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Citations de Claudio Magris (225)


Pourtant le papier a du bon, puisqu’il enseigne cette modestie et qu’il ouvre les yeux sur la vacuité du moi. Celui qui écrit une page et qui, une demi-heure plus tard, en attendant son tram, s’aperçoit qu’il ne comprend rien, même pas ce qu’il vient d’écrire, apprend à reconnaître sa propre petitesse et comprend, en pensant à la vanité de sa propre page, que chacun prend ses propres élucubrations pour le centre de l’univers, mais vraiment chacun sans exception. Et peut-être se sent-il frère de cette myriade de quidams qui comme lui se prennent pour des âmes d’élection tout en s’acheminant avec leurs fantasmes vers la mort, et il comprend à quel point il est stupide, sur ce chemin encombré où ils font route ensemble vers le néant, de se blesser réciproquement.
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Bratislava, capitale de la Slovaquie, est l'un des coeurs de cette Mitteleuropa faite de l'apport successif de siècles toujours présents, de déchirements et de conflits jamais réglés, de blessures jamais cicatrisées, et de contradictions jamais résolues. La mémoire, qui est à sa manière un art médical, conserve tout cela sous verre, les plaies ouvertes ainsi que les passions qui les ont occasionnées.
Dans la Mitteleuropa on ignore l'art d'oublier, de verser les événements aux actes puis aux archives; ce manuel de pharmacie en quatre langues et cet adjectif « posoniensis » me rappellent qu'au collège, avec quelques camarades, nous discutions sur les préférences de chacun pour l'un ou l'autre des noms de cette ville: Bratislava, le nom slovaque, Presbourg, l'allemand, ou bien Pozsony, le hongrois, dérivé de Posonium, l'ancien avant-poste romain sur le Danube. Du charme de ces trois noms émanait la suggestion d'une histoire composite et cosmopolite, et dans la. prédilection pour l'un ou l'autre d'entre eux, s'exprimaient, sur le mode enfantin, des attitudes de base en présence de l'Esprit du Monde : célébration spontanée des grandes et puissantes civilisations qui, telle la civilisation germanique, forgent la grande histoire, admiration romantique pour la geste des peuples révoltés, chevaleresques et aventureux comme les Magyars, ou bien sympathie à l'égard de ce qui est mineur et caché, des petits peuples qui, comme les Slovaques, restent longtemps un substrat patient et invisible, une terre humble et féconde qui attend pendant des siècles le moment de sa germination.
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Non, il n'était pas génial; tout au plus génialoïde. Bien vilain suffixe, cet oïde qui déforme toute qualité, de tous les péjoratifs, le plus prodigue en coup bas.
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Il est naturel de rester orphelin des idéologies, c'est comme rester orphelin de ses parents; c'est un passage difficile, qui n'implique pas toutefois la désacralisation du père disparu, parce que ça ne veut pas dire qu'on se détache de ce qu'il enseignait. L'engagement politique n'est pas une église mystique dans laquelle tout se tient, mais un travail quotidien, qui ne rachète pas en une seule fois la terre, et qui est soumis à des erreurs, qu'il a d'ailleurs tôt fait de corriger. (p.275)
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Tentations de l'Ailleurs, disait Gottfried Benn, même quand on sent s'ouvrir l'implacable azur sous les incertitudes de la réalité. (...)
En fait nous errons presque comme des orphelins - dit Hölderlin dans son poème A la source du Danube -, le fleuve coule et scintille au soleil comme le cours de la vie, mais l'impression qu'il brille est illusion d'optique d'un regard ébloui qui voit d'imaginaires taches de lumière sur le mur - illumination au néon de ce qui s'estompe, séduction de l'apparence, couvertures illustrées.
Le reflet du néant met le feu aux choses, aux boîtes de conserve abandonnées sur une plage et aux cataphotes de voitures, comme le couchant incendie les fenêtres. Le fleuve n'a aucune continuité et il est immoral de voyager disait Weininger en voyageant. Mais le fleuve est un vieux maître taoïste, qui au long de ses rives nous donne une leçon sur la grande roue et sur les intervalles entre ses rayons. Dans tout voyage il y a au moins un peu de Sud, quelques heures de détente, un certain abandon, le flux de l'eau. Sans se soucier des orphelins qu'il laisse sur ses berges, le Danube s'enfuit vers la mer, vers la grande persuasion.
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La pureté ethnique, comme toute pureté, est le résultat d'une soustraction et elle est d'autant plus rigoureuse que cette dernière est plus radicale - la véritable pureté serait le rien, le zéro absolu obtenu par la soustraction totale.
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Qui sait combien de choses, combien d'aimables plaisirs et de joies on doit, sans le savoir, à l'encre rouge des maîtres d'école.
