AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Charles-Ferdinand Ramuz (534)


Il le fit asseoir près de lui et tout de suite le fit boire.
« À ta santé, reprit-il ; quand on est heureux on boit bien, quand on boit bien on est heureux. »
Commenter  J’apprécie          90
Et le sens de tout m'apparaît. Ce qui m'avait fait peur m'encourage à moi-même. Ce qui avait été une cause d'accablement est maintenant une cause de force ; j'appelle ce que j'avais fui ; je languis après es obstacles, et il n'y en a plus parce que surmontés, mais j'en réclame des nouveaux ; je veux que mon fardeau soit encore plus lourd ; je dis : «Voyez, je ne plie pas dessous ; il fortifie mes reins, il m'endurcit à la fatigue. Vous croyiez m'avoir abattu, voyez comme je me redresse ; vous croyiez m'avoir tout ôté, vous me retrouvez enrichi ; vous m'aviez dépouillé de moi-même, c'est un nouveau moi-même et un meilleur moi-même qui se relève d'à vos pieds ; plus vous me priverez et plus je serai riche ; plus vous m'aurez diminué, plus je me sentirai grandi.»

[in "Résurrection"]
Commenter  J’apprécie          80
Le soleil baissa et toucha le bout du grand Bourni pointu qui devint tout noir sur le ciel en lumière ; dans la boule brillante, il entra comme un coin, par lequel elle fut fendue, s'écartant dans le bas, puis mordue plus profond et séparée en deux. Alors, comme d'un tison qui s'écroule, monta haut dans le ciel une poussière d'étincelles. Et, à gauche et à droite, l'horizon tout doré s'ouvrait, et les larges espaces avec leurs milliers de montagnes, et de dedans les creux une vapeur montait, tandis que l'étang à présent descendait peu à peu dans l'ombre, et que, comme élevées au contraire au-dessus des choses par les suites d'étages de bois et de rochers, d'où fuyait lentement le bel éclat du jour, les neiges rondes des sommets étaient peintes et fleuries de rose.
Commenter  J’apprécie          110
Il avait tiré près du poêle la petite table où étaient les tasses, ils s'y étaient assis en face l'un de l'autre et, ayant allumé leurs pipes, ils s'étaient mis à causer. Ils n'avaient point besoin de chercher leurs idées, c'était du pays qu'ils s'entretenaient ; et cela, le pays, les avait rapprochés encore, parce que Larrouy venait des Pyrénées. C'était, pour tous deux, cette même présence de la montagne à l'horizon, ce même bruit en eux du torrent sur les pierres, ce même soleil sur les glaciers.
Commenter  J’apprécie          110
Le printemps était là, mélangé comme il est de bleu et de noir, avec des jours de beau soleil, puis des averses et du vent. Mais qu'est-ce que cela lui faisait ? il trouvait plaisir à la pluie, il trouvait plaisir au soleil. Il y avait eu les anémones violettes, les crocus qui aiment l'eau, les hépatiques des haies, les primevères comme des assiettes. Alors viennent les gentianes. Il semble qu'on voit le blé pousser : tout d'un coup, il a un pied de haut. Et, le soir, l'air qui passe a un goût de pain frais. Jean-Luc ouvrait la bouche, il disait : « C'est bon ! »
Commenter  J’apprécie          80
Puis voilà qu’on constate encore qu’on est de deux ou trois ceps en retard déjà sur ses voisines ; on a un petit mal de dos, on a un petit mal de tête ; on a encore la bouche pleine de l’épaisseur sucrée de trop de raisins avalés la veille et qui se mêle au goût du mouton aux raves qu’on a mangé pour le dîner (c’était le traditionnel repas des vendanges) ; une grande envie de dormir, et terriblement exigeante, venait flotter par là-dessus ; – pourtant il faut qu’on avance, il faut même qu’on se dépêche sans quoi les femmes vont se moquer de vous ; on empoigne sa seille par ses deux oreilles de bois, on la soulève, qui est lourde ; on la monte d’un pas ou deux, on la pose à nouveau dans l’argile où elle s’enfonce ; – et le brouillard en s’élevant découvre devant vous l’infinité des feuilles, le bizarre brouillard de ces pays déjà à demi montagneux, où il s’amuse à descendre et monter plusieurs fois de suite, cachant les rochers, les pâturages, les forêts, puis seulement les rochers ; puis, de nouveau, toutes choses et encore une fois les vignes elles-mêmes ; avant que définitivement il se défasse et il s’éparpille, comme quand on déchire entre ses doigts, en mille petits morceaux, une feuille de papier.
Commenter  J’apprécie          80
Et, à présent, du côté de la montagne, le brouillard, qui s’était élevé encore, pendait au- dessus des bois noirs et des rochers comme ces gros plumiers pleins de plumes de poules qu’on expose devant les maisons au grand soleil pour les faire gonfler ; tandis que, du côté de la plaine, là son épaisseur lisse allait s’amincissant et s’usant toujours plus comme par une usure naturelle, laissant venir à vous les objets que d’abord elle avait recouverts, laissant voir par des trous les buissons, le bout des roseaux ; alors il y avait dans sa surface des taches noires, elle commençait à se tacher de noir, – noire et blanche, cette brume, – puis elle prenait fin dans le bout de la plaine, c’est-à-dire dans le pied de l’autre chaîne, et là elle était tranchée net comme un coup de ciseaux.
Commenter  J’apprécie          20
L’inlassable pressoir n’arrête pas de faire entendre sa plainte au fond de mon souvenir, accompagnée du monotone crépitement du cran d’arrêt tombant entre les dents de la roue d’engrenage.
Commenter  J’apprécie          20
Mais, plus à droite encore, dans des régions encore plus aériennes et sur les bords mêmes du ciel, là venait la grande merveille : je la revois au fond de moi- même comme sept femmes agenouillées, les mains jointes, vêtues de blanc. Vêtues de blanc, tout là-haut, ou d’or, ou d’argent, ou de rose, selon l’heure, mais tellement brillantes et aériennes qu’elles semblaient déjà soustraites à la matière ; tout là-haut vers le sud et au-dessus des grandes gorges noires où règne toujours une demi-nuit, et elles, au contraire, toujours dans la lumière : sept grandes femmes agenouillées, et séparées de nous par un premier seuil d’air ; mises là les unes à côté des autres, aux portes du ciel, à genoux ; roses, jaunes, tout en or ou tout en argent, et qui illuminaient l’espace, tout en le transfigurant : les sept Dents du Midi avec leurs neiges et leurs glaciers.
Commenter  J’apprécie          40
Le vent s'était levé, un grand vent de montagne qui vient avec comme deux mains, et renverse les gens sur les routes.
Commenter  J’apprécie          180
Jean-Daniel



