs, ce qui était déjà un pas vers un nouveau type de comédie.





Il faudrait citer pléthore de répliques pour faire comprendre combien la pièce est drôle. Elle est rythmée, servie par des personnages tous bien pensés, tous parfaits dans leur rôle. Elle regorge de dialogues qui s'enchaînent sans temps mort - à part une petite baisse de régime lors d'un dialogue entre les deux principaux amoureux, mais c'est de courte durée. C'est savoureux, goûtez-y !


Lien : https://musardises-en-depit-..
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La Locandiera

La locandiera est pour moi un vrai coup de cœur. Il y avait longtemps que je n'avais pas lu de théâtre et je me dis qu'il faudrait que je le fasse plus souvent!

Cette pièce m'a fait penser à celle de Molière (même si elle n'a pas été écrite a la même époque bien sur!) car j'ai ri autant grâce aux répliques drôles, aux quiproquos et aux didascalies très précises qui nous donnent énormément d'éléments sur le jeu des acteurs.



Les personnages sont caricaturaux à l'excès et portent à rire également :

- Le marquis, ruinés et radin qui pensent pouvoir tout avoir juste grâce a son titre de noblesse.

- Le comte qui lui au contraire dépense sans compter et pense pouvoir notamment séduire énormément grâce à son argent.

- Le chevalier, clairement misogyne

et enfin l'héroïne de l'histoire Myrandolina, dont tous les hommes tombent fou amoureux et qui s'est mis en tête de donner une bonne leçon au chevalier et le séduisant.



Bref l'amour est au centre de la pièce et va avec pas mal d'autres thèmes, comme l'argent. Cette pièce nous permet aussi de découvrir les mœurs et coutumes de l'époque.



Mon édition (hachette classique) était complétée par un dossier très documenté pour comprendre et aborder la pièce plus facilement (bien que celui ci se lise en un rien de temps).
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Les Amoureux

Ce n'est pas pour rien qu'on a dit de Goldoni qu'il avait révolutionné le théâtre italien. Jouant des canevas conventionnels, il s'est constamment affranchi de la tradition, comme c'est le cas pour Les Amoureux, pièce de 1759.





Une histoire d'amoureux où les personnages tiennent des rôles en dehors des cordes. Oui, il y a bien un couple d'amoureux. Seulement personne les empêche de filer le parfait amour, si ce n'est eux-mêmes. Car s'il est une chose qu'ils pratiquent à l'envi, ce sont les disputes incessantes, les vexations, les réconciliations. Eugenia, l'amoureuse, vit bien sous la coupe de son oncle Fabrizio, mais celui-ci est plus préoccupé de sa galerie de tableaux (des croûtes qu'il a payées fort cher, grâce à sa réputation de pigeon) que du mariage de sa nièce. La sœur aînée d'Eugenia, veuve, est bien là pour l'aider à la conduire dans la vie, sauf qu'elle n'a aucune influence sur elle. Et surtout, tout est source d'agacement pour Eugenia, et agacer son amoureux est un plaisir sans cesse renouvelé. Agaceries auxquelles cet amoureux, Fulgentius, doit trouver un certain charme, puisqu'il y revient constamment, quand il ne s'énerve pas tout net - ce qui arrive souvent. Ajoutons des domestiques, un ami et d'autres personnages intéressés par le sort de nos amoureux et leur prodiguant moult conseils, conseils qui, pour une raison ou une autre, tombent souvent mal malgré leur bonne volonté - il faut dire qu'Eugenia, en particulier, n'y met guère du sien.





Comédie enlevée, centrée sur une Eugenia amoureuse pénible à souhait - sans le caractère de laquelle on s'amuserait beaucoup moins - et qui utilise à la fois une composition sans failles (car il faut bien que les quiproquos tombent à pic) et des personnages complémentaires, ce qui donne son unité à la pièce. Goldoni s'aventure également du côté de la psychologie, mais sans approfondir cet aspect pour mieux croquer un milieu bourgeois un rien ridicule. Entre rythme alerte et personnages irrésistibles, le lecteur est pris au piège.
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Arlequin, serviteur de deux maîtres

C'est toujours un plaisir de lire Goldoni et je me suis régalée avec cette pièce lu d'une traite.



