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Critiques de Curzio Malaparte (157)
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Kaputt

Malaparte offre l'occasion d'évoquer les relations assez particulières de la Roumanie et de l'Italie, qui est la première destination des émigrants roumains mais pas d'un point de vue littéraire, puisqu'on ne compte quasiment aucun écrivain roumain en Italie. Certains écrivains italiens se sont intéressés à la Roumanie néanmoins, comme Claudio Magris, Dario Fo, Grigore Arbore, et Curzio Malaparte. Pas à ses meilleurs côtés pour ce dernier, puisque le propos de "Kaputt", c'est la guerre. La Roumanie y tient une part non négligeable et le livre de Malaparte est une des seules descriptions que je connaisse du pogrom de Jassy. L'atroce épisode étant relativement connu, je m'attarde un peu plus sur le petit chapitre intitulé "Les filles de Soroca". Nous sommes donc à Soroca, aujourd'hui en république de Moldavie, où l'on parle au moins roumain et russe. Des filles juives survivent misérablement dans les champs. Les Allemands les capturent et les enrôlent dans un bordel militaire, où elles se relayent, du moins c'est ce qu'elles pensent. Toutes se rattachent à cet espoir d'un ailleurs, d'autre chose, harassées. Mais, bien entendu, elles sont fusillées après avoir "servi". Malaparte raconte l'histoire d'une de ces filles, à laquelle un soir il tient la main, à Louise de Hohenzollern. C'est une autre force de ce livre : ses aspects mondains, la fréquentation du comte Galeazzo, du prince de Suède, des réceptions de Hans Frank, gouverneur général de Pologne, où le contraste est le plus marquant entre un homme qui donne tous les aspects de la civilisation, voire d'une culture raffinée, et l'indigence du ghetto de Varsovie. Il finit par trouver une conclusion à la hauteur lorsque Frank "joue" à tirer sur un enfant, censé avoir été pris pour un rat, qui tentait de sortir par le mur du ghetto. Et puis vous devez absolument lire Kaputt pour savoir ce que des chevaux peuvent bien faire dans un lac et pourquoi ils ne bougent pas. Sur les atrocités de la guerre mondiale, car Malaparte est allé un peu partout, au moins en Europe, un livre essentiel sur l'essentiel. Pour ses parties qui divisent l'espèce humaine en animaux (les rats, les mouches…), je le rapproche de Vittorini, essentiel aussi, pour qui il y avait "Les hommes et les autres". Mais pour sa narration d'épisodes marquants, sa cruauté baroque et son humble mais furieux et sanguin besoin de liberté en conclusion, il est définitivement unique.
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Kaputt

Curieux Curzio. Drôle de gus.

Italien, il appartient à une génération européenne qui n'a pas eu de bol puisqu'elle a dû vivre les deux guerres mondiales. Lui en a tiré des livres. Son parcours est plutôt trouble : vaguement artiste, journaliste, diplomate et finalement romancier. Fasciste de la première heure, plus tard emprisonné par le régime pour ses écrits, puis libéré et envoyé comme correspondant de guerre auprès des armées alliées de l'Italie. Enfin refaisant surface en suivant les armées libératrice à partir du débarquement américain en Sicile.



Kaputt est son grand oeuvre sur la seconde guerre mondiale, écrit à la première personne. En tant que correspondant de guerre, il se déplace entre pays conquis par les Allemands et pays neutres. Allié des Allemands, il est transporté par la barbarie nazie dans ses bagages mais se voit telle la vipère dénonciatrice en son sein. Faisant preuve d'un courage plutôt impressionnant.

Quelle est la part inventée, où est la réalité ? Et de cette réalité, la part réellement vécue, la part rapportée ? Ce n'est finalement pas très important, cela fait bien longtemps qu'on sait qu'en littérature, le réalisme est plus fort que le réel. Et s'il ne peut s'empêcher d'en rajouter, de faire le mariole pour établir sa gloriole, c'est juste un trait qui n'est pas le moins intéressant du personnage.



La structure du livre en plusieurs partie est fantastique. Chaque partie a un thème, placé sous le signe d'un animal réel ou allégorique, et se déroule sous forme de conversations mondaines qui appellent des souvenirs de ses pérégrinations de correspondant de guerre, généralement atroces.

Parce qu'il est celui qui ramène à ses interlocuteurs protégés de l'arrière la dure expérience de la mort vécue depuis les abords des fronts. Avec toujours la volonté de les choquer (surtout les femmes) ou de leur mettre leurs méfaits sous les yeux (surtout aux dignitaires nazis).



Ainsi, chaque partie a son contexte : un dialogue avec le frère du roi de Suède, la petite cour nazie du gouverneur général de Pologne, les cercles diplomatiques en Finlande, des amies allemandes retrouvées à Postdam, l'État-major allemand en Finlande, la valetaille fasciste au club house du golf de Rome.

Les conversations ont lieu dans un monde encore préservé, vestige de la grandeur culturelle Viennoise qu'il fréquenta (ou pas ?), vestige de la bande de révolutionnaires fascistes de la première heure dont il fut, vestige de la vie parisienne des années folles où il alla puiser la modernité artistique… Encore préservé mais déjà détérioré, perverti d'avoir embrassé les dictatures, et en voie de disparition de plus en plus consciente.

Les horreurs décrites le plus en détail sont finalement davantage celles proférées par les dignitaires nazis que celles perpétrées par les brutes qui leurs servent de sbires. le mal vient du haut. Certes, il y a des descriptions de pogroms, de massacres, d'exterminations. Malaparte a vu la solution finale « artisanale » d'Europe Centrale et de l'Est, et elle n'était pas belle à voir. Mais les échanges dans le petit monde nazi sont proprement effarants, d'autant qu'ils sont retranscrits (ou exagérés ?) avec complaisance.