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Une fois de plus, la Trieste bourgeoise, fascisante, collaborationniste par vocation même quand elle ne peut pas collaborer, a débarbouillé et remaquillé son visage. Rien que des gens respectables ; il n'y a guère d'autres villes en Italie où des industriels, des financiers, des armateurs, des banquiers se soient affichés aussi explicitement, je dirais instinctivement - mais prudemment, aussi, bien sûr - au côté des fascistes et même, quand il l'a fallu, des nazis. Tout en lâchant aussi quelque chose, et plus que quelque chose, à la Résistance, on ne sait jamais.

   " Mais est-ce que vous avez lu le témoignage si ému, pauvre naïf, de ce jeune homme qui avait été cueilli dans la rue par les nazis après l'attentat du mess du Deutsches Soldatenheim et qu'on avait envoyé au siège de la Gestapo ? Lui aussi, il aurait probablement fini pendu dans la rue Ghega avec les cinquante et un autres si, précisément à ce moment, par chance, n'était entré le vieux baron Wenck, conseiller de la Compagnie de navigation Silba, qui venait voir son ami Stulz, son ancien condisciple à Munich, présentement capitaine de la Gestapo. Alors qu'on poussait le jeune homme menotté dans un réduit, le baron est passé devant lui, l'a reconnu - car peu de temps auparavant il avait travaillé comme jardinier dans sa villa -, il s'est ému, lui a promis de l'aider et, en effet, il a parlé à Stulz et le pauvre diable a été relâché. Il lui en a été reconnaissant toute sa vie, ça se comprend, mais ne trouvez-vous pas inquiétant qu'un des patrons de la navigation à vapeur à Trieste ait été suffisamment proche de la Gestapo pour détenir le pouvoir de faire libérer un malheureux vraisemblablement destiné à la torture et au gibet ?

   " Le baron a vécu encore de nombreuses années, influent respecté et à l'aise aussi bien dans le Territoire libre que dans la République italienne comme dans sa jeunesse il l'avait été dans l'empire hasbourgeois, et avec lui ceux qui gravitaient dans le même cercle, les gens qui comptent à Trieste et qui ont lavé leur linge sale dans le Canal. Ils ont même fini par faire disparaître la Rizerie - personne n'en parlait plus, même pas les antifascistes, personne n'était au courant, et pourtant c'était le seul four crématoire qui ait existé en Italie et personne, vraiment personne, n'en savait rien, c'est cela qui est tragique, ils étaient parvenus à effacer cette vérité, cette réalité... Même le 25 avril, dans les cérémonies officielles, on n'en parlait pas. On a fini par célébrer des anniversaires, par organiser des commémorations, mais très tardivement. Des cérémonies, des conférences, c'était bien le moins qu'on puisse faire, mais il a fallu attendre le procès pour savoir, pour prendre conscience que nous savions que des choses horribles s'étaient passé chez nous, sous notre nez, et que c'était aussi notre affaire... 
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Où s'achève le Danube ? Il n'en finit pas de finir, dans un présent sans fin. Les bras du fleuve s'en vont chacun pour son compte, ils s'émancipent de l'impérieuse unité/identité, ils meurent quand bon leur semble, l'un un peu plus tôt et l'autre un peu plus tard. Le logicien aurait du mal, dans cet entrelacs, à pointer l'index pour désigner le Danube, son ostention si précise deviendrait un geste circulaire, vaguement oecuménique, parce que le Danube est partout et que sa fin aussi est dans n'importe lequel des 4300 Km carrés de son delta (page 487).
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Il existe un autre domaine - bien plus intéressant que celui de l'organisation et de la perpétration du pouvoir - dans lequel la sauvegarde du secret est fondamental, c'est celui de la vie privée.
A l'opposé de toute culture mystériosophique, cette défense est, ou du moins peut être, une très humaine protection de la liberté individuelle.
Dans une très belle page, Edouard Glissant revendique le droit à l'opacité, le droit de ne pas être passé, au plus profond de son être et de ce qu'il ressent, aux rayons W de quelque connaissance globale, même pas par l'être aimé qui partage son existence; en reconnaissant aussi son propre devoir de respecter l'autre de la même façon.
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Qui dit secret dit invitation à le garder mais aussi le violer, deux impulsions contradictoires et souvent entrelacées avec ambigüité.
