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Citations de Cécile Ladjali (399)


Mémé Adélaïde est enterrée au cimetière de Saint-Ouen, le dernier jour de février, un 28, le mois amputé de deux jours donnant juste au chagrin une fracture plus étriquée encore. (p. 118-119)
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On s'est rhabillés dans la lumière de la nuit, sous les yeux des constellations enfilées comme des perles autour du cou du ciel voyeur. Sur la plage, j'observais nos corps gris qui ressemblaient à de la pierre ponce."
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L’écriture est une descente, Luce. On descend chercher les mots dans le monde des ombres. Comme Orphée. On voit les morts. L’effroi. Toute sa beauté. On descend. Dans les cercles, il n’y a pas de feu, mais du froid, de la nuit et du vent. On saisit ce monde. On se l’approprie. Le travail est long et difficile. On fore. On creuse en soi. Dans sa nuit. Et on découvre des monstres. Ils sont tapis dans les antres et les trous boueux de l’origine. On dompte les monstres. On survit à la nuit et on en revient. Car une fois qu’on a en main les pierres noires arrachées au sol d’en bas, on doit remonter lentement vers la lumière avec elles. Le travail de l’écrivain devient alors une ascension lente vers le jour. Vers la clarté. Il s’agit du sens à trouver.

(Actes Sud, p.58)
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Tsvetaïeva est proche de Bachman comme l'a pressenti Todorov dans l'admirable autobiographie qu'il signe d'elle : vivre dans le feu . Porte-voix de son auteur, Moi dit à Ivan: "Tu comprends, mes lettres enflammées (...) tout le feu que j'ai mis sur le papier, avec ma main brûlée, j'ai peur que tout cela devienne un bout de papier carbonisé". Or, loin d'être de cendres, l'oeuvre de Bachmann est à jamais un incendie d'amour et d'intelligence, un feu de joie inextinguible qui apaise les ombres du soir et allonge l'éclat des matins.
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Il est des territoires où il vaut mieux vivre que d’autres, comme il est des corps qu’il semble préférable d’habiter. Or, moi, je pense qu’il n’y a ni territoires ni corps mais un monde qui englobe tout. Un genre qui résume les deux autres genres connus. Ce sont nos faibles consciences qui inventent des démarcations, des lignes en pointillé, des barrières, des check-points pour se rassurer.
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Privé de son lecteur, l'auteur n'est rien. Il n'est que le signataire d'un néant, une lettre muette, sourde et aveugle. C'est tout le sang du lecteur qui irrigue la carcasse sèche des livres.
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Je sais bien que les rêves les plus beaux sont insensés et en même temps mon acharnement à y croire m’a toujours procuré une force spéciale, quelque chose qui décourage l’adversaire, en le laissant pantois. Je compte sur ma préemption têtue des faits et des êtres.
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Elle ne pouvait se douter de tout ce qui se jouait alors pour lui. Au terme d'une visite, elle lui demanda - avec la légèreté douloureuse des êtres bienveillants qui vous assassinent avec leur bonté - d'écrire son prénom en lettres minuscules de la main gauche (...). Elle vit dans ses yeux les mêmes larmes de rage (...). Elle comprit. C'était comme si ces larmes devenaient la preuve d'une intuition qu'elle enfouissait depuis des semaines et qui participait très certainement - sans qu'elle n'en ait bien conscience - de ses sentiments contradictoires pour lui. Ainsi Léo ne savait pas écrire et sans doute était-il tout aussi incapable de lire. (...) il quitta la table et dit - en regardant par la fenêtre pour ne voir que les signes éteints en haut de la tour - qu'il n'avait plus besoin d'elle, que la douleur était passée, qu'il n'était plus utile qu'elle vienne. Léo avait parfois cette violence calamiteuse des êtres qui ont honte.
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Il y a beaucoup de points communs entre l'eau et l'espace. L'infini. L'absence de pesanteur. Le noir. La musique du silence. La peur. La désorientation. L'abolition du temps. L'étrange. Le vertige. L'oubli de la faim. Le mépris du monde. La présence pénétrante de l'être aimé, auquel on ne peut que penser quand on se retrouve seul. La certitude qu'il est là, en train de flotter à nos côtés. L'impression que cette absence de couleur devient la teinte de son corps et de son esprit qui se répandent dans la conscience alors béante comme un puits.
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Verdun, le 20 mai 1916

Monsieur Cendre,

J’ai un ami. Il s’appelle Jean. Comme je vous l’ai déjà dit, il ne sait pas écrire. En fait , il écrit si mal que cela revient au même. Alors je rédige son courrier à sa place. C’est curieux et presque douloureux de prendre ainsi la place d’un autre. Pour un autre. Dans les deux cas, on est face à des inconnus. Etant déjà très étranger à soi-même, l’exercice est violent, presque mortel. Mais je m’y adonne régulièrement.