Pour accentuer le réalisme, le style et l'ambiance varient entre les diverses conversations (aimables promenades dans la société cosmopolite des gens bien nés, climat bien plus tendu chez le petit caïd de Pologne), ainsi qu'entre les conversations et les souvenirs, ces derniers étant écrits dans un style plus journalistique.

S'ajoutent à cela de nombreuses répétitions. Comme le symptôme de quoi ? D'une tentative de poésie en prose parmi un chapelet d'horreurs ? D'un récit de conteur oral, avec ses trucs pour mieux immerger ses auditeurs ? En tous cas, de faire oeuvre de littérature, au-delà de ses articles qui sont parus à l'époque (et encore disponibles après avoir été compilés) alors que le roman est resté clandestin jusqu'à la libération.

Il y a enfin une attention aux détails, aux couleurs, aux ambiances de la nature environnante. Notamment cet Italien a visiblement été fasciné par la lumière des pays nordiques. Oscillant entre admiration (y compris une fixation bizarre sur les couleurs rose et vert pâles) et malaise : à quoi sert un soleil de minuit s'il n'y a aucun moment de la journée où il est vraiment radieux comme dans la Péninsule ?



Le tout en fait un grand livre, peut-être le plus admirable de tous ceux que j'ai lus sur ce conflit.
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Le Bal au Kremlin

Il y a un siècle, fin octobre 1922, le jeune journaliste Kurt-Erich Suckert participait à la Marche sur Rome de Mussolini. L'homme est mieux connu comme Curzio Malaparte (le contraire de "Bona-parte" ou mauvais côté), né le 9 juin 1898 en Toscane à Prato (près de Florence) de père allemand et mère italienne. Mort à Rome, 59 années plus tard, le 19 juillet 1957, il restera avant tout célèbre comme l'auteur de 2 best-sellers mondiaux : "Kaputt" en 1943 et "La peau" en 1949.



"Le Bal au Kremlin", paru en Français en 1985, est une des oeuvres laissées inachevées par l'auteur, qui, selon son traducteur Nino Frank, portée à son terme, "serait devenue une oeuvre aussi explosive" que les chefs-d'oeuvre cités.



Voyons voir si Frank a raison.



Le récit commence à Moscou, où l'auteur, la trentaine en 1928, s'est rendu dans son "enthousiasme juvénile" pour voir de près les héros de la révolution communiste d'octobre 1917.



Il s'y trouve plus précisément à une soirée à l'ambassade britannique en compagnie de Natalya Rozenel, l'épouse d'Anatoli Lounatchanski le commissaire du peuple à l'éducation, avec qui il discute si oui ou non l'oeuvre de Jean Giraudoux "pourrait éduquer les ouvriers" de l'URSS, tout en admirant Marina Semionova (1908-2010, morte 2 jours avant ses 102 ans), la Première danseuse du Grand Théâtre de l'Opéra de Moscou, qui cherche son amant, le diplomate bolchevique d'origine arménienne, Lev Karakhan (1889-1937), surnommé le Prince Noir.



C'est peu après, au Théâtre Bolchoï, où il voit Joseph Staline et le président de l'Union Soviétique, Mikhaïl Kalinine (1875-1946), qu'il apprend la disparition du bras droit de Lénine, Lev Kamenev, né Rosenfeld en 1883, le mari d'Olga Bronstein (la soeur de Trotski) et exécuté, grâce aux bons soins du tsar rouge, le 25 août 1936, à l'âge de 53 ans.



C'était l'époque où le trône au Kremlin d'Iossif Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline (de "stal" ou acier) "était entouré par la nouvelle noblesse marxiste, par ce clan avide, féroce et dissolu de boyards communistes, de parvenus et de profiteurs de la révolution, de danseuses, de comédiennes, de merveilleuses prolétariennes qui avaient pris la place de l'aristocratie de l'ancien régime, et qui bientôt, après des procès terribles et mystérieux, tomberaient dans la cour de la Loubianka (siège du KGB et prison) sous le plomb des pelotons d'exécution. "



Je m'excuse auprès de mes ami-e-s Babelionautes pour cette plutôt longue citation (de la page 85), mais je pense qu'elle résume de façon splendide l'impression que la nomenclature bolchevique avait faite sur ce toujours jeune reporter qui venait cependant déjà de renier ses sympathies fascistes d'adolescent impatient.



Il est vrai aussi que, tout en restant prudent, je peux affirmer que la personnalité de l'auteur était loin d'être simple et me permets de vous renvoyer à son excellente biographie par Enzo R. Laforgia "Malaparte, scritore di guerra" de 2010 et le Cahier de l'Herne "Malaparte" de 2018.



Je trouve, par ailleurs, que ma citation répond parfaitement à ma question du début : Nino Frank a raison !

Il s'agit d'un ouvrage relativement court (de 179 pages), qui se lit très vite tout en étant fort instructif.

Il est passionnant d'observer ce monde tout à fait particulier de ces révolutionnaires victorieux à leurs débuts à travers les yeux d'un observateur sceptique et critique, qui ne mâche pas ses mots.



En prime, vous avez droit à des rencontres hautement littéraires avec Mikhaïl Boulgakov (1891-1940), l'auteur de l'inoubliable chef-d'oeuvre "Le Maître et Marguerite" de 1940 et avec le poète mémorable Vladimir Maïakovski, peu avant son suicide le 14 avril 1930, à l'âge de seulement 36 ans.