Clarice s'apprête a épouser Silvio et les deux tourtereaux sont très amoureux. Le père de Clarice avait promit la main de sa fille Fédérigo Rasponi qui a été tué et peu donc épouser Silvio. Mais voila que Fédérigo Rasponi réapparaît et souhaite épouser Clarice....

"SMERALDINE. [...] Servir une femme amoureuse, ce n'est vraiment pas de tout repos. Elle fait mille extravagances, ma maîtresse; et ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est qu'elle est amoureuse de monsieur Silvio au point de s’étriper par amour pour lui, et pourtant elle envoie des billets à un autre. A moins qu'elle n'en veuille un pour l’été et l'autre pour l'hiver..."



S'ajoute une intrigue autour d'un serviteur qui sert deux maîtres, Goldoni nous livre a nouveau une pièce drôlissime. Bourré de quiproquo, de retournements de situation, on rit énormément.

"TRUFFALDIN. [...] J'ai servi à table deux maîtres, et aucun des deux ne s'est douté qu'il y en avait un autre. Mais puisque j'ai servi pour deux, maintenant, je veux manger pour quatre."



Après avoir adoré La Locandiera, Le café ou encore Les amoureux, j'ai passé un excellent moment avec Arlequin, serviteur de deux maîtres.
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La Locandiera

Ecrite à la fin de 1752, la pièce est créée en janvier 1753 au théâtre Saint-Ange de Venise par la troupe de Medebach. Goldoni arrive à la fin du contrat très contraignant qui le lie à la troupe et à son directeur, qu’il quittera bientôt pour rejoindre le théâtre San Luco, et la Locandiera est une des toutes dernières pièces qu’il donne à Saint-Ange. C’est l’arrivée dans la troupe de Saint-Ange en 1751 d’une nouvelle comédienne, Maddalena Raffi, spécialisée dans les rôles de soubrettes, qui permit à Goldoni d’écrire des pièces où ce type de personnage est mis en valeur. Le rôle de Mirandolina de la Locandiera lui était destiné. Ce qui ne plaisait guère à la vedette féminine de la compagnie, Mme Medebach : les vapeurs de la dame ont eu pour conséquence la disparition de la pièce de l’affiche au bout de quatre représentations, malgré son succès.



Mirandolina, la Locandiera (ou l’aubergiste) du titre, est une jeune femme indépendante, qui se trouve sans mari ni père, gérant elle-même son bien. Comme elle est jolie et qu’elle a du charme et de l’esprit, elle ne manque pas de soupirants. Deux de ses clients, le marquis de Forlipopoli, de vieille noblesse mais pauvre, et le comte d’Albafiorita, nouveau riche qui vient de s’offrir son titre, en font partie. Le premier, personnage comique, lui offre sa protection, le deuxième la couvre de cadeaux. Mais la jeune femme ne fait que s’en amuser. Arrive le chevalier de Ripafratta, qui dédaigne les femmes, et qui met en cause la qualité du service de l’auberge. Mirandolina décide de le rendre amoureux pour le punir. Un jeu de séduction s’engage entre les deux personnages, sous les yeux de Fabrice, le valet de l’auberge, que le père de Mirandolina lui a destiné comme époux avant son décès.



C’est peut être actuellement la pièce la plus jouée de Goldoni. Elle a beaucoup d’atouts : des personnages variés et plutôt complexes, des aspects comiques très efficaces, une peinture sociologique de son temps. Le personnage principal, Mirandolina, est une jeune femme qui revendique son indépendance vis-à-vis des hommes, qui n’est absolument pas sentimentale. Certains lui ont reproché sa coquetterie et son désir de manipuler et d’utiliser les hommes grâce à son charme, mais il faut dire que les soupirants en lice ne sont pas tellement séduisants, sauf le chevalier rebelle à l’amour, et là il n’est pas sûr que Mirandolina ne succombe pas non plus à son charme. Seulement, d’une manière évidente, une liaison avec un noble et riche seigneur ne la mènerait pas très loin, et son bon sens lui interdit ce genre d’impasse. La pièce met malgré tout en évidence les limites qu’une femme trouvait à son désir de liberté à l’époque : Mirandolina se trouve à la fin de la pièce dans l’obligation d’épouser Fabrice pour se sortir de la situation dans laquelle elle s’est mise en réveillant le désir chez un homme jeune dans une position sociale dominante, bien loin de ses soupirants plus raisonnables et faciles à maintenir dans le respect.



