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Citations de Claudio Magris (225)


Écrire au café San Marco de Trieste
Ce n'est pas mal de noircir les feuilles sous les masques qui ricanent et dans l'indifférence des gens assis autour de vous. Ce désintérêt indulgent tempère le délire de toute-puissance latent dans l'écriture, qui a la prétention d'ordonner le monde avec des morceaux de papier, et de trancher doctement sur la vie et la mort. Ainsi la plume trempe-t-elle, qu'on le veuille ou non, dans une encre mêlée d'un peu de modestie et d'ironie. Le café est un des lieux de l'écriture. On y est seul, avec du papier, un stylo et deux ou trois livres au maximum, agrippé à la table comme un naufragé assailli par les vagues.
p. 19-20
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L'ironie est une guérilla contre l'outrance viscérale et le minimalisme postmoderne ; c'est une vertu tendre et forte.
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L'esprit souffle où il veut et nul, même s'il vient tout juste de mettre un point final à un chef-d'oeuvre, ne peut être certain qu'à ce moment l'esprit ne l'a pas abandonné, le laissant aveugle et sourd face à la vie et à l'Histoire.
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Etre ignoré est un cadeau du sort.
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Nous sommes ce en quoi nous croyons, les dieux que nous hébergeons dans notre esprit, et cette religion, sublime ou grossière, nous marque de manière indélébile, s'imprime dans nos traits et nos gestes pour devenir notre manière d'être.
(d'après Marc Aurèle)
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La Mitteleuropa est une grande civilisation de la défense, des barrières opposées à la vie... La culture danubienne est une forteresse qui offre un refuge sûr quand on se sent menacé par le monde, agressé par la vie et craintif à l'idée de se perdre dans une réalité incertaine, si fait qu'on s'enferme chez soi derrière des paperasses et les dossiers du bureau, dans la bibliothèque.........
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On est toujours cruel, même si on a la bonté au cœur, quand on ne sait pas regarder au loin et penser au pluriel, quand on a besoin de voir et de toucher, comme saint Thomas, pour savoir qu’il existe une créature, et qu’on ne réussit pas à imaginer vraiment qu’il y a d’autres créatures de chair et d’os, que nous ne verrons jamais, mais qui sont aussi réelles que nous et que ceux à qui nous donnons la main.
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Il y a donc une étroite logique dans le fait que Krasnov se soit jeté dans les bras du fascisme, parce que le fascisme est avant tout cette incapacité à déceler la poésie dans la dure et bonne prose quotidienne, cette recherche d’une poésie fausse, emphatique et grotesque.
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La fulguration lyrique d’un instant peut difficilement l’emporter sur la continuité épique d’une histoire. L’habitude a beaucoup de pouvoir sur nous ; elle nous induit à répéter les mêmes gestes, en esclaves distraits, qu’il s’agisse de collectionner des timbres, de fumer ou d’être bourreau. Si le premier pas nous échappe, c'est-à-dire la liberté de contracter des habitudes innocentes comme le tabac, ou de ne pas en contracter de coupables comme de mentir ou de tourmenter les autres, nous sommes déjà presque perdus.
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Selon Brecht, Baudelaire serait un poète petit-bourgeois dont les paroles sont des vestes usées et remises à neuf, tandis que pour Tolstoï les sensations évoquées dans sa poésie ne peuvent intéresser aucun homme sain. Brecht par ailleurs, est défini par Ionesco comme un créateur didactique et simpliste de personnages qui sont le plus souvent que des pantins et par Döblin comme un romantique attardé. Proust est liquidé d’un seul mot « foutaises » par Beckett, à son tour estampillé comme inutile épigone de Maeterlinck par Arno Schmidt. Pour Voltaire, Homère est ennuyeux, et Joyce est un médiocre pour Gottfried Benn, Laurence, Virginia Woolf, Pound et beaucoup d’autres. Nabokov considère comme des nullités Thomas Mann, Conrad, Cervantès, Camus, Eliot et Pound ; la Divine Comédie, pour l’expressionniste allemand Albert Ehrenstein, est l’œuvre scholastique, cérébrale, pesante et sadique d’un poète musicale mais monotone.
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L'obsession de sa propre identité,qui s'entoure d'autant plus de frontière qu'elle poursuit avec plus d'acharnement une pureté impossible et régressive, conduit à la violence.
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De nos jours, le delta, où vivent environ vint-cinq à trente mille personnes, est surtout le territoire des Lipovènes, ces pêcheurs à longue barbe de patriarche arrivés au XVIII ème siècle de la Russie qu'ils avaient quittée pour des raisons religieuses. Les Vieux-Croyants, adeptes du moine Philippe, avaient abansonné la Moldavie pour se réfugier en Bucovine; ils refusaient le sacerdoce, les sacrements, le mariage et le service militaire. Dans la Bucovine autrichienne Joseph II leur accorda la liberté de culte.
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Les Yaghans - ou plutôt les Yamanas - étaient trois mille en 1834, vingt ans avant la naissance d'Angela, et aujourd'hui il n'y en a plus un seul, ils se sont éteints pendant que le révérend Thomas Bridges rédigeait le dictionnaire de leur langue qui, en tant que langue écrite, naît donc morte et qui était déjà en partie morte puisque beaucoup d'indigènes, avec lesquels le révérend travaillait à son dictionnaire, l'avaient oubliée.
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On descend. Les rayons de lumière de diverses couleurs s'éteignent peu à peu, d'abord les rouges, puis les orangés, les jaunes, les verts, et en dernier les violets et les ultraviolets. À dix mètres de profondeur, c'est déjà le soir.