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Kaputt

Après 5 ans de prison pour avoir critiqué Hitler, Malaparte, bien que surveillé par la Gestapo, parcourt l'Europe du nord en tant que correspondant de guerre pour le Corriere della Sera.



L'écriture est raffinée, délicate, à l'instar des champs de tournesols, des festins qu'il partage avec les généraux allemands, la cour de suède, les princesses moldaves et les représentants des Légations, délicatesse qui met d'autant en exergue l'horrible réalité du terrain, les prisonniers russes devenus antropophages, le ghetto de Varsovie, le pogrom de Jassy, les jeunes juives discrètement fusillées après vingt jours atroces au bordel militaire...



Mais le déclin allemand de 1942 est là avec les chiens russes dressés à se faire exploser sous les tanks ou les jeunes soldats allemands se suicidant lors des immenses nuits lapones.

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Le compagnon de voyage

Notre compagnon de voyage est un jeune soldat du nom de Calusia. C’est lui que nous accompagnons pour une traversée de la péninsule, dans les débordements désordonnés qui suivent le renversement de Mussolini et le débarquement allié en 1943.

Comme nombre de ses camarades du corps des chasseurs alpins ou de l’infanterie, son caractère est simple, ses sentiments élémentaires ; un fils de paysan bergamasque honnête et bon que les aléas de la guerre ont contraint de quitter sa région rurale du Nord de l’Italie.

Au milieu d’un petit détachement de soldats aux ordres d’un seul lieutenant, veillant sur une position isolée de la Calabre, Calusia et ses camarades ont attendu le débarquement, leur dernière offensive, que tous savaient perdue d’avance mais qu’ils ont menée malgré tout, moins dans le but de défendre ce qui ne pouvait désormais plus l’être, que pour sauver leur dignité de soldats et d’italiens. Braves gars qui sont morts à l’aube, laissant Calusia seul rescapé de ce combat « presque onirique » entrepris dans « un flou allusif » comme « une bataille de tableaux anglais ou hollandais ».

Le lieutenant aussi est tombé, mais avant de mourir, il a fait promettre à son ordonnance de ramener sa dépouille à Naples, chez sa mère. Improvisant une caisse dans laquelle il dépose le défunt et qu’il attelle à Roméo, un âne errant trouvé auprès d’une ferme abandonnée, Calusia se met en route. Et c’est ainsi, à travers une Italie en pleine débandade, qu’il entreprend un long voyage afin accomplir la dernière volonté de son supérieur.

Périple émouvant, terriblement humain, jalonné de belles rencontres comme celle de Concetta, orpheline fugueuse de 17 ans que Calusia prend sous son aile, ou bien celle de Mariagiulia, jeune veuve fière et robuste qui lui fait chavirer le cœur, mais ponctué aussi de mauvais contacts à l’instar des trafiquants au marché noir prêts à toutes les bassesses pour s’engraisser, et aussi les voleurs, les vauriens, les mères-maquerelles qui profitent de la débâcle pour dévoyer les femmes seules… la lie de l’Italie, ses pires ennemis par temps de défaite.



Dans cette longue cohorte de réfugiés, de pauvres hères, de miséreux, Malaparte n’omet pas de parler des femmes et de l’immense exode féminin qui a marqué cette triste période. Femmes courageuses et déterminées, ayant perdu père, frère, mari, fuyant « la peur, la faim, les villages en ruine et les champs dévastés » et qui se retrouvent seules, démunies, jetées sur les routes avec pour seules armes de survie leur vaillance, leur fierté, leur honneur.



L’auteur des célèbres « Kaputt » et « La peau » saisit l’environnement comme l’œil d’une caméra. Tantôt en plans larges, il embrasse un vaste panorama, donnant à voir les superbes paysages de l’Italie. Tantôt en plans serrés, il s’attarde sur les êtres et les choses, en portraits détaillés, révélant les nuances, les contrastes, les reliefs d’une humanité, celle d’un peuple en pleine débâcle. Il y laisse entrevoir les médiocrités, les petits intérêts, les réactions mesquines des uns, et les mouvements de solidarité ou de partage des autres, ces petites actions héroïques qui s’affirment à travers les minuscules attentions que l’on porte à son prochain, ces gestes fraternels et ordinaires, pourtant pleins de grandeur, qui sont la vraie marque de la dignité et du courage.



Et il est fascinant de constater avec quelle maestria les italiens, pourtant réputés si loquaces et volubiles lorsqu’ils s’expriment oralement, arrivent, à un degré d’expression tel et un sens si aigu de la sobriété et de l’économie de mots, à nous transmettre tout un éventail de ressentis visuels, olfactifs ou sensitifs.

On a l’impression que leurs mains, qui s’expriment généralement avec tant d’animation, se réduisent sur le papier à une pluie de mots fondamentaux jetés là, sur la page, sans qu’il soit besoin d’en rajouter tant leur choix se fait au plus juste de la pensée. Comme si les doigts, si mobiles, si lestes, happaient au vol les mots adéquats, aussi prompts qu’un oiseau de proie lorsqu’il saisit l’instant crucial de l’attaque et, en un mouvement brusque et précis, s’empare de son butin de chasse, ne lui laissant aucune chance de salut.

La plume de Malaparte est de cet ordre.

Alerte et preste, elle glisse, soudaine et immédiate, comme un souffle de vent frais. Au gré de mots simples et prégnants, elle roule, souveraine, de la Calabre à la Campanie, sur les chemins de cette Italie chaotique que la guerre a meurtrie, et toujours souple, vive, dégagée de toutes entraves dirait-on, elle défile, pleine de fluidité, avec l’allant d’une fable.