La société de l’époque est en pleine recomposition, ce que la pièce montre. L’ancienne noblesse est en perte de vitesse, de nouveaux riches prennent le pouvoir, et de nouvelles couches industrieuses, comme Mirandolina, commencent à trouver leur place. D’une façon amusante, la pièce met en scène des femmes travaillant (Mirandolina et les deux actrices) et des hommes surtout oisifs, les trois nobles qui gravitent autour d’elle.



L’intrigue de la pièce est au final très sobre, très réaliste, dans un contexte historique et social précis. C’est très efficace ; la pièce et les personnages sont suffisamment riches pour donner lieu à des lectures très différentes, ce qui qui explique son succès et ses nombreuses reprises.
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La Locandiera

Relecture, en V.O.



La Locandiera, c’est l’aubergiste, Mirandolina. Elle tient son établissement hérité de son père du mieux qu’elle peut. Tous les hommes tombent sous son charme mais elle, elle a les idées bien arrêtées, elle sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas ! Elle va mener tout son monde par le bout du nez…



Multiples relectures de cette pièce dont je ne me lasse pas ! Chaque mot semble dosé, chaque réplique bien calée… des dialogues savoureux au possible, des personnages oh combien caricaturaux certes mais tellement humains en même temps, un comique de situation, et puis ce personnage central, la Locandiera, si vive, si attachée à ses idées, pleine d’humour également.

J’adore particulièrement son monologue sur l’amour ! avec des expressions très imagées et amusantes !

On retrouve un savoir-faire venu de la Commedia dell’Arte que Goldoni maitrisait.



J’ai eu le bonheur de voir cette pièce jouée par Dominique Blanc et André Marcon, en grandissime chevalier.



A lire et relire…

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Une des dernières soirées de carnaval

Pièce relativement peu jouée de l’auteur, elle a été écrite et jouée en 1762 à Venise, c’est la dernière pièce de l’auteur créée dans cette ville avant son départ pour Paris, sous les coups de ses adversaires, et tout particulièrement de Carlo Gozzi et de ses satires mordantes. Goldoni a en quelque sorte perdu l’espoir de voir ses conceptions du théâtre triompher à Venise et en Italie, et tente l’aventure à l’étranger. Ce qui rend en partie cette pièce, dans laquelle un des personnages principal est sur le point de s’exiler, émouvante.



Nous sommes dans la société d’aisés marchands et fabricants. Zamaria, un tisserand, a invité quelques amis et relations pour un dîner suivi d’un bal. Sa fille Domenica, prépare la soirée, d’autant plus minutieusement qu’elle guette l’arrivée d’un charmant jeune homme, dessinateur pour les créations de tissus. Mais le bel Anzoletto est sur le point de partir à Moscou, une opportunité de travailler dans un autre cadre, loin des critiques dont il semble avoir été la cible dans son pays, le tente. Mais il aime Domenica, et il est prêt à l’épouser et à l’amener avec lui. Le père de la jeune fille ne l’entend pas de cette oreille : il ne veut pas se retrouver seul (il est veuf), loin de sa fille chérie. Les différents invités de la fête, vont chacun jouer un petit ou grand rôle dans l’affaire.



Sur un canevas très simple, Goldoni donne une pièce à la fois drôle et émouvante. Les différents personnages ont tous leurs caractéristiques et personnalités, opposées et donc complémentaires pour donner un tableau riche de la société qu’ils représentent. Les deux jeunes mariés exclusifs et jaloux, l’insupportable épouse et son mari aux petits soins, le couples élégant et ironique etc forment un tableau riche et chatoyant, dans lequel s’insère le motif central amoureux. Toutefois une mélancolie discrète mais persistante nimbe l’ensemble : il s’agit de partir, et celui qui part dit son amour pour la ville qu’il quitte, même s’il espère la revoir, revenir auréolé d’un succès extérieur, qui pourrait lui donner une légitimité dans son pays natal. Goldoni met ses plus belles phrases dans la bouche d’Anzoletto, et il est difficile de ne pas donner une dimension autobiographique à ses mots. L’auteur n’aura malheureusement pas l’opportunité de réaliser le projet de son personnage : revenir dans la ville après un exil temporaire, et il est difficile de suivre la pièce sans y penser, ce qui donne un côté émouvant et sensible aux répliques de son personnage. Malgré tout, la soirée se finit par le bal projeté, et par trois projets de mariage, nous sommes dans une comédie, et la tristesse cède aux plaisirs de la fête. Simplement, pour le lecteur qui connaît la suite de la vie de Goldoni, cette fête prend les couleurs des adieux, c’est une dernière occasion de se réjouir, d’être ensemble, de faire des projets communs, avant la séparation définitive.



