Mais moi, te prenant alors sur mes genoux, je te raconterai cette autre mort d'avant et tu seras consolée.
Je te dirai : «C'est à cause que tout doit finir que tout est si beau. C'est à cause que tout doit avoir une fin que tout commence. C'est à cause que tout commence que tu as connu le grand émerveillement. Tâche seulement d'être toujours émerveillée. Découvre toujours quelque chose comme en ces premiers jours où tu découvrais tout. Garde ces poings fermés dans l'effort joyeux et le courage, et le sourire qu'il faut aussi dans le courage. Il y aura toujours les belles fleurs des rideaux et toujours les belles fenêtres. Fais qu'elles s'ouvrent seulement plus nombreuses et que la lumière dedans aille seulement croissant en clarté. Et puis, un jour, l'amour viendra, ce nouvel amour, et tous les amours. Et ainsi tu iras, distinguant mieux, sans cesse, sans cesse plus de choses ; puis, un jour, la fatigue se fera sentir ; tu quitteras le sommet de la courbe, on te remettra au berceau. Mais que ce soit dans la douceur des grandes choses consenties et dans le respect de la symétrie, quand les lointains s'éloigneront, au lieu qu'ils avançaient alors, et la lumière s'assombrira ; naissance de nouveau, naissance en sens contraire, cercle qu'on referme, retour, mais avec ce même beau calme et le peu à peu de ce qui décroît, s'étant accru par une loi semblable : ainsi on voit sur l'horizon la plus haute de ces montagnes naître insensiblement de la plaine et y redescendre insensiblement.»
[Extrait de "Symétrie"]
Et le sens de tout m'apparaît. Ce qui m'avait fait peur m'encourage à moi-même. Ce qui avait été une cause d'accablement est maintenant une cause de force ; j'appelle ce que j'avais fui ; je languis après es obstacles, et il n'y en a plus parce que surmontés, mais j'en réclame des nouveaux ; je veux que mon fardeau soit encore plus lourd ; je dis : «Voyez, je ne plie pas dessous ; il fortifie mes reins, il m'endurcit à la fatigue. Vous croyiez m'avoir abattu, voyez comme je me redresse ; vous croyiez m'avoir tout ôté, vous me retrouvez enrichi ; vous m'aviez dépouillé de moi-même, c'est un nouveau moi-même et un meilleur moi-même qui se relève d'à vos pieds ; plus vous me priverez et plus je serai riche ; plus vous m'aurez diminué, plus je me sentirai grandi.»
[in "Résurrection"]
C'est un de ces matins d'octobre ; octobre a été annoncé par les calendriers. Octobre grince dans d'autres régions aux pressoirs, octobre a été introduit par la lune dans son premier quartier. Ailleurs, octobre pend en doré contre le crépi des murs et au-dessus des perrons ; ici, c'est inutilement qu'ils ont allumé, ce matin, leur lampes à pétrole, leurs falots tempête. Des fois, il semble que le bon Dieu soit resté endormi dans ses Demeures, ayant oublié, lui, d'allumer sa Grande Lampe ; alors d'autres lampes ne sont pas en état de la remplacer. Qu'est-ce qu'il arriverait (pense-t-il) si la Grande Lampe ne s'allumait pas, pour finir, quand Satan de dessous vos pieds souffle ses vapeurs à la figure par des fissures ; si l'Autre Lampe ne venait pas avec sa lumière lui faire peur.
[extrait de la nouvelle "Trajet du taupier", 1920]
Le petit enfant, assis sur un carré de toile à matelas dans le pré, tend la main vers un cerisier qui est bien à quarante pas de lui. Ayant refermé sa main, il s’étonne qu’elle soit vide. Il nous faut apprendre le monde depuis son commencement.
[C.F. RAMUZ, "Les Femmes dans les vignes et autres nouvelles" (1914-1921), éditions Zoé (Chêne-Bourg), coll. "Zoé Poche", 179 pages, 2021]
On se retourne, on voit qu’on s’est élevé. Et tout à coup on se trouve perché sur une espèce d’avancement en éperon d’où on domine tout l’arrangement désordonné des casiers de vigne sous soi ; le toit de la gare semble posé à plat sur le sol au bord de la voie ; encore un pas ou deux, et la pente faiblit et on est parmi les vergers.
in Retour aux lieux aimés
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix
autour du livre : Farinet ou la fausse monnaie
de Charles Ferdinand Ramuz
enregistré le 20 juillet 2023
en présence de Gérard Comby (membre de l'Office tourisme de Saillon & de la Commission du Patrimoine)
Résumé :
Un généreux Robin des bois, roi de l'évasion, porté par la plume de C. F. Ramuz.
Farinet, c'est un fameux faux-monnayeur, roi de l'évasion et Robin des bois qui vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au XIXe siècle. Arrêté pour avoir fabriqué de fausses pièces qu'il distribuait généreusement dans les villages de montagne, il s'évade à de nombreuses reprises. Ce héros populaire à la vie romanesque et rocambolesque meurt à 35 ans, en 1880. Cinquante ans plus tard, Ramuz s'empare du personnage et en fait le héros d'un récit classique, haletant comme un roman d'aventure, mais porté par son style unique : irruption du présent au milieu d'une phrase, mélange des temps qui rend le présent dense et incandescent, langue vaudoise aux accents paysans transfigurée par une écriture singulière, moderniste, au confluent des révolutions artistiques du XXe siècle (il est passionné par Cézanne et Stravinsky). Farinet se serait caché un temps au fond de la vallée de Chamonix, dans une grotte au-dessus de Vallorcine. Un petit mémorial y est installé.
Ce roman est paru pour la première fois en 1932.
Bio de l'auteur :
Ed Douglas, journaliste et écrivain passionné par l'Himalaya, a publié une douzaine de livres, dont plusieurs ont reçu des prix. Deux ont été traduits en français : de l'autre côté du miroir (Éditions du Mont-Blanc, 2018), Himalaya, une histoire humaine (Nevicata, 2022). Il publie des articles de référence dans The Observer et The Guardian. Il est rédacteur en chef de l'Alpine Journal et vit à Sheffield, en Angleterre.
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