Une fable pleine d’humanité portée par le personnage innocent et magnifique de Calusio, qui révèle les sentiments contradictoires, entre amour et rejet, de Malaparte (1898 – 1957) pour son pays d’origine. La tendresse pour les petites gens, les miséreux, les êtres sans défense ; la révolte contre les puissants, les profiteurs, les exploiteurs et les voleurs.



Maintes fois remanié et demeuré inédit jusque dans les années 2000, ce « Compagnon de voyage » nous invite à le suivre jusqu’au bout du chemin... Alors, suivons-le…

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La peau

Malaparte, accompagné des "grands" libérateurs américains, promène un regard terriblement lucide sur l’Italie du frais après-guerre. De Naples à Rome, il dénonce les ravages d'une guerre et d’un peuple qui, après la soumission, a connu la Libération mais aussi et surtout la pauvreté et la faim et toutes les horreurs qu’elles peuvent traîner dans leur sillage.

Bien difficile de faire une "critique" de ce livre brûlot. Parce que ce n’est pas évident de le résumer, parce que les émotions que provoque la lecture sont complexes et finalement, je m’en rends compte, difficilement exprimables. On y trouve des scènes terribles, des métaphores flamboyantes, il y a de la beauté et de l’horreur et beaucoup de beauté dans l’horreur elle-même. Il y a la vieille Europe malade face à la saine Amérique, les vaincus face aux « vainqueurs ». Malaparte est un érudit, sensible à l’art et cet amour de l’art, notamment de la peinture transpire tout au long du récit. Sans jamais être pesante, cette omniprésence de l’art donne un relief particulier aux « horreurs » du quotidien, à ces petits arrangements avec les consciences qu’engendre la faim, aux ignominies devenues la norme d’un peuple libéré certes, mais à jamais vaincu. La peau évoque cette période dont on parle finalement peu, - même dans les livres d’histoire - de la sortie de la guerre. Dans les films, on crie « Vive la liberté ! » et les filles embrassent les soldats au son des flonflons. Dans la réalité, les pays et les hommes sont ravagés et la guerre laisse encore longtemps des traces.

On rencontre des livres parfois sur lesquels il est bien difficile de faire de la prose, même si on les a aimés - peut-être parce qu'on les a aimés d'ailleurs !
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Kaputt

L’expérience de la guerre et de la barbarie poussée à son point ultime, dans un récit d’une sublime et délétère beauté.



Dans une courte préface, Curzio Malaparte (1898 – 1957) raconte l’histoire du manuscrit de «Kaputt», écrit sur le front de l’Est entre 1941 et 1943, dissimulé et transporté en plusieurs parties pendant la guerre pour être finalement publié à Naples en 1943, après le débarquement des alliés à Salerne. Témoin ambigu du cauchemar de la guerre, celui qui fut l’un des écrivains les plus controversés du XXème siècle livre avec «Kaputt» un récit hanté de visions, issu de son expérience de correspondant de guerre sur les fronts de l’Est.



Est-ce un roman ? Un témoignage ou une affabulation ? «Kaputt» est un abîme bouleversant et putréfié d’où sortent des rêves hallucinés, des visions spectrales et parfois sublimes, le récit du naufrage de l’humanité, de l’horreur de cette guerre qui semble être un hiver éternel dans les terres de Russie, de Pologne, d’Ukraine, de Roumanie et de Finlande.



«Kaputt» fait coexister l’horreur immonde et la terreur des ghettos et des massacres avec la beauté charnelle ou froide des paysages du nord, les dîners luxueux envahis par la putréfaction des dirigeants allemands et de leurs alliés, les diners de l’aristocratie étiolée et humiliée – spectacles décrits avec la sensibilité et le réalisme de toiles de Chardin, ou avec la dimension funèbre de toiles de Cranach.



Roman bouleversant d’un correspondant de guerre qui voulut tout voir, d’une beauté scandaleuse, d’une emphase démesurée, irritant tant le narrateur s’attribue constamment le beau rôle, «Kaputt» est un livre indispensable sur la guerre, l’illustration la plus sublime d’un monde en perdition.



«Dans cette pièce tiède aux parquets couverts de tapis épais, éclairée par cette lueur de miel froid que donnaient la lune et la flamme rose des bougies, les paroles, les gestes, les sourires des jeunes femmes évoquaient avec envie et regret un monde heureux, un monde immoral, jouisseur et servile, satisfait de sa sensualité et de sa vanité. Et l’odeur morte des roses, l’éclat éteint de l’argenterie ancienne et des vieilles porcelaines, le rappelaient à la mémoire avec une impression funèbre de chair putréfiée.»



«Les autres officiers, les camarades de Fréderic, sont jeunes aussi : vingt, vingt-cinq, trente ans. Mais tous portent sur leur figure jaune et ridée des signes de vieillesse, de décomposition, de mort. Tous ont l’œil humble et désespéré du renne. Ce sont des bêtes, pensé-je ; ce sont des bêtes sauvages, pensé-je avec horreur. Tous ont, sur leur visage et dans leurs yeux, la belle, la merveilleuse et la triste mansuétude des bêtes sauvages, tous ont cette folie concentrée et mélancolique des bêtes, leur mystérieuse innocence, leur terrible pitié.»