A la fois drôle et tendre, émouvante et réjouissante, c’est une pièce d’une grande finesse et élégance, qui sous des allures anodines d’une soirée entre amis, effleurent des thématiques importantes, sans en avoir l’air.
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Le café - Les amoureux

Après avoir adoré La Locandiera, je voulais absolument découvrir d'autres pièces de Goldoni. Ce recueil contient deux pièces : Le café et Les amoureux et je suis a nouveau conquise.



Le café est un petit bijoux. Nous sommes sur une place ou il y a un café entouré d'un tripot, d'une auberge et d'une maison. Les habitués vont y déguster leur café chaque matin est c'est l'occasion de faire connaissance avec les habitants du quartier. Alors même si l'intrigue est plutôt simple, j'ai beaucoup aimé l'ambiance et les différents personnages y sont très bien travaillés. On y rencontre le cafetier, toujours très serviable, le personnage mal disant qui colporte des ragots, le conte qui espère épouser la belle ballerine qui se montre souvent a son balcon, et puis "l'addict" au jeu qui ne peux s’empêcher de miser les quelques pièces qu'il a dans les poches (ou celles qu'il n'a pas encore). Bien sur la dessus, il va y avoir quelques quiproquos qui vont venir se mêler a l'intrigue et qui sont vraiment très drôle.



Les amoureux. Cette pièce est vraiment très différente et l'amour, vous vous en doutez est au centre de la pièce. On y fait la connaissance d'Eugénie et de Fulgence qui s'aiment mais qui ont du mal a être sur la même longueur d'onde. Eugénie est très jalouse, ce qui énerve Fulgence et donc les disputes sont très fréquentes. Il y a toute une série de personnages autour d'eux qui essaie de les faire s'entendre mais l'amour les pousse parfois a faire n'importe quoi......



Bref, si vous aimez le théâtre, vous serez forcement conquis(e) par ces deux pièces que se dévore en un rien de temps.
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La famille de l'antiquaire ou la belle-mère e..

Merci à Masse critique et aux éditions Tertium, que je découvre à cette occasion, pour l'envoi de ce livre.



Au premier abord la situation théâtrale paraît assez simple. Une jeune femme, Doralice, vient d'épouser Giacinto, fils du comte Anselmo. Giacinto et Doralice s'aiment mais le mariage a un autre motif: l'argent. Anselmo, pris par la passion des antiquités, est désargenté et Doralice apporte une belle dot. Comme il arrive, le mariage suscite l'hostilité de la belle-mère, Isabella, qui n'accepte pas que son fils ait été marié au-dessous de sa condition. Le conflit s'envenime, notamment du fait que Doralice prétend à la direction de la maisonnée.

Mais c'est un peu plus compliqué. En fait d'antiquités, Anselmo se fait duper par son valet Brighella, qui, avec la complicité d'Arlequin, refourgue à Anselme des vieilleries qu'il prend pour des objets remarquables. Une servante, Colombine, attise l'inimitié entre la belle-mère et la bru, pour y gagner des récompenses plus substantielles. S'ajoutent deux chevalier servants, des sigisbées, le Docteur, auprès d'Isabella, et le Chevalier Del Bosco, auprès de Doralice, qui cherchent une solution mais ne dépassent pas le niveau de la flatterie.

Et voilà, vous avez un bel imbroglio, bien difficile à dénouer. De solution, il n'y en aura pas vraiment, mais un apaisement sera trouvé par l'arbitrage du père de la mariée, Pantalon.

On reconnaîtra une satire des classes sociales vénitiennes du 18e siècle (même si la scène est à Palerme, c'est plus prudent): une aristocratie désargentée et arrogante, en proie à des lubies; une bourgeoisie qui tente de prendre sa place; et le peuple qui essaie d'améliorer son ordinaire en profitant de la situation.