Jean graphie : sela fé lontan ke la plui ple sur moi et den mon keur, petite maman.
Cette langue magique ne m’a cependant jamais arraché un sourire. Parfois, j’ai presque honte de la corriger. Elle me semble parfaite, originelle. C’est moi l’illettré. La langue de Jean dit tout, l’eau du ciel, la détresse, la mère, même si elle n’est pas orthodoxe. Et l’orthodoxie, quand on ne sait pas si l’on va vivre, n’a pas beaucoup de réalité, hormis celle du poteau d’exécution ou celles des lignes de barbelés qui écorchent l’horizon. (p. 130)
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[ Kafka ] Ecrire était la seule nourriture de ce champion du jeûne. Son unique possibilité d'existence. (...) En dehors de cet espace intime où la littérature se faisait, Franz n'était qu'un dormeur qui traversait la vie (...) (p. 171)
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Une fois au collège, ce fut une autre paire de manches. Tous ses professeurs se rendirent compte aux premiers cours qu'il ne pouvait suivre. Incapable de comprendre un texte sous la dictée ou d'accéder au sens d'un conte lors d'une séance de lecture silencieuse parce qu'il ne déchiffrait pas assez vite, Léo fut complètement démasqué. Une réunion au sommet s'organisa, les enseignants se scandalisant de ce qu'un enfant au niveau si lamentable puisse se retrouver dans le secondaire. Et comme d'habitude, ils accablèrent leurs collègues du primaire, qui en leur temps avaient renvoyé les parents démissionnaires à leur responsabilité. Ce n'était donc la faute de personne.
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Quant à la musique, je crois qu’elle n’est rien d’autre que le souvenir du silence, la mémoire du bruit minuscule qu’a fait une fleur en perçant la neige. Le silence appelle inévitablement une suite car il se fonde sur le regret de ce qui n’a pas été entendu. Or ma vie est un regret immense : celui de la musique des gens normaux.
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Dans la cabane, c'est pire encore que sous la neige. Nos coeurs sont deux chambres froides. Un jour en miettes passe par la fenêtre. La pénombre est lente.Oui lente. Il fait si peu clair que c'est comme si le contour des choses se diluait non dans l'espace mais dans le temps. Un temps blême. Sans profondeur. Mes émotions n'ont plus aucune épaisseur. Notre sortie dans la ville infectée m'a rendu gourd. L'impression d'avoir respiré de l'ether. Froid dans les narines. Oubli du reste. Je vacille. Assis sur les bords du lit, nous nous observons, Zena et moi. On guette les plaques rouges qui seraient apparues sur notre peau, on cherche une buée suspecte installée sur le cristallin de nos yeux. Les traces de la maladie. Les prémices de l'agonie. Mais rien.
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Jusqu'à quatorze ans, je parvenais à entendre certaines des paroles prononcées par Zena. Les plus basses seulement. Puis j'ai fini par lui en vouloir car j'ai cru qu'elle avait compris ma tactique et qu'elle s'était mise à parler plus haut pour me faire de la peine. Commencer à m'oublier. En fait, je me trompais. C'est moi qui n'entendais plus rien. Je voyais le mal partout et je devenais fou en regardant la jolie bouche me parler sans que n'en sorte aucun son. Le visage splendide de Zena crachait du silence et semblait mourir derrière une vitre. J'avais l'impression qu'elle se noyait alors que c'était moi qui m'asphyxiais.
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Je ne parlais toujours pas. J'avais envie de pleurer.De joie? De rage? Les deux. Elle m'aimait. Mais pas du même amour que moi.
(...)
Dans l'objectif, son corps était renversé. Ainsi offerte, elle rencontrait mon propre bouleversement. Celui que je ne pouvais pas vouer. J'avais alors dix-huit ans. Je serais bientôt un homme et je ferais bien mieux dans la vraie vie de de prendre des clichés de femmes.
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Lire une fiction écrite par un romancier-poète, c'est comme être au musée et faire la rencontre d'un tableau si bien exécuté qu'il vous fait éprouver la manière peinte. Quand je contemple les Raboteurs de Caillebotte, je sens des ampoules me pousser au creux des paumes. (p. 80)
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Avec les mots, il serait le maître de son destin, il pourrait aimer. Les livres sont l'examen de la vie. Un miroir où l'on se voit, par lequel on se connaît, où l'on apprend à nommer et cesse de subir. Et puis être en mesure de faire naître ce lien (même illusoire) entre ce qu'on lit et soi-même doit être une chose merveilleuse, une expérience unique à tenter. (p. 128)
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Montmirail, vendredi 10 novembre 1915

Ma chère maman,

Tu vas être contente. Ce matin, le sergent-chef a annoncé que nous aurions une permission pour Noël. Je sais ce qu'il t'en coûtera de t'avoir fait espérer pour rien au cas où la décision serait annulée, mais je ne résiste pas au plaisir de faire un trou d'espoir dans ton coeur. C'est le pouvoir de si peu d'hommes aujourd'hui. Et j'ai ce pouvoir. Alors réjouis-toi, ma douce, je serai bientôt de retour.
Le sapin que Clémence et moi avions planté l'an passé au fond du jardin doit avoir bien grandi. Ayez soin de le déraciner. Ne le fauchez pas : il faudra penser à le rempoter à la fin des fêtes pour l'année suivante. L'ombre épineuse de notre bonheur me fait mal.
Dans la tranchée, on a arrangé un petit pupitre en bois. C'est de là que je t'écris. Les camarades attendent, papier dans une main, tabac dans l'autre. Vous écrire c'est du bonheur. Jean n'avait plus d'encre pour sa mère et les gars ici sont avares. (Tu peux comprendre.) Alors il a trempé l'acier de sa plume dans les flaques de boue. Et l'on s'est rendu compte que la terre avait de très jolies couleurs pour une mère. Cela nous a fait peur sur le coup. (Le ciel était gris aussi.) Puis on a regardé en direction des arbres et au-delà d'eux encore et Jean m'a dicté sa lettre parce qu'il ne sait pas écrire. Jean et sa mère vivent à deux pas de chez nous, derrière l'église du père Martin. C'est en inscrivant l'adresse sur l'enveloppe que l'évidence s'est imposée. Te rends-tu compte ? Il a fallu la sale guerre pour que l'on se croise, ici, au fond d'un trou boueux.

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« Écrire est un acte religieux : une manière d’ordonner, corriger, réapprendre et réaimer les gens et le monde, tels qu’ils sont et pourraient être. »
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