«À un certain moment, l’officier s’arrête devant l’enfant, le fixe longtemps en silence, puis lui dit d’une voix lente, lasse, remplie de contrariété :

– Ecoute, je ne veux pas te faire de mal. Tu n’es qu’un mioche ; je ne fais pas la guerre aux mioches. Tu as tiré sur mes soldats. Mais je ne fais pas la guerre aux enfants. Lieber Gott ! ce n’est pas moi qui l’ai inventée la guerre ! L’officier s’arrête, puis dit au garçon avec une douceur étrange : Ecoute, j’ai un œil de verre. Si tu peux me dire tout de suite, sans réfléchir, lequel des deux est l’œil de verre, je te laisse partir, je te laisse en liberté.

– L’œil gauche, répond aussitôt le garçon.

– Comment as-tu fait pour t’en apercevoir ?

– Parce que des deux, c’est le seul qui ait une expression humaine.»



Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/09/06/note-de-lecture-kaputt-curzio-malaparte/



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La peau

J'aime beaucoup ce roman. En fait, je l'avais découvert à travers la magnifique adaptation cinéma de liliana Cavani dans les années 8o avec Mastroianni. C'est bien plus tard que je l'ai lu, et après un voyage à Nap!es. Ce fut un deuxième choc. Toute la truculence de Naples se retrouve dans ce texte, avec ses excentricités, sa trivialité, son réalisme. Il s'agit de la rencontre entre deux cultures diamétralement opposées : l'Amérique puritaine et l'Italie méditerranéenne. Les soldats americains remontant la botte pendant la deuxième guerre mondiale n'etaient pas armés (si j'ose dire) pour affronter la culture napolitaine. Et on assiste alors aux difficultés de ce militaire italien nommé pour faire le lien entre les deux cultures. Il ne parviendra jamais à réussir sa tâche. Constamment ridiculisé ou incompris par les américains. Tout ceci finit dans l'explosion du Vesuve de 44.

Malaparte, à travers le réalisme napolitain, nous signifie que la vie s'apprécie pour ce qu'elle est, dans l'instant, dans les horreurs comme dans le bonheur. Mais surtout, ne pas juger ce que l'on voit à l'aune d'une culture différente. La peau humaine n'est que cela. Prendre de la distance pour essayer de comprendre. Malaparte nous offre donc une belle leçon de vie.
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Kaputt

Kaputt


Traduction : Juliette Bertrand





Mort à 59 ans, en 1957, Malaparte n'a connu ni Fellini, ni Francis Ford Coppola. Pourtant, quand on lit cet incroyable voyage au coeur de la Seconde guerre mondiale effectué par un Italien d'origine allemande, c'est bien à ces deux cinéastes que l'on songe - et à tout ce qu'ils auraient pu en tirer.


Il y a là-dedans le baroque flamboyant d'un Fellini, son onirisme aussi et la cruauté aveugle et incroyablement sereine dont Coppola a tissé son "Apocalypse Now." "Apocalyptique" est d'ailleurs un adjectif qui convient à merveille à "Kaputt", surtout si on lui adjoint celui de "souterrain."


Roman ou chronique ? On suspecte bien Malaparte d'avoir peaufiné certains échanges, d'avoir ciselé nombre de détails. Mais le fond n'en sonne pas moins authentique, de cette authenticité qui est le propre du témoin oculaire.


Scindé en six parties, chacune placée sous le patronage d'une espèce animale : "Les chevaux - Les rats - Les chiens - Les oiseaux - Les rennes - Les mouches", "Kaputt" regorge d'images-choc peintes d'un pinceau magistral et auprès desquelles les photos les plus réalistes d'une certaine presse actuelle n'ont plus qu'à retourner dans le néant d'où elles n'auraient jamais dû sortir.


Des chevaux russes que le gel brutal d'un lac a emprisonnés dans la Mort alors qu'ils le traversaient ; l'extraordinaire portrait de Hans Franck, gouverneur général de Pologne, et de son épouse, recevant Malaparte à souper ; le cruel destin des chiens russes porteurs de mines et lancés à l'assaut des panzers allemands ; cette petite merveille de construction qu'est le chapitre nommé "Le Panier d'Huîtres" et qui révèle, sous l'humanité apparente de leur chef, l'impitoyable violence des oustachis croates ; le choc produit par la "chute" de la pêche au saumon du général von Heunert et le sens allégorique recelé par toute l'histoire ; la Cour des Miracles napolitaine qui se met en marche sous les bombardements dans l'avant-dernier chapitre ...


... et, à côté de cela, le récit du "Fusil fou", tout en tendresse et en ironie, qui parvient à faire sourire le lecteur, ou encore - mais là, on ne sourit pas, on ne peut que laisser monter le désespoir - le destin des jeunes Juives de Soroca et, bien sûr, pour les amateurs, le portrait au vitriol de la "cour" du comte Ciano, à Rome, le tout éclairé ou plutôt aveuglé par la glaciale lumière des latitudes polaires avant de sombrer dans celle, grouillante et sauvage, de Naples détruit, rasé, abruti sous les bombes ...


... font de "Kaputt" un livre unique, exceptionnel, d'une puissance d'évocation rarement égalée, qui empoigne le lecteur et ne le lâche pas d'une seule page, privilège littéraire réservé aux grands écrivains. Après l'avoir lu, on ne se demande pas ce que Malaparte a pu arranger à sa sauce, on reste le souffle coupé, dans la certitude absolue d'avoir plongé dans le Temps à ses côtés et d'avoir réellement vécu en sa compagnie l'immense, cruelle et cependant allègre tragédie de "Kaputt." ;o)
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La peau

Malaparte désirait-il nous léguer ses cauchemars de guerre, espérant s'en délivrer?