Quelques personnages sont issus de la Commedia dell'arte: Arlequin, Colombine, le Docteur, Pantalon. Mais ils ont largement détournés de leur emploi originel. Goldoni la fait évoluer vers une comédie de caractère, en se référant à son grand modèle: Molière. La modernité de Goldoni est de ne pas rechercher nécessairement une solution à la situation. Les humains sont tels qu'ils sont et c'est ainsi. Tout ce à quoi l'on peut parvenir est un modus vivendi.

La pièce est plaisante, sans atteindre des sommets. Une chose est perdue en traduction: c'est l'emploi des différents niveaux de langages et dialectes italiens, qui doivent donner du relief au texte orignal: entre italien et dialecte vénitien.

Ce petit volume est une belle porte d'entrée dans ce théâtre relativement peu connu dans le monde francophone. Et pourtant Goldoni était francophile, il a écrit ses mémoires en français et a fini sa vie à Paris
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La famille de l'antiquaire ou la belle-mère e..

Merci à Babelio et à Tertium Editions de m'avoir permis de découvrir Carlo Goldoni et un petit aperçu de son œuvre avec cette très amusante comédie.



Grand admirateur de Molière, Carlo Goldoni écrivit de nombreuses tragédies avant de s'orienter vers la comédie. Il raviva la commedia dell'Arte en supprimant les masques et l'improvisation dans le jeu des acteurs pour les obliger à respecter le texte écrit et à l'interpréter avec plus de réalisme.



Dans la famille de l'antiquaire, Carlo Goldoni dénonce la mode des antiquités qui avait séduit l'Italie après la découverte de Pompéi, en mettant en scène la collectionnite ridicule du comte Anselmo. Ce dernier ruine sa famille par des achats de fausses antiquités, et trop préoccupé par sa passion, ne voit pas les désordres que cela engendre dans son foyer. Sa jeune bru Doralice, qui a apporté une dot de 20000 écus, se plaint de n'avoir même pas une robe à se mettre et ne supporte pas sa belle-mère. De là, les perturbations s'enchaînent, attisées par les domestiques comme Arlequin, Brighella et Colombine qui veulent tirer profit de la bêtise du comte. Le conflit entre la bru et la belle-mère semble insoluble jusqu'à l'arrivée en scène de Pantalon, père de Doralice, qui entend bien ramener la paix dans cette famille. Y arrivera-t-il ? Rien n'est moins sûr...



La famille de l'antiquaire se lit très facilement et très rapidement. Si elle n'a pas la profondeur d'une pièce de Molière, elle est très drôle et permet de découvrir un pan de la société vénitienne de la fin du 18ème siècle.



Challenge multi-défis 2022



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La Servante aimante

La pièce est créée en 1752 à Milan, par la troupe de Medebach, même si Goldoni a décidé de quitter ce dernier, ce qu'il ferra la saison suivante. Son théâtre, la réforme qu'il propose, suscite vivement la polémique, en particulier avec Chiari l'année de cette création.



La serva amorosa, comme la Locandiera, créée la même année, a été écrite pour mettre en valeur le talent d'une des actrices de la troupe, la Marliani. Au contraire des pièces plus chorales de Goldoni, dans lesquelles il est difficile de dire quel est le personnage principal, tant chacun a son moment et la possibilité d'exprimer sa voix, l'intrigue de la pièce est centrée sur Corallina, la servante du titre.



Ottavio, un vieil homme riche a épousé en secondes noces une femme plus jeune, Beatrice. Cette dernière a fait chasser de la maison le fils d'Ottavio, Florindo, et elle essaie de faire rédiger à Ottavio un testament en sa faveur, ce qu'il répugne de faire. La servante de la maison, Corallina, a suivi Florindo, et tente de l'aider par tous les moyens. Elle a poussé Pantalon, un marchand ami de son maître, à tenter de fléchir Ottavio. Mais Beatrice intervient, et refuse le retour de Florindo au foyer, de même qu'un secours financier, en plus d'une pension famélique. Pantalon part, outré de l'attitude de Beatrice.