XVIII
extrait 2

Nos derniers jours seront paisibles,
nous aurons fait ce que nous devions faire ;
il y a une tranquillité qui vient,
une grande paix descend sur la terre.

Nous nous parlerons du passé :
te souviens-tu du jour où tu avais pleuré,
te souviens-tu du jour de nos noces ?
on avait sonné les deux cloches
qu’on voyait bouger en haut du clocher.

Te souviens-tu du temps des cerises
et on se faisait avec des boucles d’oreilles,
et du vieux prunier qu’on secouait
pour en faire tomber les prunes ?

Le cadet des garçons arrive alors et dit :
« Grand’mère, la poule chante,
elle a fait l’œuf. »
«Va voir dans la paille, mon ami.»
Et nous sourions de le voir qui court
tant qu’il peut, à travers la cour,
sur ses grosses jambes trop courtes.
Commenter  J’apprécie          11
Jean-Daniel6



XVIII
extrait 1

Un jour je te verrai venir un peu plus lasse
Il grandira dans la campagne.
Il sera paysan comme nous.
Il portera la blouse comme son père a fait,
et, comme son père, il traira les vaches ;
il fera les moissons, il fera les regains,
il fauchera les foins ;
il étendra peu à peu son domaine ;
et, lorsque nous serons trop vieux,
quand l’heure du repos sera pour nous venue,
il nous remplacera, maître de la maison.