Officier de liaison avec les américains après que Mussolini aie retourné sa veste en 43, il nous raconte, déformé par un fascinant expressionnisme à la Fellini, la Naples humiliée, réduite à la 'peste' que constitue la prostitution généralisée des hommes femmes et enfants, sa chevauchée nocturne abordé par des juifs crucifiés, le procès expéditif de jeunes fascistes par les partisans communistes, le soir où il arrive à distraire un soldat mourant, le tribunal des foetus ou la danse lubrique du bossu sous les bombardements...

Et il trouve aussi les mots et la forme comme ces extraordinaires dialogues de sourds!

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La peau

Chronique de l'Italie des années 1943-1944 et de la libération progressive de la botte italienne par les armées américaines et françaises, relatée par l'italien Malaparte, alors officier de liaison auprès de l'état major allié. Le récit se déroule en grande partie à Naples pendant la période où les troupes alliées sont bloquées par les troupes allemandes retranchées sur le Mont Cassin (Monte Cassino). Puis on suivra les troupes lors de leur entrée dans Rome (le passage devant le Colisée est savoureux !) puis dans la conquête de la Toscane. Malaparte jouit d'une certaine renommée puisqu'il vient alors de publier "Kaputt" où il retrace son expérience de correspondant de guerre du quotidien "La Stampa" sur le front de l'Est des armées fascistes.



Les batailles, notamment celle, particulièrement sanglante, du Mont Cassin, sont absentes du récit qui se concentre plutôt sur ce qui se passe à l'arrière du front, au travers de diverses scènes, de rue ou de salon, dont l'auteur est témoin. C'est une peinture très sarcastique de la libération de l'Italie à laquelle se livre l'auteur, qui n'épargne ni les italiens aristos qui accueillent dans ce qui reste de leurs palais les officiers américains ou français, ni les habitants des quartiers populaires de Naples, réduits à la misère et qui sont prêts à tout pour sauver "leur peau" , ni ces gradés américains, au comportement désinvolte, qui décidément ne comprennent rien à l'Europe.



En dépit de son côté un peu décousu, j'ai beaucoup aimé cette fresque très visuelle, aux effets picturaux souvent saisissants, qui m'a fait découvrir un pan d'histoire de la seconde guerre mondiale que je connaissais très mal.
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La peau

Un tout grand coup de cœur pour ce magnifique roman de Malaparte (mon premier roman de cet auteur).



Tout à l’image du peuple napolitain qu’il décrit presque avec amour, c’est une écriture colorée, mouvementée, généreuse, truculente, fantasque, baroque, onirique mais aussi sensible. En somme terriblement vivante, pour raconter des événements très douloureux.

Malaparte raconte tour à tour les événements de la Libération de l’Italie, l’extrême misère du peuple, le cynisme et l’hypocrisie des Américains, l’entrée hautement symbolique des Alliés dans Rome par la Voie Appienne (comme Marius, Sylla, Jules César, Cicéron, …), pour finir avec la dernière éruption du Vésuve, dieu tutélaire de Naples, en 1944.



Le tout est foisonnant d’images, de délires et d’humour. Sous cette extravagance, je ressens une bonne dose de pudeur de la part de l’auteur, à mi-chemin entre le peuple italien et les soldats US envahissants, pudeur devant les souffrances du peuple napolitain, soumis à une barbarie d’un genre encore inconnu alors, celle du peuple américain.



Un excellent moment de lecture, loin des écrivains aseptisés et prévisibles.

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La peau

Avec Kaputt, Malaparte plongeait le lecteur dans la dichotomie d’une vie de luxe autour du gouverneur général Frank à Varsovie aux heures sombres du ghetto, et plus généralement dans les horreurs du front est de la deuxième guerre mondiale. Dans la Peau l’auteur témoigne de ce que le débarquement des alliés et plus particulièrement des Américains dans le sud de l’Italie représenta pour la ville de Naples. On y découvre une population exsangue et affamée - comme elle l’a souvent été au gré du passage des différents “libérateurs” qui se sont succédés dans sa longue et superbe histoire –, vivant dans des taudis et épuisée par une guerre que l’Italie n’avait pas les moyens de soutenir. Tout s’achète et tout se vend, l’honneur, les femmes et les enfants. D’autant plus que les vainqueurs ont de l’argent, des vivres, du matériel, des cigarettes, qu’ils sont beaux et un peu naïfs, autant dire du pain béni pour ces Napolitains qui ont toujours montré de l’ingéniosité et de la malice.

Avec son style si particulièrement suggestif, puissant, son talent à transmettre l’horreur d’une situation, à la rendre fascinante, et même terriblement belle, Malaparte prouve encore son génie d’écrivain et son don de conteur hors-pair.
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La peau

C'est un livre très dur, qui se passe durant la deuxième guerre mondiale. Curzio Malaparte nait en 1898 et fera les deux grandes guerres. Emprisonné à deux reprises durant la deuxième guerre, il en sortira vivant. Il deviendra aussi écrivain durant ces années difficiles pour lui, et pour l'Europe toute entière, alors considérée comme un pays et non comme un continent.

Berlin est bombarbée, et des tranchées sont construites un peu partout dans la capitale allemande. Des familles entières sont enterrées. On les noit aussi. Paris est occupée par les Allemands.

L'apparition de la peste le 1 octobre 1943 ne va rien arranger. Il va y avoir des milliers de morts, laissés en plan sur les trottoirs. Les corps pourissent et sont ensuite ramassés et jetés dans les cimetières.