Florindo se désespère, il est sans argent et perspectives. Corallina n'est pas à bout de ressources. Elle projette de marier Florindo à Rosaura, la fille de Pantalon. Elle va la voir sous prétexte de lui vendre des bas, et arrive à la persuader de l'intérêt de Florindo, et à susciter une forme de tendresse chez la jeune fille. Elle essaie de convaincre Florindo de l'intérêt de ce mariage, mais ce dernier serait plus enclin d'épouser Corallina, pour la récompenser de son dévouement. Corallina n'abandonne pas pour autant son idée, et arrive à éveiller de l'intérêt pour son projet chez Pantalon, à condition que Florindo puisse hériter de son père.



Mais les événements s'accélèrent : Lelio, le fils idiot de Beatrice d'un premier mariage, convoite aussi Rosaura, et s'imagine que Pantalon est prêt à la lui donner en mariage. Sa mère, quand à elle, a réussi à obtenir l'accord d'Ottavio pour faire venir, le soir même, le notaire en vue du testament. Corallina arrive à circonvenir le notaire : elle l'accompagne déguisée en clerc, et pendant que Beatrice explique au notaire comment rédiger le testament, elle arrive à distiller le doute dans l'esprit d'Ottavio, et lui suggérer une ruse pour lui permettre de connaître les vrais sentiments de Beatrice à son endroit. Le stratagème fonctionne comme il se doit, et Beatrice est chassée, Florindo rétabli : le mariage avec Rosaura peut avoir lieu, pendant que Corallina se marie avec Brighella, le valet de Pantalon.



Une pièce toute en ambiguïtés et teintes claires-obscures. Beatrice et Lelio, son fils, sont certes des personnages vraiment négatifs : Beatrice ne s'est mariée que par intérêt, elle méprise son mari et ne cherche qu'à le manipuler, en n'hésitant pas à recourir à une forme de violence, verbale et psychologique, rendue avec maestria. Ottavio est un vieil homme faible, égoïste, veule, sans réelle volonté : c'est parce que Corallina arrive à prendre l'emprise sur lui, qu'il se décide à agir.



Les incertitudes du coeur et de l'esprit, la naissance de l'amour, qui survient chez les deux jeunes gens à l'instigation de Corallina, sont très bien rendues. Rosaura s'intéresse à Lelio, parce qu'elle pense qu'il l'aime, que cette attirance que Corallina restitue, en rendant le jeune homme désirable dans l'imaginaire de la jeune fille, finit par faire naître un sentiment, qui ne s'appuie au final que sur le désir d'amour de Rosaura. De même, le sentiment de Lelio vient lorsqu'une Rosaura frémissante vient chez lui pour parler à Corallina : le trouble de la jeune fille trouble à son tour le jeune homme. La représentation, ce que les personnages imaginent, est au final plus important que ce que l'autre ressent et pense en réalité. L'amour s'établit ici sur deux illusions, qui finissent par se rejoindre et devenir réelles, parce que les personnages les voient comme telles.



Encore plus ambiguës sont les relations entre Florindo et Corallina. Cette dernière proclame qu'elle aime son maître d'un amour fraternel, et refuse son offre de mariage. Mais nous ne saurons jamais si elle le fait parce qu'elle ne l'aime pas, ou si parce qu'elle considère qu'un tel mariage ne serait pas raisonnable, qu'il ne serait pas acceptable socialement, les mettraient au banc de la société. Un certain nombre de réflexions des autres personnages étayent cette hypothèse, et on se demande si le mariage entre Florindo et Rosaura n'est pas là avant tout pour éviter que les gens ne jasent trop sur l'étrange couple que la servante forme avec son jeune maître. Corallina interroge subtilement les hiérarchies sociales en place : elle est le personnage le plus intelligent, le plus capable, moteur de l'action, mais aussi le plus désintéressé et intègre, mais elle reste une servante, et doit rester à sa place. Elle épousera Brighella, sans qu'elle n'ait à aucun moment semblé s'y intéresser plus que ça. Le sentiment ne semble pas faire partie du contrat pour elle : c'est une affaire de raison, il est de son monde, et cela arrêtera tous les ragots.