Il aimera comme nous avons aimé ;
les jeux de nos petits-enfants
entoureront notre vieillesse.

Ce sera une après-midi de beau temps ;
je serai assis au soleil,
j’aurai joint les mains sur ma canne,
il fera clair sur la campagne ;
et toi, utile encore avec tes vieilles mains,
tu iras et viendras, tout près, dans le jardin,
nous acheminant ainsi ensemble
vers l’autre repos, qui est sans fin.
Commenter  J’apprécie          20
Jean-Daniel



XVII

Un jour je te verrai venir un peu plus lasse
et lourde d’un fardeau que tu n’as pas connu,
tandis que s’épaissit ta taille,
marchant dans le jardin où les roses fleurissent
et je t’aimerai encore un peu plus.

Je songe que tu portes deux vies
et qu’il me faut donc t’aimer doublement
pour toi-même et puis pour celui
qui va naître de tes souffrances.

Je sens que j’ai grandi vers de nouveaux aspects
d’où le monde paraît avec des tristesses,
mais aussi avec des joies accrues en nombre ;

et, quand je sens ta main s’appuyer sur mon bras,
et l’ombre de ton front se poser sur ma joue,
il me semble avancer sûrement avec toi
vers la réalisation d’une promesse.
Commenter  J’apprécie          10
Si elle avait été là, qu'aurait-elle fait ? Il lui aurait dit : « Voix-tu comme je suis malheureux ! » Elle aurait répondu : « Oh ! je l'avais bien vu. » Elle lui aurait dit : « Est-ce que je ne peux pas t'aider ? » Ils auraient parlé ensemble un long moment. Ils auraient même pu se taire ; c'est d'être ensemble qui est bon.
Commenter  J’apprécie          110
Jean-Daniel



XVI

Notre maison est blanche, elle est sous les noyers,
ta mère tricote près de la fenêtre ;
iI fait chaud, on va moissonner,
mais, comme les foins sont rentrés,
on a un moment pour se reposer.

Tu mets les verres sur la table pour le dîner.
Du rucher, je te vois passer dans la cuisine,
et ta chanson me vient parmi
le bourdonnement des abeilles.

Ta mère s’est levée, elle a mis son tricot
et ses aiguilles dans la corbeille ;
elle a l’air heureux de vivre avec nous,
nous sommes heureux de vivre avec elle.

Ne sommes-nous pas heureux de nous aimer,
d’être ensemble, de travailler,
de voir mûrir les foins, les moissons se dorer,
et, plus tard, vers l’automne,
les arbres plus lourds du poids de leurs fruits
jusqu’à terre se pencher ?

Tu vas dans la maison, faisant un petit bruit,
et, du matin au soir, c’est toi qui veilles à tout ;
pendant que, moi, je vais faucher
et que les chars rentrent grinçants,
hauts et carrés,
comme des petites maisons roulantes.
Commenter  J’apprécie          20
Le temps de l'enfance est le beau temps où on ne sait rien de la vie.
Commenter  J’apprécie          212
Jean-Daniel



XV

Le jour de notre noce, j’y pense tout le temps,
il fera un soleil comme on n’a jamais vu;
il fera bon aller en char
à cause du vent frais qui vous souffle au visage,
quand la bonne jument va trottant sur la route
et qu’on claque du fouet pour qu’elle aille plus fort.
On lui donnera de l’avoine,
en veux-tu, en voilà;
on l’étrillera bien qu’elle ait l’air d’un cheval
comme ceux de la ville;
et trotte! et tu auras ton voile qui s’envole,

et tu souriras au travers
parce qu’il aura l’air
de faire signe aux arbres
comme quand on agite un mouchoir au départ.

On se regardera, on dira: « On s’en va,
on commence le grand voyage;
heureusement qu’il n’y a pas
des océans à traverser. »
Et quand nous serons arrivés,
la cloche sonnera, la porte s’ouvrira,
l’orgue se mettra à jouer;
tu diras oui, je dirai oui;
et nos voix trembleront un peu
et hésiteront à cause du monde
et parce qu’on n’aime à se dire ces choses
que tout doucement à l’oreille.
Commenter  J’apprécie          22
Jean-Daniel



XIV

Marianne a pleuré, il faisait du soleil,
la cuisine était rose.
Ses larmes coulaient sur ses joues.
Elle a pris son mouchoir, elle a pleuré dedans,
elle s’est assise, n’ayant plus de force.