Mussolini est viré de ses fonctions. Il est arrêté et remplacé.

Les Anglais remportent la guerre, et les Italiens vont s'amuser de leur défaite. Ils vont jouer avec leurs armes, et considéreront que perdre n'est pas pire que gagner la guerre.

C'est un roman émouvant, dur, très dur même.
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Kaputt

Eprouvante lecture que ce récit sur le vif, entre 1941 et 1943 alors qu'il était correspondant de guerre pour le Corriere de la Sierra, avec ce pas de côté du journaliste qui s'offre la liberté de la littérature pour raconter sa guerre, telle qu'il l'a vécue et ressentie.

Même si la lecture est parfois fastidieuse, j'ai beaucoup aimé la focale choisie qui m'a apporté un nouvel éclairage sur la deuxième guerre : à travers une suite de tableaux situés d'ailleurs dans des pays auxquels je suis peu habituée sur cette période (Laponie, Ukraine, Pologne, Italie), Malaparte pose sa "caméra" du côté du gotha des puissants, dignitaires nazis, diplomates, familles royales exilées, et donc essentiellement du côté de ceux que la guerre n'atteint pas. Il écoute leur babillage ahurissant, contemple leur morgue et parfois "passe derrière la caméra" pour leur donner la réplique en déroulant son autre film, celui douloureux fait de ces scènes de misère, de violence et d'abjections qu'il a vues et vécues sur les différents terrains d'opérations qu'ii a couvert.

Malgré la sensation que l'auteur se donne souvent le beau rôle, j'ai trouvé fascinant et enrichissant cet angle de vue sur la deuxième guerre mondiale qui apparait comme une sinistre farce, dont la désespérante dérision est étonnamment amoindrie par la scène finale sous les bombes tombant sur Naples, d'une humanité douloureuse mais chargée d'espoir.
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Muss suivi de le Grand Imbécile

A travers un essai atypique qui se prolonge par une satire romanesque, Curzio Malaparte dessine à partir de 1933 et d’un trait très personnel, le fascisme mussolinien des années 30 jusqu’à sa chute.



Désavoué par les dirigeants du régime, ignoré de Mussolini, Malaparte saisit l’opportunité d’une tentative de biographie pour entrer en dissidence et dresser un portrait du Duce à l’italienne dans lequel la désinvolture se dispute à la clairvoyance. Le ton n’est jamais neutre, il est souvent narquois.

Ce recueil serait-il le résultat d’une blessure d’orgueil ?

Malgré les dénégations de l’auteur, l’œuvre ressemble néanmoins à un pamphlet anti-Mussolini dans lequel l’auteur s’attarde avec acrimonie sur la personnalité égocentrique et les défauts du dictateur italien, à défaut d’analyser les idées politiques et la doctrine fasciste.



Toutefois, Malaparte a l’intelligence de ne pas réduire les textes en une simple caricature. Dans une langue tour à tour enjouée, méprisante mais toujours élégante, le journaliste décortique habilement les mécanismes de manipulations psychologiques utilisées par Muss pour convertir le peuple italien au culte du chef, rouage qui a indiscutablement façonné et installé le fascisme en Italie. Il appuie sur la ferveur religieuse italienne opportunément détournée par le dictateur pour accéder au pouvoir.

Cependant, loin de revendiquer une posture démocratique, Malaparte affiche certes un discours passionné mais sans attache idéologique. Il badine, joue avec la vérité pour appuyer ses réflexions. Il use de répétition et d’éloquence pour railler Mussolini et expliquer l’hypocrisie populaire, arborant ostensiblement une certaine arrogance, celle-là même qu’il condamne provenant du dictateur. Jamais d’attaque directe dirigée contre les fondements du fascisme, seulement une dénonciation des « crimes contre la conscience »_ liberté d’expression chère à l’auteur.



Ainsi face au fascisme de Mussolini, Curzio Malaparte donne l’impression de cultiver une certaine révolte esthétique, un anticonformisme bourgeois que l’on retrouve dans la structure même de cet essai : les réflexions brillantes ne sont jamais exposées de manière péremptoire, elles émergent subtilement au sein d’un texte confus, parfois contradictoire, souvent ironique. Voire absurde, en témoigne la fable Le Grand Imbécile dans laquelle l’auteur met en scène un soulèvement populaire sous la forme d’une joute verbale qui peut apparaître farfelue pour le lecteur. Mais ô combien audacieuse puisque dans un style enfiévré et volubile, l’auteur reprend une vieille tradition latine du persiflage visant à couvrir de ridicule le Duce rebaptisé le Grand Imbécile. Une allégorie visant finalement à louer le courage goguenard du peuple italien face à l’oppression.



Ces textes auraient pu retentir comme une violente charge contre le fascisme mais la nature profondément italienne de Malaparte rappelle que l’Histoire ne s’inscrit pas forcément dans de grands mouvements idéologiques, elle est également tributaire des tempéraments des hommes qui la font.

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Kaputt

Depuis déjà quelque temps dans ma bibliothèque, je me suis enfin décidée à lire Kaputt de Malaparte. Missionné en tant que correspondant de guerre en 1941auprès des allemands, des finlandais et des roumains, Curzio Malaparte est envoyé sur les différents fronts de l'est, sous l'uniforme italien. La personnalité de Malaparte est telle qu'il s'était déjà fait distingué de façon assez sévère pour son franc-parler, ecopant de sanctions allant du renvoi de la Storia où il travaillait, à des emprisonnements pour subversion, il écrivit donc Kaputt à l'insu de ses supérieurs. L'histoire du livre est déjà un roman à lui seul, et la liberté de ton qui va de l'humour grinçant à la critique acerbe s'accommode magistralement avec ses récits.