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Repoussés il y a trois cents ans, les Turcs, aujourd'hui, reviennent en Europe, non pas avec des armes, mais avec leur travail, avec cette ténacité des Gastarbeiter qui, endurant les vexations et la misère, prennent peu à peu racine dans une terre qu'ils conquièrent par leur obscure besogne. Dans diverses villes d'Allemagne et d'autres pays, les établissements scolaires se dépeuplent de petits Allemands et se remplissent de petits Turcs; l'Occident qui, avec la dénatalité, a choisi la voie du déclin, réagit avec un orgueil inquiet devant les résultats du mécanisme social qu'il a lui-même mis en mouvement. (…) L'Histoire montre à quel point il est non seulement insensé et cruel, mais encore difficile de définir ce qu'est un étranger (p.247)
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Quel lien peut unir l'âme et les formes, si derrière la multiplicité de l'inessentiel il y a une essence de la vie et quelle relation en soi existe entre le jeu des choses telles qu'elles sont et l'authenticité du devoir-être. [...]
La grande avant-garde artistique et musicale hongroise favorisait le goût de l'essai, parce que l'essai est la péripétie, douloureuse et ironique à la fois, de l'intelligence percevant l'inauthenticité de l'immédiat et le divorce entre la vie et sa signification - et qui tend cependant, fût-ce de façon indirecte, à cette transcendance du sens qui demeure inaccessible dans la réalité, mais qui apparaît par éclairs dans la conscience que l'on a de son absence et dans la nostalgie qu'elle suscite.
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Peut-être est-ce cela, le péché originel, être incapable d'aimer et d'être heureux, de vivre à fond le temps, l'instant, sans avoir la rage de le brûler, de le faire finir tout de suite. Inaptitude à la Persuasion, disait Michelstaedter. Le péché originel introduit la mort, qui prend possession de la vie, la fait trouver insupportable en chaque heure qu'elle amène dans sa course et oblige à détruire le temps de la vie, à le faire passer vite, comme une maladie; tuer le temps, forme édulcorée du suicide.
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C'est peut-être pour trouver une réponse à cette question que me voici dans le Banat avec Mémé Anka, qui avec ses quatre-vingts ans institue en elle-même une réponse. Le point de départ nos expéditions, c'est Bela Crkva (Église Blanche), ville natale. L'ancien indicateur ferroviaire général de l'empire des Habsbourg la désignait comme Fehértemplom, selon le critère de choisir l'appellation la plus courante sur place; cette ville, maintenant yougoslave, faisait alors partie du royaume de Hongrie. Aujourd'hui les inscriptions officielles, rédigées en trois langues, indiquent Bela Crkva, Fehértemplom, Biserica Alba — c'est-à-dire ses noms serbe, hongrois et roumain; le nom allemand, Weisskirchen, a presque totalement disparu. On y trouve des églises catholiques, des temples protestants, des lieux de culte orthodoxe de rite russe, grec et roumain; certains, comme celui des Slovaques, sont en ruine.
L'entorse faite au parcours danubien normal, en ligne droite, trouve dans ce cas une justification historique — en plus, naturellement, de la raison psychologique, à savoir qu'avec Mémé Anka la décision est rapide et sans appel, et qu'elle a tout simplement voulu qu'il en soit ainsi.
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Il n'est pas nécessaire de croire au Créateur, il suffit de croire au créé, pour pouvoir se déplacer parmi les choses avec la certitude qu'elles existent, la conviction que la chaise, le parapluie, la cigarette, l'amitié ont une réalité irréfutable. [...] On est heureux auprès de gens qui savent rendre indubitable la présence du monde, de même qu'un corps aimé donne la certitude de ces épaules, de ces seins, de ces hanches dont les courbes évoquent les vagues de la mer.
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Dans cette demeure [le Palais du Belvédère] la vie devient comme le symbole d'elle- même. La symétrie de ce parc, qui monte allégoriquement — avec ses statues, ses fontaines et ses ornements — de la grâce des saisons à l'apothéose de la Gloire des victoires sur le Croissant, marque le triomphe d'une civilisation amoureuse des confins sur la fougue d'une autre dont on a dit qu'elle pensait en termes d'espaces infinis.
Épigones, touristes et visiteurs, nous nous promenons à présent dans ces symétries ordonnées, entre ces limites et ces mesures que nous aimons, semblables aux figurants d'une mise en scène à grand spectacle, comme dans un film d'Abel Gance.
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L'esprit souffle où il veut, et personne ne peut être sûr en permanence de son propre génie ou de sa propre faiblesse.
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Si l'auteur se met à souligner, à expliciter et à interpréter son oeuvre, faisant concurrence au critique, il en dissout l'ambiguïté et en appauvrit le sens. Le grand art est ambigu, mais pas par coquetterie à l'égard des valeurs ou pour s'amuser à en montrer l'inconsistance et l'interchangeabilité ; cette complaisance dans la futilité, c'est la voix de fausset avec laquelle celui qui ne sait pas chanter tente de faire croire qu'en réalité il est en train d'imiter les chanteurs sans voix.
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Toute endogamie - toute identité prétendue pure - est asphyxiante et incestueuse.
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