«Est-ce que c’est vrai que tu l’aimes tant? »
Marianne n’a rien répondu.
«J’aurais voulu pour toi quelqu’un d’autre. »

Marianne a secoué la tête.
«J’ai la raison que tu n’as pas,
j’ai connu la vie, je suis vieille.
Il n’y a pas que l’amour,
l’amour est beau, mais l’amour passe,
tandis que l’argent, ça dure une vie
et qu’on en laisse à ses enfants.»

Marianne a pleuré si fort
qu’on l’entendait depuis dehors.

« Mais maintenant que je t’ai dit ce que je pensais,
je ne voudrais pas te faire de la peine.
Prends ton amoureux si tu l’aimes… »

Marianne a levé la tête
et elle a cessé de pleurer.
« Je crois que c’est un bon garçon,
il aura soin de la maison,
il ne boit pas, il est sérieux,
eh bien, puisque tu le veux,
mariez-vous et soyez heureux. »

Elle a embrassé sa mère sur le front,
elle l’a prise par le cou:
«Tu permettras que je te l’amène?…
Tu verras que j’avais raison. »
Commenter  J’apprécie          80
Jean-Daniel



XIII

Si ta mère savait pourtant que nous nous aimons,
et que le soir je viens t’accompagner
jusque tout près de la maison,
si elle savait que nous nous fréquentons
et que, cette fois, c’est pour de bon,
que dirait-elle ?

Elle qui a un front ridé,
des mains noires toutes tremblantes,
elle qui ne se souvient plus
de sa jeunesse;
elle qui a oublié le temps où elle allait danser,
et qui ne sait plus ce que c’est
tout le bonheur qu’on a d’aimer,
ta mère, qu’est-ce qu’elle penserait?

Nous ne parlons pas de ces choses
pour ne pas gâter notre bonheur;
nous nous regardons seulement
pour nous redonner du courage.
Car nous ne faisons rien de mal,
n’est-ce pas? il est naturel
d’être amoureux comme nous sommes;
ils ont tous été comme nous.
Et je dis: «Vois-tu, il faudra s’aimer d’autant plus,
d’autant plus fort, d’autant plus doux;
alors peut-être que ta mère aura pitié,
et elle nous laissera nous aimer. »
Commenter  J’apprécie          20
Jean-Daniel



XII

Je ne sais pas pourquoi
d’autres fois je suis triste
et je n’ai de cœur à rien faire.
Il faudrait faucher, il faudrait semer,
mais je dis: «Tant pis!» qu’il pleuve ou qu’il grêle,
ça m’est bien égal.
C’est ainsi quelquefois sans raison,
à cause d’une manière qu’elle a eue de me parler,
à cause d’un air qu’elle a eu de me regarder,
à cause de son rire,
à cause de sa voix qui était changée et de ses yeux
qui se sont baissés devant les miens,
comme si elle me cachait quelque chose.

Et pourtant je suis heureux quand même.
Je l’accuse à tort parce que je l’aime.
C’est pour me faire mal, et puis je me repens.
J’ai honte de moi, je me dis: «Tout va bien»;
et le bonheur me revient
comme quand la lune sort
de derrière un gros nuage.
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Charles-Ferdinand Ramuz (1142)Voir plus

Quiz Voir plus

Aimé Pache, peintre vaudois de Charles-Ferdinand Ramuz

Ce roman, paru en 1911 à Paris chez Fayard et à Lausanne chez Payot, est dédié à un peintre : ...

Alexandre Cingria
René Auberjonois
Cuno Amiet
Ferdinand Hodler

15 questions
3 lecteurs ont répondu
Thème : Aimé Pache, peintre Vaudois de Charles Ferdinand RamuzCréer un quiz sur cet auteur

{* *}