Malaparte a recueilli ses notes en six parties dont les titres sont des animaux : les chevaux, les rats, les chiens, les oiseaux, les rennes et les mouches, correspondant à des séjours différents. Les récits vont de la Finlande, l'Ukraine, la Roumanie, l'Allemagne à la Pologne. Passant des salons mondains où il est reçu de façon très officielle, aux tables du Reichsminister de Pologne, il décrit ce milieu aristocratique un peu décalé, émaillant ce récit d'anecdotes burlesques et de descriptions d'une violence inouïe. Il raconte entre autre le Pogrom de Lasi en Roumanie, le ghetto de Varsovie et un kolkhoze ukrainien. Pourquoi ces animaux ?Les chevaux sont ceux qui prisonniers de la glace, sont morts laissant leur tête à la discrétion des soldats russes, qui jouaient avec comme dans un manège. Les rats sont les juifs qui creusaient sous l'enceinte du ghetto de Varsovie, pour trouver quelque chose à manger. Les chiens étaient ceux qui étaient utilisés par les ukrainiens, qui les chargeaient d'explosifs pour aller au devant des lignes de front... Beaucoup de choses donc sont racontées, qu'on ne connait pas toujours, avec des descriptions de paysages splendides, des silences, des peurs, des odeurs mêlant terreur et émerveillement dans une réalité tragique.



Le critique contemporain Gianni Grana note : " On pourrait se demander si un autre livre européen a pu conjuguer à ce point autant de reportage vécu, de métier littéraire et d'ampleur d'invention ; autant de génie évocateur, de sens poétique complexe, dans la conscience de la crise et de la défaite de l'Europe, dans le massacre de ses peuples et la chute définitive de la civilisation chrétienne et moderne, - européocentrique "



Il y a des parentés d'écorchés vifs entre les vies et les œuvres de Louis-Ferdinand Céline et de Curzio Malaparte car ils ont une même fascination face a l'horreur du monde, on penserait même quelque fois à une certaine forme de complaisance dans la description de la mort. Le parcours idéologique de Malaparte est étonnant, partant du fascisme italien à la demande d'adhésion au parti communiste. Et il détestait les italiens qui en échange ont rangé ses œuvres au purgatoire.



« Napoléon s'appelait Bonaparte, et il a mal fini : je m'appelle Malaparte et je finirai bien "

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La peau

un récit poignant, on assiste à l, écroulement de l, Italie fasciste et a l, occupation américaine dans l, immédiate après guerre.

dans les.ruelles populeuse de Naples affamé.

hommes et femmes se prostituent ou se livrent à tous les marchandages on vend des enfants, la peste fait rage, le Vésuve se réveille.partout c'est la misère, la famine..

l, auteur et témoin de la déchéance de son peuple vaincu, mais aussi un peuple orgueileux.

le livre sera adapté au cinéma 🎬 en 1981 par

Liliana Cavani avec marcello Mastroianni dans le rôle de curzio malaparte.pour adultes 👍.
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Kaputt

C'est LE livre sur la Seconde Guerre mondiale qu'il faut avoir lu ! Malaparte réussit ici un tour de force en montrant comment toute l'Europe, pays neutres compris, depuis la Suède jusqu'à l'Italie, est "kaputt", et ce sans jamais aborder le déroulement du conflit.

Si vous aimez les histoires avec un début, un développement et une fin, il vaut mieux passer votre chemin. "Kaputt" est l'anti-roman par excellence, une longue suite de digressions et de descriptions puissamment imagées, entrecoupée du portrait de l'ancienne aristocratie européenne, prématurément vieillie, et de celui de la nouvelle classe dirigeante nazie, entièrement pourrie de l'intérieur. Carnages, meurtres et orgies sont la face sinistre de la décadence.

Le style surtout est inimitable, mêlant tour à tour réalité et fiction, réalisme et expressionnisme, fascination et dégoût.

Un très grand livre.
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Kaputt

Curzio Malaparte fut, durant la seconde guerre mondiale, correspondant de guerre sur le front de l'est. Il nous retranscrit donc, entre fiction et réalité, toute l'horreur barbare de la guerre.





Le narrateur parsème différents dîners mondains auxquels il a été convié, (les autres invités étant hauts dirigeants nazis et des aristocrates) d'anecdotes fameuses souvent cruelles ou parfois étranges.

On passe d'une visite du ghetto de Varsovie au massacre d'enfants lettrés dans un kolkhoze en Ukraine.



L'image la plus marquante demeure celle de ces chevaux morts piégés dans un lac gelé.

« Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupés net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. » On dirait le tableau d'un peintre vaguement surréaliste, d'ailleurs un certain nombre sont cités dans le livre.



Toute l'histoire se déroule débute en 1941 et se termine en 1943 à Naples.



C'est une façon originale de traiter de la guerre et de la monstruosité qu'elle engendre que de se faire le témoin direct plutôt que de romancer d'une façon plus classique et aussi de se garder de toute autocensure. La seule question que l'on peut se poser est la suivante : où se situe la frontière entre la réalité et la fiction. Les descriptions nous semblent si vraisemblables qu'il est impossible de répondre à cette question. Kaputt est en fin de compte l'exact opposé du « Petit prince » de St Exupery, ils nous parlent tous les deux de la même chose; de l'humanité s'écroulant dans une violence insensée. Sauf que le premier choisi une manière plus poétique tandis que le second s'est fait le chantre d'une réalité crue.
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