Une pure merveille, d'intelligence, de drôlerie et de sensibilité.
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Les Rustres

Ecrite en dialecte vénitien, la pièce Les rustres est crée en 1760, à la fin du carnaval. La pièce sera éditée en 1762, avec une dédicace à l'ambassadeur français de Venise, il faut dire que Goldoni part quelques jours plus tard pour la France, où il finira sa vie. La pièce a inspiré un opéra-comique de Wolf-Ferrari, I quatro rusteghi, crée en 1906.



Nous sommes à Venise pendant le carnaval. Mais pas questions de fêtes et réjouissances dans la maison de Lunardo. Très sévère, il tient très serrées sa femme Margarita et sa fille d'un premier mariage, Lucietta. Il promet néanmoins aux deux femmes des réjouissances pour ce soir : il a invité des amis à lui pour dîner. S'agissant d'individus très proches par leur comportement de Lunardo, elles sont moyennement ravies. Mais cette invitation a un but : celui de marier Lucietta à Felippetto, le fils d'un des invités, Maurizio. Lunardo n'en dit rien à Lucietta, qui l'apprend en secret de sa belle-mère. Elle est partagée entre joie et inquiétude : elle aimerait voir son promis avant le mariage.

Filippetto se rend chez sa tante, Marina, mariée à un autre invité du dîner de Lunardo, Simon. Il est question du mariage, le jeune homme aussi aimerait voir sa fiancée avant de convoler. Survient Simon qui chasse Filippetto, mais il n'arrive pas aussi facilement à se débarrasser de Felicia, forte femme, venue avec son mari Canciano, qu'elle a complètement dompté, et un jeune noble. Felicia décide d'aider les deux jeunes gens à faire connaissance avant le mariage.



Au deuxième acte, nous sommes de retour chez Lunardo. Les invités arrivent peu à peu. Les hommes s'enferment entre eux, pour discuter mariage, et dire des horreurs sur les femmes. Pendant ce temps ces dernières sont laissée à elles-mêmes. Felicia annonce à Lucietta qu'elle verra Felippetto ce soir, il viendra déguisé en femme avec son noble cavalier. Les deux hommes arrivent, Lucietta et Felippetto ont un coup de foudre réciproque. Mais les hommes surgissent, Lunardo annaonce le mariage à sa fille, qui doit avoir lieu le soir même. Mais le cavalier et Felippetto cachés sont découverts, les deux pères se fâchent et annulent la noce prévue.



Au troisième acte, les hommes se plaignent des femmes et de leur comportement. Felicia intervient, prend tous les torts à sa charge et persuade ces messieurs à quel point tout cela n'est pas grave. La réconciliation intervient, et le souper peut enfin avoir lieu, annonce du mariage à venir.



Nous sommes avec des personnages de comédie connus : des vieillards tyranniques et peu policés, qui veulent régenter leurs femmes et enfants, qui s'opposent à toute nouveauté et aux joies de l'existence qui paraissent légitimes à leur famille. La comédie antique, la comédie italienne de la Renaissance, les comédies qui les ont prises comme modèle, par exemple une grande partie des pièces de Molière, nous ont habitué à ce type. Goldoni donne dans sa préface à la pièce cette définition du rustre « A Venise, on entend par rustre un homme aigri, rustaud, ennemi de la civilité, de la culture, de la conversation ».



Mais ces personnages de rustres ont un sens plus profond à ce moment de son œuvre. Il s'agit de riches bourgeois, de notables, de gens issu d'une classe que l'on pourrait croire avide de progrès, de changement, désireux de faire bouger les règles sociales en cours, de secouer la prééminence de la noblesse en déliquescence. Or il n'en est rien : ces rustres sont obtus, et hostiles au changement, plus réactionnaires que les nobles. C'est en quelque sorte le constat d'une société bloquée : entre les nobles qui mangent leur héritage et s'accrochent à leurs privilèges, et une bourgeoisie aux vues étroites et rétrogrades, il n'y a pas de réelle possibilité d'évolution. La république vénitienne s'avance lentement vers sa fin.



Dans la pièce, ce sont les femmes qui s'en tirent le mieux, en particulier Felicia, qui a décidé d'édicter ses règles et de les faire suivre à son mari. Au final, il s'en trouve plutôt bien, et le fait presque reconnaître à ses amis peu aimables à la fin de la pièce. La femme et son bon sens remplace ici le valet de comédie, qui grâce à ses ruses et mensonges arrive à berner les vieillards obtus.



Une très bonne pièce.
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