   On descend dans la crypte toujours plus obscure d'une cathédrale, la voûte au-dessus des têtes est encore bleue, verrière sillonnée par les frétillements d'une lumière de plus en plus pâle, de plus en plus opaque. Le temps, là-dessous, ralentit, se condense. Minutes de sommeil, années. Combien de temps a-t-on dormi, combien de temps a-ton rêvé qu'on dormait ? Dans ce bleu où l'on descend et qui bientôt n'est plus bleu, tout semble advenir avec une lenteur séculaire. Le pêcheur Urashima - Ivo se souvient très bien du petit livre qu'il avait reçu à la Saint-Nicolas, une édition allemande de contes, il revoit sa couverture avec le titre en caractères gothiques, noirs sur les crêtes blanches des vagues de l'illustration - plonge de sa barque dans les bras de la princesse de la mer, son cœur s'engloutit ; non-temps de la félicité et de la mort. Ulysse ne s'aperçoit pas que dans la grotte avec Calypso se sont écoulés sept ans, Urashima ne s'aperçoit pas qu'entre les bras de la déesse de la mer se sont écoulés quatre cents ans. mais qui les compte ? Les ans sont fait de jours, et pour qu'il y ait un jour il faut que le soleil se lève et se couche, mais quand au sein de la grande marée originelle il n'y avait aucun soleil qui puisse se lever ni se coucher, ni aucune terre qui puisse tourner autour de lui, et quand dans un baiser il n'y a ni hier ni demain, les jours n'existent plus et on ne peut pas les compter. Je suis ici dessous pour faire la guerre, enseigne de vaisseau, mais ici dessous il semble impossible de penser à la guerre, à sa précipitation accélérée, à la torpille qui jaillit à toute vitesse pour trouer la mer, le mur du temps.

   Touché au large de Venise, le sous-marin a réussi à remonter, lentement et en oblique, et à faire surface en se couchant sur un banc de sable, puis une corvette autrichienne a recueilli son équipage, y compris les quatre hommes tués lors de l'explosion, puis il est rentré à Pola.

   L'enseigne de vaisseau Ivo Saganic a plus de chance que ses camarades, car à la différence des autres marins et officiers originaires de petites villes et villages plus éloignés, lui, il habite à Promontore, juste au bord de la mer, cette mer d'où il est remonté et rentré chez lui où l'attend sa femme, Mila, avec ses cheveux longs comme ceux d'une sirène. Urashima a la nostalgie de sa maison, de son père de sa mère de ses frères et sœurs, et il dit à la déesse de la mer de le laisser partir, qu'il reviendra vite. L'enseigne de vaisseau Ivo Saganic a de la peine à cause des quatre marins morts et du sous-marin qui était devenu sa barque, plus encore peut-être que celle qui l'attend amarrée presque en face de chez lui, mais il est content de rentrer même si c'est pour peu de temps ; quand les dieux envoient un message, on part ou on revient sans discuter. Pendant que le sous-marin remonte - lentement entre autres parce qu'il le fait en oblique, l'angle qui sépare sa ligne de flottaison d'une ligne horizontale est très aigu - , il pense à ces hauts-fonds qui s'éloignent et disparaissent, à toutes les plantes et à tous les poissons parmi lesquels ils sont en train de passer, au sguazeto - ce délicieux ragoût - qui l'attend chez lui  ou à l'auberge, chez Trita Trita, où ils iront peut-être, Mila et lui, fêter son retour.

   À vrai dire, il espère aller tout de suite chez lui, mais peut-être que ses camarades voudront faire une petite bringue et lui, l'un des seuls à être mariés, ne veut pas faire le fier ou passer pour un Simandl, comme ils disent en allemand - lui il est et il se sent autrichien, comme eux tous, sujet de l'empereur, mais allemand, non, pas du tout, il est istrien et italien - , ce qui signifie que sa femme ne le tient pas sous sa pantoufle, et donc ils finiront sans doute tous chez Trita Trita qui expédie la jeunesse au cimetière avec son vin noir et au boulevard des allongés avec son vin blanc, mais lui il s'éclipsera assez rapidement. Aussi parce que, ensuite, il devra retourner en mer, sous la mer. Urashima s'unira bientôt à nouveau à la déesse de la mer qui, lorsqu'il est parti, ne lui a rien dit mais lui a simplement donné un petit coffret, en l'avertissant de ne jamais l'ouvrir.

   Il y a bien des façons d'attendre un mari qui vit longtemps - qui est peut-être mort - au fond de la mer et quand l'enseigne de vaisseau Igo Savanic vit que sa femme, la belle Mila, plus belle que la très belle reine de la mer, ne l'avait pas attendu toute seule ni non plus seulement en compagnie de leur fils, le petit Tonko, il lui sembla ne plus reconnaître la maison, la barque amarrée en face et doucement bercée par la mer, la cour et l'escalier qui montait à la porte, où Mila se tenait droite et silencieuse, plus lointaine que lorsqu'il était au fond des eaux , les quelques pas, les quelques mètres qui les séparaient étaient des années, des décennies. Urashima, quand il rentre au village, ne trouve plus rien, à part les montagnes ; sa maison n'est plus là, ni aucune des maisons qu'il connaissait, personne ne se souvient d'une famille portant le même nom que lui, même au cimetière il y a d'autres tombes et les noms, que le temps a rendu presque illisibles, ne lui disent rien ; quatre cents ans se sont écoulés, entend-il dire, depuis l'époque où un typhon a détruit un village qui se dressait à cet endroit, alors il va sur le rivage de la mer solitaire, il ouvre le coffret - peut-être qu'à l'intérieur il y a un message de la déesse qui va tout lui expliquer, un sortilège qui le protégera de tout danger -, mais il n'y a que de la poussière, immédiatement dispersée par le vent. Il se regarde dans l'onde claire et placide à ses pieds qui lui montre un visage creusé de sillons comme les pierres de ces vieilles tombes et de longs cheveux blancs comme neige.

    Les jambes d'Urashima se dérobent sous lui, il tombe sur la plage, l'enseigne de vaisseau Ivo Saganic, au contraire, a regardé longuement Mila immobile sur le seuil, puis il s'est retourné et est allé sur le rivage regarder longuement la mer, la dernière fois qu'on l'a vu, semble-t-il, il prenait à pied la route qui mène à Medulin. Les registres de la marine impériale-royale en savent certainement quelque chose, étant donné que peu de jours après l'équipage du U-Boot 20 a été appelé à reprendre la mer sur une autre unité, mais dans le grand chambardement de l'Autriche, à la fin de la guerre, ces registres ont été dispersés.
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Chaque nation est destinée à avoir son heure, et il n'y a pas, à l'absolu, de civilisations majeures ou mineures, mais bien plutôt une succession de saisons et de floraisons.
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Une spiritualité authentique - quand elle ne se pervertit pas en sa propre caricature qui la nie, comme il advient avec les fondamentalismes - est toujours universelle, elle n'appartient pas seulement à ceux qui la professent explicitement en tant que fidèles et pratiquants.
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Les civilisations ont une physionomie qui leur est propre, non une identité rigide et immuable qui coïnciderait complètement avec un pays.
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Le proviseur du Staatsgymnasium, Federico Simzig, le considérerait comme un véritable Gorizien puisque selon lui tout Gorizien, pour pouvoir se dire tel et vivre d'une vie naturelle et sans entraves dans ce monde qui est le sien, devrait connaître l'italien, l'allemand, le Slovène, le frioulan et le vénétotriestin.
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Chacun, sur les cartes de ces mers, a sa toponymie personnelle, du nationaliste intraitable qui dit tous les noms en italien ou en croate, affirmant implicitement une homogénéité ethnique compacte de ce monde et niant l'existence des autres qui en font partie, jusqu'au chroniqueur démuni arrivé d'Italie, qui ne dirait jamais « London » ou « Beograd », mais qui dit Rijeka au lieu de Fiume par ignorance ou par crainte de passer pour un revanchard.
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La mémoire de la forêt dit avant tout la vanité de la posséder.
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